[AZA 0/2]
4C.91/2000
Ie COUR CIVILE
****************************
23 novembre 2001
Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, juge, et
Aubert, juge suppléant. Greffier: M. Ramelet.
__________
Dans la cause civile pendante
entre
T.________, demandeur et recourant, représenté par Me Christian Bacon, avocat à Lausanne,
et
la commune X.________, défenderesse et intimée, représentée par Me Pierre-André Berthoud, avocat à Lausanne;
(contrat de travail; congé abusif nié)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Le 28 juin 1990, T.________ a été engagé par la commune X.________ comme psychologue à mi-temps, poste qui dépend du service médical de la direction des écoles. Il a été tout d'abord rattaché à l'établissement primaire de A.________.
Le 11 septembre 1991, T.________ a obtenu l'autorisation d'exercer à mi-temps une activité accessoire lucrative comme psychothérapeute.
En automne 1993, il a été affecté aux établissements de B.__________ et de C.__________.
Lors de son entrée en fonctions, en janvier 1994, la conseillère municipale directrice des écoles a donné aux membres du personnel communal la consigne de ne pas faire de déclaration écrite ni orale à la presse sans son consentement préalable. Cette instruction a été communiquée à T.________.
Le 21 juin 1994, T.________ a communiqué au chef du Département vaudois de l'instruction publique et des cultes un article qu'il avait rédigé, en l'informant de son intention de le publier dans la presse. Dans ce texte, T.________ a rappelé la réglementation selon laquelle les élèves de cinquième sont orientés, en fin d'année scolaire, vers trois branches distinctes, soit terminale à options, supérieure ou prégymnasiale, et cela en fonction des résultats obtenus. Il y a critiqué en des termes très vifs ce qu'il qualifie de sélection ou de ségrégation. On peut y lire notamment ce qui suit (art. 64 al. 2 OJ):
"Les vacances sont finies, vive la rentrée! Il est
à douter que ces cris de joie soient de mise dans
un secteur de la scolarité vaudoise soumis à une
réglementation ségrégationniste. Triste rappel, miniaturisé
certes, de ces lois scélérates qui gangrènent
- à l'échelle planétaire - les rapports entre
communautés ethniquement hétérogènes. Au niveau
vaudois, l'apartheid pour raison de faciès a tout
simplement été remplacé par la ségrégation du profil
(scolaire) (...)."
"En définitive, je suis d'avis que la législation
en vigueur dans le canton de Vaud pour les classes
de 5e constitue un acte grave de maltraitance infantile
(...)."
Ce texte a été publié par le journal Y.________ du 31 août 1994. L'auteur est présenté comme "psychothérapeute et psychanalyste à X.________"; il n'apparaît nullement comme fonctionnaire communal.
T.________ n'a pas avisé de la publication de ce texte son employeur, la commune X.________, ni aucun de ses collègues.
La Municipalité de X.________ n'est jamais intervenue pour critiquer l'article rédigé par T.________. Toutefois, la parution de cet article a suscité de vives réactions au sein du corps enseignant de B.__________, où le climat s'est dégradé. Les enseignants se sont sentis visés, non pas personnellement, mais comme représentants d'un système et exécutants d'une tâche; ils ont ressenti péniblement le reproche de ségrégationnisme. Un maître ayant enseigné en cinquième année a fait part de sa réprobation à T.________ dans une lettre du 5 septembre 1994, qui reflétait le sentiment de la plupart des enseignants de cinquième.
Le 22 septembre 1994, le chef de la section psycho-pédagogique du service médical des écoles a écrit notamment ce qui suit à T.________:
"Je n'entrerai pas en discussion sur le fond de votre
texte, vous laissant la liberté et la responsabilité
de vos opinions. Cependant, celui-ci me paraît
choquant dans sa forme, car il constitue une
attaque dont la violence est inacceptable.
