[AZA 0]
5P.4/2000/odi
IIe COUR CIVILE
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7 juillet 2000
Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Weyermann,
M. Raselli, Mme Nordmann et M. Merkli, juges.
Greffier: M. Braconi.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
1. Société S.________ et
2. Société D.________, toutes deux à Paris (F), représentées par Me Pierre Perritaz, avocat à Fribourg,
contre
l'arrêt rendu le 23 décembre 1999 par la IIe Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg dans la cause qui oppose les recourantes à C.________, représentée par Me Marianne Loretan, avocate à Fribourg;
(Convention de Lugano, séquestre)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Par acte notarié du 3 novembre 1992, revêtu de la formule exécutoire, la société O.________, à Paris, a octroyé à la Compagnie T.________, à Paris, un prêt de 8'000'000 FF, plus intérêts à 11,5%; ce crédit était garanti, notamment, par la "caution personnelle, solidaire et indivise" de C.________. Le prêteur a cédé le 28 mai 1996 sa créance à la société S.________, à Paris, qui a engagé des poursuites en France contre la caution. Par jugement du 12 avril 1999, le Tribunal de Grande Instance de Paris a condamné celle-ci à payer 9'159'730. 44 FF, avec suite d'intérêts; la défenderesse s'est pourvue en appel.
B.- a) Le 13 avril 1999, la société S.________ a requis l'exequatur de l'acte notarié français ainsi que le séquestre des avoirs détenus par C.________ auprès de la Banque X.________ à Fribourg. Par décision du 15 avril suivant, la Présidente du Tribunal civil de la Sarine a accueilli la requête et pris, le même jour, une ordonnance de séquestre fondée sur "l'art. 39 de la Convention de Lugano"; l'Office des poursuites de la Sarine a exécuté cette mesure.
b) C.________ a d'abord formé opposition au séquestre, puis recouru contre la décision d'exequatur et de mesures conservatoires. A la requête des avocats des parties, la procédure d'opposition a été suspendue sine die. Statuant le 23 décembre 1999, la IIe Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg a annulé le séquestre (1) et sursis à statuer sur l'exequatur jusqu'à droit jugé sur la validité de l'acte notarié (2).
C.- a) Les sociétés S.________ et D.________ exercent un recours de droit public au Tribunal fédéral contre cet arrêt, concluant à son annulation en tant qu'il révoque le séquestre.
L'intimée propose le rejet du recours.
Les recourantes ont été invitées à répliquer aux observations de l'autorité cantonale.
b) Par ordonnance du 25 janvier 2000, le Président de la IIe Cour civile a accordé l'effet suspensif au recours, en ce sens que le séquestre est provisoirement maintenu.
Considérant en droit :
1.- La société S.________, elle-même cessionnaire des droits de la société O.________, a cédé le 3 novembre 1999 sa prétention à la société D.________; cette cession n'ayant pas encore été notifiée à la débitrice cédée à la date du dépôt du présent recours, elle s'est jointe "par mesure de précaution" à la cessionnaire, toutes deux agissant en qualité de "consorts". Il ne ressort pas du dossier que ce transfert aurait été porté à la connaissance des magistrats inférieurs, dont la décision est muette sur ce point. Il y a lieu, néanmoins, d'en tenir compte d'office (arrêt non publié de la Ie Cour de droit public du 18 mars 1996 dans la cause 1P.605/1995, consid. 1b).
L'explication de la recourante 1 pour justifier de sa qualité pour recourir ne saurait être suivie. Les parties ont, en effet, expressément prévu dans l'acte de cession que le "cédant s'engage [...] à rembourser le cessionnaire pour tout paiement qui pourrait lui être ultérieurement effectué entre ses mains par le débiteur cédé" (cf. art. 2), si bien que l'absence d'un avis de cession à l'intimée est dépourvue de pertinence. L'existence d'un mandat d'encaissement n'est en outre pas établie, ni même alléguée (ATF 119 II 452; 96 I 1 consid. 2a p. 3). Il s'ensuit que, faute d'être titulaire de la créance en garantie de laquelle des mesures de sûreté ont été requises, la recourante 1 ne peut plus se prévaloir d'un intérêt juridique actuel et personnel (art. 88 OJ; arrêt non publié 1P.605/1995 précité, consid. 1a); cette condition faisant déjà défaut à la date du dépôt du recours, celui-ci est dès lors irrecevable en ce qui la concerne (ATF 118 Ia 488 consid. 1a p. 490 et les arrêts cités).
