[AZA 0/2]
1A.133/2001/viz
Ie COUR DE DROIT PUBLIC
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11 septembre 2001
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Catenazzi.
Greffier: M. Zimmermann.
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Statuant sur le recours de droit administratif
formé par
X.________ S.A., à Panama (PA), représentée par Me Philipp Ganzoni, avocat à Genève,
contre
l'ordonnance de transmission rendue le 12 juillet 2001 par le Ministère public de la Confédération;
(Entraide judiciaire internationale)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Le 14 octobre 1996, Francesco Greco, Procureur de la République auprès du Tribunal de Milan, a adressé à l'Office fédéral de la police (ci-après: l'Office fédéral) une demande fondée sur la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale, conclue à Strasbourg le 20 avril 1959, entrée en vigueur le 12 juin 1962 pour l'Italie et le 20 mars 1967 pour la Suisse (CEEJ; RS 0.351. 1). Cette demande était présentée pour les besoins de la procédure ouverte contre A.________, soupçonné de faux dans les bilans ( art. 2621 et 2640 CC it.), d'abus de confiance (art. 646 CP it., mis en relation avec les art. 61 ch. 7 et 11 de la même loi), de financement illicite de partis politiques (art. 7 de la loi n°195 du 2 mai 1974 et 4 de la loi n°659 du 18 novembre 1981), ainsi que de recel (art. 648 CP it.). Selon l'exposé des faits joint à la demande, A.________ aurait, avec de nombreux complices, disposé de fonds détournés dans la gestion de la société nationale Y.________ et de sociétés dépendant de la société nationale Y.________. A.________ aurait reçu des fonds destinés au Parti socialiste italien.
L'enquête en cours avait permis d'établir que les anciens dirigeants de la société Z.________ Spa, dépendant de la société nationale Y.________, se seraient appropriés des fonds d'un montant de plus de 241 milliards LIT, dont 113 milliards LIT auraient été acheminés, directement ou par le truchement d'autres sociétés, sur les comptes ouverts auprès de la banque K.________ à Genève (ci-après: la Banque), et dont A.________ était le titulaire ou l'ayant droit. D'anciens dirigeants de la société Q.________ Spa auraient détourné un montant de plus de 255 milliards LIT, dont un montant de 112 milliards LIT aurait été acheminé sur les comptes ouverts auprès de la Banque pour être réimporté ensuite en Italie.
La demande tendait à l'identification des comptes ouverts auprès de la Banque, sur lesquels A.________ détiendrait un pouvoir de disposition, et qui auraient été utilisés pour la gestion des fonds détournés au détriment de la société nationale Y.________ et des sociétés contrôlées par lui. Le Procureur Greco a requis en outre la saisie de fonds déposés sur ces comptes et de la documentation y relative, l'audition d'employés de la Banque et la perquisition des locaux utilisés par A.________.
Le 15 octobre 1996, l'Office fédéral a délégué l'exécution de la demande au Ministère public de la Confédération.
Le 26 juillet 1997, l'Etat requérant a complété la demande.
Selon ce complément, A.________ était également poursuivi pour blanchiment d'argent, en relation avec les faits évoqués à l'appui de la demande du 14 octobre 1996. Il ressortait des informations et documents transmis par la Suisse dans le cadre d'autres procédures concernant A.________ que celui-ci aurait, avec l'aide de B.________ et de C.________, acheminé auprès de la Banque des montants considérables détournés des sociétés Q.________, Z.________ et W.________.
Une partie de ces fonds aurait été versée sur des comptes détenus par des sociétés tierces. Le Procureur Greco a demandé à pouvoir connaître les ayants droit de quarante-deux comptes (dont celui portant le n°XXX) et de quarante-et-une sociétés.
Le 29 juillet 1997, le Ministère public est entré en matière. Il a invité la Banque à vérifier l'existence des comptes visés dans la demande du 26 juillet 1997 et à en identifier les titulaires et ayants droit.
La Banque s'est exécutée et a bloqué plusieurs comptes, dont celui portant le n°XXX.
Entendu le 27 janvier 1998 à Milan par le Procureur Greco, A.________ a indiqué que le compte n°XXX appartiendrait à un Anglais dénommé D.________.
Entendu le 30 janvier 1998 à Bellinzone par le Procureur général de la Confédération pour l'exécution d'une demande d'entraide adressée par la Suisse à l'Italie, A.________ a précisé que D.________, ressortissant indien résidant à Londres, serait un client privé, sans doute une connaissance de B.________, n'ayant rien à voir avec la société nationale Y.________.
Le 5 février 1998, le Ministère public a ordonné le séquestre de la documentation concernant trente-deux comptes dont celui portant le n°XXX.
La Banque a remis la documentation concernant ce compte, sous une enveloppe scellée.