J'ai reçu des réactions extrêmement négatives de la
part du corps enseignant et de directeurs d'établissements
secondaires. Elles témoignent d'une
grave détérioration de vos relations avec les maîtres
de l'école de B.__________, allant jusqu'à
leur refus de collaborer avec vous à l'avenir. Un
sentiment général de trahison de votre part a été
exprimé; en effet, la publication de cet article
peu de jours avant les réunions de parents d'élèves
de 5e a été ressentie par les enseignants comme un
sabotage de leur position face à d'éventuelles critiques
des parents. Dans un tel climat, il est légitime
de se demander comment vous allez pouvoir
continuer à exercer votre fonction, qui nécessite
un sentiment de confiance non seulement de la part
des élèves et de leurs familles, mais aussi de la
part du corps enseignant avec lequel vous êtes
amené à collaborer.. "
Dès l'automne 1994, les relations entre le directeur de l'établissement secondaire de B.__________ et certains enseignants, d'une part, et T.________, d'autre part, se sont envenimées. Le 24 octobre 1994, T.________ a annoncé qu'il ne participerait pas à une séance du conseil de classe de la 5R (classe à effectif réduit) fixée de longue date au lendemain, à laquelle sa présence était indispensable, car les élèves ne pouvaient pas être orientés vers une classe à effectif réduit sans l'avis du psychologue.
Dans une lettre du 26 octobre 1994, T.________ a contesté que l'article paru dans le journal Y.________ soit la cause d'une perte de confiance. Il a imputé au directeur et au corps enseignant de B.__________ une attitude de boycottage à son endroit, qui n'était que la poursuite d'une position ancienne au sein de l'institution.
Ces épisodes ont été suivis d'une riche correspondance, dans laquelle divers reproches ont été faits à T.________, lequel a campé sur ses positions.
Par lettre recommandée du 14 mars 1995, la commune X.________ a mis fin au contrat de travail de T.________ avec effet au 30 juin 1995. Elle reprochait à l'intéressé d'avoir violé des instructions et détérioré le climat de travail, de sorte que toute collaboration future était impossible.
B.- Par demande du 22 décembre 1995, T.________ a ouvert action contre la commune X.________ devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois. Il a conclu à ce que la défenderesse soit condamnée à lui payer 27'720 fr. à titre d'indemnité pour congé abusif et 8000 fr. à titre d'indemnité fondée sur les article 328 CO et 28 CC.
Par jugement du 2 mars 1999, la Cour civile a entièrement débouté le demandeur. Elle a considéré en substance que les raisons énoncées dans la lettre de congé du 14 mars 1995 étaient réelles et qu'elles ne masquaient nullement des motifs abusifs. Le licenciement du demandeur était motivé par des difficultés relationnelles entre ce dernier, d'une part, et des enseignants et les directeurs d'établissement, d'autre part, l'article publié dans le journal Y.________ n'ayant pas, en lui-même, joué un rôle causal. La cour cantonale a donc admis que le demandeur n'était pas fondé à réclamer une indemnité selon l'art. 336a CO. De toute façon, à supposer même que le demandeur ait été licencié en raison de l'exercice qu'il a fait de sa liberté d'opinion, le congé ne serait pas abusif, car le travailleur a violé son devoir de loyauté en créant un climat détestable dans l'établissement de B.__________, cela sans compter que la violence verbale de l'article n'était pas compatible avec l'obligation de fidélité du salarié. Enfin, l'autorité cantonale a jugé que le demandeur, qui n'avait pas prouvé avoir été dénigré ou harcelé par le corps enseignant de B.__________, n'avait pas subi d'atteinte à sa personnalité.
C.- Parallèlement à un recours de droit public qui a été déclaré irrecevable par arrêt de ce jour, T.________ exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral. Le recourant reprend ses conclusions d'instance cantonale.
Le demandeur a formé, sur le plan cantonal, un recours en nullité, qui a été rejeté par arrêt du 29 novembre 2000 de la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois.
