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Original
 
[AZA 1/2]
4P.146/2001
Ie COUR CIVILE
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19 juillet 2001
Composition de la Cour: MM. Leu, juge présidant, Corboz et
Nyffeler, juges. Greffier: M. Ramelet.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
Crédit Suisse S.A., succursale de Genève, représentée par Me Michel Bergmann, avocat à Genève,
contre
l'ordonnance rendue le 31 mai 2001 par la Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose la recourante à IAM Independent Asset Management S.A., à Genève, représentée par Me Kamen Troller, avocat à Genève;
(droit des marques; mesures provisionnelles; arbitraire)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- La société IAM Independent Asset Management S.A. à Genève, qui a pour but de fournir des services dans le domaine de la gestion de fortune, est titulaire de la marque suisse "IAM" déposée le 26 juin 1998 et de la marque internationale "IAM" déposée le 12 juillet 1998; la société utilise régulièrement cette marque pour désigner ses produits et services.
La banque Crédit Suisse S.A. utilise sur ses sites Internet les mots "IAM" et "IAM LINK" pour désigner sa division chargée des relations avec les gérants de fortune professionnels indépendants qui s'occupent des avoirs en dépôt auprès de la banque.
B.- Le 17 avril 2001, la société IAM Independent Asset Management S.A. a déposé auprès de la Cour de justice du canton de Genève une requête de mesures provisionnelles dirigée contre Crédit Suisse S.A., concluant à ce qu'il soit fait défense à cette dernière, sous menace des peines prévues par l'art. 292 CP, d'utiliser les dénominations "IAM" et "IAM LINK".
Par ordonnance du 31 mai 2001, la Cour de justice a fait interdiction à Crédit Suisse S.A., soit à ses organes, sous la menace des peines d'arrêts ou d'amendes prévues par l'art. 292 CP pour insoumission à une décision de l'autorité, d'utiliser les dénominations "IAM" et "IAM LINK", prises isolément ou conjointement, dans la conduite de ses affaires, notamment pour offrir ou fournir des services financiers, sur son papier à lettres, ses enseignes, ses prospectus, son site Internet et dans toute autre correspondance, publicité et moyen de communication. Un délai de 30 jours a été imparti à la société requérante pour intenter une action sur le fond.
En substance, la cour cantonale a estimé que la mesure provisionnelle sollicitée était justifiée sous l'angle du droit des marques et du droit de la concurrence déloyale, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si elle l'était également sous l'angle du droit d'auteur.
C.- Crédit Suisse S.A. forme un recours de droit public au Tribunal fédéral contre cette ordonnance. Faisant état d'une violation des art. 9 et 29 Cst. , elle conclut à l'annulation de la décision attaquée. Elle a sollicité par ailleurs l'effet suspensif, qui a été refusé par ordonnance présidentielle du 3 juillet 2001.
L'intimée conclut au rejet du recours, alors que l'autorité cantonale se réfère aux considérants de son ordonnance.
Considérant en droit :
1.- a) Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre une décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ).
Sous réserve des exceptions prévues par la loi, il n'est recevable qu'à l'encontre d'une décision finale (art. 87 OJ). Dans le cas du recours de droit public, la jurisprudence admet que la décision qui met fin à la procédure sur mesures provisionnelles doit être considérée comme une décision finale; même si elle devait être qualifiée de décision incidente, il faudrait reconnaître, en raison de sa nature, qu'elle cause un dommage irréparable ouvrant la voie d'un recours immédiat (ATF 118 II 369 consid. 1; 108 II 69 consid. 1; 103 II 120 consid. 1 et les arrêts cités).
Le recours n'est pas recevable dans la mesure où le grief invoqué pouvait faire l'objet d'un autre recours fédéral (art. 84 al. 2 OJ). Le recours en réforme n'est cependant pas ouvert contre une décision sur mesures provisionnelles, parce qu'elle ne statue pas sur la prétention matérielle, mais seulement sur une protection provisoire (ATF 115 II 297 consid. 2). Il est donc possible d'examiner, dans le recours de droit public, si le droit fédéral a été violé d'une manière qui porte atteinte aux droits constitutionnels de la recourante.
Il n'est pas douteux que la décision attaquée a été rendue en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ).
La recourante est personnellement touchée par la décision attaquée, qui lui ordonne de renoncer provisoirement à certaines dénominations, de sorte qu'elle a un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cette décision n'ait pas été prise en violation de ses droits constitutionnels; en conséquence, elle a qualité pour recourir (art. 88 OJ).
Sous réserve d'exceptions non réalisées en l'espèce, le recours de droit public n'est qu'une voie de cassation et ne peut tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée (ATF 127 III 279 consid. 1b; 127 II 1 consid. 2c).
b) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 127 III 279 consid. 1c; 126 III 534 consid. 1b).
Lorsqu'un recourant invoque une violation arbitraire du droit cantonal, il doit indiquer avec précision quelles dispositions cantonales auraient été violées et expliquer en quoi la décision prise à ce sujet serait insoutenable (ATF 110 Ia 1 consid. 2a).
