[AZA 7]
K 155/00 Rl
IIIe Chambre
composée des Juges fédéraux Schön, Spira et Widmer;
Beauverd, Greffier
Arrêt du 15 décembre 2000
dans la cause
Caisse-maladie et accidents CMBB, Boulevard James-Fazy 18, Genève, recourante,
contre
V.________, intimé, représenté par Maître Jean-Jacques Martin, avocat, Place du Port 2, Genève,
et
Tribunal administratif du canton de Genève, Genève
A.- V.________ travaillait en qualité de manoeuvremachiniste au service d'une entreprise de construction. Il est au bénéfice d'une assurance collective d'indemnités journalières en cas de maladie, conclue auprès de la Caisse-maladie du bois et du bâtiment (CMBB; ci-après : la caisse).
Il a cessé toute activité professionnelle depuis le 6 août 1996, en raison de fortes douleurs lombaires. La caisse lui a alloué des indemnités journalières.
Par décision du 7 février 1997, elle a notifié à l'assuré qu'elle supprimait le droit à ces prestations à partir du 31 juillet 1997 "au plus tard", et a invité l'intéressé à reprendre, dans l'intervalle, une activité adaptée à son handicap. Saisie d'une opposition, la caisse l'a rejetée par décision du 13 mai 1997.
B.- V.________ ayant recouru contre cette décision, le Tribunal administratif du canton de Genève a renvoyé la cause à la caisse pour nouvelle décision après instruction complémentaire sous la forme d'une expertise médicale (jugement du 18 novembre 1997).
C.- Après avoir confié une expertise à l'un de ses médecins-conseils, le docteur D.________ (rapport du 1er avril 1998), la caisse a rendu une nouvelle décision, le 2 avril 1998, par laquelle elle a confirmé la suppression de l'indemnité journalière à partir du 31 juillet 1997. L'opposition à cet acte administratif a été rejetée par décision du 12 mai 1998.
Saisi d'un recours, le tribunal administratif cantonal a derechef renvoyé la cause à la caisse pour nouvelle décision après complément d'instruction (jugement du 1er décembre 1998).
D.- La caisse a alors confié une expertise au docteur B.________, spécialiste en neurochirurgie (rapport du 25 janvier 1999). Par décision du 27 janvier 1999, elle a confirmé une nouvelle fois la suppression du droit à l'indemnité journalière à partir du 31 juillet 1997. Le 30 mars 1999, elle a rejeté une opposition à cette décision.
E.- Saisi d'un recours contre la décision sur opposition, le tribunal administratif cantonal a confié une expertise au docteur S.________, spécialiste en médecine interne (rapport du 5 avril 2000).
Se fondant sur les conclusions de l'expert, la juridiction cantonale a admis le recours et renvoyé la cause à la caisse pour qu'elle alloue à l'assuré "les indemnités journalières auxquelles (il) a droit depuis le 1er août 1997" (jugement du 9 août 2000).
F.- La caisse interjette recours de droit administratif contre ce jugement, en concluant au renvoi de la cause à la juridiction cantonale pour nouveau jugement, après dépôt des conclusions d'une expertise pluridisciplinaire ordonnée par l'Office cantonal genevois de l'assurance-invalidité.
L'intimé conclut au rejet du recours, sous suite de dépens. L'Office fédéral des assurances sociales n'a pas présenté de détermination.
Considérant en droit :
1.- A l'appui de son recours, la caisse fait valoir "qu'il est justifié pour des raisons d'équité d'attendre que soient connues les conclusions de l'examen médical approfondi dont l'assurance(-invalidité) persiste à demander la réalisation". Selon la recourante, même si l'expert commis par les premiers juges a conclu à une incapacité de travail entière dans quelque profession que ce soit, on ne saurait se dispenser de tenir compte de l'expertise à venir, laquelle "établira avec la plus grande fiabilité possible, si l'assuré peut prétendre à la reconnaissance d'une invalidité ou si, au contraire, on peut attendre de lui qu'il mette en valeur une capacité de travail dans une profession adaptée à son état".
2.- a) En principe, le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 118 V 290 consid. 1b, 112 V 32 sv. et les références). L'élément déterminant pour la valeur probante n'est en principe ni l'origine du moyen de preuve ni sa désignation, sous la forme d'un rapport ou d'une expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 122 V 160 consid. 1c; VSI 2000 p. 154 consid. 2b; Omlin, Die Invaliditätsbemessung in der obligatorischen Unfallversicherung p. 297 sv.; Morger, Unfallmedizinische Begutachtung in der SUVA, in RSAS 32/1988 p. 332 sv.).
b) En l'espèce, le fait que les conclusions de l'expertise à venir pourraient différer de celles de l'expert désigné par les premiers juges ne saurait constituer un motif de s'écarter de ces dernières. Par ailleurs, il n'existe pas au dossier d'élément de nature à mettre en doute la valeur probante du rapport du docteur S.________.
En particulier, cet avis médical repose sur une étude fouillée des points litigieux importants et a été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse); en outre, la description du contexte médical est claire et les conclusions de l'expert sont bien motivées (cf.
ATF 122 V 160 consid. 1c et les références; VSI 2000 p. 154 consid. 2c).
Le docteur S.________ a posé le diagnostic de syndrome somatoforme douloureux et attesté une incapacité de travail entière dans toute activité professionnelle depuis le 6 août 1996. Ce rapport satisfait aux exigences posées par la doctrine et la jurisprudence pour justifier que les troubles décrits ci-dessus empêchent la reprise de toute activité lucrative (cf. VSI 2000 p. 155 consid. 2c; Mosimann, Somatoforme Störungen : Gerichte und [psychiatrische] Gutachten, RSAS 1999 p. 1 ss et 105 ss). En particulier, l'expert a posé le diagnostic dans le cadre d'une classification reconnue et évalué le degré de gravité de l'affection, ainsi que le caractère exigible de la reprise par l'assuré d'une activité lucrative.
La juridiction cantonale était dès lors en droit de se fonder sur ces conclusions médicales. Le jugement entrepris n'est dès lors pas critiquable et le recours se révèle mal fondé.
3.- L'intimé, qui obtient de cause, est représenté par un avocat. Il a droit à une indemnité de dépens pour l'instance fédérale (art. 159 al. 1 en relation avec l'art. 135 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances
prononce :
I. Le recours est rejeté.
II. Il n'est pas perçu de frais de justice.
III. La recourante versera à l'intimé la somme de 2500 fr.
(y compris la taxe à la valeur ajoutée) à titre de
dépens pour l'instance fédérale.
IV. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal administratif du canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 15 décembre 2000
Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IIIe Chambre :
Le Greffier :