BGer P 54/2000
 
BGer P 54/2000 vom 03.09.2001
[AZA 7]
P 54/00 Ws
Ière Chambre
Mme et MM. les juges fédéraux Lustenberger, Président,
Schön, Spira, Widmer et Ursprung. Greffier : M. Beauverd
Arrêt du 3 septembre 2001
dans la cause
Office fédéral des assurances sociales, Effingerstrasse 20, 3003 Berne, recourant,
contre
H._________, intimée,
et
Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne
A.- H._________, née en 1966, divorcée, est au bénéfice d'une rente de l'assurance-invalidité depuis le 1er septembre 1992, ainsi que d'une prestation complémentaire.
Par décision du 11 juin 1999, la Caisse cantonale vaudoise de compensation AVS, par son agence d'O. _________, a fixé le montant mensuel de cette dernière prestation à 967 fr. dès le 1er avril 1999. Au titre du revenu, elle a tenu compte de la rente de l'assurance-invalidité (14 766 fr.). Au chapitre des déductions, elle a pris en considération la couverture des besoins vitaux (16 460 fr.) et le loyer annuel (9900 fr.), soit un montant total de 26 360 fr.
H._________ a déménagé d'O. _________ à L._________ en compagnie de son ami B._________. Ayant appris que les prénommés faisaient ménage commun, la caisse, par son agence de L._________, a procédé à un nouveau calcul de la prestation complémentaire servie à H._________. Par décision du 29 septembre 1999, elle a fixé le montant mensuel de cette prestation à 230 fr. dès le 1er septembre précédent. Au titre des revenus, elle a pris en compte, outre la rente d'invalidité (14 736 fr.), un salaire en nature pour la rémunération du travail ménager fourni par la requérante en faveur de B._________. Le montant du salaire retenu à ce titre était de 5813 fr. Au chapitre des déductions, figuraient la couverture des besoins vitaux (16 460 fr.) et le loyer annuel (6840 fr.).
B.- H._________ a recouru contre cette décision devant le Tribunal des assurances du canton de Vaud, en concluant implicitement à l'octroi d'une prestation complémentaire d'un montant plus élevé. A l'appui de son recours, elle faisait valoir que son ami n'était pas en mesure d'assumer une rémunération en échange de la tenue du ménage commun.
L'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a été invité par le juge chargé de l'instruction de la cause à se déterminer au sujet de la prise en compte, dans la détermination du revenu donnant droit à une prestation complémentaire, d'un revenu hypothétique provenant d'une activité lucrative au titre de la "rémunération du ménage", lorsque la requérante, vivant en concubinage, s'occupe exclusivement du ménage commun. Le juge relevait à cet égard que, selon un arrêt récent du Tribunal fédéral des assurances (ATF 125 V 205), la femme qui vit maritalement avec un homme, sans être mariée avec celui-ci, et qui, en échange de la tenue du ménage commun, à laquelle elle se consacre exclusivement, reçoit de son compagnon des prestations en nature (sous forme de nourriture et de logement), et éventuellement de l'argent de poche, doit, en ce qui concerne son statut de cotisante, être considérée comme une personne n'exerçant pas d'activité lucrative, contrairement à la pratique consacrée jusqu'alors par la jurisprudence.
Dans sa détermination du 29 février 2000, l'OFAS a proposé implicitement le rejet du recours, motif pris que le changement de jurisprudence précité n'avait pas d'incidence en matière de prestations complémentaires à l'AVS/AI.
Par jugement du 4 avril 2000, la juridiction cantonale a annulé la décision entreprise et renvoyé la cause à la caisse, afin qu'elle effectue un nouveau calcul de la prestation complémentaire due à partir du 1er septembre 1999, en s'abstenant de tenir compte des prestations en nature ou en espèces reçues par la requérante en échange de la tenue du ménage commun.
C.- L'OFAS interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont il requiert l'annulation, en concluant au rétablissement de la décision de la caisse du 29 septembre 1999.