2.- En l'espèce, la recourante invoque deux dispositions constitutionnelles: les art. 9 et 29 Cst.
a) S'agissant de l'art. 29 Cst. , qui garantit le droit à un procès équitable, le droit d'être entendu et le droit à l'assistance judiciaire gratuite, la recourante n'explique pas en quoi l'un ou l'autre des principes contenus dans cette disposition constitutionnelle aurait été violé par la décision attaquée. Faute d'une motivation répondant aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur ce grief.
b) Il reste à examiner s'il y a eu, comme le soutient la recourante, une violation de l'interdiction de l'arbitraire garantie par l'art. 9 Cst.
Selon la jurisprudence, l'arbitraire ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 126 I 168 consid. 3a; ATF 125 I 166 consid. 2a; 125 II 10 consid. 3a, 129 consid. 5b).
aa) Il n'est pas contesté que l'intimée utilise la marque "IAM" pour distinguer ses produits et services de ceux des concurrents (cf. art. 1 al. 1 de la loi fédérale du 28 août 1992 sur la protection des marques et des indications de provenance, RS 232. 11; ci-après: LPM). Il est également admis que cette marque a été dûment enregistrée (art. 5 LPM) et que la recourante, de son côté, n'a pas déposé antérieurement la même marque ou une marque similaire (art. 6 LPM). En conséquence, l'intimée a en principe le droit exclusif de faire usage de la marque pour distinguer les produits et les services enregistrés et d'en disposer (art. 13 al. 1 LPM). On ne voit pas en quoi l'art. 1 LPM, invoqué par la recourante, aurait été appliqué arbitrairement.
La recourante soutient que la marque "IAM" n'est pas susceptible de protection parce qu'elle appartiendrait au domaine public (art. 2 let. a LPM). Il s'agirait en outre d'un sigle ou acronyme dépourvu du caractère d'originalité et d'individualisation nécessaire à la protection conférée par le droit des marques.
Appartiennent au domaine public les désignations qui ont un caractère descriptif et font référence à la nature, aux propriétés, à la composition, à l'emploi ou aux effets d'un produit ou d'un service; une déformation du mot ou une association d'idées ne suffisent pas à rendre la désignation protégeable si son caractère descriptif transparaît sans fantaisie particulière. Pour qu'une désignation appartienne au domaine public, il suffit qu'elle ait un caractère descriptif dans l'une des langues nationales (ATF 127 III 160 consid. 2b/aa et les arrêts cités).
Le mot "IAM" n'existe dans aucune des quatre langues nationales. Il n'évoque pas de façon immédiate un mot connu dans l'une de ces langues. Il n'apparaît pas non plus qu'il soit bien connu du public suisse en tant que mot d'une langue étrangère. Quant à la contraction des mots anglais "I AM" ("je suis"), on ne voit pas en quoi elle pourrait avoir un caractère descriptif des produits financiers et services de l'intimée.
En considérant le mot en tant que tel, il faut ainsi constater que sa signification n'est pas évidente pour le public suisse.
Certes, il peut suffire que la désignation ait un caractère descriptif dans un cercle restreint d'agents économiques concerné par le produit ou le service (Lucas David, Commentaire bâlois, n. 9 ad art. 2 LPM et les références citées).
Au stade des mesures provisionnelles, le juge n'est pas tenu de procéder à une administration complète des preuves, qui se confondrait avec le procès sur le fond; il doit statuer sur la base des éléments immédiatement disponibles qui lui sont présentés. Or, la recourante elle-même a soutenu dans la procédure cantonale que le sigle "IAM", dans le milieu professionnel de la gestion de fortune, pouvait être compris de deux manières différentes: Independent Asset Management ou Institutional Asset Management. Dans ces circonstances, on ne saurait dire que sa signification est claire et indiscutée. Dès lors, la cour cantonale n'a pas apprécié arbitrairement les preuves en concluant que la recourante n'était pas parvenue à rendre vraisemblable que le mot "IAM", pour les clients de produits et services financiers, était un mot descriptif relevant du domaine public. En conséquence, l'art. 2 let. a LPM n'a pas été violé arbitrairement.
Quant au moyen ayant trait à la nullité de la marque, il s'agit d'un moyen de fond, sur lequel il ne saurait être statué en instance provisionnelle, comme l'a bien vu la Cour de justice.
bb) Il ressort clairement des faits retenus que la recourante utilise la marque de l'intimée ("IAM") sans être au bénéfice d'un droit préférable.
Selon l'art. 13 al. 2 LPM, le titulaire de la marque peut interdire à des tiers l'usage des signes dont la protection est exclue en vertu de l'art. 3 al. 1 LPM. En l'espèce, la recourante emploie une marque identique ("IAM") pour des services similaires et il en résulte manifestement un risque de confusion (sur cette notion: cf. ATF 122 III 382 consid. 1; 121 III 377 consid. 2); les conditions de l'art. 3 al. 1 let. b LPM paraissant réunies, le titulaire de la marque est en principe en droit d'interdire l'utilisation de celle-ci par la recourante (art. 13 al. 2 let. b , c et e LPM), ce que la cour cantonale a constaté au stade des mesures provisionnelles.
