[AZA 1/2]
5P.457/2000
IIe COUR CIVILE
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20 avril 2001
Composition de la Cour: M. Bianchi, juge présidant,
M. Raselli et Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Fellay.
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Statuant sur le recours de droit public formé
par
U BS S A , à Zurich et Bâle, représentée par Me Bernard Détienne, avocat à Sion,
contre
le jugement rendu le 21 septembre 2000 par la IIe Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Valais dans la cause qui oppose la recourante à Pradervand & Cie, à Martigny, représentée par Me Marius-Pascal Copt, avocat à Martigny;
( art. 9 et 29 al. 2 Cst. ; privilège des artisans et
entrepreneurs selon l'art. 841 al. 1 CC)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Par contrat des 4/6 janvier 1989, Styx-Immobilien AG (ci-après: la société) a obtenu de la Société de Banque Suisse (ci-après: la banque) un prêt pour l'achat de la parcelle n° 1426, d'une surface de 3'895 m2, sise à Verbier, sur le territoire de la commune de Bagnes. Elle avait acquis cette parcelle le 21 décembre précédent pour le prix de 2'000'000 fr. (513 fr. 60/m2) en vue d'y construire un ensemble d'habitations. En garantie de ses obligations résultant du prêt, elle a souscrit, le 2 mars 1989, une obligation hypothécaire au porteur de 2'000'000 fr., créance qui a été garantie par une hypothèque de premier rang sur la parcelle n° 1426.
A la suite de l'exercice d'un droit d'emption sur une parcelle attenante (n° 1421) de 1'812 m2, acquise pour 900'000 fr., et de la vente de 406 m2 à la commune, la surface de la parcelle n° 1426 a été portée à 5'301 m2.
Le 7 juin 1990, la société a souscrit une obligation hypothécaire au porteur de 2'900'000 fr. En garantie de cette créance, une hypothèque de premier rang a été inscrite au registre foncier le 24 octobre suivant et la première hypothèque de 2'000'000 fr. a été radiée. La nouvelle obligation hypothécaire au porteur remise à la banque mentionnait que les frais admis par le prêteur selon l'art. 4 al. 2 de l'Arrêté fédéral urgent du 6 octobre 1989 concernant la charge maximale en matière d'engagement des immeubles non agricoles (ci-après: AFU; RS 211. 437.3) s'élevait à 960'000 fr. Les 2'900'000 fr. de prêt consentis par la banque ont toutefois été exclusivement consacrés à l'achat des biens-fonds mentionnés ci-dessus.
Avant d'accorder le premier prêt de 2'000'000 fr., l'employé du centre de la banque à Zurich avait pris par téléphone quelques renseignements sur les prix des terrains pratiqués à Verbier. Selon la teneur du cadastre communal les terrains du secteur étaient estimés entre 400 et 450 fr./m2, selon le directeur de l'Office du tourisme de Verbier entre 700 et 1'000 fr./m2 et selon un employé de la banque à Martigny entre 700 et 800 fr./m2. C'est en fonction de ces seuls renseignements téléphoniques que l'employé de Zurich avait fixé la valeur du terrain à 700 fr./m2, soit à 2'726'000 fr., ce qui représentait une évaluation de près de 40% supérieure au prix de vente effectif.
L'entreprise Pradervand & Cie (ci-après: l'entreprise), à qui la société avait confié les travaux de ferblanterie et de couverture des constructions qui furent érigées sur la parcelle n° 1426, a obtenu, le 18 septembre 1992, l'inscription définitive d'une hypothèque légale sur ladite parcelle à concurrence de 124'775 fr. et la condamnation de la société à lui payer ce montant avec intérêt à 6% dès le 14 novembre 1991.
Par la suite, la société a obtenu un sursis concordataire avec abandon d'actifs. Vendu aux enchères le 10 décembre 1995, l'immeuble en question a été adjugé à la banque pour le prix de 3'400'000 fr.
B.- Sa propre créance étant demeurée totalement à découvert et se fondant, en sa qualité de titulaire d'une hypothèque légale d'artisan et entrepreneur, sur l'art. 841 al. 1 CC, l'entreprise a ouvert action contre la banque en paiement de la somme de 75'000 fr. plus accessoires. L'Union de Banques Suisses a succédé comme partie à la Société de Banque Suisse.