H._________ n'a pas répondu au recours. De son côté, la caisse propose implicitement l'admission de celuici.
Considérant en droit :
1.- Les ressortissants suisses qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse, et qui ont droit à une demi-rente ou à une rente entière de l'assurance-invalidité, ont droit à une prestation complémentaire si les dépenses reconnues sont supérieures aux revenus déterminants (art. 2 al. 1 en liaison avec l'art. 2c let. a LPC).
2.- a) Selon l'art. 3c al. 1 let. a LPC, les revenus déterminants comprennent notamment les ressources en espèces ou en nature provenant de l'exercice d'une activité lucrative. Un montant de 1000 fr. pour les personnes seules et de 1500 fr. pour les couples et les personnes qui ont des enfants ayant ou donnant droit à une rente est déduit du revenu annuel provenant de l'exercice d'une activité lucrative, le solde étant pris en compte à raison des deux tiers.
b) D'après la jurisprudence et la doctrine, les prestations en nature et l'argent de poche éventuel versés par une personne qui vit en concubinage à son partenaire en échange de la tenue du ménage commun doivent être pris en considération, dans le calcul des prestations complémentaires, lors de l'établissement du revenu déterminant (SVR 1997 EL no 37, p. 111; RCC 1974 p. 510, 1968 p. 113; Erwin Carigiet, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV: Darstel- lung, Charakterisierung und Wirkungsweise, Zurich 1995, p. 123; Alexandra Rumo-Jungo, Bundesgesetz über Ergänzungs- leistungen zur Alters-, Hinterlassenen- und Invalidenversi- cherung, in: Murer/Stauffer [éd. ], Rechtsprechung des Bun- desgerichts zum Sozialversicherungsrecht, Zurich 1994, p. 21). Toutefois, en ce domaine, la situation des concubins ne trouve pas de solutions schématiques : pour que l'on puisse parler de rémunération en nature, il faut que celui qui est censé fournir des prestations d'entretien soit économiquement en mesure de le faire, ce qui est en tout cas exclu lorsqu'un homme et une femme mettent en commun, pour les compléter, des ressources insuffisantes ou pour le moins modiques (SVR 1997 EL no 37 p. 111; RCC 1974 p. 512 consid. 1). Ces principes ont été repris par l'Office fédéral des assurances sociales au ch. m. 2077 de ses directives concernant les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI (DPC). Aux termes de cette directive, une rémunération pour la tenue du ménage ne peut être prise en compte pour calculer la prestation complémentaire revenant à une personne vivant en concubinage que si et dans la mesure où la personne avec laquelle elle vit est économiquement capable de fournir cette rémunération.
3.- La juridiction cantonale a considéré que les principes jurisprudentiels ci-dessus exposés devaient être abandonnés à la suite de l'adoption par le Tribunal fédéral des assurances de la nouvelle jurisprudence concernant le statut de cotisante de la femme qui vit maritalement avec un homme sans être mariée avec celui-ci (ATF 125 V 205).
Aux termes de cette jurisprudence, la femme qui, en échange de la tenue du ménage commun, à laquelle elle se consacre exclusivement, reçoit de son compagnon des prestations en nature (sous forme de nourriture et de logement), et éventuellement de l'argent de poche, doit être considérée comme une personne n'exerçant pas d'activité lucrative; les prestations en nature, de même que l'argent de poche éventuel, ne constituent donc pas un salaire déterminant au sens de l'art. 5 al. 2 LAVS.
Selon les juges cantonaux, cette nouvelle jurisprudence interdit de considérer ces prestations en nature ou en espèces comme des revenus déterminants provenant de l'exercice d'une activité lucrative au sens de l'art. 3c al. 1 let. a, première phrase LPC.
4.- Ce point de vue ne saurait être partagé.
a) Les buts visés par les législations sur l'assurance-vieillesse et survivants, d'une part, et sur le régime des prestations complémentaires, d'autre part, sont différents.
