BGer 6S.380/2001 |
BGer 6S.380/2001 vom 13.11.2001 |
{T 0/2}
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6S.380/2001/DXC
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C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
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Séance du 13 novembre 2001
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Composition de la Cour: MM. Schubarth, Président,
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Schneider, Wiprächtiger, Kolly et Karlen, Juges.
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Greffière: Mme Revey.
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__________
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Statuant sur le pourvoi en nullité
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formé par
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A.________, représenté par Me Gérald Benoît, avocat à
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Genève,
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contre
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l'arrêt rendu le 27 avril 2001 par la Cour de cassation
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genevoise dans la cause qui oppose le recourant au Procu-
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reur général du canton de G e n è v e;
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(art. 146 CP: escroquerie)
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Vu les pièces du dossier d'où ressortent
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les f a i t s suivants:
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A.- Par arrêt du 9 octobre 2000, la Cour correc-
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tionnelle avec jury de Genève a condamné A.________, né
|
en 1958, à seize mois d'emprisonnement pour escroquerie,
|
révoquant de plus un sursis antérieur assortissant une
|
peine de six mois d'emprisonnement. La Cour a par ail-
|
leurs ordonné la confiscation et la dévolution à
|
B.________ d'un téléphone portable. La condamnation repo-
|
sait en résumé sur les faits suivants:
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a) En octobre 1997, A.________, se présentant sous
|
le nom de C.________, a pris contact avec B.________, em-
|
ployée de la société X.________ SA à Genève. Après divers
|
téléphones - et après s'être fait remettre des disques à
|
titre gratuit -, il lui a affirmé qu'il travaillait pour
|
une société Y.________, active dans la production de
|
films. Par la suite, il a gagné sa confiance en l'appe-
|
lant à de très nombreuses reprises et en lui faisant
|
croire, par téléphone et par écrit, qu'il souhaitait en-
|
tretenir une relation amoureuse avec elle. B.________ n'a
|
toutefois jamais pu le rencontrer physiquement,
|
A.________ trouvant régulièrement des excuses, en ap-
|
parence plausibles, pour éviter de lui être confronté.
|
Elle lui a néanmoins fait confiance, croyant à la sincé-
|
rité des innombrables lettres et messages qu'il lui
|
adressait et de ses appels téléphoniques répétés. Fort de
|
cette confiance, A.________ a obtenu de B.________
|
qu'elle commande pour lui une grande quantité de disques
|
pour plusieurs dizaines de milliers de francs, respecti-
|
vement qu'elle achète pour son compte un appareil télé-
|
phonique portable. De même, il a fait en sorte qu'elle
|
souscrive pour lui, mais à ses frais, deux abonnements de
|
téléphone auprès de Swisscom, dont il a profité à concur-
|
rence d'environ 15'000 francs. Par des affirmations men-
|
songères, A.________ a en outre fait croire à B.________
|
qu'il entretenait des relations bancaires et que ses ac-
|
tifs lui permettaient d'assumer ses obligations.
|
b) En novembre 1997, A.________ a commandé auprès
|
d'une autre société divers articles, d'une valeur totale
|
de 25'000 francs environ, qu'il n'a toutefois jamais
|
payés. De même, en juin 1999, il a réservé une chambre
|
auprès d'un hôtel de Genève, séjour qu'il n'a jamais ac-
|
quitté.
