BGer 4C.139/2000
 
BGer 4C.139/2000 vom 10.07.2000
[AZA 0]
4C.139/2000
Ie COUR CIVILE
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10 juillet 2000
Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et Corboz,
juges. Greffier: M. Carruzzo.
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Dans la cause civile pendante
entre
X.________ Sàrl, demanderesse et recourante, représentée par Me Philippe Conod, avocat à Lausanne,
et
M.________, défendeur et intimé, représenté par Me Daniel Pache, avocat à Lausanne;
(durée de la prolongation du bail)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
faits suivants:
A.- Par contrat du 20 avril 1989, C.________ a remis à bail à Y.________ un local de 50 m2, destiné à l'exploitation d'un salon de coiffure; le loyer annuel était fixé à 27 324 fr. sans les charges.
Durant la même année, la société A.________ Sàrl a repris avec actifs et passifs l'entreprise individuelle de Y.________, y compris le bail conclu avec C.________. En 1996 et 1998, Y.________ a vendu ses parts dans la société à Z.________. La raison sociale est devenue, en dernier lieu, X.________ Sàrl.
Quant à C.________, elle a vendu l'immeuble, le 18 décembre 1997, à M.________, qui lui a succédé dans le bail.
Par notification du 13 mai 1998, M.________ a résilié le bail le liant à X.________ Sàrl pour le 30 juin 1999.
La société locataire a contesté le congé.
B.- Par décision du 23 décembre 1998, la Commission de conciliation en matière de baux et loyers du district a admis la validité du congé et accordé une seule et unique prolongation du bail jusqu'au 1er avril 2002.
Saisi par la société locataire, le Tribunal des baux du canton de Vaud, par jugement du 10 août 1999, a accordé une unique prolongation jusqu'au 30 septembre 2002.
Par arrêt du 17 novembre 1999, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours formé par la société locataire et confirmé le jugement attaqué.
Pour statuer sur la durée de la prolongation - qui demeure le seul point litigieux -, la cour cantonale a procédé à une pesée des intérêts en présence. S'agissant de la société locataire, elle a retenu que celle-ci exploitait un salon de coiffure dans le local loué depuis dix ans, qu'elle avait amorti en grande partie ses investissements qui ne figurent plus dans ses comptes que pour 40 000 fr., qu'elle s'est constitué une certaine clientèle et bénéficie surtout d'un emplacement favorable (sur une rue passante reliant le centre de la ville à la gare) et qu'il lui sera difficile de trouver des conditions équivalentes. Pour ce qui est du bailleur M.________, il a été constaté qu'il exerce la profession d'opticien et qu'il exploite, sous la forme d'une société anonyme (B.________ SA), un magasin d'optique dans la même rue; l'arcade louée à cette fin n'est cependant pas adaptée au besoin actuel d'un tel commerce et son avenir est incertain en raison de l'intention du propriétaire de vendre son bien; un déplacement du magasin à un autre endroit dans la même rue, envisagé par M.________, ne permettrait pas de parvenir à un résultat satisfaisant; M.________ a donc acheté l'immeuble où se trouve notamment le salon de coiffure pour y transférer son magasin et aménager ainsi des locaux conformes aux exigences actuelles de sa profession.
C.- X.________ Sàrl interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut à l'octroi d'une prolongation de bail de cinq ans, subsidiairement au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.
L'intimé propose le rejet du recours et la confirmation de l'arrêt attaqué.
Considérant en droit :
1.- a) Le litige portant sur la prolongation du bail est une contestation civile de nature pécuniaire (cf.
ATF 113 II 406 consid. 1). Devant la dernière autorité cantonale, la recourante avait demandé une prolongation du bail de cinq ans au lieu des trois ans et trois mois accordés par l'autorité inférieure et admis par la partie intimée; cette période de prolongation litigieuse (un an et neuf mois) restait entièrement à courir au moment où la cour cantonale a statué; compte tenu du loyer convenu et des charges, il n'est pas douteux que la valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. ouvrant la voie du recours en réforme (art. 46 OJ; ATF 113 II 406 consid. 1, 109 II 351 consid. 1).
Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions en prolongation de son bail et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ), le recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ).
b) Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral, mais non pour violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ).
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a, 119 II 353 consid. 5c/aa, 117 II 256 consid. 2a). Dans la mesure où la recourante présenterait, sans invoquer l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, un état de fait différent de celui contenu dans la décision attaquée, il n'est pas possible d'en tenir compte. Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).
Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties, mais il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 126 III 65 consid. 2a).
