[AZA 1/2]
1P.47/2001
Ie COUR DE DROIT PUBLIC
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26 avril 2001
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Nay, Aeschlimann, Féraud,
Catenazzi, Favre et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Jomini.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
Jean Delpech, rue Lamartine 16, à Genève, Antoine Auchlin, route de Chancy 15, au Petit-Lancy, et Yves Jeanmairet, rue Gustave-Moynier 6, à Genève,
contre
la loi établissant le budget administratif de l'Etat de Genève pour l'année 2001 (loi n° 8311), adoptée le 15 décembre 2000 par le Grand Conseil de la République et canton de Genève;
(référendum financier)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Le Grand Conseil de la République et canton de Genève a adopté le 15 décembre 2000 la loi établissant le budget administratif de l'Etat de Genève pour l'année 2001 (loi n° 8311). Ce budget administratif, annexé à la loi, comprend notamment le budget d'investissement (art. 6 de la loi); un montant de 3'000'000 fr. y figure comme dépense, sous la rubrique 510100 565 03 "Stade de la Praille (part cantonale)". Cette somme est une subvention cantonale accordée pour la construction d'un nouveau stade de football au lieu-dit "La Praille" sur le territoire de la commune de Lancy.
Le 20 décembre 2000, le Conseil d'Etat a promulgué la loi n° 8311 et il l'a publiée dans la Feuille d'Avis Officielle.
L'arrêté de promulgation mentionne que seul l'art. 13 de la loi, concernant les emprunts à effectuer ou renouveler, est "soumis séparément au délai référendaire de 40 jours échéant le 31 janvier 2001". Le référendum n'a pas été demandé.
B.- Les investissements du canton pour le Stade de la Praille font par ailleurs l'objet d'une loi spéciale, intitulée "loi ouvrant un crédit au titre de subvention cantonale pour la reconstruction et la rénovation du Stade des Charmilles et du Centre sportif de Balexert". Cette loi, adoptée par le Grand Conseil le 26 avril 1996 (loi n° 7263) et modifiée le 19 juin 1997 (loi n° 7568) a la teneur suivante:
Art. 1 (note marginale: Investissement)
Un crédit de 20'000'000 fr. est ouvert au Conseil
d'Etat, à titre de subvention cantonale unique, pour
couvrir une partie des frais de nouvelles études et de
reconstruction et de rénovation du Stade des Charmilles
et du Centre sportif de Balexert.
Art. 2
1 Une première tranche de crédit de 2'000'000 fr. au
maximum est octroyée à une fondation d'économie mixte,
créée ou en formation, où les collectivités publiques
sont majoritaires, pour l'étude de la reconstruction et
de la rénovation du Stade des Charmilles, conformément
aux dispositions de l'article 51, alinéa 3, de la loi
sur la gestion administrative et financière de l'Etat de
Genève, et du Centre sportif de Balexert et de l'exécution
de travaux d'urgence.
2 Après examen des études effectuées, la fondation se déterminera sur le projet définitif au plus tard le 30
juin 1997.
Art. 3
1 Le solde du crédit, soit 18'000'000 fr., sera libéré
par le Conseil d'Etat, après autorisation du projet re- tenu, et aux conditions suivantes:
a) la création de la fondation définie à l'article
2;
b) le transfert des biens-fonds à titre non onéreux
à la fondation citée sous lettre a);
c) la garantie du financement complémentaire fourni
par les différents partenaires publics et privés;
d) la couverture des frais financiers et d'exploitation
est établie par la fondation en cause.
2 Si les conditions figurant sous lettres a et b ne
sont pas remplies au plus tard le 31 décembre 1999 pour
le stade de La Praille, le crédit est annulé.
3 Si les conditions figurant sous a) et b) sont réalisées,
et que celles figurant sous c) ne le sont pas dans
le même délai, le solde du crédit peut néanmoins être
débloqué par le Conseil d'Etat, afin de réaliser la première
étape du projet retenu.
Art. 3A
Le Conseil d'Etat est également autorisé à affecter
le crédit défini par la présente loi, aux mêmes conditions,
à l'étude et la construction d'un nouveau stade
de football situé sur l'emplacement des anciens abattoirs
à la Praille.
Art. 4 (note marginale: Budgets d'investissements)
Cette subvention est répartie en 3 tranches annuelles
et inscrite aux budgets d'investissements des années
1996, 1997 et 1998.