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B.- Statuant le 27 avril 2001, la Cour de cassation
|
du canton de Genève a partiellement admis le recours for-
|
mé par A.________ contre ce prononcé, au sens où elle n'a
|
confirmé l'escroquerie qu'en ce qui concerne B.________,
|
a libéré le recourant des deux autres accusations et a
|
renvoyé la cause à l'autorité inférieure pour nouvelle
|
décision sur la peine. S'agissant du cas de B.________,
|
elle a constaté les faits suivants:
|
"A.________ a volontairement et progressive-
|
ment fait naître un climat favorable (avec
|
B.________). Il a débuté par des contacts
|
téléphoniques de plus en plus fréquents et de
|
plus en plus cordiaux et amicaux. Il lui a
|
fait croire ensuite qu'il avait de profonds
|
sentiments amoureux pour elle. Il a enchaîné
|
appels téléphoniques incessants (jusqu'à cinq
|
à six fois par jour) et messages enflammés
|
(soixante-cinq billets ont été envoyés en
|
quelques mois à la victime). Comme l'a indi-
|
qué le jury dans son verdict, ce faisant,
|
A.________ a joué sur les sentiments et la
|
sensibilité de son interlocutrice, "la met-
|
tant à sa merci". Le fait que A.________
|
ait soigneusement et habilement évité toute
|
confrontation physique avec B.________, en
|
prétextant mille excuses, atteste en tant que
|
de besoin de sa volonté de tromperie et de
|
l'absence de toute sincérité. Fort de la re-
|
lation sentimentale qu'il a suscitée,
|
A.________ a pu éviter que sa victime ne vé-
|
rifie ses dires et ne découvre la tromperie
|
au sujet de sa véritable identité, de son ac-
|
tivité réelle, ainsi que sa précarité finan-
|
cière."
|
(...) (B.________) a passé commande de nom-
|
breux disques, l'accusé lui faisant croire
|
qu'il allait payer le prix de la marchandise,
|
ce qu'il n'a évidemment pas fait. Comme
|
B.________ l'a précisé lors de l'instruction,
|
les factures correspondant à des achats de
|
disques auprès de sociétés tierces étaient
|
libellées au nom de la victime. Le recourant
|
a lui-même admis dans son pourvoi qu'il
|
n'avait jamais payé un centime à B.________,
|
alors que celle-ci recevait les rappels des
|
fournisseurs. (...).
|
(...) la Cour correctionnelle n'a nullement
|
commis d'arbitraire en retenant que
|
A.________ n'avait pas l'intention de rem-
|
bourser ses victimes. Il a lui-même admis
|
qu'il n'avait pas payé un centime. Sa situa-
|
tion financière était obérée, l'intéressé
|
donnant lieu à des poursuites. Le fait même
|
qu'il se soit présenté sous une fausse iden-
|
tité ne s'explique que par la volonté de ca-
|
cher sa situation financière précaire. L'af-
|
firmation du jury qui a constaté que
|
B.________ était dans un rapport de dépen-
|
dance psychique par rapport à l'accusé n'est
|
pas manifestement insoutenable. Le recourant
|
a en effet habilement fait croire qu'il en-
|
tretenait une relation amoureuse avec sa vic-
|
time. Les téléphones incessants, comme les
|
multiples mots et lettres d'amour, le prou-
|
vent. Succombant au charme de son interlocu-
|
teur, la victime s'est trouvée à sa merci."
|
C.- Agissant par la voie du pourvoi en nullité,
|
A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt
|
du Tribunal cantonal du 27 avril 2001. Il invoque
|
l'art. 146 CP et requiert au surplus le renvoi de la
|
cause à la Cour de cassation pour nouvelle décision dans
|
le sens des considérants, soit pour qu'elle l'acquitte de
|
toute infraction d'escroquerie et annule la confiscation
|
prononcée.
|
Il a déposé simultanément un recours de droit pu-
|
blic, rejeté ce jour (6P.87/2001).
|
D.- La Cour de cassation se réfère à l'arrêt atta-
|
qué.
|
Considérant en droit :
|
1.- Une décision incidente peut faire l'objet d'un
|
pourvoi en nullité immédiat dans la mesure où elle tran-
|
che définitivement, sur le plan cantonal, une question de
|
droit fédéral (ATF 123 IV 252 consid. 1 et les arrêts ci-
|
tés). Tel est le cas en l'espèce, dès lors que le Tribu-
|
nal cantonal a définitivement reconnu le recourant cou-
|
pable d'escroquerie au préjudice de B.________.