Le 21 février 2000, l'Etat requérant a demandé la remise de la documentation relative au compte n°XXX, sur lequel auraient été transférés des montants provenant d'autres comptes utilisés par A.________, C.________ et un dénommé E.________. La remise de ces documents était nécessaire pour vérifier l'implication dans l'affaire d'un dénommé F.________, ancienne relation d'affaire de A.________.
En regard d'une référence au compte n°XXX, celui-ci avait porté l'annotation manuscrite "YYY". Les autorités italiennes présumaient que cette mention se rapportait au rôle qu'aurait pu jouer F.________, désigné par les initiales de ses nom et prénom, dans une affaire concernant la ligne du train à haute vitesse ("alta velocità") reliant Milan et Bologne, contrat dans le cadre duquel des fonds avaient été détournés.
Le 6 décembre 2000, le Ministère public a ordonné la transmission à l'Etat requérant de la documentation concernant le compte n°XXX. Estimant superflu d'engager une procédure de levée des scellés auprès du Tribunal fédéral, le Ministère public a ordonné que la documentation en question soit remise "telle quelle". Il a considéré, en bref, qu'il ressortait de la procédure que A.________ avait cherché à cacher aux autorités italiennes l'identité véritable du bénéficiaire du compte n°XXX; que F.________ avait, comme ingénieur du groupe Q.________, occupé la fonction de président du consortium chargé du projet de ligne à haute vitesse; qu'il existait dès lors un lien suffisant entre le compte en question et la procédure ouverte en Italie.
Par arrêt du 13 mars 2001, le Tribunal fédéral a admis partiellement, au sens des considérants, le recours de droit administratif formé par la société X.________ S.A.
(ci-après: la Société) contre la décision de clôture du 6 décembre 2000, qu'il a annulée en renvoyant la cause au Ministère public pour nouvelle décision (procédure 1A.3/2001). Le Tribunal fédéral a considéré que le procédé consistant à remettre à l'Etat requérant les pièces mises sous scellés, sans levée de ceux-ci, n'était pas compatible avec les règles protégeant le domaine secret et le principe de la proportionnalité (ATF 127 II 151).
B.- Le 7 mai 2001, le Ministère public a procédé à le levée des scellés, en présence des représentants de la Banque. Ceux-ci ont pu constater que les scellés étaient intacts. Selon le procès-verbal établi à cet effet, le contenu de l'enveloppe "était conforme à ce que la Banque avait adressé" au Ministère public.
Dans le délai que celui-ci lui avait imparti, la Société a conclu à ce que l'identité d'un de ses ayants droit, décédé, ne soit pas dévoilée et que ne soient pas transmis les documents relatifs à vingt-deux virements effectués sur le compte n°XXX.
Le 12 juillet 2001, le Ministère public a ordonné la transmission de l'intégralité de la documentation recueillie.
C.- Agissant par la voie du recours de droit administratif, X.________ S.A. demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision de clôture du 12 juillet 2001 et de renvoyer la cause au Ministère public pour nouvelle décision.
Elle invoque le principe de la proportionnalité.
Le Ministère public et l'Office fédéral proposent le rejet du recours.
Considérant en droit :
1.- a) La Confédération suisse et la République italienne sont toutes deux parties à la CEEJ. Les dispositions de ce traité l'emportent sur le droit autonome qui régit la matière, soit la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale, du 20 mars 1981 (EIMP) et son ordonnance d'exécution (OEIMP), qui sont applicables aux questions non réglées, explicitement ou implicitement, par le droit conventionnel et lorsque cette loi est plus favorable à l'entraide que la Convention (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136; 122 II 140 consid. 2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, et les arrêts cités), sous réserve du respect des droits fondamentaux (ATF 123 II 595 consid. 7c p. 617).
b) La voie du recours de droit administratif est ouverte contre la décision confirmant la transmission de la documentation bancaire à l'Etat requérant (art. 25 al. 1 EIMP).
c) La recourante a qualité pour agir selon l'art. 80h let. b EIMP, mis en relation avec l'art. 9a let. a OEIMP, contre la transmission de la documentation relative au compte n°XXX, dont elle est la titulaire (ATF 126 II 258 consid. 2d/aa p. 260; 125 II 356 consid. 3b/bb p. 362; 123 II 161 consid. 1d/aa p. 164; 122 II 130 consid. 2a p. 132/133). Elle n'est en revanche pas habilitée à intervenir dans le seul intérêt de la loi ou d'un tiers (ATF 125 II 356 consid. 3b/aa p. 361/362; 124 II 499 consid. 3b p. 504; 123 II 542 consid. 2e p. 545, et les arrêts cités).
