[AZA 0/2]
1A.39/2001
Ie COUR DE DROIT PUBLIC
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3 avril 2001
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante. Greffier: M. Kurz.
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Statuant sur le recours de droit administratif
formé par
L.________, représentée par Me Clarence Peter, avocat à Genève,
contre
l'ordonnance rendue le 11 janvier 2001 par la Chambre d'accusation du canton de Genève;
(entraide judiciaire avec la Finlande)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Le 22 mars 1996, le Procureur général près le Tribunal de Vantaa (Finlande) a adressé à la Suisse une demande d'entraide judiciaire pour les besoins d'une enquête pénale ouverte, pour des délits de détournement, d'usure et de fraude fiscale, contre dame L.________. Celle-ci se serait approprié les biens de son mari U.________, de son vivant ou peu après son décès survenu le 15 octobre 1994. Cette demande d'entraide a été exécutée par le Juge d'instruction du canton de Genève qui, le 5 août 1996, a ordonné la transmission des documents relatifs au compte n° xxxx, détenu par dame L.________ auprès de l'UBS de Genève. Cette décision a été confirmée par la Chambre d'accusation genevoise, puis par arrêt du Tribunal fédéral du 8 avril 1997. A cette occasion, le Tribunal fédéral a notamment considéré que si l'autorité requérante mentionnait aussi une fraude fiscale pour laquelle l'entraide était exclue, le rappel du principe de la spécialité, et l'invitation faite à l'Office fédéral de la police (OFP) d'attirer expressément l'attention de l'Etat requérant sur ce point, étaient propres à prévenir toute utilisation illicite des renseignements obtenus.
B.- Le 8 avril 1998, le Procureur d'Helsinki a formé une demande d'entraide complémentaire tendant à la production de renseignements bancaires supplémentaires. Le 5 mai 1998, le Juge d'instruction genevois est entré en matière.
Le 8 juillet 1998, après une intervention précédente du 30 mars 1998, l'OFP s'est adressé au Ministère finlandais de la justice (ci-après: le Ministère), en lui rappelant la teneur du principe de la spécialité. Le 1er septembre 1998, le Ministère a déclaré qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que les renseignements soient utilisés conformément à cette réserve. Une nouvelle intervention de l'OFP eut lieu le 10 novembre 1998, et suscita de nouvelles assurances de la part des autorités finlandaises.
Le juge d'instruction a prononcé la clôture de la procédure d'entraide par décision du 24 juin 1999, confirmée par ordonnance du 15 mars 2000 de la Chambre d'accusation.
Par arrêt du 15 juin 2000, le Tribunal fédéral a admis partiellement un recours de droit administratif formé par dame L.________: l'entraide était subordonnée à l'assurance préalable, à fournir par l'autorité finlandaise compétente, que le principe de la spécialité serait respecté à l'égard de l'ensemble des informations fournies par la Suisse.
C.- Le 4 mai 2000, l'autorité requérante s'est adressée à la Suisse en indiquant qu'aucune accusation n'avait pu être prononcée, car les enquêteurs n'avaient pu établir le solde du compte xxxx et de ses "dérivés" au 15 octobre 1994, élément nécessaire pour la qualification du délit de fraude. Ce renseignement devait être requis auprès de l'UBS.
A la requête du Juge d'instruction genevois du 23 mai 2000, la banque communiqua, par lettre du 10 juillet 2000, l'état des avoirs relatifs à la relation bancaire xxxx au 15 octobre 1994. Cette information fut transmise le 11 juillet 2000 à l'OFP, le juge d'instruction estimant qu'il ne s'agissait que d'une précision fournie par la banque sur la base de documents déjà transmis.
Répondant à une lettre de dame L.________ qui demandait le prononcé d'une ordonnance de clôture, le juge d'instruction releva, le 20 juillet 2000, que la démarche du 4 mai 2000, requise par dame L.________ elle-même, ne constituait pas une demande d'entraide.
Par ordonnance du 11 janvier 2001, la Chambre d'accusation a déclaré irrecevable un recours de dame L.________.