|
Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral
|
est lié par les constatations de fait contenues dans la
|
décision attaquée (art. 277bis al. 1 PPF). L'appréciation
|
des preuves et les constatations de fait qui en découlent
|
ne peuvent pas faire l'objet d'un pourvoi en nullité,
|
sous réserve de la rectification d'une inadvertance mani-
|
feste. Le recourant ne peut pas présenter de griefs con-
|
tre des constatations de fait, ni de faits ou de moyens
|
de preuve nouveaux (art. 273 al. 1 let. b PPF). Dans la
|
mesure où il présenterait un état de fait qui s'écarte de
|
celui contenu dans la décision attaquée, il ne serait pas
|
possible d'en tenir compte. Autrement dit, le raisonne-
|
ment juridique doit être mené exclusivement sur la base
|
de l'état de fait retenu par l'autorité cantonale
|
(ATF 126 IV 65 consid. 1; 124 IV 81 consid. 2a, 92 con-
|
sid. 1 et les arrêts cités).
|
2.- Le recourant se plaint d'une violation de
|
l'art. 146 CP.
|
a) L'escroquerie (art. 146 CP) suppose, sur le plan
|
objectif, que l'auteur ait usé de tromperie, que celle-ci
|
ait été astucieuse, que l'auteur ait ainsi induit la vic-
|
time en erreur (sous réserve de l'erreur préexistante),
|
que cette erreur ait déterminé la personne trompée à des
|
actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux
|
d'un tiers et que la victime ait subi un préjudice patri-
|
monial (cf. ATF 119 IV 210 consid. 3; 118 IV 35 con-
|
sid. 2).
|
b) En l'espèce, le recourant conteste d'abord avoir
|
commis une tromperie au préjudice de B.________. Il re-
|
proche au Tribunal cantonal une motivation insuffisante à
|
cet égard, dès lors que les juges cantonaux se seraient
|
bornés à lui imputer "un véritable édifice mensonger".
|
Par ailleurs, il souligne en particulier qu'en matière
|
contractuelle, seul un lien spécifique entre les parties
|
impose à celui qui se tait l'obligation de parler pour
|
prévenir l'erreur du cocontractant.
|
aa) La tromperie peut être réalisée non seulement
|
par l'affirmation d'un fait faux, mais également par la
|
dissimulation d'un fait vrai. A ce dernier égard, on dis-
|
tingue la dissimulation d'un fait vrai par commission de
|
celle par omission (improprement dite), laquelle ne peut
|
constituer une tromperie que si l'auteur se trouve dans
|
une position de garant, à savoir s'il a, en vertu de la
|
loi, d'un contrat ou d'un rapport de confiance spécial,
|
une obligation qualifiée de renseigner (cf. ATF 121 IV
|
353 consid. 2b; 120 IV 98 consid. 2c; 117 IV 130 con-
|
sid. 2a; 113 IV 68 consid. 5a; 106 IV 276; Trechsel/Noll,
|
Schweizerisches Strafrecht, Allg. Teil I, 5e éd., Zurich
|
1998, p. 242 ss; Bernard Corboz, Les principales infrac-
|
tions, Berne 1997, nos 10 et 12 ad art. 146 CP [p. 141
|
s.]). Ainsi, d'un côté, celui qui déclare faussement, par
|
des affirmations expresses, qu'un fait n'existe pas, réa-
|
lise une tromperie par commission. D'un autre côté, celui
|
qui se borne à se taire, à savoir à ne pas révéler un
|
fait, agit par omission. Entre ces deux extrêmes, toutes
|
les nuances sont possibles. En particulier, le silence
|
peut constituer dans certaines circonstances un acte con-
|
cluant, partant, une tromperie par commission (silence
|
dit qualifié; Günter Stratenwerth, Schweizerisches Straf-
|
recht, Bes. Teil I, 5e éd., Berne 1995, § 15 n° 14;
|
Martin Schubarth, Kommentar zum schweizerischen Straf-
|
recht, Bes. Teil, vol. 2, Berne 1990, n° 20 ad art. 148
|
aCP p. 140).
|
bb) En l'occurrence, le Tribunal cantonal a cons-
|
taté en faits, d'une manière qui lie le Tribunal fédéral
|
saisi d'un pourvoi en nullité, que le recourant s'est
|
présenté à B.________ sous le nom de C.________ et qu'il
|
a allégué travailler pour une société Y.________, active
|
dans la production de films. Il a de même fait croire à
|
sa victime qu'il allait payer le prix de la marchandise,
|
qu'il entretenait des relations bancaires et que ses ac-
|
tifs lui permettaient d'assumer ces obligations. Le Tri-
|
bunal cantonal a ainsi estimé que le recourant avait
|
trompé sa victime sur son identité, son activité, ses in-
|
tentions et sa situation financière. On ne saurait donc
|
reprocher aux juges cantonaux un défaut de motivation.
