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6P.93/2000/gnd
6S.384/2000
COUR DE CASSATION PENALE
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31 octobre 2000
Composition de la Cour: M. Schubarth, Président, Président du Tribunal fédéral, MM. Schneider et Kolly, Juges.
Greffière: Mme Revey.
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Statuant sur le recours de droit public
et sur le pourvoi en nullité
formés par
X. , représenté par Me Philippe Juvet, avocat à Genève,
contre
l'arrêt rendu le 19 mai 2000 par la Cour de cassationgenevoise dans la cause qui oppose le recourant au Procureur général du canton de G e n è v e;
(art. 9 Cst. et 113 CP: constatation arbitraire
des faits, meurtre passionnel)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- X. , ressortissant portugais né en 1941, a été engagé en 1987 en qualité d'emballeur-déménageur par l'entreprise Y. à M. . Au début de l'année 1998, le directeur de l'entreprise, Z.
, lui a annoncé que son salaire journalier serait ramené de 300 fr. à 250 fr.
Le 26 mars 1998, X. est entré dans les locaux de l'entreprise muni de deux revolvers qu'il avait dérobés. Il s'est rendu directement vers le bureau de Z. et a tiré sur lui en le visant à la tête, lui causant des blessures graves. Il s'est ensuite avancé vers A. , un autre dirigeant, a également fait feu sur lui à plusieurs reprises et l'a blessé. Alors que celui-ci le poursuivait, il a encore tiré deux coups de son second revolver et l'a tué. Il a ensuite requis ses collègues de travail d'appeler la police.
Le 17 septembre 1999, la Cour d'assises du canton de Genève a condamné X. à quatorze ans de réclusion et quinze ans d'expulsion du territoire suisse pour meurtre et tentative de meurtre (art. 111 CP). Elle a retenu notamment ce qui suit:
"(...) La faute de X. est d'une
exceptionnelle gravité tant les faits qui lui sont
reprochés (...), commis avec une certaine froideur
sont insoutenables et comportent un caractère insupportable
pour les victimes.
(...) X. est décrit comme un homme
travailleur et intelligent, ce qui aurait dû
l'amener à mieux apprécier les aléas qu'il traversait.
Il présente de manière générale une grande
froideur affective, une grande intériorité.
Aucune circonstance atténuante ne lui a été reconnue
(...) et sa responsabilité est entière.
Cependant, il doit être tenu compte des conditions
sociales particulières qu'il a rencontrées en Suisse.
X. a travaillé pendant une douzaine
d'années dans la même entreprise, à la satisfaction
de tous (...). Malgré le temps écoulé, il est
toujours resté en situation illégale et n'a pu
bénéficier de ce fait de reconnaissance sociale,
vivant sous le couvert de tiers. Si cet état
n'était pas trop problématique en situation de
plein emploi, il l'est devenu lorsque X. a
vu son salaire réduit substantiellement par deux
fois en peu de temps et a pu craindre d'être de
surcroît moins souvent appelé. En effet, ne travailler
que sur appel est un élément de désécurisation
supplémentaire, le travailleur au noir
sur appel étant a priori démuni face à l'absence de
revenus ou d'emploi, subjectivement soumis à l'idée
d'une interruption brusque et définitive des rapports
de travail. Ces circonstances particulières
que, malheureusement et par égoïsme, X. a
accentuées en raison de ses tendances de type
paranoïaque, permettent de considérer que ses actes
ne sont pas purement gratuits, mais liés à
l'appréciation qu'il avait de ladite situation.
(...) La situation personnelle de l'accusé n'apparaît
pas particulièrement difficile au vu de ses
déclarations; il n'a pas fait état de pauvreté particulière,
ayant déclaré que son activité de déménageur
lui permettait de faire face à ses obligations,
au moins jusqu'à fin 1997. Il ne paraît pas
trop avoir eu le souci de sa famille et avoir en
cette circonstance également réagi avant tout par
égoïsme et par susceptibilité. (...)"
