BGer 4P.153/2000 |
BGer 4P.153/2000 vom 28.09.2000 |
4P.153/2000
|
{T 0/2}
|
Ie C O U R C I V I L E
|
****************************
|
28 septembre 2000
|
Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et Corboz,
|
juges. Greffier: M. Carruzzo.
|
__________
|
Statuant sur le recours de droit public
|
formé par
|
X.________, représenté par Me Marie Carruzzo Fumeaux,
|
contre
|
le jugement rendu le 24 mai 2000 par la IIe Cour civile du
|
Tribunal cantonal valaisan dans la cause qui oppose le re-
|
courant à Y.________, représenté par Me Jacques Philippoz:
|
(art. 9 Cst.; appréciation des preuves)
|
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
|
f a i t s suivants:
|
A.- Par contrat signé vers fin août ou début sep-
|
tembre 1996, Y.________, vigneron-encaveur, a vendu à
|
X.________, qui exploite une cave, 10 000 litres de Dôle au prix de 6 fr. le litre et 20 000 litres de Fendant au prix de 4 fr.35 le litre.
|
Vers le début février 1997, X.________ s'est rendu à la cave de Y.________ pour goûter le vin. Selon sa version des faits, il a constaté que le produit présentait un "goût de bock" et les cocontractants sont convenus d'abaisser le prix à 5 fr.50 pour la Dôle et à 3 fr.60 pour le Fendant. Selon Y.________, X.________ s'est présenté pris de boisson et il a critiqué injustement ses vins; aucun accord n'est intervenu au sujet d'un nouveau prix et le vin n'était pas défectueux.
|
X.________ ayant exprimé la volonté ferme de ne pas accepter le vin pour le prix convenu dans le contrat écrit, Y.________ a vendu son vin à la maison A.________ AG à ... au prix de 5 fr.40 pour la Dôle et 3 fr.80 pour le Fendant.
|
Y.________ réclame à X.________ la somme de 16 000 fr. pour le gain manqué en raison de l'inexécution du contrat.
|
B.- Par jugement du 24 mai 2000, la IIe Cour civile
|
du Tribunal cantonal valaisan a condamné X.________ à payer à Y.________ la somme de 16 000 fr. avec intérêts à 5% dès le 17 mars 1997.
|
Procédant à une appréciation des preuves réunies,
|
la cour cantonale est parvenue à la conviction que le vin
|
n'était pas défectueux, qu'il n'y avait pas eu d'accord sur
|
une réduction de prix et que X.________ avait clairement manifesté sa volonté de ne pas exécuter le contrat.
|
C.- X.________ a formé un recours de droit public au Tribunal fédéral. Invoquant l'arbitraire dans l'appréciation des preuves et l'établissement des faits, il conclut à l'annulation du jugement attaqué. Sa requête d'effet suspensif a été rejetée par décision du 11 juillet 2000.
|
L'intimé propose le rejet du recours.
|
C o n s i d é r a n t e n d r o i t :
|
1.- a) Le recours de droit public au Tribunal fédé-
|
ral est ouvert contre une décision cantonale pour violation
|
des droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let.
|
a OJ).
|
L'arrêt rendu par la cour cantonale, qui est final,
|
n'est susceptible d'aucun autre moyen de droit sur le plan
|
fédéral ou cantonal dans la mesure où le recourant invoque la
|
violation directe d'un droit de rang constitutionnel, de sor-
|
te que la règle de la subsidiarité du recours de droit public
|
est respectée (cf. art. 43 al. 1, 84 al. 2 et 86 al. 1 OJ).
|
En revanche, si le recourant soulève une question relevant de
|
l'application du droit fédéral, le grief n'est pas recevable,
|
parce qu'il pouvait faire l'objet d'un recours en réforme
|
(art. 43 al. 1 et 84 al. 2 OJ).
|
Le recourant est personnellement touché par la dé-
|
cision attaquée, qui le condamne à paiement, de sorte qu'il a
|
un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce
|
que cette décision n'ait pas été prise en violation de ses
|
droits constitutionnels; en conséquence, il a qualité pour
|
recourir (art. 88 OJ).
|
Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ), dans
|
la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ), le recours est
|
en principe recevable.
|
Hormis certaines exceptions qui ne sont pas réali-
|
sées en l'espèce, il n'a qu'un caractère cassatoire (ATF 122
|
I 120 consid. 2a, 351 consid. 1f, 121 I 225 consid. 1b, 326
|
consid. 1b).
|
b) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal
|
fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel in-
|
voqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (ATF
|
125 I 492 consid. 1b p. 495, 122 I 70 consid. 1c, 121 IV 317
|
consid. 3b p. 324).
|
2.- a) En l'espèce, le recourant invoque exclusive-
|
ment l'interdiction de l'arbitraire, figurant à l'art. 9 Cst.