2.- L'intimée ayant également formé opposition au séquestre (art. 278 LP) - dont l'instruction a été suspendue d'entente entre les parties par le Président du Tribunal de la Sarine -, il convient d'examiner si cette voie était bien ouverte en l'espèce et, partant, devait être préalablement épuisée (art. 86 al. 1 OJ; à ce sujet: Braconi, Les voies de recours au Tribunal fédéral dans les contestations de droit des poursuites, in FS 75 Jahre Konferenz der Betreibungs- und Konkursbeamten der Schweiz, p. 249 ss, spéc. 257; Piegai, La protection du débiteur et des tiers dans le nouveau droit du séquestre, th. Lausanne 1997, p. 199 et les références citées par ces auteurs).
Tel ne paraît pas être le cas. La Cour de justice des Communautés européennes a rappelé que le seul moyen pour contester la décision qui autorise l'exécution est le recours institué par l'art. 36 CL; par conséquent, "tout autre moyen prévu par le droit national du juge saisi, fût-il limité à la seule partie de la décision qui autorise implicitement les mesures conservatoires, reste exclu" (arrêt du 3 octobre 1985 dans la cause Capelloni et Aquilini c/ Pelkmans, aff. 119/84, in Rec. 1985, p. 3154 ss, spéc. 3162 n° 35). C'est d'ailleurs en se référant à cette jurisprudence que la requérante avait conclu à l'irrecevabilité de l'opposition au séquestre. Quoi qu'il en soit, la question souffre de demeurer indécise, le recours étant, de toute manière, mal fondé.
3.- En l'espèce, le recours dénonce une violation de l'art. 39 al. 2 CL (RS 0.275. 11), d'après lequel la décision qui accorde l'exequatur emporte l'autorisation de procéder à des mesures conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l'exécution est demandée, et se fonde expressément sur l'"article 84 al. 1 lettre c OJ"; dans le cadre d'un tel recours, le Tribunal fédéral revoit librement l'application du droit conventionnel (ATF 119 II 380 consid. 3b p. 382/383 et la jurisprudence citée).
Ce motif de recours ne saurait toutefois entrer en considération. La disposition précitée se borne à poser le principe que la partie ayant sollicité et obtenu l'exécution peut procéder à des mesures conservatoires; c'est au droit de l'Etat du juge saisi, en l'occurrence le droit suisse, qu'il appartient de définir le type de mesures susceptibles d'être ordonnées (cf. notamment: Bucher, Droit international privé suisse, T. I/1, n° 822; Cambi Favre-Bulle, La mise en oeuvre en Suisse de l'art. 39 al. 2 de la Convention de Lugano, in RSDIE 1998, p. 335 ss, spéc. 343; Donzallaz, La Convention de Lugano, vol. II, § 4119; Gassmann, Arrest im internationalen Rechtsverkehr, th. Zurich 1998, p. 184 ss; Gaudemet-Tallon, Les Conventions de Bruxelles et de Lugano, 2e éd., n° 401 in fine; Geimer/Schütze, Europäisches Zivilverfahrensrecht, N. 9 et Kropholler, Europäisches Zivilprozessrecht, 6e éd., N. 5 ad art. 39 CB/CL). En écartant le séquestre au profit de la saisie provisoire (cf. infra, consid. 4), la Cour d'appel ne pouvait dès lors violer la convention, puisque, précisément, celle-ci ne règle pas ce point.