X. a déféré ce jugement à la Cour de cassation genevoise. Il soutenait que deux faits essentiels n'avaient pas été constatés, à savoir la situation financière catastrophique et la profonde dépression dans lesquelles il se trouvait à l'époque du drame. Il prétendait en outre au bénéfice de l'art. 113 CP en ce qui concerne le profond désarroi. Le 19 mai 2000, la Cour de cassation a rejeté le recours. Se fondant largement sur le considérant de la Cour d'assises précité, qu'elle reproduisait également, elle a confirmé que l'intéressé souffrait d'un profond désarroi au moment des actes, mais que celui-ci n'était pas excusable.
B.- Agissant le 7 juin 2000 par la voie du pourvoi en nullité et le 15 juin 2000 par celle du recours de droit public, X. demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 19 mai 2000 de la Cour de cassation et de renvoyer la cause à cette autorité pour nouvelle décision. Il sollicite le bénéfice de l'assistance judiciaire.
X. reprend en substance les griefs développés devant l'autorité intimée. Ainsi, il se plaint d'une constatation arbitraire des faits dans son recours de droit public et, dans son pourvoi en nullité, il requiert l'application de l'art. 113 CP relatif à l'état de profond désarroi.
Considérant en droit :
I. Recours de droit public (6P. 93/2000)
1.- Le recours de droit public au Tribunal fédéral est recevable contre une décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ). Il n'est en revanche pas ouvert pour se plaindre d'une violation du droit fédéral, qui peut donner lieu à un pourvoi en nullité (art. 269 al. 1 PPF); un tel grief ne peut donc pas être invoqué dans le cadre d'un recours de droit public, qui est subsidiaire (art. 84 al. 2 OJ; art. 269 al. 2 PPF).
En dehors d'exceptions non réalisées en l'espèce, le recours de droit public ne peut tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée (ATF 125 I 104 consid. 1bp. 107; 125 II 86 consid. 5a p. 96). Aussi la conclusion du recourant tendant au renvoi de la cause à l'autorité intimée pour nouvelle décision est-elle irrecevable.
Sous cette réserve, le Tribunal fédéral peut entrer en matière.
2.- a) Le recourant soutient que la Cour de cassation est tombée dans l'arbitraire en ne mentionnant pas certains faits relatifs à sa situation financière, professionnelle et personnelle à l'époque des infractions, alors que ceux-ci devaient conduire à appliquer l'art. 113 CP. Pour les mêmes motifs, il prétend que la Cour de cassation a violé l'art. 340 let. d du Code de procédure pénale du canton de Genève du 29 septembre 1977, selon lequel la voie de la cassation est ouverte lorsque des dispositions essentielles de la procédure ont été violées et qu'il a pu en résulter un préjudice pour le recourant.
Il déclare à cet égard que la constatation des faits par une autorité de jugement constitue un principe essentiel de procédure.
Plus précisément, l'autorité intimée aurait dû retenir que ses revenus mensuels moyens avaient passé de 4'000 fr. en moyenne de 1994 à 1997 à 2'700 fr. en moyenne en 1998, soit un montant inférieur au minimum vital, que son salaire journalier avait subi deux réductions dès la fin de l'année 1997, tombant de 330 fr. à 300 fr. puis à 250 fr., et qu'il n'avait travaillé que 39 jours le premier trimestre 1998, dont seulement trois jours en mars. En outre, cette diminution des appels procédait d'une volonté délibérée de l'employeur de recourir le moins possible à ses services afin de respecter un avertissement téléphonique de l'Office cantonal de la population.
Enfin, toujours selon le recourant, l'employeur avait refusé d'entreprendre les démarches exigées par une régularisation de son statut, bien qu'il travaillât en Suisse depuis douze ans déjà.