2.- La recourante se plaint de la violation du principe de la proportionnalité.
a) Ne sont admissibles, au regard des art. 3 CEEJ et 64 EIMP, que les mesures de contrainte conformes au principe de la proportionnalité. L'entraide ne peut être accordée que dans la mesure nécessaire à la découverte de la vérité recherchée par les autorités pénales de l'Etat requérant. La question de savoir si les renseignements demandés sont nécessaires ou simplement utiles à la procédure pénale instruite dans l'Etat requérant est en principe laissée à l'appréciation des autorités de cet Etat. L'Etat requis ne disposant généralement pas des moyens lui permettant de se prononcer sur l'opportunité de l'administration des preuves déterminées au cours de l'instruction menée à l'étranger, il ne saurait substituer sur ce point sa propre appréciation à celle du magistrat chargé de l'instruction. La coopération internationale ne peut être refusée que si les actes requis sont sans rapport avec l'infraction poursuivie et manifestement impropres à faire progresser l'enquête, de sorte que la demande apparaît comme le prétexte à une recherche indéterminée de moyens de preuve (ATF 122 II 367 consid. 2c p. 371; 121 II 241 consid. 3a p. 242/243; 120 Ib 251 consid. 5c p. 255). Le principe de la proportionnalité empêche aussi l'autorité requise d'aller au-delà des requêtes qui lui sont adressées et d'accorder à l'Etat requérant plus qu'il n'a demandé (ATF 121 II 241 consid. 3a p. 243, 118 Ib 111 consid. 6 p. 125, 117 Ib 64 consid. 5c p. 68 et les arrêts cités). Au besoin, il lui appartient d'interpréter la requête selon le sens que l'on peut raisonnablement lui donner; rien ne s'oppose à une interprétation large de celle-ci, s'il est établi que, sur cette base, toutes les conditions à l'octroi de l'entraide sont remplies; ce mode de procéder évite aussi une éventuelle demande complémentaire (ATF 121 II 241 consid. 3a p. 243). Il incombe à la personne visée de démontrer, de manière claire et précise, en quoi les documents et informations à transmettre excéderaient le cadre de la demande ou ne présenteraient aucun intérêt pour la procédure étrangère (ATF 122 II 367 consid. 2c p. 371/372). Lorsque la demande vise à éclaircir le cheminement de fonds d'origine délictueuse, il convient d'informer l'Etat requérant de toutes les transactions opérées au nom des sociétés et des comptes impliqués dans l'affaire (ATF 121 II 241 consid. 3c p. 244).
b) La recourante a eu l'occasion de participer au tri des pièces après la levée des scellés, le Ministère public s'étant conformé en tous points à l'arrêt de renvoi (ATF 127 II 151 consid. 5b p. 159). Après avoir procédé à la levée des scellés en présence des représentants de la Banque - à l'exclusion de ceux de la recourante et de ses ayants droit - et constaté que l'enveloppe descellée contenait la documentation relative au compte n°XXX, le Ministère public a invité la recourante (qui connaît les documents de son compte) à se déterminer. La recourante s'est exécutée en indiquant quels documents ne devaient pas, selon elle, être transmis. Le Ministère public a ensuite rendu la décision de clôture attaquée, rejetant les objections de la recourante.
Celle-ci a ainsi eu l'occasion de se prononcer, de manière effective, sur le sort de la documentation saisie, avant que le Ministère public ne se prononce. Pour le surplus, il ne ressort pas du procès-verbal de la levée des scellés que les représentants de la Banque n'auraient pas vérifié le contenu de l'enveloppe descellée.
c) La recourante s'oppose à ce que soit dévoilée l'identité de G.________, décédé en 1991, qui était, avec son frère F.________, l'ayant droit du compte n°XXX. Sur le vu de la jurisprudence rappelée ci-dessus, la recourante n'est pas habilité à soulever un tel grief. Au demeurant, contrairement à ce qu'elle soutient, la communication de cette information est utile à la procédure ouverte dans l'Etat requérant, malgré le fait qu'aucune action pénale ne peut plus être ouverte contre G.________. Il est en effet possible que celui-ci ait pu jouer un rôle dans l'affaire.
Si tel était le cas, la révélation de son identité pourrait mettre en lumière d'autres aspects du déroulement des faits.
d) Selon la recourante, il n'y aurait pas lieu de transmettre la documentation relative à des mouvements de fonds effectués depuis le compte n°XXX en faveur de membres de la famille de F.________, séjournant à Londres ou à Dubai. Sur ce point aussi, la recourante n'est pas habilitée à agir, car son intervention se résume à défendre les intérêts de tiers. En outre, les autorités de l'Etat requérant ont un intérêt manifeste à connaître la destination des fonds ayant transité sur le compte n°XXX, afin de déterminer le sort du produit de l'infraction qui aurait été commise.
Au demeurant, il n'est de prime abord pas exclu que les familiers de F.________ aient joué dans ce contexte un rôle de receleurs.
3.- Le recours doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est recevable. Les frais en sont mis à la charge de la recourante (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens (art. 159 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours dans la mesure où il est recevable.
2. Met à la charge de la recourante un émolument de 5000 fr. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.
3. Communique le présent arrêt en copie au mandataire de la recourante, au Ministère public de la Confédération et à l'Office fédéral de la justice.
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Lausanne, 11 septembre 2001 ZIR
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,