|
Il ressort en outre de ce qui précède que le recou-
|
rant n'a jamais eu l'intention de payer les prestations
|
commandées. De plus, il ne s'est pas contenté de dissimu-
|
ler des faits vrais, en renonçant à spontanément avouer
|
son absence d'activité et sa précarité financière, mais a
|
affirmé des faits faux, soit notamment qu'il exerçait une
|
profession et qu'il pouvait assumer les frais résultant
|
de ses commandes. Il n'a dès lors pas menti par omission
|
- ce qui ne pourrait constituer une tromperie au sens de
|
l'art. 146 CP qu'à des conditions particulières -, mais
|
par commission.
|
c) Le recourant conteste que l'astuce soit réali-
|
sée, dès lors que B.________ a manqué de procéder très
|
rapidement aux vérifications élémentaires concernant,
|
d'une part, son identité et sa solvabilité et, d'autre
|
part, la profondeur de ses sentiments, en provoquant di-
|
rectement une rencontre ou en tirant les conséquences
|
nécessaires de l'impossibilité de conclure un rendez-
|
vous.
|
aa) L'astuce est réalisée lorsque l'auteur recourt
|
à un édifice de mensonges, à des manoeuvres frauduleuses
|
ou à une mise en scène. Il y a cependant également as-
|
tuce, en l'absence de tels actes, lorsque l'auteur donne
|
simplement de fausses informations, si leur vérification
|
n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut
|
raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dis-
|
suade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des
|
circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison
|
d'un rapport de confiance particulier. Selon la jurispru-
|
dence récente, la possibilité de vérification doit aussi
|
être prise en compte même en présence d'édifice de men-
|
songes, de manoeuvres frauduleuses ou de mise en scène
|
(ATF 126 IV 165 consid. 2a; 125 IV 124 consid. 3a et les
|
arrêts cités).
|
En exigeant une astuce, la loi veut prendre en
|
compte la coresponsabilité de la victime. En conséquence,
|
pour apprécier si l'auteur a usé d'astuce, il ne suffit
|
pas de se livrer à un examen objectif et de se demander
|
comment une personne moyennement prudente et expérimentée
|
aurait réagi à la tromperie; il faut plutôt prendre en
|
considération la situation concrète et le besoin de pro-
|
tection de la dupe, telle que l'auteur la connaît et
|
l'exploite. Tel est le cas en particulier si la victime
|
est faible d'esprit, inexpérimentée ou diminuée en raison
|
de l'âge ou d'une maladie, mais aussi si elle se trouve
|
dans un état de dépendance, d'infériorité ou de détresse
|
faisant qu'elle n'est guère en mesure de se méfier de
|
l'auteur (ATF 126 IV 165 consid. 2a; 125 IV 124 con-
|
sid. 3a; 120 IV 186 consid. 1a et c). L'exploitation de
|
semblables situations constitue précisément l'une des
|
caractéristiques de l'astuce (ATF 120 IV 186 consid. 1a).
|
De même, il faut tenir compte des connaissances particu-
|
lières et de l'expérience en affaires de la dupe, telles
|
que celles d'une banque dans le cadre de l'octroi d'un
|
crédit (ATF 126 IV 165 consid. 2a). De plus, toujours
|
sous l'angle de la coresponsabilité de la victime, il
|
faut relever qu'il n'est pas nécessaire que la dupe ait
|
fait preuve de la plus grande diligence et qu'elle ait
|
recouru à toutes les mesures de prudence possibles; la
|
question n'est donc pas de savoir si elle a fait tout ce
|
qu'elle pouvait pour éviter d'être trompée (ATF 126 IV
|
165 consid. 2a; 122 IV 246 consid. 3a; ATF du 18 février
|
1998, reproduit in SJ 1998 p. 457 consid. 2; voir égale-
|
ment ATF 127 IV du 25 octobre 2001, en voie de publica-
|
tion). N'importe quelle négligence ne suffit pas à écar-
|
ter la dupe de la sphère de protection du droit pénal, il
|
faut un comportement véritablement léger ou insouciant
|
(ATF 126 IV 165 consid. 2a; Ursula Cassani, Der Begriff
|
der arglistigen Täuschung als kriminalpolitische Heraus-
|
forderung, RPS 1999 p. 152 ss, spéc. p. 163).