|
Il cite encore l'art. 29 Cst., mais ce grief est
|
dépourvu de toute motivation répondant aux exigences de
|
l'art. 90 al. 1 let. b OJ. En effet, l'acte de recours n'in-
|
dique pas en quoi cette disposition constitutionnelle aurait
|
été violée.
|
Quant à la référence à l'art. 4 aCst., elle est
|
sans pertinence, puisque cette disposition constitutionnelle
|
n'était plus en vigueur au moment où la cour cantonale a sta-
|
tué.
|
Il faut donc examiner, sur la base de l'argumenta-
|
tion présentée (cf. ATF 110 Ia 1 consid. 2a), si la décision
|
attaquée est entachée d'arbitraire dans l'appréciation des
|
preuves et l'établissement des faits.
|
Selon la jurisprudence, l'arbitraire ne résulte pas
|
du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en consi-
|
dération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédé-
|
ral ne s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci
|
est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contra-
|
diction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gra-
|
vement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou enco-
|
re lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la
|
justice et de l'équité; pour qu'une décision soit annulée
|
pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation
|
formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision
|
apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 125 I 166 con-
|
sid. 2a, 124 I 247 consid. 5 p. 250, 124 V 137 consid. 2b).
|
S'agissant plus précisément de l'appréciation des
|
preuves et de l'établissement des faits, la décision est ar-
|
bitraire si le juge a omis, sans raison sérieuse, de tenir
|
compte d'un moyen important propre à modifier la décision at-
|
taquée, s'il s'est fondé sur un moyen manifestement impropre
|
à la preuve, si, à l'évidence, il n'a pas compris le sens et
|
la portée d'un moyen de preuve ou encore si, sur la base des
|
éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables.
|
La décision attaquée ne peut être arbitraire dans
|
son résultat que si le point critiqué est pertinent, c'est-
|
à-dire propre à modifier la décision.
|
b) Le recourant soutient que le vin était défec-
|
tueux en raison de son goût de bock et que l'acheteur pouvait
|
invoquer les droits découlant pour lui de la garantie des dé-
|
fauts.
|
Lorsque la marchandise a été refusée, il incombe au
|
vendeur de prouver qu'il a offert une prestation conforme au
|
contrat (Honsell, Commentaire bâlois, n. 12 ad art. 197 CO;
|
Giger, Commentaire bernois, n. 92 ad art. 197 CO). S'agissant
|
d'une chose de genre, il faut se placer au moment où elle a
|
été séparée en vue d'être livrée pour déterminer si elle
|
était ou non conforme au contrat (Honsell, op. cit., n. 11 ad
|
art. 197 CO).
|
Procédant à l'appréciation des preuves, la cour
|
cantonale a retenu que les vins proposés à la livraison
|
étaient exempts de défauts et correspondaient au contrat.
|
Le recourant lui reproche d'avoir laissé de côté
|
des éléments de preuve décisifs.
|
aa) Il fait valoir que B.________ a admis que
|
C.________, employé de X.________, avait déclaré, lors
|
d'une première dégustation, que le vin avait un goût organi-
|
que. Cette formulation ne permet pas de supposer un problème
|
grave. Rien ne permet d'affirmer qu'un goût particulier sub-
|
sistait au moment déterminant, c'est-à-dire au moment où le
|
vin a été offert à la livraison, après l'aération. Cette dé-
|
claration n'est donc pas de nature à faire apparaître comme
|
arbitraire la conviction de la cour cantonale.
|
bb) Le recourant souligne que B.________ a déclaré
|
que le vin avait été aéré après la visite de X.________, comme
|
celui-ci l'avait demandé. On peut certes en déduire que l'in-
|
timé a eu le souci de satisfaire son acheteur. Il est cons-
|
tant que celui-ci s'est plaint lors de la dégustation et on
|
comprend que le vendeur ait voulu améliorer le goût de son
|
vin; cela ne permet toutefois pas de déduire qu'il avait vé-
|
ritablement un goût de bock; surtout, on ne sait pas quels
|
ont été les effets de l'aération et quel était le goût du vin
|
au moment déterminant, c'est-à-dire lorsqu'il a été offert à
|
la livraison après l'aération.
|
cc) La cour cantonale a également tenu compte du
|
témoignage de deux personnes qui ont affirmé avoir dégusté
|
toute la production de l'intimé pour la vendange en cause et
|
n'y avoir trouvé aucun défaut (cf. p. 129 et 144 du dossier
|
cantonal). Il est vrai que ces dépositions n'établissent pas
|
de manière certaine l'état du vin au moment déterminant. Il
|
s'agit cependant d'éléments sérieux qui ne vont pas dans le
|
sens de la thèse du recourant selon laquelle le vin était
|
affecté d'un vice grave et durable. La cour cantonale n'est
|
pas tombée dans l'arbitraire en retenant ces éléments à l'en-
|
contre de la version soutenue par le recourant.
