[AZA 0]
5C.106/2000
IIe COUR CIVILE
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18 août 2000
Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi et Mme
Nordmann, juges. Greffier: M. Abrecht.
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Dans la cause civile pendante
entre
W.________, demandeur et recourant, représenté par Me Pierre Scherb, avocat àGenève,
et
T.________, défendeur et intimé, représenté par sa mère dame T.________, elle-même représentée par Me Marianne Bovay, avocate à Genève;
(modification de la contribution à l'entretien d'un enfant)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:
A.- Dame T.________, née en 1954, ressortissante hongroise actuellement domiciliée à Petit-Lancy (Genève, Suisse), a donné naissance le 28 mai 1989 à l'enfant T.________. Le 21 septembre 1989, W.________, né en 1958, sujet britannique actuellement domicilié à X.________ (Haute-Savoie, France), a reconnu sa paternité sur l'enfant devant l'officier de l'état civil de Genève. Les deux parents vivaient alors sur la Côte vaudoise.
Dans une convention approuvée par l'autorité tutélaire le 5 décembre 1990, W.________ s'est engagé à verser pour l'entretien de l'enfant une contribution mensuelle, indexée sur l'indice suisse des prix à la consommation, de 800 fr. jusqu'à l'âge de 2 ans révolus, 900 fr. jusqu'à 6 ans, 1'000 fr. jusqu'à 12 ans, 1'100 fr. jusqu'à 16 ans et 1'200 fr. jusqu'à 20 ans.
B.- Par acte déposé devant le Tribunal de première instance de Genève le 21 novembre 1998, W.________ a sollicité une réduction de ces contributions, sans toutefois prendre de conclusions chiffrées. Il y exposait que sa situation tant personnelle que professionnelle avait changé: il vivait en France avec sa compagne dame B.________ et leur enfant Ludovic, né le 13 février 1995; son salaire mensuel net s'élevait à 15'000 fr. français, et il devait assumer également l'entretien de sa compagne, sans formation et sans emploi, et de son fils.
Par jugement du 30 septembre 1999, le Tribunal de première instance a débouté le demandeur de toutes ses conclusions.
Il a considéré que celui-ci avait prouvé à satisfaction de droit que son revenu actuel était d'environ 20'000 fr. français ou 5'000 fr. suisses par mois, soit un revenu inférieur à celui réalisé entre la signature de la convention en 1990 et l'ouverture d'action en 1998; toutefois, vu ses charges pouvant être estimées à 3'278 fr. suisses par mois, il était encore en mesure de payer à l'enfant T.________ la pension fixée par convention, qui s'élevait en novembre 1998, indexée, à 1'143 fr. par mois.
C.- W.________ a appelé de ce jugement devant la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, en concluant à ce que la contribution à l'entretien de l'enfant T.________ soit réduite aux montants, indexés, de 500 fr.
jusqu'à l'âge de 12 ans révolus, 600 fr. jusqu'à 16 ans et 700 fr. jusqu'à la majorité.
Par arrêt du 14 avril 2000, la cour cantonale a confirmé le jugement de première instance. Retenant que le demandeur réalisait un revenu mensuel net de 7'040 fr. suisses et que ses charges pouvaient être estimées à 3'686 fr.
par mois, tandis que la mère de l'enfant T.________ réalisait un salaire mensuel net de 6'055 fr. pour des charges se montant à 2'965 fr. 40 par mois, les juges cantonaux ont considéré que le demandeur était encore en mesure de payer le montant, certes très important, de la pension fixée par convention.
D.- Le demandeur exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral contre cet arrêt, dont il sollicite l'annulation.
La défenderesse propose le rejet du recours.
Considérant en droit :
1.- Les droits contestés dans la dernière instance cantonale atteignent d'après les conclusions du demandeur une valeur, calculée conformément à l'art. 36 al. 4 OJ, d'au moins 8'000 fr.; le recours est donc recevable sous l'angle de l'art. 46 OJ (cf. ATF 116 II 493). Déposé en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance cantonale, il est également recevable au regard des art. 54 al. 1 et 48 al. 1 OJ.
2.- a) L'autorité cantonale a constaté que le demandeur travaillait depuis le 2 juin 1998, en qualité d'ingénieur et moyennant un salaire mensuel brut de 9'800 DM, pour la société Daimler-Benz AG à Stuttgart, étant précisé que ce travail était effectué à distance, l'intéressé devant toutefois se rendre de manière régulière chez son employeur. Le contrat de travail du 27 mai 1998 prévoyait que le demandeur bénéficiait de la couverture des prestations de prévoyance selon l'institution de prévoyance de Daimler-Benz AG. La cour cantonale a relevé que si le demandeur prétendait devoir s'acquitter seul de la totalité des cotisations sociales en France, son employeur ne lui remboursant qu'une partie des sommes ainsi payées, les pièces auxquelles il se référait sur ce point et dont il affirmait les avoir remises au premier juge ne figuraient pas au dossier, de sorte qu'il ne pourrait pas en être tenu compte (arrêt attaqué, p. 3).
