BGer C 50/2000
 
BGer C 50/2000 vom 04.09.2000
[AZA 0]
C 50/00 Kt
IIe Chambre
composée des Juges fédéraux Meyer et Ferrari, Maeschi,
suppléant; Berset, Greffière
Arrêt du 4 septembre 2000
dans la cause
Service cantonal des arts et métiers et du travail du canton du Jura, rue du 24-Septembre 1, Delémont, recourant,
contre
P.________, intimée, représentée par Me Jean-Marc Christe, avocat, rue du Marché-aux-Chevaux 5, Delémont,
et
Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Porrentruy
A.- Née en 1975, J.________, ressortissante croate, mère d'un enfant né le 21 novembre 1992, est arrivée à D.________ le 13 novembre 1992. Elle avait obtenu l'admission provisoire de séjourner auprès de son futur conjoint, sans exercer d'activité lucrative. A la suite de son mariage avec A.________ P.________, le 22 avril 1994, elle a obtenu un permis de séjour.
Le 11 novembre 1996, P.________ a déposé une demande d'indemnité de chômage, en indiquant que son conjoint était au bénéfice de prestations de l'assurance-invalidité et de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci-après : CNA), dont le montant était insuffisant pour couvrir les besoins de la famille.
Par décision du 4 mars 1997, le Service des arts et métiers et du travail de la République et canton du Jura (ci-après : SAMT) a invité la Caisse publique jurassienne d'assurance-chômage (ci-après : la caisse) à refuser l'ouverture du droit à des indemnités de chômage et a nié l'aptitude au placement de l'intéressée. Cette décision n'a pas été contestée.
Par ordonnance de mesures provisionnelles du 5 mars 1998, le Président du Tribunal de district de Delémont a homologué une convention passée entre les époux P.________, aux termes de laquelle ces derniers étaient autorisés à vivre séparés, le mari s'étant engagé à payer à sa femme une pension alimentaire d'un montant mensuel de 770 fr. et une contribution d'entretien pour l'enfant de 300 fr. par mois. L'épouse se voyait en outre octroyer les allocations familiales et la rente complémentaire pour enfant versée par l'assurance-invalidité.
Le 23 mars 1998, P.________ a déposé une nouvelle demande d'indemnités de chômage.
Par décision du 19 mai 1998, le SAMT a invité la caisse à refuser l'ouverture du droit aux prestations demandées et a nié l'aptitude au placement de cette dernière.
B.- Par jugement du 10 janvier 2000, le Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Chambre des assurances, a admis partiellement le recours de l'assurée contre la décision du SAMT et a renvoyé la cause à ce dernier pour examen de la nécessité économique pour la prénommée de prendre une activité salariée et, le cas échéant, pour réexamen de l'aptitude au placement de l'intéressée et de son droit à des mesures relatives au marché du travail.
C.- Le SAMT interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont il requiert l'annulation.
P.________ conclut, sous suite de frais et dépens, au rejet du recours et sollicite, le cas échéant, le bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite. Le Secrétariat d'Etat à l'économie ne s'est pas déterminé.
Considérant en droit :
1.- a) Aux termes de l'article 8 al. 1 let. e LACI, l'assuré a droit à l'indemnité de chômage s'il remplit les conditions relatives à la période de cotisation ou en est libéré. Selon l'article 13 al. 1 LACI, celui qui, dans les limites du délai-cadre applicable à la période de cotisations - c'est-à-dire deux ans avant le premier jour où toutes les conditions dont dépend le droit à l'indemnité sont réunies (art. 9 al. 3 LACI) - a exercé durant six mois au moins, une activité soumise à cotisation remplit les conditions relatives à la période de cotisation.
b) En l'espèce, l'intimée a fait contrôler son chômage, pour la deuxième fois, dès 23 mars 1998, date qui marque le début de la période d'indemnisation au sens de l'article 9 al. 2 LACI. Par conséquent, le délai-cadre applicable à la période de cotisation a commencé à courir deux ans plus tôt, soit le 23 mars 1996. Il n'est pas contesté que, durant ce laps de temps, elle n'a exercé aucune activité soumise à cotisation.
2.- a) Devant l'instance cantonale, l'intimée s'est prévalue de l'application de l'article 14 al. 2 LACI. Selon cette disposition, sont libérées des conditions relatives à la période de cotisation les personnes qui, par suite de séparation de corps ou de divorce, d'invalidité ou de mort de leur conjoint ou pour des raisons semblables ou pour cause de suppression de leur rente d'invalidité, sont contraintes d'exercer une activité salariée ou de l'étendre.