|
dd) Après le refus du recourant d'accepter le vin
|
pour le prix convenu, l'intimé a vendu sa production à une
|
autre entreprise. Le témoin D.________ a affirmé que cette entreprise avait fait déguster le vin et n'avait rien trouvé à
|
redire (cf. p. 134 du dossier cantonal). On doit raisonnable-
|
ment penser que l'acheteur subséquent n'aurait pas manqué de
|
protester si le vin avait présenté un goût de bock et que
|
D.________, qui tenait lieu d'intermédiaire, en aurait été informé. Il s'agit là d'un élément de preuve très fort en faveur
|
de la thèse de l'intimé et la cour cantonale n'est pas tombée
|
dans l'arbitraire en se déclarant convaincue que le vin
|
n'était pas défectueux au moment déterminant.
|
ee) Le recourant tente de soutenir que l'acheteur
|
subséquent a offert un prix plus bas que celui du contrat
|
initial parce que la marchandise présentait un goût de bock.
|
Cette affirmation ne trouve aucun point d'appui dans les
|
éléments de preuve réunis. Que le prix ait été un peu infé-
|
rieur peut parfaitement s'expliquer par le fait que l'intimé
|
vendait tardivement, en raison de la défaillance du recou-
|
rant, et qu'il devenait urgent pour lui d'écouler sa produc-
|
tion et de toucher son argent (cf. déclaration D.________, p. 132 s. du dossier cantonal). Le prix fixé n'est donc pas de nature à faire apparaître la conviction de l'autorité cantonale
|
comme arbitraire.
|
c) Pour se libérer des obligations découlant pour
|
lui du contrat signé, le recourant soutient que les parties
|
seraient convenues oralement d'un prix inférieur lors de la
|
séance de dégustation.
|
Il incombait au recourant d'apporter la preuve des
|
faits libératoires qu'il invoquait (art. 8 CC; cf. Engel,
|
Traité des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 650).
|
Procédant à une appréciation des preuves, la cour
|
cantonale a retenu que les parties n'avaient pas échangé à ce
|
sujet des manifestations de volonté concordantes.
|
Se plaignant d'arbitraire, le recourant invoque le
|
témoignage de B.________ selon lequel l'intimé avait accepté le
|
principe d'une baisse et d'un décavage immédiat suivi d'un
|
paiement tout aussi immédiat.
|
Il ne ressort en rien de cette déposition que les
|
parties se seraient mises d'accord sur un prix déterminé ou
|
déterminable. Il apparaît au contraire clairement que l'in-
|
timé a accepté d'entrer en discussion sur une baisse du prix
|
à la condition que le vin soit livré et payé immédiatement.
|
Cela rejoint d'ailleurs la déclaration de D.________ selon laquelle l'intimé était pressé de livrer son vin et d'en recevoir le prix. Le recourant n'invoque aucun moyen de preuve d'où il ressortirait qu'il a accepté une prise en charge et un paiement immédiat du vin. Il faut en déduire que la proposition
|
de l'intimé de discuter une diminution du prix moyennant
|
paiement immédiat n'a pas été acceptée. En tout cas, il n'y a
|
aucune trace qu'un accord soit venu à chef et la cour canto-
|
nale, en le constatant, n'est manifestement pas tombée dans
|
l'arbitraire.
|
d) Pour conclure que l'acheteur avait refusé d'exé-
|
cuter le contrat (cf. ATF publié in SJ 1987 p. 607 s. consid.
|
2b), la cour cantonale a constaté que le recourant, par son
|
attitude lors de la séance de dégustation, avait manifesté
|
"son refus de prendre livraison de la marchandise aux condi-
|
tions convenues".
|
Se plaignant d'arbitraire, le recourant fait valoir
|
qu'il n'a jamais refusé de prendre livraison de la marchandi-
|
se, ni de payer. Il ajoute cependant qu'il a "seulement exigé
|
une modification du prix de vente" (recours p. 14 in fine).
|
Il en résulte donc bien - comme l'a constaté la cour cantona-
|
le - qu'il refusait définitivement d'exécuter le contrat si-
|
gné, puisqu'il n'entendait pas payer le prix convenu. On ne
|
voit donc pas en quoi la cour cantonale aurait arbitrairement
|
constaté la volonté réelle de l'acheteur, telle qu'elle res-
|
sortait de son comportement.
|
3.- Les frais et dépens doivent être mis à la char-
|
ge du recourant qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1
|
OJ).
|
Par ces motifs,
|
l e T r i b u n a l f é d é r a l :
|
1. Rejette le recours;
|
2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
|
charge du recourant;
|
3. Dit que le recourant versera à l'intimé une
|
indemnité de 2500 fr. à titre de dépens;
|
4. Communique le présent arrêt en copie aux
|
mandataires des parties et à la IIe Cour civile du Tribunal
|
cantonal valaisan.
|
__________
|
Lausanne, le 28 septembre 2000
|
ECH
|
Au nom de la Ie Cour civile
|
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
|
Le Président,
|
Le Greffier,
|