|
bb) En l'occurrence, pour déterminer si l'on est en
|
présence d'une astuce et d'un défaut de précautions élé-
|
mentaires, il faut tenir compte en premier lieu des sen-
|
timents amoureux de la victime envers le recourant.
|
Selon la doctrine, les états de dépendance, d'infé-
|
riorité ou de détresse qui amollissent les réflexes de
|
méfiance concernent notamment les personnes souffrant de
|
solitude et d'isolement social. Celles-ci sont en effet
|
grandement susceptibles de donner leur confiance à celui
|
qui sait exploiter ces sentiments. Le manque d'esprit
|
critique, et même la crédulité aveugle de telles victimes
|
sont notamment compréhensibles lorsque l'auteur leur fait
|
fallacieusement croire qu'il éprouve envers elles des
|
sentiments amoureux, comme dans le cas classique de
|
"l'escroquerie au mariage". Dans de telles circonstances,
|
le besoin impératif de trouver un partenaire tend à pré-
|
dominer sur tout esprit critique, au point que la crainte
|
de perdre le partenaire trouvé étouffe tout doute dans
|
l'oeuf. L'escroc au mariage - ou à l'amour - touche ainsi
|
au psychisme de sa victime de manière à lui faire oublier
|
sa prudence et sa retenue habituelles (Ursula Cassani,
|
op. cit., p. 167; Manfred Ellmer, Betrug und Opfermitver-
|
antwortung, Berlin 1986, p. 257 s.; voir également arrêts
|
cantonaux exposés in RSJ 1971 n° 100, RSJ 1963 n° 140 et
|
SJ 1958 p. 321).
|
En l'espèce, le recourant a faussement fait croire
|
à la victime qu'il éprouvait pour elle des sentiments
|
amoureux; ce faisant, il a en outre réussi à susciter en
|
elle un amour sincère. Celle-ci s'est alors trouvée dans
|
un état de "dépendance psychique", que le recourant a ex-
|
ploitée pour lui soutirer des prestations diverses, en
|
comptant à juste titre que la confiance quasi aveugle
|
qu'il avait ainsi éveillée empêcherait la victime de pro-
|
céder aux vérifications élémentaires concernant son iden-
|
tité, sa situation financière et sa profession. Par ail-
|
leurs, pour les mêmes motifs, il est compréhensible que
|
B.________ n'ait pas tout mis en oeuvre pour tester cet
|
amour, par exemple en imposant une rencontre.
|
d) Le recourant conteste ensuite que la tromperie
|
se situe en lien de motivation avec la volonté de
|
B.________ de procéder aux commandes et engagements liti-
|
gieux. Selon lui en effet, ces actes résultent uniquement
|
des sentiments amoureux de B.________ à son égard, de
|
sorte qu'ils sont indépendants de ses véritables identi-
|
té, solvabilité et profession.
|
A suivre le recourant, B.________ aurait ainsi
|
effectué les actes en question en sachant, en particu-
|
lier, qu'il ne travaillait pour aucune société liée à
|
l'industrie du disque et que sa situation financière
|
était complètement obérée. Elle aurait donc accepté de
|
lui offrir, par amour et sans attendre de paiement, pour
|
plusieurs dizaines de milliers de francs de prestations
|
diverses. Toutefois, outre que cette thèse est peu cré-
|
dible, elle contredit les faits retenus par la décision
|
attaquée, selon laquelle l'intéressé a fait croire à
|
B.________ qu'il entendait assumer ces frais.