En cours d'instruction, deux experts ont été successivement désignés afin de déterminer la valeur des biens-fonds achetés par la société. L'un, Charles-Albert Udry, les a estimés à 1'966'125 fr., l'autre, Patrice Gagliardi, à au moins un demi million de francs de plus. La cour cantonale s'est ralliée à l'expertise Udry.
Par jugement du 21 septembre 2000, notifié le 23 du mois suivant aux parties, la IIe Chambre civile du Tribunal cantonal valaisan a admis l'action à concurrence de 47'738 fr. 90 avec intérêt à 5% dès le 5 janvier 1996.
C.- Par acte du 21 novembre 2000, la banque a formé un recours de droit public contre le jugement précité, concluant à son annulation avec suite de frais et dépens des instances cantonale et fédérale.
L'intimée et l'autorité cantonale n'ont pas été invitées à déposer une réponse.
D.- La banque a simultanément interjeté un recours en réforme contre le même jugement.
Considérant en droit :
1.- Selon l'art. 57 al. 5 OJ, il est sursis, en règle générale, à l'arrêt sur le recours en réforme jusqu'à droit connu sur le recours de droit public. Il n'y a pas lieu, en l'espèce, de déroger à ce principe.
2.- Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 126 I 81 consid. 1 et arrêts cités).
a) Interjeté en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance cantonale, le recours est recevable au regard des art. 86 al. 1, 87 et 89 al. 1 OJ.
b) Le recours est toutefois irrecevable dans la mesure où il tend à autre chose qu'à l'annulation de l'arrêt attaqué (ATF 124 I 327 consid. 4 et les références). Ainsi, le Tribunal fédéral ne peut pas se prononcer sur les conclusions concernant les frais et dépens de l'instance cantonale.
3.- Invoquant la violation de son droit d'être entendue, la recourante reproche à la cour cantonale d'avoir totalement passé sous silence son argument selon lequel l'intimée avait elle-même augmenté son dommage en continuant et en terminant les travaux, quand bien même elle aurait su pertinemment que les autres entrepreneurs n'avaient pas été payés ou du moins pas intégralement.
La recourante prétend avoir avancé l'argument en question devant l'autorité cantonale, mais elle ne l'établit pas par des références au dossier. Par ailleurs, il ne ressort ni du jugement attaqué ni du dossier que l'intimée aurait continué et terminé les travaux tout en sachant que les autres entrepreneurs n'avaient pas ou pas intégralement été payés. La recourante ne faisant pas valoir, d'une manière conforme à l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495 et arrêts cités), que l'état de fait serait arbitrairement lacunaire ou incomplet, le Tribunal fédéral ne peut que s'en tenir, sur le point en question, aux constatations de l'autorité cantonale (cf. ATF 118 Ia 20 consid. 5a p. 26 et les arrêts cités).
Le grief soulevé est par conséquent irrecevable.
4.- La recourante se plaint d'arbitraire dans l'établissement des faits et l'appréciation des preuves en ce qui concerne la valeur de la parcelle litigieuse retenue par le jugement attaqué.
a) Le Tribunal fédéral se montre réservé dans le domaine de l'appréciation des preuves, vu le large pouvoir qu'il reconnaît en la matière à l'autorité cantonale. Il n'y a violation de l'art. 9 Cst. que lorsque cette appréciationest manifestement insoutenable ou en contradiction flagrante avec les pièces du dossier (ATF 120 Ia 31 consid. 4b p. 40; 118 Ia 28 consid. 1b).
