[AZA 0/2]
1P.671/2000
Ie COUR DE DROIT PUBLIC
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11 décembre 2000
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Aeschlimann et Favre. Greffier: M. Parmelin.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
l'Association genevoise de défense des locataires, à Genève, représentée par Me Carlo Sommaruga, avocat à Genève,
contre
l'arrêt rendu le 19 septembre 2000 par le Tribunal administratif du canton de Genève dans la cause qui oppose la recourante à Z.________ et à M.________, tous deux à Cologny et représentés par Me Dominique Burger, avocate à Genève, ainsi qu'au Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement du canton de Genève;
(droit d'être entendu)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Z.________ et M.________ sont copropriétaires pour une demie chacun de l'immeuble X.________, à Genève. Ce bâtiment comporte neuf logements constitués en propriété par étage. Trois appartements de deux pièces, non soumis à une autorisation d'aliéner au sens de l'art. 39 de la loi genevoise sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation, du 25 janvier 1996 (LDTR), ont été vendus; de plus, le Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement du canton de Genève (ci-après: le Département) a autorisé, en date du 30 juin 1995, l'aliénation de deux autres appartements en raison notamment du résultat d'exploitation déficitaire de l'immeuble.
B.- Par arrêté du 22 février 1999, le Département a autorisé la vente d'un appartement de trois pièces, pour le prix de 190'000 fr., au motif que cette opération s'inscrivait dans le processus d'assainissement de la situation financière des vendeurs amorcé le 30 juin 1995.
Sur recours de l'Association genevoise de défense des locataires (ci-après: l'ASLOCA), la Commission cantonale de recours instituée par loi sur les constructions et installations diverses (ci-après: la Commission de recours) a annulé cet arrêté, étant donné qu'aucune des conditions d'aliénation fixées par l'art. 39 al. 3 LDTR n'était remplie.
Z.________ et M.________ ont recouru le 9 novembre 1999 contre cette décision rendue le 8 octobre 1999 auprès du Tribunal administratif du canton de Genève (ci-après: le Tribunal administratif ou la cour cantonale).
Le 12 novembre 1999, le greffe de cette juridiction a remis une copie du recours au Département, à la Commission de recours et à l'ASLOCA, en qualité de partie intimée, en leur impartissant un délai de réponse au 10 décembre 1999. Le 16 novembre 1999, la Commission de recours a persisté dans les termes de sa décision. Le 7 décembre 1999, le Tribunal administratif a communiqué la réponse du Département aux autres parties. Le 15 décembre 1999, il a adressé copie des observations de l'ASLOCA au Département, pour information, ainsi qu'à Z.________ et à M.________, en les invitant à déposer leur réplique d'ici au 14 janvier 2000.
Par courrier du 2 mai 2000, transmis aux autres parties, le Juge délégué a prié ces derniers de faire parvenir au Tribunal administratif leurs "observations éventuelles d'ici au 12 mai prochain, faute de quoi l'affaire sera jugée en l'état". Le 5 mai 2000, ceux-ci l'ont avisé qu'ils avaient renoncé à répliquer; le 10 mai 2000, le Tribunal administratif a transmis copie de cette lettre au Département et à l'ASLOCA.
Dans une lettre du 19 juillet 2000, adressée en copie aux autres parties, le Juge délégué a requis des recourants la production des documents suivants:
- Etat de la dette envers la Coop, société coopérative
d'assurance sur la vie;
- Etat de l'amortissement des intérêts;
- Etat des arriérés d'impôt;
- Preuves du résultat déficitaire de l'immeuble.
Sans nouvelle de leur part, le Juge délégué les a priés, le 15 août 2000, de bien vouloir donner suite à sa lettre du 19 juillet 2000 dans les meilleurs délais. Par pli recommandé du 23 août 2000, il leur a imparti un délai au 1er septembre 2000 pour lui fournir les documents et les renseignements sollicités, en insistant sur le fait que le défaut de collaboration était susceptible d'entraîner l'irrecevabilité du recours. Ces deux lettres n'ont pas été communiquées en copie aux autres parties.
Par courrier du 31 août 2000, Z.________ et M.________ ont transmis les pièces requises en persistant dans les conclusions de leur recours du 9 novembre 1999. Ni cette lettre, ni ses annexes n'ont été transmises aux autres parties, qui n'ont pas davantage été invitées à les consulter au greffe du tribunal.
Statuant par arrêt du 19 septembre 2000, le Tribunal administratif a annulé la décision de la Commission de recours du 8 octobre 1999 et confirmé l'arrêté du Département du 22 février 1999. Il a retenu en substance que le principe de la proportionnalité laissait à cette dernière autorité une marge d'appréciation qui lui permettait de délivrer une autorisation d'aliéner en dehors des cas prévus par l'art. 39 al. 4 LDTR et qu'elle n'avait pas outrepassée en l'occurrence.