2.- a) La recourante critique la durée de la prolongation de bail que l'autorité cantonale a fixée.
Selon l'art. 272b al. 1 CO, le bail de locaux commerciaux peut être prolongé de six ans au maximum.
Cette disposition ne précise cependant pas sur quelles bases le juge doit se fonder pour fixer la durée de la prolongation du bail.
La doctrine unanime admet qu'il doit procéder à une pesée des intérêts en présence (Lachat, Le bail à loyer, p. 507 n. 4.4; Anita Thanei, Die Erstreckung des Mietverhältnisses, Fachreihe Mietrecht n° 2, Zurich 1990, p. 18; Bruno Giger, Die Erstreckung des Mietverhältnisses [art. 272-272d OR], thèse Zurich 1995, p. 80 s.).
Ainsi, la pesée des intérêts, prescrite par l'art. 272 al. 1 et 2 CO pour décider d'octroyer ou non une prolongation du bail, sert également pour déterminer la durée de celle-ci (arrêt non publié du 18 janvier 1996, dans la cause 4C.362/1995, consid. 1).
Comme le montre l'emploi de l'adverbe "notamment", les éléments d'appréciation énoncés à l'art. 272 al. 2 CO, sous let. a à e, ne revêtent pas un caractère exclusif et le juge peut tenir compte d'autres intérêts pertinents (Higi, Commentaire zurichois, n. 120 ad art. 272 CO; Engel, Contrats de droit suisse, 2e éd., p. 210; Tercier, Les contrats spéciaux, 2e éd., n. 2137). Il gardera à l'esprit que la prolongation a pour but de donner du temps au locataire pour trouver une solution de remplacement (ATF 125 III 226 consid. 4b) ou, à tout le moins, tend à adoucir les conséquences pénibles résultant d'une extinction du contrat selon les règles ordinaires (ATF 116 II 446 consid. 3b).
Lorsqu'il est appelé à se prononcer sur une prolongation du bail, le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour en déterminer la durée dans les limites fixées par la loi; il ne transgresse pas le droit fédéral en exerçant le pouvoir d'appréciation que la loi lui accorde; le droit fédéral n'est violé que s'il sort des limites fixées, s'il se laisse guider par des considérations étrangères à la disposition applicable, s'il ne prend pas en compte les éléments d'appréciation pertinents ou s'il tire des déductions à ce point injustifiables que l'on doive parler d'un abus du pouvoir d'appréciation (ATF 125 III 226 consid. 4b).
b) Se référant à la jurisprudence et à la doctrine, la cour cantonale et les parties ont évoqué longuement l'hypothèse où une société immobilière bailleresse invoquerait le besoin personnel de son actionnaire unique qui souhaiterait utiliser les locaux loués (cf. ATF 115 II 181 consid. 2a p. 185; Higi, op. cit. , n. 191 ad art. 271a CO; Lachat, op.
cit. , p. 503 n. 3.8; SVIT-Kommentar Mietrecht, 2e éd., n. 53 ad art. 272 CO).
Lorsque le bailleur est une société immobilière, son intérêt se concentre dans la réalisation de son but social.
Si la personne morale invoque le désir de son actionnaire de loger lui-même dans les locaux ou d'exercer sa propre activité, elle se heurte à l'objection que l'actionnaire est juridiquement une personne distincte de la société.
Cette question ne se pose toutefois pas dans le cas d'espèce, puisque le bailleur n'est pas une personne morale, mais une personne physique.
Contrairement à ce qu'ont pensé la cour cantonale et les parties, cette circonstance modifie profondément le problème.
Il faut encore souligner que l'on ne se trouve pas dans l'hypothèse de l'art. 271a al. 3 let. a CO, c'est-à-dire dans l'hypothèse d'un besoin urgent du bailleur qui pourrait faire obstacle, aux conditions légales, à la prolongation du bail. Il s'agit ici de fixer la durée de la prolongation en application de l'art. 272b al. 1 CO, ce qui suppose une pesée des intérêts en présence, pour laquelle on applique par analogie l'art. 272 al. 2 CO.
La pesée des intérêts en présence implique évidemment que l'on ait égard aux intérêts des deux cocontractants.
Pour ce qui est du bailleur, il ne faut pas tenir compte uniquement de son besoin des locaux (art. 272 al. 2 let. d CO), mais aussi de sa situation personnelle et financière (art. 272 al. 2 let. c CO). L'énumération de l'art. 272 al. 2 CO n'étant pas exhaustive, il n'y a aucun obstacle à prendre en considération tous les intérêts financiers du bailleur (Weber/Zihlmann, Commentaire bâlois, 2e éd., n. 5 ad art. 272 CO; Zihlmann, Das Mietrecht, 2e éd., p. 235 s.; cf. également:
Engel, op. cit. , p. 213; Lachat, op. cit. , p. 501 n. 3.6).