Cette règle ne s'applique pas lorsque l'événement en question remonte à plus d'une année. Cette réglementation est applicable également en cas de séparation de fait (SVR 2000 AlV 15 42 consid. 2b; DTA 1980 no 21 p. 40; Gerhards, Kommentar zum Arbeitslosenversicherungsgesetz [AVIG], vol. 1 n. 35 ad art. 14, p. 188).
b) Selon la jurisprudence, une libération des conditions relatives à la période de cotisation au sens de l'art. 14 al. 2 LACI n'est possible que s'il existe un lien de causalité entre le motif invoqué et la nécessité de prendre ou d'augmenter une activité lucrative. La preuve stricte de la causalité, dans une acception scientifique, ne doit pas être exigée. Ainsi, l'existence d'un lien de causalité doit déjà être admise lorsqu'il apparaît plausible et crédible que la volonté d'un assuré de prendre une activité lucrative dépendante est directement dictée par le motif de libération en cause (ATF 125 V 125 consid. 2a, 121 V 344 consid. 5c/bb et la référence).
c) En l'espèce, la juridiction cantonale a jugé qu'un lien de causalité existait entre la séparation judiciaire du 5 mars 1998 et la volonté de l'intimée de rechercher un emploi.
De son côté, l'office recourant invoque une violation des art. 14 al. 2 LACI (précité), 15 al. 1 LACI (aptitude au placement) et 103 al. 4 LACI (économie de procédure).
3.- a) Selon la jurisprudence, le lien de causalité entre l'événement libératoire et la nécessité de prendre un emploi est exclu lorsque la volonté d'exercer une activité lucrative était antérieure à l'événement qui a rendu nécessaire la prise ou la reprise d'une activité lucrative (ATF 125 V 126 in fine et 127 consid. 2d, 121 V 344 con- sid. 5c/cc; DTA 1999 n° 31 p. 183 consid. 2d, 1987 n° 5 p. 70 consid. 2d).
Dans le premier arrêt cité, la Cour de céans a nié l'existence d'un lien de causalité entre une séparation judiciaire de conjoints prononcée le 29 juillet 1994 et la volonté de prendre un emploi résultant de la demande d'indemnités de chômage déposée par l'épouse le 19 octobre 1995, au motif qu'à l'époque de la faillite de son mari, en 1993, l'intéressée avait déjà été contrainte d'exercer une activité lucrative (ATF 125 V 123 et ss; DTA 1999 n° 31 p. 179 ss).
Dans le deuxième cas, la volonté de prendre un emploi existait au milieu de l'année 1992, alors que l'événement libératoire (cessation du versement d'une pension alimentaire en raison des difficultés financières du débiteur) est apparu postérieurement, soit en février 1993 (ATF 121 V 336 et ss).
b) En l'occurrence, la volonté de l'intimée d'exercer une activité lucrative résulte sans équivoque de la demande d'indemnité de chômage déposée le 11 novembre 1996 et des recherches de travail qu'elles a accomplies en novembre et décembre 1996, ainsi qu'en janvier et février 1997. L'intimée a déclaré dans sa demande que les prestations de l'assurance-invalidité et de la CNA, dont son mari était bénéficiaire, ne couvraient pas les besoins du ménage. Il en résulte qu'à cette époque déjà, elle se trouvait dans la nécessité économique de travailler.
Il s'ensuit qu'en application de la jurisprudence citée au considérant 3a ci-dessus, il y a lieu de nier l'existence d'un lien entre la séparation judiciaire du 5 mars 1998 et la nécessité économique pour l'intéressée d'exercer une activité lucrative.
Cela étant, P.________ n'était pas libérée des conditions relatives à la période de cotisation et son droit à une indemnité de chômage doit être nié.
4.- Vu la nature du litige, la procédure est gratuite (art. 134 OJ). Par ailleurs, les conditions de l'assistance judiciaire gratuite sont en l'occurrence réunies. L'intimée est rendue attentive au fait qu'elle devra rembourser la caisse du tribunal si elle devient ultérieurement en mesure de le faire (art. 152 al. 3 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances,
prononce :
I. Le recours est admis et le jugement du 10 janvier 2000
du Tribunal cantonal de la République et canton du
Jura, Chambre des assurances, est annulé.
II. Il n'est pas perçu de frais de justice.
III. L'assistance judiciaire est accordée à l'intimée. Les honoraires de Me Jean-Marc Christe, désigné en qualité d'avocat d'office, sont fixés à 2500 fr. pour la procédure
fédérale et seront supportés par la caisse du
tribunal.
IV. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Chambre des assurances, à la Caisse publique jurassienne
d'assurance-chômage et au Secrétariat d'Etat à
l'économie.
Lucerne, le 4 septembre 2000
Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Juge présidant
la IIe Chambre : La Greffière :