Par ailleurs, le recourant reproche à la Cour de cassation de ne pas avoir pris en considération la profonde dépression dont il souffrait à la mi-mars 1998, quelques jours avant le drame, abattement découlant de la grave fragilisation de sa situation professionnelle, sociale et financière.
En conclusion, la Cour de cassation devait retenir que le profond désarroi dans lequel il était plongé au moment des actes procédait d'une maladie dépressive, elle-même provoquée par des éléments objectifs.
b) En recours de droit public, le Tribunal fédéral ne revoit que sous l'angle de l'arbitraire les constatations de faits et l'appréciation des preuves effectuées par l'autorité cantonale. Une jurisprudence constante reconnaît en effet au juge du fait un large pouvoir d'appréciation dans ce domaine (ATF 120 Ia 31 consid. 4b p. 40; 119 Ia 362 consid. 3a p. 366 et les arrêts cités).
Ainsi, le Tribunal fédéral n'intervient que si l'appréciation des preuves est insoutenable ou si elle heurte d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Tel est le cas lorsque l'autorité cantonale a admis ou nié un fait pertinent en se mettant en contradiction évidente avec les pièces et éléments de son dossier, qu'elle n'a tenu compte que des preuves allant dans le même sens, qu'elle méconnaît des preuves pertinentes ou qu'elle n'en tient arbitrairement pas compte ou encore lorsque les constatations de fait sont manifestement fausses (ATF 124 IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 4b p. 40; 119 Ia 362 consid. 3a p. 366; 118 Ia 28 consid. 1b p. 30 et les références citées).
c) aa) S'agissant de la baisse d'activité et de revenu du recourant, la Cour de cassation a retenu que son salaire avait été réduit deux fois en peu de temps, notamment de 300 fr. à 250 fr. par jour au début 1998.
Elle a constaté en outre l'insécurité professionnelle et financière résultant de sa situation de travailleur clandestin sur appel, ainsi que la fragilisation accrue de ses conditions de travail quelques mois avant le drame, après douze ans de service à la satisfaction des employeurs.
Dès lors, même s'il n'aurait pas été inutileau regard de l'art. 113 CP de déterminer plus précisément les ressources et expectatives financières du recourant au moment du drame, la Cour de cassation pouvait y renoncer sans arbitraire.
Du reste, certains éléments avancés par l'intéressé ne ressortent pas du dossier de manière manifeste, de sorte que la Cour de cassation n'est de toute façon pas tombée dans l'arbitraire en n'en tenant pas compte.
En particulier, il n'est pas indubitablement établi que le recourant n'a travaillé que trois jours en mars 1998. Certes, les témoins S. et V.
ont affirmé le 26 mars 1998, soit le jour des actes, que le recourant n'avait été appelé que trois ou quatre jours ce mois-là. Toutefois, le recourant a lui-même déclaré le même jour à la police avoir oeuvré 13 et 11 jours les deux mois précédents. De plus, S. a rectifié ses dires le 16 juin 1998 en affirmant qu'il avait travaillé 10 ou 15 jours en mars 1998, les décomptes étant cependant effectués dès le 15 de chaque mois.
Il n'est pas davantage certain que cette baisse d'activité, cas échéant, soit entièrement imputable à l'employeur. A cet égard, selon les déclarations de V. les 26 mars, 16 juin et 14 juillet 1998, d'une part le domaine du déménagement connaît d'ordinaire une période creuse de février à avril et, d'autre part, s'il est vrai que la direction entendait n'appeler le recourant qu'en cas de véritable nécessité, celui-ci avait refusé du travail la semaine précédant le drame en alléguant être malade. Du reste, le recourant a lui-même affirmé à la police le jour des actes avoir été souffrant depuis le début du mois, quand bien même il a soutenu ensuite que son état de santé n'était pas le motif l'ayant empêché de travailler.
bb) Quant à l'état d'esprit du recourant au moment des actes, la Cour de cassation a constaté que l'intéressé s'était senti fortement désécurisé en raison de la fragilisation accrue de sa situation, déstabilisation qu'il avait perçue de manière encore plus sensible en raison de sa susceptibilité, de son égoïsme et de ses tendances de type paranoïaque.
