[AZA 0/2]
1P.372/2001
Ie COUR DE DROIT PUBLIC
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2 août 2001
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Nay et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante. Greffier: M. Kurz.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
H.________, représenté par Me Benoît Bovay, avocat à Lausanne,
contre
l'arrêt rendu le 30 avril 2001 par le Tribunal administratif du canton de Vaud, dans la cause qui oppose le recourant auxépoux A.________ et à la Municipalité de Prangins;
(permis de construire)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Le 1er octobre 2000, les époux A.________ ont déposé une demande de permis de construire portant sur l'agrandissement de leur maison d'habitation, sur la parcelle n° 609 de la commune de Prangins, située en zone de faible densité. A l'habitation existante, de 111 m2, devait notamment s'ajouter une nouvelle habitation d'une surface à peu près équivalente, reliée à l'ancienne par un module sur un niveau, d'une longueur d'environ 4 m, comprenant buanderie et cuisine.
B.- Mis à l'enquête publique le 20 octobre 2000, le projet a suscité l'opposition de H.________, propriétaire de la parcelle voisine n° 355. Celui-ci relevait que le module de liaison entre les bâtiments était à toit plat, ce qui n'était autorisé que pour les dépendances, en principe non habitables. Le bâtiment projeté ne pouvait être considéré comme un agrandissement, de sorte qu'une distance de 10 m devait être observée entre les bâtiments principaux. Il s'agissait en outre de la construction d'un nouveau logement, alors que le bâtiment original était déjà conçu comme habitation à deux logements.
C.- L'opposition a été levée le 22 novembre 2000 par la Municipalité de Prangins. Seule la partie de liaison était à toit plat, ce qui permettait de garder l'existant dans son état et d'intégrer l'extension de manière satisfaisante. Le toit plat présentait d'ailleurs un impact restreint. Le bâtiment existant et son agrandissement formaient un tout, de sorte qu'il n'y avait pas de limite à respecter. La construction globale ne devait comprendre que deux logements au maximum.
D.- Par acte du 13 décembre 2000, H.________ a recouru auprès du Tribunal administratif vaudois, en reprenant ses arguments, soutenant que la construction projetée constituait un nouveau logement indépendant, compte tenu notamment du style très différent des deux constructions.
E.- Par arrêt du 30 avril 2001, le Tribunal administratif a rejeté le recours. S'agissant de l'élément de liaison entre les bâtiments, seule la buanderie était recouverte d'un toit plat, la cuisine étant couverte par un toit incliné.
La réglementation autorisait les toits plats pour les dépendances de moins de 40 m2; la buanderie ne pouvait certes pas être considérée comme une dépendance, mais la municipalité pouvait accorder des dérogations pour des raisons d'esthétique ou d'intégration. La partie à toit plat de l'élément de liaison permettait de bien intégrer la nouvelle construction.
La partie en verre de la toiture constituait aussi une dérogation admissible. Le recourant ne pouvait prétendre d'une part qu'il n'y avait pas dépendance, et soutenir d'autre part qu'il y avait création d'un bâtiment indépendant nécessitant le respect de la distance entre constructions. Le bâtiment existant comprenait un seul logement, et une clause spéciale serait insérée dans le permis de construire rappelant que seuls deux logements étaient autorisés dans la zone de faible densité.
F.- Par acte du 31 mai 2001, H.________ forme un recours de droit public contre ce dernier arrêt, dont il requiert l'annulation. Il demande également l'effet suspensif.
Le Tribunal administratif conclut au rejet du recours en se référant aux considérants de son arrêt et en formulant quelques remarques supplémentaires. La Municipalité se réfère au dossier. Les époux A.________ ne se sont pas déterminés.
L'effet suspensif a été accordé, faute d'opposition, par ordonnance du 2 juillet 2001.
Considérant en droit :
1.- a) Le recours de droit public est interjeté dans le délai et les formes utiles contre un arrêt final rendu en dernière instance cantonale.
b) Le recourant se plaint d'une violation de ses droits de partie, en particulier de son droit à une audience publique (art. 30 al. 3 Cst. et 6 par. 1 CEDH). En tant que partie à la procédure cantonale, il a qualité pour soulever un tel grief.
