[AZA 0/2]
1P.114/2001
Ie COUR DE DROIT PUBLIC
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2 mars 2001
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Aeschlimann et Favre.
Greffier: M. Thélin.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
S.________, représenté par Me Edgar Philippin, avocat-stagiaire à Lausanne,
contre
l'arrêt rendu le 5 janvier 2001 par le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud;
(détention préventive)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Depuis le 27 mars 2000, S.________ se trouve en détention préventive sous l'autorité du Juge d'instruction de l'arrondissement du Nord vaudois; il est prévenu d'infraction grave à la législation sur les stupéfiants, d'infraction à la législation sur le séjour et l'établissement des étrangers et de faux dans les certificats.
S.________ a présenté une demande de mise en liberté que le Juge d'instruction a rejetée par ordonnance du 20 décembre 2000, en raison des risques de fuite et de récidive.
Le prévenu a recouru sans succès au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud qui, le 5 janvier 2001, a confirmé l'ordonnance.
B.- Agissant par la voie du recours de droit public, S.________ requiert le Tribunal fédéral d'annuler le prononcé du Tribunal d'accusation et d'ordonner sa mise en liberté immédiate; subsidiairement, il demande le renvoi de la cause à ce tribunal, pour nouvelle décision conformément aux considérants de l'arrêt. Il se plaint d'une motivation insuffisante de l'arrêt attaqué, de plus fondée, notamment, sur une pièce qui ne lui avait pas été soumise; il conteste toute implication dans un trafic de stupéfiants et soutient que sa détention préventive n'est pas justifiée par des indices suffisants de culpabilité. Une demande d'assistance judiciaire est jointe au recours.
Invités à répondre, le Tribunal d'accusation et le Juge d'instruction ont renoncé à déposer des observations.
Considérant en droit :
1.- Le recours de droit public ne peut en principe tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée. La personne qui recourt contre une décision ordonnant ou prolongeant sa détention préventive, ou contre une décision rejetant une demande de mise en liberté provisoire, peut cependant requérir du Tribunal fédéral d'ordonner lui-même sa mise en liberté ou d'inviter l'autorité cantonale à le faire après avoir, au besoin, fixé certaines conditions (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 332/333, 115 Ia 293 consid. 1a, 107 Ia 257 consid. 1). Les conclusions présentées par le recourant sont ainsi recevables.
2.- La détention préventive est une restriction de la liberté personnelle qui est actuellement garantie, notamment, par l'art. 31 al. 1 Cst. A ce titre, elle n'est admissible que dans la mesure où elle repose sur une base légale, répond à un intérêt public et respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; ATF 124 I 203 consid. 2b p. 204/205; 123 I 268 consid. 2c p. 270, 120 Ia 147 consid. 2b p. 150, 119 Ia 221 p. 233 in medio). La deuxième condition suppose notamment qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner la personne concernée d'avoir commis une infraction (art. 5 par. 1 let. c CEDH). En outre, l'incarcération doit être justifiée par les besoins de l'instruction ou du jugement de la cause pénale, ou par la sauvegarde de l'ordre public. Il faut qu'en raison des circonstances, l'élargissement du prévenu fasse naître un risque concret de fuite, de collusion ou de récidive. La gravité de l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé (ATF 117 Ia 69 consid. 4a p. 70, 108 Ia 64 consid. 3 p. 67, 107 Ia 3 consid. 5 p. 6).
Le principe de la proportionnalité confère au prévenu le droit d'être libéré lorsque la durée de son incarcération se rapproche de la peine privative de liberté susceptible d'être prononcée. Celle-ci doit être évaluée avec la plus grande prudence, car il faut éviter que le juge de l'action pénale ne soit incité à prononcer une peine excessive pour la faire coïncider avec la détention préventive à imputer. La détention préventive est aussi disproportionnée en cas de retard injustifié dans le cours de la procédure pénale (ATF 116 Ia 143 consid. 5a, 107 Ia 256 consid. 2 et 3; CourEDH, arrêt du 26 janvier 1993 W. c. Suisse, série A n° 254A, ch. 30, 40 et ss).
3.- Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. confère à toute personne le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, d'avoir accès au dossier, d'offrir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, de participer à l'administration des preuves et de se déterminer à leur propos (ATF 124 II 132 consid. 2b p. 137, 123 I 63 consid. 2a p. 66). La disposition précitée confère également le droit d'exiger, en principe, qu'une telle décision soit motivée. Cette garantie-ci tend à donner à la personne touchée les moyens d'apprécier la portée du prononcé et de le contester efficacement, s'il y a lieu, devant une instance supérieure. Elle tend aussi à éviter que l'autorité ne se laisse guider par des considérations subjectives ou étrangères à la cause; elle contribue, par là, à prévenir une décision arbitraire. L'objet et la précision des indications que l'autorité doit fournir dépend de la nature de l'affaire et des circonstances particulières du cas. En principe, plus la personne concernée subit une atteinte grave, plus la motivation doit être complète et détaillée.
Néanmoins, en règle générale, il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs qui l'ont guidée, sans qu'elle soit tenue de répondre à tous les arguments présentés (ATF 112 Ia 109 consid. b; voir aussi ATF 126 I 97 consid. 2b p. 102, 125 II 369 consid. 2c p. 372, 124 II 146 consid. 2a p. 149). Cela concerne notamment les décisions consécutives à une demande de mise en liberté, sur laquelle l'autorité doit statuer à bref délai; il est d'ailleurs admis que celle-ci peut se borner à adhérer aux motifs d'une décision antérieure ou d'une demande de prolongation de la détention (ATF 123 I 31 consid. 2 p. 33).