La question litigieuse relevant du droit interne, le Tribunal fédéral ne peut en connaître que sous l'angle restreint de l'arbitraire (art. 84 al. 1 let. a OJ; ATF 125 III 386 consid. 3a p. 388; 105 Ib 37 consid. 4c p. 43/44; 87 I 163 consid. 3 p. 167/168); il s'ensuit que l'arrêt déféré ne doit être annulé que s'il est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et incontesté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 125 I 166 consid. 2a p. 168); il ne suffit pas qu'une autre solution soit concevable, voire préférable (ATF 125 II 129 consid. 5b p. 134).
4.- Pour annuler le séquestre, la cour cantonale a tout d'abord tiré argument du refus du législateur fédéral de donner suite à la proposition de la commission d'experts tendant à introduire un nouveau cas de séquestre fondé sur l'art. 39 al. 2 CL (art. 271 ch. 6 PLP; Rep. 1992, p. 163 ss, spéc. 169 ss); elle a ensuite considéré que d'autres mesures de sûreté sont à la disposition du créancier, "telle que la saisie provisoire qui est conforme à la CL et qui s'inscrit dans le système général de la LP".
a) Savoir quelles sont les mesures conservatoires pouvant être ordonnées en application de l'art. 39 al. 2 CL est une question controversée (Cambi Favre-Bulle, op. cit. , p. 363 ss; Gassmann, op. cit. , p. 189 ss et les références citées par ces auteurs). Dans ses observations du 18 octobre 1991 concernant l'exécution des jugements qui emportent une condamnation pécuniaire dans l'optique de l'entrée en vigueur de la Convention de Lugano, l'Office fédéral de la justice a proposé de retenir le séquestre au sens des art. 271 ss LP, la "clause d'exequatur" constituant par elle-même un nouveau cas de séquestre (FF 1991 IV 312/313); cette solution a été suivie par plusieurs auteurs (notamment: Donzallaz, op. cit. , §§ 4180 ss; Leuenberger, Lugano-Übereinkommen: Verfahren der Vollstreckbarerklärung ausländischer "Geld"-Urteile, in AJP 1992, p. 965 ss, spéc. 972; Merkt, Les mesures provisoires en droit international privé, th. Neuchâtel 1993, p. 196 ss, spéc. 199/200 n° 487; Ottomann, Der Arrest, in RDS 115/1996 I 241 ss, spéc. 273 ss; Schwander, Neuerungen in den Bereichen der Rechtsöffnung sowie der Aufhebung oder Einstellung der Betreibung, aber fehlende Regelung von Exequaturverfahren im SchKG, in Publication FSA, vol. 13, p. 35 ss, spéc. 55 ss; en ce sens: Gassmann, op. cit. , p. 198, lorsque le débiteur est domicilié à l'étranger et n'a pas de succursale en Suisse, ou qu'il est domicilié en Suisse, mais sans y être soumis à la poursuite par voie de faillite).
Cette opinion n'est pourtant pas incontestée, loin s'en faut. Une partie de la doctrine se prononce en faveur de la saisie provisoire instituée à l'art. 83 al. 1 LP (Dutoit, in FJS n° 158, p. 14/15 n° 208; Gilliéron, L'exequatur des décisions étrangères condamnant à une prestation pécuniaire ou à la prestation de sûretés selon la Convention de Lugano, in RSJ 88/1992, p. 117 ss, spéc. 127; Meier, Vorschlag für ein effizientes Verfahren zur Vollstreckung von Urteilen auf Leistung von Geld oder Sicherheit, in RSJ 89/1993, p. 282 ss, spéc. 284; D. Staehelin, Die internationale Zuständigkeit der Schweiz im Schuldbetreibungs- und Konkursrecht, in AJP 1995, p. 259 ss, spéc. 271; Stoffel, Das Verfahren zur Anerkennung handelsrechtlicher Entscheide nach dem Lugano-Übereinkommen, in RSDA 1993, p. 107 ss, spéc. 115 ss; idem, in Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, N. 118 ss ad art. 271 LP; Walder, Zur Vollstreckung von "Lugano-Urteilen" über Geldverpflichtungen in der Schweiz, in Mitteilungen