Quant au mot "IAM LINK", il est analogue à la marque enregistrée ("IAM") et destiné à des produits ou services similaires, de sorte qu'il produit un risque de confusion (cf. art. 3 al. 1 let. c LPM); en effet, le terme "LINK" n'a aucun caractère distinctif sur le réseau Internet et la formule utilisée signifie simplement "la liaison de IAM".
Partant, l'intimée pouvait également - sans qu'il soit nécessaire que la cour cantonale s'attarde à le démontrer - faire interdiction provisoire d'utiliser cette dénomination en se référant à l'art. 13 al. 2 LPM qui renvoie à l'art. 3 al. 1 LPM.
L'autorité cantonale a retenu que l'utilisation par la recourante des désignations "IAM" et "IAM LINK" était de nature à faire croire que la marque "IAM" se rattachait au groupe de la recourante, ce qui pouvait inciter la clientèle à s'adresser directement à la grande banque, provoquant ainsi une érosion de la clientèle de l'intimée difficile à établir.
Ce raisonnement résiste manifestement au grief d'arbitraire au sens de la définition rappelée ci-dessus. Du moment que l'intimée a rendu vraisemblable qu'elle subissait une violation de son droit à la marque et que celle-ci risquait de lui causer un préjudice difficilement réparable, elle était en droit de requérir des mesures provisionnelles (art. 59 al. 1 LPM) et le juge pouvait, à titre provisoire, ordonner la cessation du trouble (art. 59 al. 2 LPM). On ne voit donc pas que l'art. 59 LPM ait été violé arbitrairement.
Que l'art. 59 al. 4 LPM renvoie à l'art. 28c CC - également cité par la recourante - ne change rien à cet égard, puisque l'art. 28c CC contient, sur les points pertinents, des principes analogues à ceux figurant déjà à l'art. 59 LPM.
Sur la base du même état de fait, la cour cantonale a estimé que la recourante avait pris des mesures de nature à faire naître une confusion avec les prestations d'autrui (art. 3 let. d LCD), ce qui donne également matière à des mesures provisionnelles en application de l'art. 14 LCD. Si ce fondement juridique est superflu, il n'apparaît d'ailleurs pas que les dispositions citées auraient été enfreintes de manière insoutenable.
cc) La recourante invoque encore une violation arbitraire de l'art. 320 de la loi genevoise de procédure civile (LPC gen.). Cette disposition ne fait que désigner la juridiction compétente, comme l'indique son titre marginal, et on ne voit pas qu'elle ait été violée arbitrairement, puisque l'art. 31 al. 2 let. b de la loi cantonale d'organisation judiciaire prévoit par exception, dans le domaine de la propriété intellectuelle, la compétence de la Cour de justice.
La recourante ne tente d'ailleurs pas de démontrer que la cour cantonale serait incompétente. Le grief est ainsi insuffisamment motivé (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 122 I 70 consid. 1c; 119 Ia 197 consid. 1d). La recourante ne critique pas non plus la procédure suivie. Quant aux conditions d'octroi des mesures provisionnelles, elles sont régies directement par le droit fédéral en cette matière, de sorte que la référence au droit cantonal est ici incompréhensible.
Que l'intimée n'ait pas agi immédiatement en justice n'a pas pour effet de la déchoir de son droit.
Que la modification de ses sites Internet puisse entraîner des frais pour la recourante n'est pas un argument de nature à lui permettre, a posteriori, de s'affranchir de son obligation de respecter les marques d'autrui.
dd) Pour terminer, la recourante reproche à la cour cantonale de ne pas avoir astreint l'intimée à fournir des sûretés. La disposition applicable, à savoir l'art. 28d al. 3 CC, accorde au juge une simple faculté; la disposition cantonale citée (art. 328 LPC gen.) n'a pas un contenu différent.
Il faut en déduire que le juge dispose en l'occurrence d'un large pouvoir d'appréciation. In casu, l'intimée est une société ayant son siège en Suisse, apparemment solvable, dont l'action au fond paraît présenter de sérieuses chances de succès. Dans ces circonstances, l'autorité cantonale n'a pas fait un usage arbitraire du large pouvoir d'appréciation qui lui est reconnu par le législateur, en décidant de ne pas astreindre l'intimée à fournir des sûretés.
3.- Le recours étant entièrement infondé, les frais et dépens doivent être mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours;
2. Met un émolument judiciaire de 5000 fr. à la charge de la recourante;
3. Dit que la recourante versera à l'intimée une indemnité de 6000 fr. à titre de dépens;
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Cour de justice du canton de Genève.
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Lausanne, le 19 juillet 2001 ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Juge présidant,
Le Greffier,