L'autorité intimée n'a effectivement pas retenu que le recourant souffrait de dépression, mais cet élément ne ressort pas du dossier au point qu'il était arbitraire de l'écarter. Certes, le 17 septembre 1999, le témoin B. a relaté ainsi qu'il suit sa rencontre avec l'intéressé quelques jours avant les infractions:
"(...) J'avais en face de moi un homme brisé qui ne savait pas ce qu'il allait devenir. C'était comme s'il avait le désespoir devant lui, le néant (...). Je n'aurais pas été étonné qu'il fasse un acte contre sa personne.
Il m'a donné l'impression d'être un homme brisé. " Cependant, les autres témoignages sont loin d'être aussi catégoriques. Ainsi, O. a exposé le 12 octobre 1998 que le recourant était alors "plutôt désespéré", "un peu déprimé", souffrant d'une "espèce d'abattement qui ne laissait cependant rien présager de ce qui s'est passé".
De même, L. a relevé le même jour que le recourant était "un peu déprimé" et "n'avait pas le moral".
Enfin, l'expertise psychiatrique du 16 février 1999 a posé un diagnostic "d'épisode dépressif léger" en excluant toutefois la présence d'un état dépressif suffisamment grave pour constituer une maladie mentale au sens de la loi.
d) Dans ces conditions, la Cour de cassation n'a pas constaté les faits de manière arbitraire. En conséquence, elle n'a pas davantage violé l'art. 340 let. d du Code de procédure pénale cantonale, à supposer que ce grief, qui se confond en l'occurrence avec celui d'arbitraire, soit pertinent.
II. Pourvoi en nullité (6S. 384/2000)
3.- Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral est lié par les constatations de fait contenues dans la décision attaquée (art. 277bis al. 1 PPF). L'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en découlent ne peuvent pas faire l'objet d'un pourvoi en nullité, sous réserve de la rectification d'une inadvertance manifeste. Le recourant ne peut pas présenter de griefs contre des constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 273 al. 1 let. b PPF).
Dans la mesure où il présenterait un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, il ne serait pas possible d'en tenir compte. Autrement dit, le raisonnement juridique doit être mené exclusivement sur la base de l'état de fait retenu par l'autorité cantonale (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66; 124 IV 81 consid. 2a p. 83, 92 consid. 1 p. 93 et les arrêts cités).
Le pourvoi en nullité, qui a un caractère cassatoire (art. 277ter al. 1 PPF), ne peut être formé que pour violation du droit fédéral et non pour violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 269 PPF).
La Cour de cassation n'est pas liée par les motifs invoqués, mais elle ne peut aller au-delà des conclusions du recourant (art. 277bis PPF), lesquelles doivent être interprétées à la lumière de leur motivation (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66; 124 IV 53 consid. 1p. 55; 123 IV 125 consid. 1 p. 127).
4.- Le recourant soutient que ses actes doivent être qualifiés de meurtre passionnel (art. 113 CP), et non de meurtre (art. 111 CP).
a) Le meurtre passionnel est une forme privilégiée d'homicide intentionnel (ATF 119 IV 202 consid. 2a p. 204), qui se caractérise par le fait que l'auteur "a tué alors qu'il était en proie à une émotion violente que les circonstances rendaient excusable ou qu'il était au moment de l'acte dans un état de profond désarroi" (art. 113 CP).
Tandis que l'émotion violente suppose que l'auteur réagisse de façon plus ou moins immédiate à un sentiment soudain qui le submerge, le profond désarroi vise un état d'émotion qui mûrit pendant une longue période progressivement, couve pendant longtemps jusqu'à ce que l'auteur soit complètement désespéré et n'y voie d'autre issue que l'homicide (FF 1985 II 1035 s.; ATF 119 IV 202 consid. 2a p. 204; 118 IV 233 consid. 2a p. 236).