Lorsque l'autorité cantonale juge une expertise concluante et en fait sien le résultat, le Tribunal fédéral n'admet le grief d'appréciation arbitraire que si l'expert n'a pas répondu aux questions posées, si ses conclusions sont contradictoires ou si, de quelqu'autre façon, l'expertise est entachée de défauts à ce point évidents et reconnaissables, même sans connaissances spécifiques, que le juge ne pouvait tout simplement pas les ignorer. L'autorité cantonale n'est pas tenue de contrôler à l'aide d'ouvrages spécialisés l'exactitude scientifique des affirmations de l'expert. Il n'appartient pas non plus au Tribunal fédéral de vérifier si toutes les affirmations de l'expert sont exemptes d'arbitraire; sa tâche se limite plutôt à examiner si l'autorité cantonale pouvait, sans arbitraire, se rallier au résultat de l'expertise (arrêt non publié du 23 novembre 1994 dans la cause Basler Versicherung c/ J., consid. 3a et c). Lorsque, comme en l'espèce, l'autorité cantonale se trouve confrontée à deux expertises judiciaires et qu'elle fait sien le résultat de l'une d'elles, elle est tenue de motiver son choix.
Dans un tel cas, le Tribunal fédéral n'admet le grief d'appréciation arbitraire des preuves que si cette motivation est arbitraire ou si le résultat de l'expertise qui a eu la préférence de l'autorité cantonale est insoutenable pour l'un des motifs indiqués ci-dessus.
b) La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir arbitrairement opté pour l'expertise Udry fondée sur un indice de densité 0,25, alors que l'expert Gagliardi faisait état d'un indice 0,3 et que l'attestation du teneur du cadastre communal confirmait que les parcelles en cause étaient, en 1988/1989, en zone de densité 0,3.
Selon le jugement attaqué, il était justifié de se fonder sur une densité de 0,25, car cet indice était appliqué par la commune depuis 1989 pour tous les projets de la zone, bien que le nouveau plan d'affectation, qui prévoyait un indice 0,25, ne fût pas encore en vigueur. Cette motivation, qui repose sur des faits que la recourante ne conteste pas et qui sont même admis par l'expert Gagliardi, est exempte d'arbitraire.
Mal fondé, dans la mesure où il est recevable, le grief ne peut donc qu'être rejeté.
c) La recourante soutient que la cour cantonale a commis arbitraire en s'appuyant sur l'expertise Udry, en tant que celle-ci retenait "des environnements immédiats de qualité peu attractive, un ensoleillement moyen et les nuisances dues à la proximité des installations sportives et des parkings", ainsi que sur une expertise ultérieure constatant "la difficulté d'accès en hiver".
Dans la mesure où la recourante se contente d'avancer sa propre appréciation, remontant au moment de l'analyse du dossier de crédit et forgée à partir d'informations obtenues par des personnes de la région, son grief est irrecevable.
Le jugement attaqué ne mentionne pas les faits invoqués et la recourante ne prétend pas qu'ils ressortiraient du dossier.
De même, la recourante ne saurait se borner à se prévaloir d'un passage de l'expertise Gagliardi selon lequel "la parcelle no 1426 se trouve sur un replat orienté vers le sud-ouest, avec un large ensoleillement et un total dégagement visuel sur un magnifique site; ... convient parfaitement à la résidence; ... est complètement équipée; ... surplombe le centre sportif de Verbier, ... position centralisée [qui] la pose à proximité de toutes les commodités urbaines et sportives").
Une telle critique est en effet de nature purement appellatoire, partant irrecevable (cf. ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495 et arrêts cités).
d) Revêt de même un caractère nettement appellatoire le grief selon lequel il était arbitraire de la part de la cour cantonale d'écarter l'expertise Gagliardi au motif qu'elle prenait en compte un marché immobilier euphorique comportant une partie spéculative. La recourante se limite en effet à prétendre que ledit expert, lorsqu'il parlait d'un marché immobilier en pleine effervescence, voire euphorique, n'aurait pas fait référence au prix par m2, mais plutôt au nombre de transactions ayant atteint des chiffres particulièrement élevés à une époque déterminée, répétant à plusieurs reprises que le prix moyen pour le type de parcelle en cause à Verbier se serait situé entre 400 et 500 fr./m2, que dans le secteur de la parcelle litigieuse le prix des terrains serait resté stable, que seul le volume des transactions aurait chuté à partir de 1991 et que le ralentissement du marché n'aurait pas provoqué de baisse notable des prix.