La solution adoptée dans l'assurance-vieillesse et survivants pour les concubins vise un but de protection sociale, qui est de garantir à l'intéressé une rente future d'un certain niveau. Or, ce but a été concrétisé en grande partie par le biais des correctifs apportés par la dixième révision de l'AVS en ce qui concerne les personnes sans activité lucrative, notamment lorsqu'elles accomplissent des tâches éducatives ou d'assistance (prise en compte de bonifications au sens des art. 29sexies et 29septies; ATF 125 V 217 consid. 7f/aa). En revanche, en matière de prestations complémentaires, il s'agit uniquement, conformément à la loi, de prendre en considération l'ensemble des ressources de l'intéressé, afin de ne pas détourner les prestations complémentaires de leur but, qui est d'assurer un revenu minimum aux bénéficiaires de rentes de l'assurance-vieillesse et survivants et de l'assurance-invalidité se trouvant dans le besoin (ATF 117 V 291 consid. 3b; SVR 1997 EL no 37 p. 111).
b) Par ailleurs, la prise en compte du revenu de la personne vivant en concubinage dans le revenu déterminant pour le droit à une prestation complémentaire se justifie par analogie avec l'aide sociale. En particulier, si l'assuré(e) tient le ménage de son (sa) partenaire, il est légitime de considérer qu'il (elle) a droit à un dédommagement qui devra être pris en considération dans le revenu déterminant (Felix Wolffers, Grundriss des Sozialhilferechts, 2ème édition, Berne 1999, p. 160; arrêt du TF non publié K. du 24 août 1998, 2P.386/1997). Malgré le changement de jurisprudence consacré par l'arrêt ATF 125 V 205, le ch. m. 2077 DPC apparaît donc conforme à la loi.
Cette solution est seule compatible avec le droit à l'égalité de traitement des assurés mariés et de ceux qui vivent en concubinage (art. 8 al. 2 Cst.). Certes, la jurisprudence admet que ce droit n'exclut pas un traitement différent des couples mariés et des couples vivant en concubinage, notamment dans le domaine des cotisations aux assurances sociales (ATF 125 V 228 sv. consid. 3e/bb et cc). Toutefois, dans la mesure où cela paraît possible sans difficultés excessives, il convient d'éviter de telles différences de traitement qui peuvent se révéler choquantes ou du moins inéquitables. Tel serait incontestablement le cas si l'on ne tenait aucun compte, lors du calcul du revenu déterminant le droit aux prestations complémentaires, du droit de l'assuré vivant en concubinage à un dédommagement pour le travail qu'il fournit en tenant le ménage commun, alors même que son partenaire dispose d'un revenu suffisant pour lui fournir un tel dédommagement (en espèces ou en na- ture, selon les normes applicables dans l'assurance-vieil- lesse et survivants). Il n'y a donc pas lieu de modifier la jurisprudence rappelée au consid. 2b.
5.- En l'espèce, le montant pris en compte dans la décision litigieuse au titre de la rémunération du travail ménager fourni par l'intimée en faveur de son compagnon n'a pas fait l'objet d'un examen concret par les premiers juges. Or il n'est guère possible de comprendre comment la caisse l'a déterminé et encore moins pourquoi elle a estimé de manière différente le revenu déterminant de l'intéressée lorsque celle-ci a déménagé d'O. _________ à L._________. En conséquence, ne serait-ce que pour préserver le droit des parties à la double instance de recours, le dossier de la cause doit être renvoyé à la juridiction cantonale pour qu'elle examine le recours de l'intimée sous cet angle.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances
prononce :
I. Le recours est admis en ce sens que le jugement du
Tribunal des assurances du canton de Vaud du 4 avril
2000 est annulé et le dossier de la cause renvoyé
audit tribunal pour instruction complémentaire et nouveau
jugement au sens des motifs.
II. Il n'est pas perçu de frais de justice.
III. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du canton de Vaud et à la Caisse cantonale vaudoise de compensation AVS/AI
Lucerne, le 3 septembre 2001
Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la Ière Chambre :
Le Greffier :