L'intimée propose le rejet du recours.
Considérantendroit :
1.- Le Tribunal cantonal a laissé ouverte la question de savoir si le contrat liant les parties ressortissait au droit privé fédéral ou au droit public cantonal. Ce n'est que dans la première hypothèse que le recours en réforme serait recevable (art. 43 al. 1 OJ). Ce point peut rester indécis, dès lors que le recours doit de toute façon être rejeté quant au fond.
2.- a) Le recourant prétend que les constatations de fait de la cour cantonale, bien que complètes et détaillées, seraient contradictoires, au point qu'il serait strictement impossible de comprendre le raisonnement de la Cour civile, qui aurait dû, en bonne logique, admettre que la cause prépondérante de la résiliation a été l'article publié dans le journal Y.________ dont le demandeur est l'auteur.
b) Pour que le congé soit abusif, il doit exister un lien de causalité entre le motif répréhensible et le licenciement; en d'autres termes, il faut que le motif illicite ait joué un rôle déterminant dans la décision de résilier le contrat. Lorsque plusieurs motifs de congé entrent en jeu et que l'un d'entre eux n'est pas digne de protection, il convient de déterminer si, sans le motif illicite, le contrat aurait été tout de même résilié: si tel est le cas, le congé n'est pas abusif. L'incidence respective des divers motifs de résiliation en concours est une question qui relève de la causalité naturelle et, par conséquent, du fait (arrêt du 11 novembre 1993, consid. 2c, publié in SJ 1995 p. 799-800).
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral ne peut revoir l'appréciation de l'autorité cantonale sur ce point (art. 63 al 2 OJ).
En l'occurrence, le demandeur reproche à la Cour civile de s'être trompée sur la cause réelle du licenciement; à l'appui de cette critique, il souligne de prétendues contradictions dans certains témoignages ou entre certains témoignages soumis à l'appréciation de la cour cantonale. Ce faisant, le recourant s'en prend à l'établissement des faits par cette dernière, si bien que le grief est irrecevable.
3.- a) Selon l'art. 336 al. 1 let. b CO, le congé est abusif lorsqu'il est donné par une partie en raison de l'exercice, par l'autre partie, d'un droit constitutionnel, à moins que l'exercice de ce droit ne viole une obligation résultant du contrat de travail ou ne porte sur un point essentiel un préjudice grave au travail dans l'entreprise.
En exprimant, dans un quotidien, ses vues sur l'orientation des élèves de cinquième année, le demandeur a fait valoir sa liberté d'opinion (art. 16 al. 2 Cst.). Le congé donné à raison de l'expression d'une opinion est dès lors, en principe, abusif, à moins que l'une des exceptions prévues à l'art. 336 al. 1 let. b CO ne soit réalisée.
Selon cette disposition, le congé n'est pas abusif si, en exprimant une opinion, le salarié viole une obligation contractuelle ou porte un préjudice grave au travail dans l'entreprise. Contrairement à ce que soutient le demandeur, ces deux conditions ne sont pas cumulatives, mais bien alternatives, comme le montre le texte clair de la loi (conjonction "ou" et non pas "et").
D'après l'art. 321a al. 1 in fine CO, le travailleur sauvegarde fidèlement les intérêts légitimes de l'employeur.
La doctrine admet que, selon les circonstances, cette obligation s'étend aussi aux déclarations du salarié en dehors de l'entreprise. Il faut dans chaque cas peser les intérêts en présence (Streiff/von Kaenel, Leitfaden zum Arbeitsvertragsrecht, 5e éd., n. 5 ad art. 321a CO; Staehelin, Commentaire zurichois, n. 8 et n. 29-31 ad art. 321a CO; Rehbinder, Commentaire bernois, n. 3 ad art. 321a CO). A tout le moins, le salarié qui critique publiquement son employeur doit formuler ses critiques de façon objective, sans tomber dans la polémique (Philipp Gremper, Arbeitsrechtliche Aspekte der Ausübung verfassungsmässiger Rechte, p. 123; Claudia Camastral, Grundrechte im Arbeitsverhältnis, thèse Zurich 1995, p. 89/90).