Art. 5 (note marginale: Financement)
Le financement de ce crédit est assuré par le recours
à l'emprunt pour un montant de 20'000'000 fr. et
dans les limites du cadre directeur du plan financier
quadriennal adopté le 2 septembre 1994 par le Conseil
d'Etat fixant à 250'000'000 fr. environ le maximum des
investissements annuels, dont les charges en intérêts et
en amortissements sont à couvrir par l'impôt.
Art. 6 (note marginale: Amortissement)
La subvention, au montant de 20'000'000 fr., est
amortie chaque année d'un montant calculé sur sa valeur
résiduelle et porté en compte de fonctionnement.
Art. 7 (note marginale: Loi sur la gestion administrative
et financière)
La présente loi est soumise aux dispositions de la
loi sur la gestion administrative et financière de
l'Etat, du 7 octobre 1993.
Le référendum n'a pas été demandé, ni à la suite de l'adoption de la loi le 26 avril 1996 ni après les modifications du 19 juin 1997.
C.- Agissant par la voie du recours de droit public, selon la procédure de l'art. 85 let. a OJ, contre la loi établissant le budget administratif de l'Etat de Genève pour l'année 2001, Jean Delpech, Antoine Auchlin et Yves Jeanmairet - en tant que citoyens exerçant leurs droits politiques dans le canton de Genève - demandent au Tribunal fédéral d'annuler la décision du Grand Conseil d'inscrire une subvention pour la construction du stade de la Praille dans le budget 2001, de constater que la loi n° 7263 du 26 avril 1996, modifiée le 19 juin 1997, ne permet pas au Conseil d'Etat d'engager des subventions pour la construction du stade de La Praille, et enfin d'interdire à l'Etat de Genève de verser des contributions financières pour la construction du stade de la Praille en l'absence d'une nouvelle loi de subventionnement votée par le Grand Conseil. Les recourants se plaignent de la violation de leur droit de vote, la décision du Grand Conseil ayant pour effet de soustraire une dépense - la subvention de 3'000'000 fr., inscrite au budget 2001 - au référendum financier prévu à l'art. 56 de la Constitution cantonale (Cst. /GE; RS 131. 234).
Le Grand Conseil conclut au rejet du recours.
Invités à présenter un mémoire complétif après le dépôt de la réponse du Grand Conseil (art. 93 al. 2 OJ), les recourants persistent dans leurs conclusions.
D.- Par une ordonnance rendue le 13 février 2001, le Président de la Ie Cour de droit public a rejeté la requête d'effet suspensif présentée par les recourants.
Considérant en droit :
1.- Aux termes de l'art. 85 let. a OJ, le Tribunal fédéral connaît des recours de droit public concernant le droit de vote des citoyens et de ceux qui ont trait aux élections et aux votations cantonales, quelles que soient les dispositions de la constitution cantonale et du droit fédéral régissant la matière. Au niveau cantonal, les droits protégés selon l'art. 85 let. a OJ correspondent donc à l'ensemble des droits que confèrent aux citoyens les dispositions constitutionnelles ou législatives qui définissent les conditions et modalités de l'exercice des droits politiques ou en précisent le contenu ou l'étendue; les règles relatives au référendum en font partie (cf. ATF 123 I 41 consid. 6b p. 46 et les références).
En particulier, si le droit cantonal connaît le référendum financier, c'est par la voie du recours de l'art. 85 let. a OJ que l'on peut se plaindre du refus de soumettre une dépense à ce référendum (cf. ATF 112 Ia 221 consid. 1b p. 224). Les recourants, qui exercent leurs droits politiques dans le canton de Genève et qui, si l'acte litigieux était soumis au référendum, pourraient demander un vote populaire à ce sujet, ont qualité pour recourir même s'ils n'invoquent aucun intérêt juridique personnel à l'annulation de cet acte (ATF 123 I 41 consid. 6a p. 46 et les arrêts cités).
Cela étant, la contestation a pour seul objet la clause de la loi du 15 décembre 2000 établissant le budget 2001 (loi n° 8311) qui concerne la subvention cantonale au stade de La Praille (rubrique 510100 565 03 du budget d'investissement, à laquelle renvoie l'art. 6 de la loi), et le refus de soumettre cette clause au référendum financier. Dans ce cadre, le Tribunal fédéral ne peut pas annuler d'autres décisions cantonales, ni constater leur éventuelle illégalité.