Dès lors, les juges cantonaux ont déduit du salaire mensuel brut de 9'800 DM, soit un peu moins de 8'000 fr.
suisses, 12% de charges sociales estimées pour arriver à un montant de 7'040 fr. (arrêt attaqué, p. 7). Au vu des charges du demandeur, estimées à 3'686 fr. par mois (arrêt attaqué, p. 8), l'autorité cantonale a considéré que celui-ci était encore en mesure de payer le montant, certes très important, de la pension fixée par convention, même s'il était ainsi tenu de verser pour l'entretien de son premier fils un montant considérablement plus élevé que celui qu'il pouvait consacrer à son autre enfant (arrêt attaqué, p. 9).
b) Le demandeur reproche principalement à la cour cantonale d'avoir violé l'art. 280 al. 2 CC, qui soumet les litiges relatifs à l'obligation d'entretien à la maxime officielle, en statuant immédiatement sur l'appel sans mesures d'instruction. En effet, dès lors que les juges cantonaux ont déploré dans leur arrêt que des pièces auxquelles le demandeur s'était référé au sujet de ses cotisations sociales, donc de son revenu effectif, ne figuraient pas au dossier, ils auraient eu l'obligation, en vertu de l'art. 280 al. 2 CC, d'avertir le demandeur que des pièces indispensables à la compréhension de l'affaire manquaient au dossier, et l'inviter à produire les pièces nécessaires.
Le demandeur fait en outre grief à la cour cantonale d'avoir violé la jurisprudence du Tribunal fédéral sur l'égalité de traitement entre les enfants d'un même père; en effet, les juges cantonaux ont refusé de modifier la contribution du demandeur à l'entretien de son premier fils lors même qu'ils ont constaté que le demandeur était ainsi tenu de verser pour l'entretien de son premier fils un montant considérablement plus élevé que celui qu'il pouvait consacrer à son autre enfant.
3.- a) Dans les litiges relatifs à l'obligation d'entretien, comme dans ceux sur la constatation ou la con-testation de la filiation, le droit fédéral impose au juge d'examiner d'office les faits et d'apprécier librement les preuves (art. 280 al. 2 CC et art. 254 ch. 1 CC). L'obligation pour le juge d'établir d'office les faits ne dispense toutefois pas les parties d'une collaboration active à la procédure; il leur incombe ainsi de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuve disponibles (ATF 119 III 70 consid. 1; 111 II 281 consid. 3; 109 II 395 consid. 2c; 107 II 233 consid. 2c). Le juge doit néanmoins s'assurer, notamment par l'interpellation des parties, que leurs allégations et leurs offres de preuve sont complètes, mais il n'est tenu de le faire que s'il a des motifs objectifs d'éprouver des doutes sur ce point (ATF 107 II 233 consid. 2c). La maxime officielle imposée par les art. 280 al. 2 CC et 254 ch. 1 CC, quoique destinée en premier lieu à protéger les intérêts de la partie la plus faible, à savoir l'enfant (ATF 109 II 195 consid. 2), vaut également en faveur des parents (ATF 118 II 93 consid. 1a p. 94 et la jurisprudence citée). Elle s'applique également au procès en modification selon l'art. 286 al. 2 CC (Hegnauer, Berner Kommentar, Band II/2/2/1, 1997, n. 103 ad art. 286 CC).
b) En l'espèce, la maxime officielle imposée par l'art. 280 al. 2 CC ne dispensait pas le demandeur de renseigner les juges cantonaux sur les faits de la cause et de leur indiquer les moyens de preuve disponibles, obligation à laquelle il a satisfait au moins partiellement dans son mémoire d'appel du 7 février 2000. Constatant que des pièces auxquelles le demandeur s'était référé devant le premier juge - qui en fait état dans son jugement (p. 6) - au sujet de ses cotisations sociales manquaient au dossier, l'autorité cantonale ne pouvait se contenter de prendre en compte un taux estimé de 12% de charges sociales. Elle aurait au contraire dû avertir le demandeur que les pièces produites devant le premier juge manquaient au dossier, et l'inviter à produire les pièces nécessaires, quitte à en déduire, le cas échéant, que les revenus du demandeur sont plus élevés que ce qu'il allègue, ainsi que le soutient la défenderesse.
L'arrêt attaqué doit dès lors être annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle complète le dossier et statue à nouveau. Dans sa nouvelle décision, la cour cantonale veillera à respecter le principe selon lequel des frères et soeurs doivent, en ce qui concerne leurs besoins objectifs, être traités de manière identique (cf. ATF 116 II 110 consid. 4a).
4.- En définitive, le recours, fondé, doit être admis, l'arrêt attaqué annulé et l'affaire renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Le demandeur, qui obtient gain de cause, a en principe droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ). Toutefois, dès lors qu'il propose lui-même que les dépens soient compensés, vu la qualité des parties, il sera fait droit à cette conclusion.
Enfin, eu égard à la nature des griefs qui ont conduit à l'admission du recours, il sera exceptionnellement renoncé à la perception d'un émolument judiciaire.
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Admet le recours, annule l'arrêt attaqué et renvoie l'affaire à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais de justice.
3. Compense les dépens.
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-tice du canton de Genève.
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Lausanne, le 18 août 2000 ABR/frs
Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président, Le Greffier,