Le matériel sur lequel l'UBS avait été invitée à se prononcer avait déjà été transmis antérieurement. Il ne s'agissait donc pas d'un nouveau moyen de preuve, mais d'une évaluation rétrospective portant sur des moyens de preuve anciens déjà communiqués. Il n'y avait pas eu de mesure de contrainte, mais transmission d'un simple avis. Les craintes relatives au respect de la spécialité étaient injustifiées puisque l'Etat requérant devait préalablement fournir un engagement à ce sujet.
D.- Dame L.________ forme un recours de droit administratif contre cette dernière ordonnance, dont elle demande l'annulation. Elle demande que le juge d'instruction soit invité à rendre une décision d'entrée en matière, puis de clôture, et que la transmission de renseignements soit refusée.
Subsidiairement, si la lettre du 11 juillet 2000 devait être considérée comme une décision de clôture, la recourante en demande l'annulation et le refus de toute transmission.
La Chambre d'accusation se réfère aux considérants de sa décision. L'Office fédéral de la justice conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable.
Considérant en droit :
1.- Le recours de droit administratif est ouvert, dès lors que la recourante se plaint implicitement d'une violation des art. 80a et 80d de la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale (EIMP, RS 351. 1), qui imposent à l'autorité d'exécution de rendre une décision d'entrée en matière, puis de clôture, lesquelles peuvent faire l'objet d'un recours cantonal en vertu de l'art. 80e EIMP. La recourante a par ailleurs qualité pour agir contre le prononcé d'irrecevabilité rendu par l'autorité de dernière instance cantonale.
2.- La recourante soutient que la demande du 4 mai 2000, transmise le 19 mai 2000 par le Ministère finlandais de la police, constituerait une nouvelle demande d'entraide, au regard de son auteur (la même autorité que pour les précédentes demandes d'entraide), de son destinataire (l'OFJ), de son libellé (l'autorité requérante la définit comme une "requête supplémentaire"), de son traitement par l'OFJ (qui l'a transmise à l'autorité d'exécution conformément à l'art. 17 al. 2 EIMP), du fait que les précédentes procédures sont closes, et également en raison de son objet: les experts commis dans la procédure étrangère n'ont pas été à même, sur le vu des documents déjà transmis, d'évaluer le solde des avoirs au 15 octobre 1994, ce qui démontrerait que ce renseignement n'était pas en leur possession. La banque elle-même a dû s'adresser à son siège, à Zurich, pour donner cette information, qui représenterait bien un élément de preuve nouveau. La fourniture d'une donnée couverte par le secret bancaire constituerait une mesure de contrainte au sens de l'art. 64 EIMP, et elle serait de nature à porter préjudice à la recourante, au regard de son utilisation possible à des fins fiscales. La recourante relève qu'à ce jour, les autorités finlandaises n'ont pas encore fourni l'engagement exigé dans l'arrêt du Tribunal fédéral du 15 juin 2000. Elle conteste enfin avoir donné son accord à une exécution simplifiée.
a) Selon les art. 80 et 80a EIMP , l'autorité fédérale ou cantonale chargée d'exécuter une demande d'entraide procède à un examen préliminaire de celle-ci, puis rend une décision sommairement motivée. Lorsqu'elle estime avoir traité la demande, elle rend une décision de clôture portant sur l'octroi et l'étendue de l'entraide. Ces décisions sont notifiées aux ayants droit (art. 80m EIMP), soit aux personnes qui ont qualité pour recourir au sens, notamment, de l'art. 80h let. b EIMP. Lorsque l'autorité requérante s'aperçoit que des renseignements complémentaires apparaissent nécessaires, soit à la lecture des documents transmis par la Suisse, soit au vu des développements de ses propres investigations, elle adresse une demande d'entraide complémentaire qui doit être traitée de la même façon qu'une demande ordinaire (Zimmermann, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, Berne 1999, n° 175 p. 134 et n° 434 p. 335).