C.- Agissant par la voie du recours de droit public, l'ASLOCA demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt.
Invoquant les art. 9 et 29 al. 1 Cst. , elle reproche au Tribunal administratif d'avoir arbitrairement rompu l'égalité de traitement entre les parties en favorisant les intimés dans le déroulement de la procédure. Elle voit aussi une violation de son droit d'être entendue garanti aux art. 29 al. 2 Cst.
et 44 de la loi genevoise sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 (LPA) dans le fait que la cour cantonale a statué sans lui avoir préalablement communiqué les pièces produites par les intimés le 31 août 2000 ou l'avoir invitée à en prendre connaissance.
Le Tribunal administratif et la Commission de recours se réfèrent à leur décision respective. Les intimés concluent au rejet du recours, tout en s'en remettant à justice quant au grief tiré de la violation du droit d'être entendu.
Le Département s'en rapporte à l'appréciation du Tribunal fédéral.
D.- Par ordonnance du 20 novembre 2000, le Président de la Ie Cour de droit public a accordé l'effet suspensif au recours.
Considérant en droit :
1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis, notamment en ce qui concerne le recours de droit public (ATF 126 I 207 consid. 1 p. 209 et les arrêts cités).
a) Aux termes de l'art. 88 OJ, ont qualité pour former un recours de droit public les particuliers ou les collectivités lésés par des arrêtés ou décisions qui les concernent personnellement ou qui sont d'une portée générale; cette voie de recours ne leur est ouverte que pour qu'ils puissent faire valoir leurs intérêts juridiquement protégés; en revanche, elle ne permet pas de défendre des intérêts de portée générale ou de purs intérêts de fait. La qualité pour agir par la voie du recours de droit public se détermine exclusivement selon l'art. 88 OJ; il est sans importance que la qualité de partie ait ou non été reconnue au recourant en procédure cantonale (ATF 126 I 43 consid. 1a p. 44). En ce qui concerne plus particulièrement l'interdiction de l'arbitraire - qui prévaut dans toute activité étatique -, la jurisprudence considère qu'elle ne confère pas, à elle seule, un droit juridiquement protégé au sens de l'art. 88 OJ (ATF 126 I 81 consid. 2a p. 84 et les arrêts cités). La qualité pour former un recours fondé sur l'art. 9 Cst. dépend bien plutôt du fait que la législation dont l'interprétation ou l'application arbitraire est alléguée accorde un droit au recourant (ATF 126 I 33 consid. 1 p. 34) ou a pour but de le protéger d'une atteinte à ses intérêts (ATF 117 Ia 90 consid. 2b p. 93).
Une association dotée de la personnalité juridique est autorisée à recourir sans être elle-même touchée par l'acte attaqué, à condition que ses membres - affiliés soit directement, soit par l'intermédiaire d'une association fédérée qui est elle-même membre (ATF 100 Ia 97 consid. 1b p. 100 in medio) - aient individuellement qualité pour agir, que la défense de leurs intérêts constitutionnellement protégés figure parmi ses buts statutaires et qu'enfin l'acte lèse objectivement les membres dans leur majorité ou du moins en grand nombre (ATF 125 I 71 consid. 1b/aa p. 75, 369 consid. 1a p. 372; 123 I 221 consid. 2 p. 225; 122 I 90 consid. 2c p. 92 et les arrêts cités).
En l'occurrence, la qualité de l'ASLOCA pour recourir au fond contre l'arrêt attaqué, qui confirme l'autorisation d'aliéner délivrée aux intimés le 22 février 1999 par le Département, peut demeurer indécise, dans la mesure où la recourante invoque essentiellement la violation de droits formels.
En effet, même s'il n'a pas qualité pour agir au fond, un recourant peut se plaindre de la violation des droits de partie que lui reconnaît la procédure cantonale ou qui découlent directement de dispositions constitutionnelles telles que l'art. 29 al. 2 Cst. (ATF 125 II 86 consid. 3b p. 94).
Dans un tel cas, l'intérêt juridiquement protégé exigé par l'art. 88 OJ découle non pas du droit de fond, mais du droit de participer à la procédure. Un tel droit existe lorsque le recourant avait qualité de partie en procédure cantonale, ce qui est le cas en l'occurrence de l'ASLOCA, partie intimée à la procédure de recours introduite devant le Tribunal administratif (cf. art. 45 al. 6 LDTR).
Le recours est donc recevable au regard de l'art. 88 OJ.
b) Les autres conditions de recevabilité des art. 84 ss OJ sont au surplus réunies, de sorte qu'il convient d'entrer en matière sur le fond.
2.- La recourante voit une violation de son droit d'être entendue garanti aux art. 44 LPA et 29 al. 2 Cst. dans le fait que le Tribunal administratif a statué sans lui avoir préalablement communiqué les pièces produites par les intimés le 31 août 2000 ou l'avoir invitée à en prendre connaissance.