Un tel grief est donc également irrecevable.
e) La recourante s'en prend à la méthode d'évaluation Naegeli/Wenger (Wolfgang Naegeli/Heinz Wenger, Der Liegenschaftenschätzer, 4e éd., Zurich 1997), dont l'expert Udry s'est servi, et elle critique la manière dont celui-ci a appliqué ladite méthode.
Ce grief est irrecevable, d'une part, parce qu'il n'incombe pas au Tribunal fédéral de se prononcer sur une méthode technique d'évaluation et d'examiner si l'expert l'a employée correctement (cf. supra consid. 4a); d'autre part, la recourante se borne à citer un arrêt fribourgeois se référant à la méthode en question et à prétendre que celle-ci ne conférait pas sans autre une valeur probante indiscutable à l'expertise Udry, qui en aurait fait un usage contestable en l'appliquant de manière trop stricte, sans tenir compte du marché immobilier local extrêmement particulier. Ce faisant, la recourante ne fait qu'opposer sa thèse à celle de l'autorité cantonale, ce qui constitue une motivation insuffisante au regard de l'art. 90 al. 1 let. b OJ.
5.- La recourante fait valoir que les exigences posées par le jugement attaqué quant à son devoir de diligence sont manifestement excessives, partant insoutenables, et qu'il est arbitraire de retenir qu'elle n'a pas procédé à une évaluation sérieuse des parcelles en cause. A son avis, la cour cantonale s'est fondée sur un pourcentage manifestement erroné en retenant que la banque s'était fait remettre une garantie excédant de 147% la valeur du terrain, alors que le gage ne dépassait que de 47% la valeur des biens-fonds retenue par l'expert Udry.
La question de savoir si la banque a violé son devoir de diligence relève du droit fédéral. Vu la subsidiarité absolue du recours de droit public (art. 84 al. 2 OJ), le grief de violation du droit fédéral est irrecevable dans le cadre du recours de droit public lorsque, comme en l'espèce, le recours en réforme est ouvert contre le jugement attaqué.
Quant à la prétendue erreur de pourcentage, elle peut être corrigée, le cas échéant, dans le cadre du recours en réforme, dès lors que la procédure régissant ce moyen de droit autorise la rectification d'office d'une constatation reposant sur une erreur manifeste (art. 63 al. 2 OJ).
Les griefs soulevés ici sont donc tout aussi irrecevables.
6.- La recourante soutient que les juges ont commis arbitraire en retenant une violation de l'AFU sans aucune preuve au dossier. L'arrêté en question faisant partie du droit fédéral, sa violation éventuelle doit également être invoquée dans le cadre du recours en réforme.
7.- La recourante reproche à l'autorité cantonale d'avoir arbitrairement retenu que la part d'intérêts et les frais éventuellement retenus pour sa créance n'étaient pas connus et qu'il n'y avait pas à en tenir compte en vertu de l'art. 8 CC. D'après la recourante, il ressortait à l'évidence de l'état des charges établi dans la procédure concordataire que la différence entre le montant admis à l'état de collocation (3'564'748 fr. 05) et le montant de l'obligation hypothécaire (2'900'000 fr.) consistait en intérêts et frais.
La recourante ne soutient pas qu'elle aurait fait état devant l'autorité cantonale des intérêts et frais en question, voire des taux d'intérêt convenus avec l'emprunteur; elle n'indique aucune référence dans le dossier cantonal permettant à la cour de céans de contrôler si ces faits ont effectivement été allégués en instance cantonale (art. 90 al. 1 let. b OJ). Ceci paraît d'autant moins être le cas que la cour cantonale s'est référée à l'art. 8 CC. La recourante ne fait pas valoir non plus une application arbitraire de la procédure cantonale sur ce point. Le grief est par conséquent irrecevable.
8.- Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, aux frais de la recourante, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens à l'intimée, qui n'a pas été invitée à se déterminer sur le recours.
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours dans la mesure où il est recevable.
2. Met à la charge de la recourante un émolument judiciaire de 4'000 fr.
3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la IIe Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Valais.
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Lausanne, le 20 avril 2001 FYC/frs
Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Juge présidant,
Le Greffier,