aus dem Institut für zivilgerichtliches Verfahren in Zürich n° 13 [1991], p. 5 ss, spéc. 7; cf. aussi Bucher, op. cit. , n° 860, pour qui une telle mesure représente, "de par sa nature, le moyen de protection le plus proche des mesures conservatoires au sens de l'art. 39 CL"). Dans le prolongement de cet avis, d'aucuns accordent au créancier ayant obtenu l'exequatur (en première instance) le droit de requérir directement la saisie des biens du débiteur; n'ayant d'abord que les effets d'une saisie "provisoire", cette saisie devient "définitive" sitôt que le jugement d'exequatur est passé en force (cf. art. 83 al. 3 LP), et ouvre la voie de la réalisation sans poursuite préalable, même contre le débiteur sujet à la poursuite par voie de faillite (Walter, Zur Sicherungsvollstreckung gemäss Art. 39 des Lugano-Übereinkommens, in RJB 128/1992, p. 90 ss, spéc. 98, approuvé par Pestalozzi/Wettenschwiler, Art. 39 des Lugano-Übereinkommens - Ein neuer Arrestgrund ?, in FS Peter Forstmoser, p. 327 ss, spéc. 334 ss; sur ce dernier point, cf. également: Bucher, op. cit. , n° 858; Stoffel, Das neue Arrestrecht, in AJP 1996, p. 1401 ss, spéc. 1404).
Enfin, la doctrine apparaît aussi largement divisée quant à la possibilité de requérir un inventaire conformément à l'art. 162 LP (pro: Dutoit, Meier et D. Staehelin, ibidem; Stoffel, in RSDA 1993, p. 117 [plus réservé, apparemment, in AJP 1996, p. 1404]; Gassmann, op. cit. , p. 198, pour le cas où le débiteur est sujet à la poursuite par voie de faillite d'après l'art. 39 LP; Gilliéron, Itérativement: L'exécution des décisions rendues dans un Etat partie à la Convention de Lugano, portant condamnation à payer une somme d'argent ou à la prestation de sûretés, in RSJ 90/1994, p. 73 ss, spéc. 78; contra: Bucher, op. cit. , n° 851 in fine; Cambi Favre-Bulle, op. cit. , p. 367; Pestalozzi/Wettenschwiler, op. cit. , p. 331 et les références citées; Schwander, op. cit. , p. 58; idem, note ad ATF 122 III 36, in AJP 1996, p. 630; Kaufmann-Kohler, L'exécution des décisions étrangères selon la Convention de Lugano, in SJ 119/1997, p. 561 ss, spéc. 578).
Ces controverses n'ont guère épargné les autorités judiciaires. La voie du séquestre est consacrée à Zurich (ZR 90/1991 n° 35 ch. 6) et à Lucerne (LGVE 1991 I n° 34 ch. 5); le Tribunal de première instance de Genève s'était également rallié à cette solution (RSDIE 1994, p. 422 et note Volken), que la Cour de justice a désavouée ultérieurement (arrêt non publié du 9 mai 1996, rapporté par Jeanneret, Aperçu de la validation du séquestre sous l'angle de la nouvelle LPDF, in Le séquestre selon la nouvelle LP, p. 89 ss, spéc. 113). En revanche, le Président du Tribunal du district de Kreuzlingen a opté pour la saisie provisoire, mais sans l'avis préalable au débiteur (BlSchK 1996, p. 103 ss = RSDIE 1997, p. 413 ss et note Volken). Le Tribunal fédéral n'a pas eu l'occasion de trancher le débat (arrêt non publié de la IIe Cour civile du 4 novembre 1996 dans la cause 5P.151/1996, où l'admissibilité du séquestre n'était pas mise en cause comme telle); dans sa prise de position sur le rapport du groupe d'experts chargé d'examiner la nécessité d'adapter le projet de révision de la LP à la Convention de Lugano (in Rep. 1992, p. 163 ss), il a néanmoins souligné que l'opinion de Walter (citée ci-dessus), en tant qu'elle implique une saisie provisoire sans poursuite préalable, représente "einen weit grösseren Einbruch in das geltende schweizerische Vollstreckungsrecht" (cité par Reeb, Procès-verbal de la 131e assemblée annuelle de la SSJ, in RDS 116/1997 II 540).