Il ne peut pas davantage, en raison de la nature en principe exclusivement cassatoire du recours selon l'art. 85 let. a OJ, donner des injonctions au gouvernement cantonal (ATF 118 Ia 184 consid. 1d p. 188; 112 Ia 221 consid. 1c p. 225).
C'est pourquoi seule est recevable la conclusion tendant à l'annulation de la décision du Grand Conseil d'inscrire au budget - et partant de soustraire au référendum - une subvention pour la construction du stade de la Praille dans le budget 2001. Il y a lieu, dans cette mesure, d'entrer en matière.
2.- a) Les recourants reconnaissent qu'en vertu de l'art. 54 Cst. /GE, ni le budget dans son ensemble, ni les dispositions spéciales de la loi budgétaire - à l'exception de celles établissant un nouvel impôt ou l'augmentation d'un impôt existant, ainsi que celles relatives à un emprunt - ne sont soumis au référendum. L'art. 54 Cst. /GE. consacre ainsi, pour la loi annuelle sur les dépenses et les recettes (budget), une exception à la règle de l'art. 53 Cst. /GE, selon laquelle le référendum peut être demandé contre les lois votées par le Grand Conseil. Les recourants invoquent cependant l'art. 56 al. 1 Cst. /GE qui, sous le titre "référendum financier", prévoit que "sont soumises obligatoirement au référendum facultatif toutes les lois entraînant, pour le canton et pour un même objet, une dépense unique de plus de 125'000 francs ou une dépense annuelle de plus de 60'000 fr.". Ils font valoir, en substance, que la subvention litigieuse de 3'000'000 fr., à verser en 2001, est dépourvue de base légale car la loi constituant le fondement des subventions cantonales pour le stade de La Praille - loi n° 7263 du 26 avril 1996, modifiée le 19 juin 1997 - contient, à son art. 4, une limitation dans le temps de la validité des subventions; en d'autres termes, cette loi ne permettrait plus à l'Etat de verser une subvention après la fin de l'année 1998, date prévue pour la dernière tranche annuelle. En conséquence, le Grand Conseil aurait dû voter une nouvelle loi de subventionnement pour permettre le versement du montant de 3'000'000 fr. en 2001, loi qui aurait alors dû être soumise au référendum facultatif selon l'art. 56 Cst. /GE, le seuil de 125'000 fr. étant largement dépassé. Or, de l'avis des recourants, la solution adoptée en l'occurrence, à savoir l'inscription du montant litigieux au budget d'investissement, prive les citoyens de la possibilité de demander le référendum.
b) Lorsque le droit cantonal institue le référendum financier, il prévoit généralement d'y soumettre les dépenses nouvelles, à partir d'un certain montant, et d'en exclure les dépenses liées (cf. notamment Etienne Grisel, Initiative et référendum populaires, 2e éd. Berne 1997, p. 352 ss; Yvo Hangartner/Andreas Kley, Die demokratischen Rechte in Bund und Kantonen der Schweizerischen Eidgenossenschaft, Zurich 2000, p. 737 ss). Interprétant ces notions, le Tribunal fédéral considère qu'une dépense est liée lorsque son principe et son étendue sont fixés par une norme légale ou lorsqu'elle est absolument nécessaire à l'accomplissement d'une tâche étatique prévue par la loi, voire à l'exécution d'une décision déjà prise. Une dépense est en revanche nouvelle lorsqu'elle se rapporte à une tâche qui sort du champ d'activité antérieur de l'administration ou lorsqu'elle découle d'un acte normatif qui laisse à l'autorité une marge de manoeuvre relativement importante quant à l'ampleur de la dépense ou à ses modalités; elle n'est, en d'autres termes, pas impérativement dictée par un texte en vigueur (ATF 125 I 87 consid. 3b p. 90/91 et les arrêts cités). Le texte de l'art. 56 Cst. /GE ne limite pas expressément le référendum financier aux dépenses nouvelles. Toutefois, comme le droit constitutionnel cantonal exclut le référendum contre les dépenses ou investissements figurant dans le budget (art. 54 Cst. /GE) et que généralement, les dépenses portées au budget sont des dépenses liées (cf. Grisel, op. cit. , p. 356), on peut en déduire que ce système soustrait les dépenses liées au référendum financier et qu'il correspond globalement, sur ce point, aux autres systèmes cantonaux.