4.- L'arrêt attaqué retient "qu'en dépit des dénégations du recourant, il existe des présomptions suffisantes de culpabilité à son encontre, compte tenu de l'ensemble du dossier (P. 76, pp. 4 ss; PV d'audition nos 11, 19, 20, 23, 24 et 25)".
a) Il ressort des procès-verbaux d'audition ainsi désignés, établis par la police judiciaire, que la correspondance téléphonique du recourant avait été surveillée et que celui-ci avait effectué ou reçu de nombreux appels au contenu sibyllin ou incompréhensible, notamment avec des correspondants en Tchéquie; ces appels avaient réellement pour objet, de l'avis des enquêteurs, un trafic d'héroïne en provenance de ce pays. Dans des communications semblables intervenues entre d'autres suspects, les correspondants paraissaient faire allusion, notamment, au recourant. Celui-ci a d'abord prétendu qu'il ne connaissait pas l'un des interlocuteurs en cause, puis il s'est rétracté. Longuement interrogé au sujet de chacune des conversations interceptées, il n'a fourni aucune indication plausible quant à leur sens. Il s'est borné à affirmer de façon répétitive qu'il ignorait lui aussi la signification des communications auxquelles il n'avait pas personnellement pris part (par exemple: "je ne vois pas ce que mon frère veut dire lorsqu'il dit qu'il a discuté avec moi"), et qu'il ne se rappelait pas le motif des propos qu'il avait lui-même tenus ou écoutés, ou que ces propos étaient même dépourvus de tout sens (par exemple: "il m'a appelé juste comme ça pour me dire bonjour"; "je ne sais pas ce qu'il voulait"; "je ne sais pas pourquoi je l'ai rappelé car je n'ai aucun contact ou lien avec cette personne"; "tout ce que je raconte à G.________, ce sont des [sottises] et il n'y a rien de vrai"). Par ailleurs, il ressort d'un procès-verbal des opérations et décisions (pièce n° 4) que l'un des interlocuteurs a été arrêté en Italie, en février 1999, alors qu'il détenait plusieurs kilos d'héroïne et de cocaïne, et qu'un autre - le frère du recourant - possédait un véhicule dans lequel les enquêteurs ont découvert des caches aménagées dans le plancher.
En raison du contexte et de l'ampleur de cette étrange correspondance téléphonique, les autorités d'instruction peuvent légitimement soupçonner le recourant de s'être livré à un important trafic de stupéfiants. Certes, il n'a pas été surpris en flagrant délit, aucun tiers ne l'accuse et la quantité écoulée est très difficile à évaluer; cela ne suffit toutefois pas à exclure sa culpabilité. Contrairement à son argumentation, celle-ci n'est pas non plus exclue par la déposition d'un fonctionnaire de police thurgovien (procès-verbal d'audition no 14) à laquelle il se réfère; il est vrai que cette déposition ne le met pas sérieusement en cause, mais elle ne comporte non plus aucun élément à décharge.
b) La pièce n° 76, également mentionnée dans l'arrêt attaqué, est un rapport de la police judiciaire que le Juge d'instruction a reçu et joint au dossier le 28 décembre 2000, alors que le prévenu avait déjà déposé son recours à l'intention du Tribunal d'accusation, dirigé contre l'ordonnance de refus de mise en liberté du 20 décembre. Ce tribunal a donc pris en considération, notamment, un document sur lequel le recourant n'avait eu aucune occasion de prendre position, ce qui est en principe contraire au droit d'être entendu. La référence à cette pièce n'apparaît toutefois pas déterminante, puisque les éléments disponibles déjà auparavant, connus du recourant et de son conseil, suffisaient à justifier le soupçon de culpabilité. Le rapport n'apporte d'ailleurs guère d'éléments nouveaux et importants du point de vue de la décision concernée; il s'agit d'une synthèse de l'ensemble des recherches effectuées. Pour le surplus, la motivation de l'arrêt attaqué permet de reconnaître clairement, par référence précise aux procès-verbaux d'audition pertinents, les indices de culpabilité retenus à la charge du recourant; bien que laconique, elle satisfait donc aux exigences de l'art. 29 al. 2 Cst.
c) Le recourant ne met pas en doute qu'il puisse être tenté de prendre la fuite, à l'étranger, afin de se soustraire à la poursuite pénale. A l'issue de celle-ci, en cas de verdict défavorable, le recourant pourrait vraisemblablement être condamné à une peine de plusieurs années de réclusion, notamment sur la base de l'art. 19 ch. 2 let. b LStup (trafic de stupéfiants commis en bande). Il se plaint donc à tort d'une détention préventive exagérément longue. Le recours de droit public se révèle en tous points mal fondé, ce qui entraîne son rejet.
5.- Selon l'art. 152 OJ, le Tribunal fédéral peut accorder l'assistance judiciaire à une partie à condition que celle-ci soit dans le besoin et que ses conclusions ne paraissent pas d'emblée vouées à l'échec. Il est constant que le recourant, actuellement en détention, est dépourvu de ressources; en revanche, la procédure entreprise devant le Tribunal fédéral n'avait manifestement aucune chance de succès.
La demande d'assistance judiciaire doit dès lors être rejetée.
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours.
2. Rejette la demande d'assistance judiciaire.
3. Met un émolument judiciaire de 1500 fr. à la charge du recourant.
4. Communique le présent arrêt en copie au mandataire du recourant, au Juge d'instruction de l'arrondissement du Nord vaudois et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
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Lausanne, le 2 mars 2001 THE/col
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,