Lorsque le bailleur est actionnaire d'une société anonyme, les actions font partie de son patrimoine; il a donc un intérêt personnel à ce que la valeur des actions qu'il détient ne soit pas diminuée par des événements négatifs affectant la marche de l'entreprise. Le bailleur d'espèce, personne physique, fait valoir son intérêt propre à la valeur des actions qu'il détient. Savoir quelle importance il faut donner à cet intérêt est une autre question; il n'est cependant pas douteux que l'intérêt doit être pris en compte. On ne peut donc pas souscrire à l'opinion de la cour cantonale selon laquelle cet intérêt ne devrait être pris en compte qu'avec retenue, parce qu'il s'agirait de faire valoir l'intérêt d'une personne juridiquement distincte.
Il faut encore ajouter que le bailleur, qui est opticien, entend assurer son avenir professionnel en exerçant son activité dans des locaux appropriés aux exigences modernes.
Son intérêt à exercer son métier dans de bonnes conditions, en ayant pratiquement un statut de patron, est un intérêt qui lui est personnel; on ne saurait donc dire qu'il invoque l'intérêt d'autrui, à savoir l'intérêt de la société B.________ SA.
c) La société locataire occupe les locaux loués depuis une dizaine d'années. Selon l'art. 272 al. 2 let. b CO, cet élément doit être pris en considération. Il faut cependant constater qu'il n'est pas dépourvu d'ambivalence. En effet, la durée du bail a permis au locataire d'amortir l'essentiel de ses investissements, ce qui ne milite pas en faveur d'une prolongation importante; d'un autre côté, il s'est constitué avec le temps une certaine clientèle locale (bien qu'il insiste aussi sur la clientèle de passage), ce qui constitue un argument en faveur d'une prolongation d'une certaine durée (cf. Higi, op. cit. , n. 145 s. ad art. 272 CO; Zihlmann, op. cit. , p. 233 s.). Il est établi par ailleurs qu'il ne trouvera sans doute pas des locaux aussi bien situés, de sorte qu'une prolongation du bail d'une certaine importance adoucit pour lui les conséquences de la résiliation (cf. ATF 116 II 446 consid. 3b).
Le bailleur ne dispose pas actuellement d'un magasin lui permettant d'exercer sa profession dans des conditions conformes à l'état de la concurrence. Une autre solution à proximité de l'endroit où il s'est fait connaître n'existe pas. Il a acheté l'immeuble où se trouve notamment le salon de coiffure pour y transférer son magasin, qui se trouve à proximité, et l'installer ainsi dans de bonnes conditions, près du lieu où il exerce actuellement son activité.
Son intérêt est sérieux et repose entièrement sur des constatations de fait qui ne peuvent être remises en cause dans un recours en réforme (art. 63 al. 2 OJ).
Sachant que la durée maximale de la prolongation est de six ans, les autorités cantonales, constatant l'opposition de deux intérêts sérieux, ont fixé à trois ans et trois mois la durée de la prolongation d'espèce. Comme le relève l'intimé, la société locataire a également bénéficié d'un délai de résiliation d'une année (cf. ATF 125 III 226 consid. 4c), bien que cela ne résolve pas le problème né de l'impossibilité de trouver des locaux équivalents.
La question n'est pas de savoir si le Tribunal fédéral, à supposer qu'il ait eu à statuer en lieu et place de l'autorité cantonale, aurait fixé une durée plus longue ou plus courte. Il ne lui appartient en effet pas de substituer sa propre appréciation à celle du juge du fait. Saisi d'un recours en réforme, il doit se borner à dire si la cour cantonale a violé le droit fédéral; dès lors que celui-ci accorde au juge un large pouvoir d'appréciation, une violation du droit fédéral supposerait que la cour cantonale ait fait, au détriment de la recourante, une erreur de raisonnement manifeste ou qu'elle soit parvenue à des conclusions injustifiables.
Tel n'est pas le cas. Par conséquent, le recours doit être rejeté.
3.- Les frais et dépens seront mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;
2. Met un émolument judiciaire de 5000 fr. à la charge de la recourante;
3. Dit que la recourante versera à l'intimé une indemnité de 6000 fr. à titre de dépens;
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois.
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Lausanne, le 10 juillet 2000 ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,