Le recourant se plaint par ailleurs d'une application arbitraire des dispositions du règlement communal sur les constructions et l'aménagement du territoire (RCAT) relatives à la distance entre bâtiments. Il estime qu'une application correcte de ces dispositions devrait conduire à l'élaboration d'un projet entièrement remanié, d'un impact moindre sur son dégagement, son ensoleillement et sa vue. Le recourant ne saurait toutefois se contenter d'énumérer les inconvénients que le projet actuel engendrerait pour lui. Il doit également démontrer, pour satisfaire aux conditions de l'art. 88 OJ, que les dispositions dont il se prévaut tendent au moins dans une certaine mesure à la protection de ses intérêts de voisin. En matière d'autorisation de construire, le Tribunal fédéral reconnaît la qualité pour recourir au voisin s'il invoque la violation de dispositions du droit des constructions qui sont destinées à le protéger ou qui ont été édictées à la fois dans l'intérêt public et dans celui des voisins (ATF 127 I 44 consid. 2c p. 46). Il doit en outre se trouver dans le champ de protection des dispositions dont il allègue la violation, et être touché par les effets prétendument illicites de la construction ou de l'installation litigieuse (ATF 121 I 267 consid. 2 p. 268 et les arrêts cités).
Il ne peut ainsi se prévaloir des principes généraux de la planification, des prescriptions sur la protection de la nature et du paysage (ATF 116 Ia 433 consid. 2a p. 437) et des clauses d'esthétique (ATF 118 Ia 232 consid. 1b p. 235; 112 Ia 88 consid. 1b p. 90), qui tendent exclusivement à préserver l'intérêt public. Il peut en revanche invoquer les prescriptions relatives aux distances, aux dimensions des bâtiments et à la densité des constructions, qui sont des règles mixtes (ATF 118 Ia 232 consid. 1b p. 235).
En l'occurrence, le recourant se prévaut de l'art. 5.3 RCAT, qui impose une distance de dix mètres entre deux bâtiments sis sur une même propriété. Comme l'explique le recourant lui-même, cette disposition a pour but de garantir la distance - de cinq mètres - aux limites de propriété en cas de remaniement parcellaire; elle ne tend donc pas directement à la protection des voisins, et l'effet favorable que le recourant entend en retirer n'est qu'indirect. La question de la qualité pour agir sur ce point peut toutefois demeurer indécise, puisque les griefs soulevés doivent de toute façon être écartés (consid. 3 ci-après).
2.- Le recourant invoque les art. 30 al. 3 Cst. et 6 par. 1 CEDH. La première disposition lui donnerait un droit à des débats publics, indépendamment de l'existence d'un droit de caractère civil. Il estime que l'art. 6 par. 1 CEDH serait de toute façon applicable, dès lors que le projet litigieux porterait atteinte à la valeur de son bien-fonds.
a) L'art. 6 par. 1 CEDH garantit notamment le droit à ce qu'une cause portant sur des droits et obligations de caractère civil soit jugée en audience publique. Le principe de la publicité de l'audience et du prononcé figure également à l'art. 30 al. 3 Cst. , mais cette disposition, limitée aux procédures judiciaires mentionnées à l'art. 30 al. 1 Cst. , n'impose pas des débats dans tous les cas. Cette protection ne va pas plus loin que celle qui découle de la CEDH (ATF 126 I 228 consid. 2a/aa et la doctrine citée).
b) Selon la jurisprudence, les propriétaires voisins - en l'occurrence d'un plan de quartier - qui se plaignent de la violation de normes tendant entre autre à les protéger, invoquent des "droits et obligations de caractère civil", et ont droit en principe à la tenue d'une audience publique (ATF 127 I 44). Point n'est besoin de se demander si cette jurisprudence doit aussi s'appliquer sans autre au propriétaire voisin qui s'oppose à une autorisation de construire, ni de résoudre la question, laissée indécise ci-dessus, de l'effet protecteur des normes invoquées par le recourant. En effet, supposé applicable, l'art. 6 par. 1 CEDH n'a pas été violé en l'espèce.
c) La jurisprudence du Tribunal fédéral et des organes de Strasbourg admet que le droit à des débats publics peut faire l'objet d'une renonciation. Celle-ci peut être expresse ou tacite, mais doit en tout cas être sans équivoque.