b) Aucune des deux mesures entrant en considération en l'occurrence - séquestre et saisie provisoire - ne peut être adoptée sans de notables aménagements, et même l'auteur cité dans l'acte de recours fait appel à une institution "sui generis" qui s'appuie directement sur l'art. 39 al. 2 CL et dont les effets correspondent à ceux du séquestre (Donzallaz, op. cit. , § 4188); une tendance récente affirme, d'ailleurs, qu'il n'est pas nécessaire de choisir entre l'une ou l'autre si chacune d'elles est appliquée conformément aux exigences de la convention (Bucher, op. cit. , n° 859; Kaufmann-Kohler, op. cit. , p. 579; M. Staehelin, in Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, N. 43 ad art. 30a LP).
A l'encontre de la solution du séquestre, on a fait valoir qu'il serait exclu d'astreindre le créancier à valider la mesure et à fournir des sûretés (Bucher, op. cit. , n° 854; Cambi Favre-Bulle, op. cit. , p. 356 et 366; Kaufmann-Kohler, op. cit. , p. 579 et les références citées; contra: FF 1991 IV 313), et que le juge de l'exequatur ne pourrait suppléer au défaut de base légale (Pestalozzi/Wettenschwiler, op. cit. , p. 332 et 334; réservés également: Bucher, op. cit. , n° 854; Schwander, op. cit. , p. 57/58; critique: Gassmann, op. cit. , p. 193 et les citations). En outre, la question est discutée de savoir si l'obligation de désigner les biens à mettre sous main de justice (art. 272 al. 1 ch. 3 LP; cf. ATF 126 III 95 consid. 4a p. 96 ss et les références) est compatible ou non avec l'art. 39 CL (d'une part: Donzallaz, op. cit. , § 4190; Leuenberger, op. cit. , p. 971; Stoffel, in RSDA 1993, p. 116; Walter, op. cit. , p. 94; Rep. 1992, p. 175 in fine; d'autre part: Bucher, n° 855; Cambi Favre-Bulle, op. cit. , p. 365); ce point n'a cependant aucune incidence dans le cas présent, la requérante s'y étant conformée spontanément.
Quoi qu'en pensent la cour cantonale et l'intimée, la saisie provisoire ne satisfait pas mieux que le séquestre aux impératifs du traité. L'argument déduit de l'absence de base légale vaut aussi pour la saisie provisoire, qui n'est autorisée qu'après le prononcé de la mainlevée provisoire, et non définitive, de l'opposition (D. Staehelin, in Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, N. 4 ad art. 83 LP et les références; cf. les remarques de Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, N. 70 ad art. 30a, N. 7, 8 et 50 ad art. 80, N. 32 ad art. 83 LP et les citations). Alors que le séquestre est exécuté à l'improviste (ATF 107 III 29 consid. 3 p. 31), la saisie provisoire ne peut l'être sans que le débiteur en soit préalablement avisé (art. 90 LP; D. Staehelin, ibidem, N. 8); pour respecter l'effet de surprise (art. 34 al. 1 CL), il faudrait alors y renoncer (Bucher, op. cit. , n° 858 et les références). En outre, selon la jurisprudence récente, elle ne peut être requise tant que le jugement de mainlevée est susceptible d'un recours muni de l'effet suspensif (ATF 122 III 36; critiques: Gilliéron, op. cit. , N. 16 ad art. 83 LP; idem, note in JdT 1998 II 67 ss; D. Staehelin, ibidem, N. 5; Reeb, Les mesures provisoires dans la procédure de poursuite, in RDS 116/1997 II 421 ss, spéc. 442 n. 103), solution qui ne satisfait pas aux exigences de l'art. 39 CL (Bucher, ibidem; cf. Schwander, in AJP 1996, p. 630, qui y voit là un obstacle déterminant à la saisie provisoire). Est enfin mentionnée la nécessité d'un for de poursuite en Suisse (Cambi Favre-Bulle, op. cit. , p. 368 let. b in fine; Gassmann, op. cit. , p. 196 et n. 65), aspect qui ne soulève toutefois pas de difficulté dans le cas particulier. L'objection selon laquelle la saisie provisoire ne pourrait pas être ordonnée dans le cadre d'une procédure séparée d'exequatur n'apparaît pas décisive - comme le démontre la décision du Président du Tribunal du district de Kreuzlingen (supra, consid. 4a in fine) -, ce d'autant que l'admissibilité d'une telle procédure (sur ce point: ATF 125 III 386 consid. 3a p. 387/388 et les références; Rapin/Wakim, Cour de justice des Communautés européennes et Convention de Bruxelles, Chronique de jurisprudence 1999, in SJ 122/2000 II 317 ss, spéc. 336) est explicitement évoquée dans l'acte de recours.