Elle ne prétend pas que la norme cantonale de procédure invoquée lui conférerait sur ce point une protection plus étendue que celle de l'art. 29 al. 2 Cst. , de sorte que le mérite de son grief doit être examiné au regard de cette dernière disposition (ATF 126 I 15 consid. 2a p. 16 et les arrêts cités).
a) En tant que garantie générale de procédure, le droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 Cst. accorde au justiciable le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d'avoir accès au dossier, de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (cf. pour la jurisprudence rendue en application de l'art. 4 aCst. , ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 16; 124 I 49 consid. 3a p. 51, 241 consid. 2 p. 242; 124 V 90, 180 consid. 1a p. 181, 372 consid. 3b, et les arrêts cités). L'autorité qui verse au dossier de nouvelles pièces dont elle entend se prévaloir dans son jugement est tenue d'en aviser les parties (ATF 124 II 132 consid. 2b p. 137 et les arrêts cités). Une exception à ce principe est admise lorsque la juridiction cantonale aurait pu statuer même sans les pièces dont le recourant conteste avoir eu connaissance (cf. ATF 115 Ia 97 consid. 4c p. 99).
De plus, le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aujourd'hui aux art. 5 al. 3 et 9 Cst. et déduit auparavant de l'art. 4 aCst. , exige que l'une et l'autre se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l'administration doit s'abstenir de toute attitude propre à tromper l'administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 124 II 265 consid. 4a p. 269/270 et les arrêts cités; voir également ATF 126 II 97 consid. 4b p. 104/105 et les références citées).
b) En l'occurrence, il est patent que le Tribunal administratif n'a pas communiqué aux autres parties le courrier des intimés du 31 août 2000 et les pièces qu'il comportait en annexe; il est par ailleurs constant que ces pièces ont joué un rôle important dans l'admission du recours. La jurisprudence admet toutefois, dans certains cas, qu'il suffit que l'autorité tienne le dossier à la disposition des parties pour respecter leur droit d'être entendues (ATF 112 Ia 198 consid. 4a p. 202 et les références citées). Cette exception n'entre cependant pas en considération en l'espèce.
La recourante a certes reçu copie de la lettre que le Tribunal administratif a adressée le 19 juillet 2000 aux intimés et savait ainsi que ces derniers devaient produire les pièces nécessaires à établir l'état de leur endettement.
Cependant, cette lettre ne leur impartissait aucun délai pour s'exécuter, comme le prévoit pourtant l'art. 24 al. 1 LPA.
Par ailleurs, le pli recommandé du 23 août 2000 par lequel le Juge délégué fixait à Z.________ et à M.________ un ultime délai au 1er septembre 2000 pour produire les pièces requises n'a pas été transmis à l'ASLOCA, contrairement aux autres écritures versées jusqu'alors au dossier. Vu la position adoptée par le Tribunal administratif tout au long de la procédure, s'agissant de la notification des actes, et faute de connaître, même approximativement, la date à laquelle les intimés devaient répondre à la requête de celui-ci, la recourante pouvait de bonne foi s'attendre à ce que la cour cantonale lui communique les documents sollicités et n'avait aucune raison objective de s'enquérir de leur production éventuelle ou de consulter le dossier au greffe du tribunal.
En statuant sans avoir préalablement communiqué à la recourante l'écriture des intimés du 31 août 2000 et ses annexes ou lui avoir donné l'occasion de consulter ces nouvelles pièces décisives pour l'issue du litige et de se déterminer à leur propos, le Tribunal administratif a violé le droit d'être entendu de la recourante, dans des circonstances incompatibles avec le respect des règles de la bonne foi.
c) Le recours doit par conséquent être admis pour ce motif et l'arrêt attaqué être annulé, sans qu'il y ait lieu d'examiner le grief tiré de la violation de l'art. 29 al. 1 Cst.
3.- Conformément à l'art. 156 al. 2 OJ, aucun frais judiciaire ne sera mis à la charge de l'Etat de Genève, qui succombe. Ce dernier versera en revanche une indemnité à titre de dépens à la recourante, qui obtient gain de cause avec l'aide d'un mandataire professionnel (art. 159 al. 1 OJ). Il n'y a par ailleurs pas lieu de mettre un émolument judiciaire et une indemnité de dépens en faveur de la recourante à la charge des intimés Z.________ et M.________, qui, tout en concluant au rejet du recours sur le fond, ont expressément admis que le Tribunal administratif pourrait avoir violé le droit d'être entendu de leur partie adverse.
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Admet le recours et annule l'arrêt rendu le 19 septembre 2000 par le Tribunal administratif du canton de Genève.
2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
3. Dit que l'Etat de Genève versera à la recourante une indemnité de 1'500 fr. à titre de dépens.
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties, au Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement, à la Commission de recours instituée par loi sur les constructions et installations diverses ainsi qu'au Tribunal administratif du canton de Genève.
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Lausanne, le 11 décembre 2000 PMN/col
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,