Tel est le cas lorsque la procédure se déroule habituellement sans audience publique et que le justiciable ne présente pas de demande dans ce sens (ATF 127 I 44 consid. 2e/aa p. 48, 122 V 47 consid. 2d p. 52). Le juge peut également renoncer à une audience publique lorsque les questions à résoudre sont hautement techniques, lorsqu'il y a lieu de tenir compte de l'exigence de célérité, ou en présence de recours irrecevables ou manifestement mal fondés (ATF 122 V 47 consid. e-f p. 53/54).
aa) Le recourant prétend qu'il ignorait la possibilité d'obtenir une audience publique. Le 16 janvier 2001, le Tribunal administratif lui avait communiqué les observations de la Municipalité et des constructeurs. Cette communication précise: "Sauf réquisition présentée par l'une ou l'autre des parties d'ici au 31 janvier 2001 et tendant à compléter l'instruction, le Tribunal administratif statuera à huis-clos et communiquera son arrêt par écrit aux parties". Non assisté d'un avocat, le recourant ne pouvait connaître la portée exacte de son droit d'être entendu, qui comprend le droit d'obtenir l'administration de preuves (art. 48 LPJA) et le droit à des débats publics (art. 49 LPJA). Dans la pratique, le Tribunal administratif tiendrait de nombreuses audiences; ce serait même la règle en matière de construction. Le recourant devait donc se voir proposer une audience publique et une visite sur place. Le mode de procéder et la communication laconique du tribunal heurteraient le droit à une administration complète de la cause découlant du droit d'être entendu, et le principe de la bonne foi.
bb) Contrairement à ce que soutient le recourant, l'information qui lui a été donnée était parfaitement claire.
L'avis du Tribunal mentionne la possibilité de requérir un complément d'instruction, ce qu'un justiciable non assisté peut aisément comprendre. Il est ensuite indiqué, que, sauf réquisition, le Tribunal statuera à huis-clos, ce qui exclut tout aussi clairement des débats publics, et qu'il communiquera par écrit son arrêt, ce qui signifie qu'il ne sera pas prononcé publiquement. Face à une telle information, le recourant était à même de comprendre la portée d'une inaction dans le délai imparti. Il pouvait facilement en déduire, a contrario, les droits qu'il pouvait exercer. Selon l'art. 44 LPJA, la procédure devant le Tribunal administratif est en principe écrite; l'art. 49 al. 1 LPJA prévoit que des débats peuvent être fixés, d'office ou sur requête motivée. Il en ressort que l'absence de débats est la règle. Le recourant soutient que la pratique du Tribunal administratif serait plus souple, notamment en matière de constructions. On imagine toutefois mal que le recourant ait eu connaissance d'une telle pratique, et qu'il ait pu en déduire que des débats et une inspection locale seraient organisés d'office. De toute manière, la communication du tribunal était parfaitement claire quant aux intentions du juge dans le cas d'espèce. On peut dès lors admettre qu'en se bornant à déposer une écriture complémentaire, sans requérir d'actes d'instruction ou de débats, le recourant y a valablement renoncé.
3.- Le recourant se plaint ensuite d'une application arbitraire du règlement communal, en particulier de son article 5.2 qui impose l'ordre non contigu. Des bâtiments accolés ne seraient admissibles que si leur construction a lieu simultanément.
Dans les autres cas, comme celui d'espèce, la distance de 10 m devrait être respectée. Le recourant estime que la construction projetée constitue bien un bâtiment distinct, mais relève qu'en dehors des cas où les façades sont aveugles - ce qui permet de réduire la distance à 3 m -, l'ordre non contigu et la distance de 10 m devaient être respectés.
Tel qu'il est soulevé, le grief apparaît comme nouveau.
En effet, si le recourant soutenait, dans son recours cantonal, que le nouveau et l'ancien bâtiments ne pouvaient être considérés comme une seule et même construction, et qu'il y avait adjonction d'un nouveau logement, il n'indiquait toutefois pas clairement la conclusion qu'il entendait en tirer. Le Tribunal administratif en a déduit que le recourant invoquait le respect des distances entre bâtiments, selon l'art 5.3 RCAT. Il a répondu que les deux bâtiments formaient un tout constituant un ensemble architectural, une liaison intérieure étant prévue entre les deux logements. Or, le recourant ne prétend pas que cette appréciation serait arbitraire:
il argumente maintenant sur la base de l'art. 5.2 relatif à l'ordre contigu, et à la simultanéité des constructions.
Un tel argument est irrecevable, faute d'avoir été soumis à la cour cantonale. De toute manière, l'argumentation nouvelle développée par le recourant ne change rien au fait que, sur le vu des motifs de l'arrêt attaqué, il n'est pas arbitraire de retenir que le projet contesté constitue un agrandissement du bâtiment existant.
4.- Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable.
Un émolument judiciaire est mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Les époux A.________ n'ayant pas procédé, il n'est pas alloué de dépens.
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours dans la mesure où il est recevable.
2. Met à la charge du recourant un émolument judiciaire de 5000 fr.
3. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.
4. Communique le présent arrêt en copie aux parties et au Tribunal administratif du canton de Vaud.
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Lausanne, le 2 août 2001 KUR/col
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,