L'autorité de la chose jugée, qui ne s'applique que de manière restreinte aux décisions relatives à l'entraide judiciaire, permet ainsi à l'autorité requérante de renouveler une demande d'entraide, ou de demander une exécution plus complète des actes requis (ATF 121 II 93 consid. 3). Les considérations relatives à l'admissibilité de l'entraide, émises dans le cadre d'une précédente demande ayant le même objet, ne peuvent plus être remises en cause dans le cadre d'une requête complémentaire. En revanche, les griefs relatifs à l'exécution proprement dite de cette demande, en particulier le principe de la proportionnalité - en rapport avec les nouvelles investigations requises -, ainsi que les arguments qui n'avaient pas pu être soulevés lors de la première procédure, peuvent encore être invoqués dans ce cadre.
b) Pour le juge d'instruction et la Chambre d'accusation, la transmission porterait sur une "évaluation rétrospective portant sur des moyens de preuve déjà communiqués", indépendamment de toute mesure de contrainte, ce qui dispensait d'agir dans les formes prévues par l'EIMP. Un tel procédé ne saurait toutefois être admis à la légère: les renseignements ainsi transmis échappent à tout contrôle, notamment sous l'angle des principes de la proportionnalité et de la spécialité. Il convient dès lors de s'assurer que les moyens de preuve remis après coup n'ajoutent rien, matériellement, aux renseignements remis à l'autorité requérante à l'occasion des précédentes décisions de clôture. En cas d'extension, même minime, de l'entraide précédemment accordée, il y a lieu d'agir selon la procédure de l'entraide complémentaire afin de permettre aux ayants droit de faire valoir leurs objections.
c) En l'espèce, la documentation bancaire complète a été remise aux autorités finlandaises au mois de janvier 1998, en exécution de la première demande d'entraide. Elle est constituée de la documentation d'ouverture du compte ainsi que des relevés afférents aux quatorze sous-rubriques et au dossier de titres, pour une période comprise entre le 9 mars 1994 et le 16 octobre 1995. La Chambre d'accusation a estimé que l'autorité finlandaise pouvait tout à fait, sur la base de la liste des titres et des soldes mensuels figurant dans les sous-comptes, reconstituer elle-même la valeur du patrimoine confié à l'UBS à la date déterminante. Si tel était le cas, on ne comprendrait pas le sens de la démarche de l'autorité requérante, qui affirme au contraire que les enquêteurs et experts ont émis des avis sensiblement différents quant à l'état du compte au 15 octobre 1994. Cela n'est toutefois pas déterminant.
En donnant suite à la demande d'entraide initiale et à son complément, l'autorité suisse a accepté de transmettre l'intégralité des renseignements bancaires concernant le compte de la recourante. L'état des avoirs au 15 octobre 1994 fait partie de ces renseignements, puisque la documentation porte sur une période allant du 16 mars 1994 au 16 octobre 1995. En accordant l'entraide requise, la Suisse a d'ores et déjà accepté de communiquer l'ensemble des renseignements bancaires, sans émettre de réserve sur la teneur de ces documents, et en partant de l'idée que l'état du compte à un moment particulier (tel le jour du décès de U.________) pourrait être aisément reconstitué sur le vu des relevés. Les données fournies par l'UBS apparaissent comme l'explicitation de renseignements dont la transmission a déjà été autorisée, et que l'autorité étrangère n'est finalement pas parvenue à exploiter. Dans ces circonstances exceptionnelles, on peut considérer qu'une décision formelle ne s'imposait pas.
La recourante omet, pour le surplus, d'indiquer quels arguments spécifiques elle aurait pu faire valoir à l'encontre de cette communication. Le principe même de l'entraide a déjà été accepté - sous réserve des engagements à fournir par les autorités finlandaises -, et le principe de la proportionnalité ne saurait être invoqué puisque l'état des avoirs de la recourante au moment du décès de son époux est au centre des investigations de l'autorité étrangère.
Quant au respect du principe de la spécialité, il devra encore faire l'objet d'un examen particulier de l'OFJ.
3.- Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit administratif doit être rejeté. Les frais en sont mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours.
2. Met à la charge de la recourante un émolument judiciaire de 5000 fr.
3. Communique le présent arrêt en copie au mandataire de la recourante, au Juge d'instruction et à la Chambre d'accusation du canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice (B 102238).
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Lausanne, le 3 avril 2001 KUR/col
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,