En l'occurrence, il n'y a pas lieu d'examiner la question de savoir si le demandeur pouvait prendre publiquement position sur l'orientation des élèves de cinquième année, car, de toute façon, il l'a fait en des termes inadmissibles.
En effet, le recourant a comparé la sélection scolaire à l'apartheid pour raison de faciès et les dispositions en vigueur à des lois scélérates. Il a qualifié cette réglementation d'acte grave de maltraitance infantile.
Il appert que le demandeur s'est ainsi engagé dans une diatribe virulente. Portant une atteinte manifeste au respect dû à l'employeur et aux collègues de travail, la polémique injurieuse déclenchée par le salarié ne pouvait que nuire gravement à la confiance que suppose l'exécution du contrat de travail. Formulées de cette façon, les critiques exprimées par le demandeur étaient manifestement contraires à son obligation de fidélité. D'ailleurs, dans son recours, le demandeur ne tente pas de justifier le caractère agressif de ses propos, mais se borne, vainement, à en minimiser la portée.
Enfin, comme le relève à juste titre la cour cantonale, peu importe que le demandeur ait publié son article comme psychothérapeute et psychanalyste indépendant. De fait, il ne pouvait pas ignorer l'impact que son attitude ne manquerait pas d'avoir sur les conditions d'exercice de sa fonction officielle.
Il suit de là que le recourant a violé son obligation de fidélité, de sorte qu'un congé motivé par ses déclarations ne serait nullement abusif. Ainsi, même s'il fallait admettre - comme le soutient le demandeur - que la défenderesse l'a congédié en raison de l'article qui est paru dans le journal Y.________, le licenciement ne serait pas abusif.
b) Le demandeur ne prétend pas que les autres motifs du licenciement retenus par la cour cantonale seraient abusifs. Il n'est pas nécessaire d'examiner cet aspect du litige, sur lequel, du reste, la motivation approfondie de la cour cantonale est pleinement convaincante.
4.- A suivre le recourant, l'autorité cantonale aurait violé les art. 328 et 49 CO en lui refusant une indemnité destinée à réparer le tort moral que lui auraient causé les reproches formulés à son endroit. La défenderesse aurait en outre porté atteinte à la personnalité du demandeur, car elle aurait indûment omis d'intervenir pour apaiser le climat de travail, en invitant les enseignants à modérer leurs critiques envers le demandeur.
La cour cantonale n'a constaté aucun fait d'où il résulterait que le recourant ait été discrédité, dénigré ou harcelé. Les affirmations contraires de ce dernier sont irrecevables dans le cadre du recours en réforme (art. 55 al. 1 let. c OJ).
On peut s'étonner que le demandeur considère comme attentatoire à sa personnalité la désapprobation formulée, de manière convenable, par son directeur et par des collègues.
Au reste, le recourant est mal placé pour reprocher à son employeur de n'avoir pas tenté de modérer des réactions provoquées par la polémique injurieuse qu'il avait délibérément suscitée.
5.- Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, le jugement attaqué étant confirmé. La valeur litigieuse dépassant 30 000 fr., la procédure n'est pas gratuite (art. 343 al. 2 CO dans sa teneur en vigueur depuis le 1er juin 2001, applicable aux procédures déjà pendantes (ATF 115 II 30 consid. 5a)). Vu l'issue de la querelle, les frais et dépens seront mis à la charge du recourant (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours dans la mesure où il est recevable et confirme le jugement attaqué;
2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la charge du recourant;
3. Dit que le recourant versera à l'intimée une indemnité de 3000 fr. à titre de dépens;
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois.
__________
Lausanne, le 23 novembre 2001 ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,