c) Dans sa réponse au recours, le Grand Conseil relève que les citoyens auraient pu exercer leurs droits politiques en demandant un vote populaire au sujet des subventions accordées pour le nouveau stade de football (aux Charmilles ou à La Praille), directement après l'adoption de la loi n° 7263 du 26 avril 1996, voire après l'adoption des modifications du 19 juin 1997. Les décisions de base - prises sous la forme d'une loi - fixant le montant de la dépense nouvelle que constitue le crédit d'investissement de 20'000'000 fr. et définissant l'affectation de ce crédit, étaient en effet soumises au référendum en vertu de la règle générale de l'art. 53 Cst. /GE, voire en vertu de la règle spéciale de l'art. 56 Cst. /GE applicable aux lois entraînant des dépenses. Le droit constitutionnel cantonal offrait donc la possibilité au corps électoral de se prononcer en temps voulu sur la dépense nouvelle. Les recourants ne le contestent pas.
La subvention litigieuse de 3'000'000 fr., à verser en 2001, est une tranche annuelle - selon la terminologie de l'art. 4 de la loi n° 7263 - de la subvention globale de 20'000'000 fr.; en d'autres termes, elle fait partie de ce dernier montant et ne s'y ajoute pas. Il ressort en effet clairement du dossier qu'avec l'évolution du projet, la rénovation du stade des Charmilles ayant été abandonnée au profit de la construction d'un nouveau stade à La Praille, le versement du solde de la subvention cantonale a été différé. Le Grand Conseil, en adoptant la novelle du 19 juin 1997, s'est prononcé à ce sujet: il a d'une part ajouté à la loi n° 7263 un art. 3A mentionnant le nouveau projet, et il a d'autre part modifié l'art. 3 al. 2 de cette loi, en repoussant de deux ans le terme auquel les conditions principales à l'octroi de la subvention devaient être réalisées. Sous l'angle du référendum financier, la tranche contestée de la subvention cantonale doit manifestement être considérée comme une dépense liée. La décision du Grand Conseil de l'inscrire au budget 2001 est conforme à sa nature de dépense liée (cf.
supra, consid. 2b). En vertu de la règle claire de l'art. 54 Cst. /GE, une telle dépense ne peut pas être soumise au référendum.
d) Dans sa réponse, le Grand Conseil indique que le droit cantonal fixe, dans la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat de Genève (LGF), différentes modalités pour les subventions (art. 35 ss LGF) et les crédits d'investissement (art. 52 ss LGF). Le parlement doit en principe respecter ces exigences lorsqu'il adopte le budget qui arrête les montants annuels des subventions. Les griefs des recourants portent sur ces modalités, plus spécialement sur la durée pendant laquelle des tranches annuelles de la subvention globale de 20'000'000 fr. peuvent être versées. Selon eux, la décision d'allouer la tranche annuelle pour 2001 serait dépourvue d'une base légale, la loi n° 7263 du 26 avril 1996 ne mentionnant en son art. 4 que les tranches 1996, 1997 et 1998 (cf. art. 36 al. 2 let. a LGF, qui dispose que les aides financières doivent reposer sur une loi déterminant une durée de validité dans le temps), et elle violerait la règle de l'art. 52 LGF définissant les conditions des crédits d'investissement.
Or, celui qui reproche à une autorité cantonale, lorsqu'elle décide d'une dépense non soumise au référendum financier, de violer le principe de la légalité, ne peut pas agir par la voie du recours de droit public au sens de l'art. 85 let. a OJ; seule la voie du recours pour violation de droits constitutionnels des citoyens, au sens de l'art. 84 al. 1 let. a OJ, peut entrer en considération (ATF 123 I 41 consid. 6b et les arrêts cités). Un tel recours n'a pas été formé dans le cas particulier.
3.- Il s'ensuit que le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable.
Le Tribunal fédéral ne perçoit en principe pas d'émolument judiciaire (cf. art. 153 ss OJ) lorsqu'il statue sur un recours de droit public selon l'art. 85 let. a OJ. Il ne se justifie pas de déroger à cette pratique dans le cas particulier. L'Etat de Genève n'a pas droit à des dépens (art. 159 al. 2 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours de droit public, dans la mesure où il est recevable;
2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire, ni alloué de dépens;
3. Communique le présent arrêt en copie aux recourants (à l'adresse d'Yves Jeanmairet) et au Grand Conseil de la République et canton de Genève.
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Lausanne, le 26 avril 2001 JIA/col
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,