|
e) Le recourant nie que les commandes de disques
|
aient déterminé chez sa victime un acte de disposition
|
patrimonial. D'après lui, B.________ a payé de son plein
|
gré des factures qui ne lui incombaient pas, dès lors que
|
celles-ci indiquaient le nom de la société X.________ ou
|
son nom lui-même. Du reste, B.________ a acquitté ces
|
factures plusieurs mois après les commandes, alors
|
qu'elle savait qu'il ne les honorerait vraisemblablement
|
jamais. Il s'agit donc de toute façon d'un acte subsé-
|
quent, sans lien de motivation avec le comportement du
|
recourant.
|
Dans le même sens, le recourant conteste que l'uti-
|
lisation des deux abonnements téléphoniques souscrits au-
|
près de Swisscom par B.________ (occasionnant des fac-
|
turations d'environ 15'000 francs selon la décision atta-
|
quée), soit en lien de motivation avec l'erreur de la
|
victime.
|
aa) L'escroquerie implique que l'erreur ait déter-
|
miné la dupe à disposer de son patrimoine. Il faut ainsi
|
un acte de disposition effectué par la dupe et un lien de
|
motivation entre cet acte et l'erreur.
|
L'acte de disposition est constitué par tout acte
|
ou omission qui entraîne "directement" un préjudice au
|
patrimoine. L'exigence d'une telle immédiateté résulte de
|
la définition même de l'escroquerie, qui implique notam-
|
ment que le dommage soit causé par un acte de disposition
|
du lésé lui-même (Selbstschädigung). Le préjudice est oc-
|
casionné "directement" lorsqu'il est provoqué exclusive-
|
ment par le comportement de la dupe, sans qu'une inter-
|
vention supplémentaire de l'auteur ne soit nécessaire
|
(cf. ATF 126 IV 113 consid. 3a).
|
En ce sens, il n'y a pas d'acte de disposition en-
|
traînant "directement" un préjudice lorsque le dommage
|
n'est réalisé qu'en vertu d'un acte subséquent, effectué
|
par l'auteur de son propre chef. En particulier, on ne se
|
trouve pas en présence d'une escroquerie lorsque la dupe
|
ne fait qu'ouvrir à l'auteur la possibilité de lui causer
|
un dommage par un acte postérieur: il s'agit alors uni-
|
quement d'une certaine mise en danger du patrimoine, qui
|
ne suffit en principe pas à constituer un dommage
|
(Schubarth, op. cit., n° 64 ad art. 148 aCP).
|
Ainsi, par exemple, obtenir une carte de crédit en
|
trompant astucieusement l'organisme d'émission ne réalise
|
pas, en soi, une escroquerie. En effet, la délivrance de
|
la carte ne fonde pas une obligation de paiement à charge
|
de l'émetteur, mais se borne à ouvrir au détenteur la
|
possibilité de soumettre ultérieurement l'émetteur à une
|
telle obligation. Le risque, soit la probabilité, qu'un
|
tel détenteur fasse usage de la carte ne constitue pas un
|
préjudice suffisant, de sorte que l'émetteur ne subit pas
|
de dommage au patrimoine par le seul octroi de la carte à
|
une personne insolvable ou non disposée à s'acquitter de
|
son dû. Le préjudice ne survient que lorsque ce déten-
|
teur, insolvable ou non disposé à s'acquitter de son dû,
|
fait effectivement usage de la carte et diminue de la
|
sorte la valeur de la créance de l'organisme d'émission à
|
son encontre (ATF 127 IV 68 consid. 2c/bb p. 74 et 2d
|
p. 75). Par ailleurs, l'utilisation de la carte ne réa-
|
lise pas davantage les conditions de l'escroquerie, dès
|
lors qu'il ne s'agit pas d'un acte de disposition effec-
|
tué par la dupe elle-même (Guido Jenny, Aktuelle Fragen
|
des Vermögens- und Urkundenstrafrechts, in RJB 1988,
|
p. 408 ss).