Pour admettre le meurtre passionnel, il ne suffit pas de constater que l'auteur se trouvait dans un état de profond désarroi, il faut encore que son état ait été rendu excusable par les circonstances. Ce n'est pas l'acte commis qui doit être excusable, mais l'état dans lequel se trouvait l'auteur. On doit garder à l'esprit que le profond désarroi est l'aboutissement d'un lent mûrissement; il est donc possible, s'agissant d'une évolution progressive pendant une longue période, que plusieurs causes, plus ou moins difficiles à établir, concourent à provoquer l'état de l'auteur; on peut imaginer notamment un jeu d'actions et de réactions, par exemple dans le cadre d'un conflit conjugal. Le plus souvent, l'état de l'auteur est rendu excusable par le comportement blâmable de la victime à son égard; il peut cependant l'être aussi par le comportement d'un tiers ou des circonstances objectives.
La jurisprudence n'a pas exclu que dans certaines circonstances le caractère excusable du profond désarroi résulte, avec l'écoulement du temps, de l'état dans lequel se trouvait l'auteur. L'application de l'art. 113 CP est réservée à des circonstances dramatiques dues principalement à des causes échappant à la volonté de l'auteur et qui s'imposent à lui (cf. ATF 119 IV 202 consid. 2a p. 204 s.).
Pour que son état soit excusable, l'auteur ne doit pas être responsable ou principalement responsable de la situation conflictuelle qui le provoque (ATF 118 IV 233 consid. 2b p. 238; 107 IV 103 consid. 2b/bb p. 106).
b) En l'espèce, l'autorité intimée a admis que le recourant se trouvait au moment des actes dans un état de profond désarroi, mais a estimé que celui-ci n'était pas excusable, contrairement à ce que soutient l'intéressé.
Déterminer si l'on se trouve ou non en présence d'un profond désarroi excusable est une question de droit qui peut être librement examinée dans le cadre d'un pourvoi en nullité, sur la base des faits retenus dans la décision attaquée (art. 277bis al. 1 PPF; ATF 119 IV 202 consid. 2a p. 205; 118 IV 233 consid. 2a p. 238 et les références citées).
c) Il ressort en substance des constatations cantonales que le profond désarroi dont souffrait le recourant à l'époque des infractions résultait de la fragilisation de sa situation professionnelle, aggravation ressentie de manière encore accrue en raison de sa susceptibilité, de son égoïsme et de ses tendances de type paranoïaque.
Certes, la précarisation de ses conditions de travail ne peut guère être imputée au recourant, dans la mesure où il n'était pas en son pouvoir de régulariser sa situation ou d'augmenter son activité. Toutefois, cela ne signifie pas que son désarroi soit excusable.
Encore faut-il en effet, selon l'appréciation objective des causes du désarroi exigée par l'art. 113 CP, qu'un homme raisonnable, de la même condition que l'auteur et placé dans la même situation se trouverait facilement dans un tel état (ATF 107 IV 105 consid. 2b/bbp. 106; Bernard Corboz, Les principales infractions, Berne 1997, nos 13, 14 et 20 p. 36 s.). Il convient àcet égard de tenir compte de la condition personnelle de l'auteur, notamment des moeurs et valeurs de sa communauté d'origine, de son éducation et de son mode de vie, en écartant les traits de caractère anormaux ou particuliers, tels qu'une irritabilité marquée ou une jalousie maladive, lesquels ne peuvent être pris en considération que dans l'appréciation de la culpabilité (ATF 108 IV 99 consid. 3b p. 102; 107 IV 105 consid. 2b/bb p. 106, 161 consid. 2 p. 162; Corboz, loc. cit. ; Rehberg/Schmid, Strafrecht III, 7ème éd., Zurich 1997, nos 4.12 et 4.2p. 8 s.; Stratenwerth, Bes. Teil I, 5ème éd., Berne 1995, p. 31 n° 28).