En résumé, l'opinion de l'autorité cantonale, dont la motivation est pour le moins indigente au sujet de la mise en oeuvre de la mesure préconisée, n'est certes pas à l'abri de toute critique; elle n'est cependant pas isolée et tranche une question âprement débattue, si bien qu'on ne peut parler d'une norme ou d'un principe juridique clair et indiscuté que les magistrats d'appel auraient arbitrairement violés (supra, consid. 3 in fine; cf. ATF 119 III 108 consid. 3b p. 112; 117 III 76 consid. 7c p. 83; 115 III 125 consid. 3 p. 130).
5.- Dans sa réponse, à laquelle les recourantes ont été invitées à répliquer (art. 93 al. 2 OJ; ATF 107 Ia 1 et les citations), l'autorité inférieure a considéré qu'elle ne pouvait ordonner un séquestre sur la base du droit cantonal, car une telle mesure ne saurait être prise pour la garantie de créances soumises à la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite.
Selon l'art. 347 al. 3 CPC/FR, lorsque l'exécution d'un jugement étranger est accordée, la partie qui a requis l'exécution peut obtenir des "mesures conservatoires"; cette norme renvoie pour le surplus aux art. 366 ss, relatifs aux mesures provisionnelles. Ce renvoi englobant aussi l'art. 367 al. 2, d'après lequel celles-ci ne peuvent être prises pour la sûreté de créances pécuniaires, il n'y a pas d'arbitraire à admettre que l'art. 347 al. 3 CPC/FR se rapporte uniquement aux mesures conservatoires qui - fussent-elles même fondées sur l'art. 39 al. 2 CL - n'ont pas pour objet de garantir de pareilles prétentions (Donzallaz, op. cit. , § 4184; Gassmann, op. cit. , p. 188/189 et les références citées; Leuch et al., Die Zivilprozessordnung für den Kanton Bern, 5e éd., N. 2d ad art. 400d ZPO). La prohibition de mesures provisionnelles du droit cantonal n'est, il est vrai, pas incontestée (Bucher, op. cit. , n° 861; M. Staehelin, op. cit. , N. 42 ad art. 30a LP), mais cela ne rend pas insoutenable pour autant l'opinion de la cour cantonale.
6.- Vu ce qui précède, le recours de la société S.________ doit être déclaré irrecevable et celui de la société D.________ rejeté dans la mesure de sa recevabilité, les frais et dépens étant mis solidairement à la charge des recourantes (art. 156 al. 7 et 159 al. 5 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Déclare le recours de la recourante 1 irrecevable.
2. Rejette le recours de la recourante 2 dans la mesure où il est recevable.
3. Met à la charge des recourantes, solidairement entre elles:
a) un émolument judiciaire de 10'000 fr.,
b) une indemnité de 10'000 fr. à payer
à l'intimée à titre de dépens.
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties, à la IIe Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg et à l'Office des poursuites de la Sarine.
_____________
Lausanne, le 7 juillet 2000 BRA
Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,