|
En revanche, obtenir un blanc-seing en trompant as-
|
tucieusement le signataire réalise, en soi, une escroque-
|
rie, notamment lorsque l'auteur n'a plus qu'à inscrire, à
|
la hauteur qui lui plaira, le montant dont le blanc-seing
|
lui permet de disposer. En effet, en octroyant un tel
|
blanc-seing, le signataire ne donne pas seulement à l'au-
|
teur la possibilité de disposer de son patrimoine, mais
|
il procède lui-même à un acte de disposition sur celui-
|
ci, car la délivrance du blanc-seing expose déjà son pa-
|
trimoine à un danger suffisamment concret pour entraîner,
|
en soi, un préjudice direct (cf. Schönke/Schröder/Cramer
|
Strafgesetzbuch, Kommentar, 26e éd., Munich 2001, § 263
|
N 61; voir aussi Karl Lackner, LK, § 263 N 154).
|
Par ailleurs, conformément à la lettre de la loi,
|
la dupe qui dispose du patrimoine atteint ne doit pas né-
|
cessairement se confondre avec le lésé. Toutefois, si la
|
dupe porte préjudice au patrimoine d'un tiers (par une
|
escroquerie dite triangulaire), l'art. 146 CP n'est réa-
|
lisé que si la dupe bénéficie d'un pouvoir de disposition
|
sur ce bien. Ce n'est en effet qu'à cette condition que
|
l'on peut imputer le comportement de la dupe au lésé et
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remplir ainsi la condition du dommage à soi-même
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("Selbstschädigung"). Encore faut-il préciser qu'une com-
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pétence de fait suffit, un pouvoir de disposition de
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droit n'étant pas nécessaire (ATF 126 IV 113 consid. 3a
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et les références citées).
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bb) En l'occurrence, il ressort de l'état de fait
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de l'arrêt attaqué que B.________ a passé commande de
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nombreux disques pour le compte du recourant, mais au nom
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de la société X.________ pour la plupart, du pseudonyme
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du recourant ou de son propre nom quant au surplus. Elle
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a agi de la sorte en croyant à tort à la volonté de paie-
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ment du recourant. Recevant les rappels des fournisseurs,
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elle s'est finalement résignée à acquitter toutes ces
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factures à sa place.
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S'agissant des commandes effectuées au nom de la
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société X.________, la question de savoir si le débiteur
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en était cette société ou B.________ personnellement,
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peut rester indécise. En effet, dans l'hypothèse où
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B.________ a agi au nom de la société, elle avait néces-
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sairement, en tant qu'employée, un pouvoir de disposition
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sur le patrimoine de celle-ci, pour le moins de fait. Il
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s'avère ainsi que B.________ a, pour le compte du recou-
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rant, conclu un contrat de vente entre les sociétés de
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disques et elle-même (ou la société X.________), qui lui
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imposait (ou à la société X.________) l'obligation de
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payer les frais y relatifs. Dès lors que le recourant
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n'avait pas l'intention d'acquitter ces factures, ces
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commandes ont, déjà à ce moment-là, impliqué un acte de
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disposition préjudiciable au patrimoine de B.________ (ou
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de la société X.________). Contrairement à ce que sou-
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tient le recourant, le dommage n'est ainsi pas survenu
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par un acte de disposition librement consenti et "subsé-
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quent" de B.________.
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Il n'en va pas différemment des disques dont la
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commande a été passée par B.________ (ou la société
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X.________), mais la facture rédigée au pseudonyme du re-
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courant.
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cc) En ce qui concerne les abonnements de téléphone
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souscrits pour le recourant par B.________, il est plus
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délicat de déterminer s'il existe un acte de disposition
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effectué par la dupe ainsi qu'un lien de motivation entre
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cet acte et l'erreur.
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Certes, il est manifeste que les frais d'abonne-
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ments proprement dits résultent directement d'un acte de
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disposition de B.________, soit de la conclusion du con-
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trat avec Swisscom, de sorte qu'ils sont indubitablement
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en lien de motivation direct avec l'erreur. En revanche,
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les frais de communications ne semblent pas découler, a
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priori, d'un acte de disposition de B.________, mais ex-
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clusivement d'actes postérieurs exécutés par le recourant
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de son propre chef, à savoir des appels qu'il a formés.
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Dans ces conditions, on peut se demander si ces coups de
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fil s'apparentent, ou non, à l'utilisation d'une carte de
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crédit obtenue frauduleusement de l'organisme d'émission,
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ce qui les soustrairait, cas échéant, à l'art. 146 CP.