En l'occurrence, il convient d'examiner si un homme raisonnable de la même condition que le recourant et placé dans la même situation sociale, professionnelle, financière et de police des étrangers, à savoir un travailleur clandestin sur appel voyant après douze ans de service son salaire modeste encore réduit et son emploi peu à peu supprimé, aurait été amené à tuer et à tenter de tuer ses employeurs. Il sied de préciser à cet égard que la susceptibilité, l'égoïsme et les tendances de type paranoïaque du recourant qui, selon les constatations de fait des autorités cantonales, ont contribué à la commission des infractions en cause, sont des traits de caractère particuliers qui ne peuvent être pris en considération dans une appréciation objective du désarroi. Compte tenu de cette restriction, force est de retenir qu'un homme raisonnable tel que défini ci-dessus n'aurait pas commis les actes reprochés au recourant. Certes, les circonstances subies sont difficilement acceptables tant du point de vue matériel, le recourant n'étant plus assuré de pouvoir subvenir à ses besoins élémentaires, que psychologique, dans la mesure où l'intéressé ne peut que constater avec amertume que douze ans d'effort et de travail dans la précarité ne lui ont pas permis d'obtenir la stabilisation, la sécurité et la reconnaissance escomptées.
Toutefois, ces éléments ne sont pas si dramatiques qu'ils puissent rendre compréhensibles l'homicide et la tentative d'homicide de deux employeurs.
En conséquence, il sied de constater que le recourant ne s'est pas trouvé exposé à des circonstances extérieures indépendantes de sa volonté que chacun puisse considérer comme dramatiques et propres à entraîner facilement un état émotionnel altérant la faculté de juger correctement la situation et de se maîtriser (cf. ATF 119 IV 202 consid. 2b p. 206). Dès lors, le profond désarroi du recourant ne pouvait être tenu pour excusable, de sorte que c'est à juste titre que l'autorité cantonale a qualifié les actes commis de meurtre, et non de meurtre passionnel.
Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le recourant, l'autorité intimée n'a pas violé le droit fédéral en se référant au principe de la proportionnalité pour apprécier l'excusabilité du désarroi. S'il est vrai que ni la jurisprudence ni la doctrine n'y recourent directement, il n'en demeure pas moins que cette notion est implicitement appliquée, dès lors que le juge doit comparer le comportement incriminé avec celui qu'aurait pu adopter un homme raisonnable de la même condition que l'auteur et placé dans la même situation.
Enfin, le recourant reproche à tort à la Courde cassation d'avoir examiné l'excusabilité de l'auteur alors que, selon lui, seule celle du désarroi est déterminante.
La distinction n'est en effet pas pertinente, car l'auteur n'est "excusable" au point de bénéficier de l'art. 113 CP que si son désarroi l'était. Or, la Cour de cassation a précisément constaté que tel n'était pas le cas pour le recourant.
III. Frais
5.- Vu ce qui précède, le recours de droit public est mal fondé en tant que recevable et le pourvoi en nullité est mal fondé. Comme tous deux étaient d'emblée dépourvus de chances de succès, l'assistance judiciaire est refusée (art. 152 al. 1 OJ). Succombant, le recourant doit supporter les frais judiciaires (art. 278 al. 1 PPF). Il n'y a toutefois pas lieu d'allouer des dépens à l'autorité qui obtient gain de cause (art. 159 al. 2 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours de droit public en tant que recevable.
2. Rejette le pourvoi en nullité.
3. Rejette la demande d'assistance judiciaire.
4. Met un émolument judiciaire de 800 fr. à la charge du recourant.
5. Communique le présent arrêt au mandataire du recourant, au Procureur général du canton de Genève et à la Cour de cassation genevoise.
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Lausanne, le 31 octobre 2000
Au nom de la Cour de cassation pénale
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
La Greffière,