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Les situations sont cependant différentes:
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Selon le consid. 2e/aa ci-dessus, c'est l'utilisation
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d'une carte de crédit, constituant en soi un acte juridi-
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que, qui fonde une obligation de paiement à charge de
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l'organisme d'émission. La délivrance de la carte ne crée
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pas, en elle-même, une telle obligation. En revanche,
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l'utilisation d'un abonnement de téléphone ne constitue
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pas un acte juridique fondant une obligation, mais une
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simple opération technique. C'est déjà la conclusion de
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l'abonnement qui génère, en elle-même, l'obligation de
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s'acquitter du prix des communications, seule la hauteur
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de cet engagement n'étant pas chiffrée, puisqu'elle dé-
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pend des communications qui seront établies ultérieure-
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ment.
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En l'occurrence, en souscrivant un abonnement avec
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Swisscom à son propre nom, B.________ s'est obligée à
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payer toutes les communications qui seraient effectuées
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avec l'appareil en cause. Toutefois, comme celui-ci était
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en possession du recourant et qu'aucun montant maximum
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n'avait été fixé avec Swisscom, la hauteur des frais de
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communication dépendait exclusivement de la volonté du
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recourant. La conclusion de ce contrat équivalait donc à
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l'octroi d'un blanc-seing illimité en sa faveur. Ainsi,
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en obtenant astucieusement de B.________ qu'elle sous-
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crive un abonnement de téléphone dans ces conditions, le
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recourant a commis une escroquerie portant non seulement
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sur les frais d'abonnements, mais également sur les frais
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de communications à venir. Par conséquent, les frais de
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communications effectivement survenus par la suite, que
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B.________ était tenue d'assumer, constituent un dommage
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résultant directement d'un acte de disposition de la
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victime. Ils sont donc en lien de motivation direct avec
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son erreur, à l'instar des frais d'abonnements proprement
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dits.
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f) Enfin, le recourant déclare ne pas remplir les
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conditions subjectives de l'escroquerie.
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aa) Sur le plan subjectif, l'auteur doit avoir agi
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intentionnellement et dans le dessein de se procurer ou
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de procurer à un tiers un enrichissement illégitime
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(ATF 119 IV 210 consid. 4a et b; 118 IV 35 consid. 2).
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Déterminer ce que l'auteur sait, envisage ou
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ignore, ce qu'il veut, accepte ou refuse relève des cons-
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tatations de faits, qui lient la Cour de cassation et ne
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peuvent être réexaminées dans un pourvoi en nullité
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(ATF 125 IV 242 consid. 3c; 123 IV 155 consid. 1a, 197
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consid. 2a, 202 consid. 1; 122 IV 156 consid. 2b).
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bb) En l'occurrence, il ressort des faits retenus
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par l'autorité intimée que le recourant a intentionnelle-
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ment suscité puis renforcé un sentiment amoureux chez
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B.________, dans le but de l'amener à commander diverses
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prestations en sa faveur et de bénéficier ainsi d'un en-
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richissement illégitime.
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g) En conclusion, le Tribunal cantonal n'a pas vio-
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lé le droit fédéral en imputant au recourant une escro-
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querie portant sur des disques pour plusieurs dizaines de
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milliers de francs, sur un appareil téléphonique porta-
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ble, sur la conclusion de deux abonnements de téléphone
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et sur les frais de communications y relatifs. De même,
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la confiscation de l'appareil en cause et sa dévolution à
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B.________ est conforme au droit fédéral.
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3.- Vu ce qui précède, le pourvoi en nullité doit
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être rejeté. Succombant, le recourant doit supporter les
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frais judiciaires (art. 278 PPF).
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Par ces motifs,
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le Tribunal fédéral :
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1. Rejette le pourvoi.
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2. Met un émolument judiciaire de 2'000 francs à la
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charge du recourant.
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3. Communique le présent arrêt en copie au manda-
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taire du recourant, à la Cour de cassation genevoise et
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au Procureur général du canton de Genève.
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___________
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Lausanne, le 13 novembre 2001
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Au nom de la Cour de cassation pénale
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du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
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Le Président,
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La Greffière,
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