[AZA 0/2]
5C.281/2001
IIe COUR CIVILE
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6 décembre 2001
Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi et
Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Abrecht.
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Dans la cause civile pendante
entre
G.________, défendeur et recourant, représenté par Me Claudio Fedele, avocat à Genève,
et
Dame G.________, demanderesse et intimée, représentée par Me Lorella Bertani, avocate à Genève;
(divorce)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:
A.- G.________, ressortissant tunisien né en Tunisie en 1974, et dame G.________, citoyenne suisse née à Genève en 1971, se sont mariés à Onex le 28 novembre 1998. Les conjoints, qui ont choisi le patronyme de G.________, n'ont pas eu d'enfants.
Dès le mois de septembre 1999, les relations entre les époux se sont dégradées, le mari étant devenu plus irritable et colérique. Les époux se sont séparés le 17 janvier 2000 à la suite d'une violente altercation qui a opposé l'épouse à son mari et au frère de ce dernier. De janvier 2000 au printemps de la même année, l'épouse a néanmoins balancé entre la perspective d'un divorce et l'espoir d'une réconciliation avec son mari.
B.- Par acte déposé le 10 mars 2000, l'épouse a ouvert action en divorce devant le Tribunal de première instance du canton de Genève, estimant qu'il existait des motifs sérieux qui ne lui étaient pas imputables et qui rendaient la continuation du mariage insupportable. Lors de l'audience de comparution personnelle du 22 juin 2000, le mari s'est opposé à la demande en raison des sentiments qu'il nourrissait toujours envers son épouse, se déclarant prêt à accomplir tous les efforts nécessaires en vue de sauver l'union conjugale.
L'épouse a néanmoins persisté dans les termes de sa demande.
Elle a précisé qu'elle et son mari, postérieurement à leur séparation, soit vers la fin du mois d'avril 2000, s'étaient rencontrés par deux fois, dont une pour discuter de leurs difficultés conjugales et tenter de trouver une solution pour éviter le divorce, mais que son mari n'avait rien entrepris.
Sur quoi, l'instruction de la cause s'est poursuivie.
C.- Après que le Tribunal de première instance, considérant que les circonstances de la cause n'autorisaient pas l'application de l'art. 115 CC, eut débouté la demanderesse de ses conclusions par jugement du 1er mars 2001, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, statuant par arrêt du 14 septembre 2001 sur appel de l'épouse, a admis l'action en divorce.
D.- Le défendeur exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral contre cet arrêt, dont il sollicite la réforme dans le sens du rejet de la demande en divorce. Une réponse au recours n'a pas été requise.
Considérant en droit :
1.- Portant sur l'admission du divorce sur requête unilatérale, le recours est recevable du chef de l'art. 44 OJ. Interjeté en temps utile contre une décision finale rendue par l'autorité suprême du canton de Genève, il l'est aussi au regard des art. 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.
2.- Le défendeur reproche à la Cour de Justice d'avoir erré en retenant que les conditions de l'art. 115 CC étaient en l'espèce réunies.
a) Selon les constatations de fait de l'autorité cantonale, qui lient le Tribunal fédéral en instance de réforme (art. 63 al. 2 OJ), les relations entre les époux se sont dégradées dès le mois de septembre 1999, le mari étant devenu plus irritable et colérique. Au mois d'octobre 2000, il y a eu une violente dispute au cours de laquelle le mari a brisé la porte d'une armoire. L'épouse manifestait une peur réelle à la suite des scènes qui survenaient entre les conjoints et disait ne plus reconnaître son époux, qui était comme fou, et avoir trop peur pour continuer à supporter de telles conditions. Les époux se sont séparés le 17 janvier 2000 à la suite de la violente altercation qui a opposé le mari et son frère à l'épouse. Celle-ci s'en est sortie avec une fracture du nez - qui a nécessité une opération ultérieure en raison de la gêne respiratoire provoquée par la fracture - et des contusions multiples; elle a en outre subi un état de choc important avec implications sur le plan nerveux.
La mère de la demanderesse, arrivée sur les lieux lors de cette altercation, a vu les deux hommes frapper sa fille au visage par des coups de poing (arrêt attaqué, lettre B p. 2/3).
b) La cour cantonale a estimé que les faits survenus le 17 janvier 2000 revêtaient un caractère de grande gravité en ce sens que la défenderesse avait été victime d'une agression perpétrée par deux hommes plus forts qu'elle, qui avait engendré pour elle des lésions corporelles physiques sérieuses auxquelles s'ajoutait un traumatisme psychique évident.
Les hésitations manifestées par la demanderesse postérieurement au 17 janvier 2000 quant à la détermination à prendre au sujet du maintien ou non de l'union conjugale dénotaient qu'elle était en proie à un conflit intérieur sérieux et que sa décision finale de divorcer n'avait pas été prise à la légère. On ne saurait donc en tirer argument pour contester le sérieux des motifs énoncés par l'épouse, surtout que rien dans le dossier ne permettait de retenir que le mari aurait manifesté le désir sincère de s'amender après avoir reconnu ses torts. Dans ces conditions, la cour cantonale a considéré que l'existence de justes motifs au sens de l'art. 115 CC était établie et qu'il n'était pas possible de raisonnablement imposer à la demanderesse la continuation du mariage (arrêt attaqué, consid. 3 p. 9/10).
c) L'art. 115 CC autorise chaque époux à demander le divorce avant l'expiration du délai de séparation de quatre ans prévu par l'art. 114 CC lorsque des motifs sérieux, qui ne lui sont pas imputables, rendent la continuation du mariage insupportable. Selon la jurisprudence, cette cause de divorce - subsidiaire à celle de l'art. 114 CC - permet de déroger à la règle du divorce sur demande unilatérale dans des cas particuliers où il serait excessivement rigoureux d'imposer au demandeur de patienter durant le délai légal de séparation (ATF 126 III 404 consid. 4c p. 408 et les références).
Le Tribunal fédéral a considéré, contrairement à une partie de la doctrine mais en accord avec d'autres auteurs, qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer l'art. 115 CC de manière plus souple dans les cas où le divorce avait été prononcé ou aurait pu l'être en application d'un ancien droit - l'art. 142 aCC - plus favorable, le texte clair de l'art. 7b al. 1 Tit. fin. CC ne souffrant pas d'interprétation (ATF 126 III 404 consid. 3b et c p. 406/407 et les références citées).
Dans un arrêt ultérieur, il a toutefois précisé que l'existence de motifs sérieux ne devait pas être soumise à des exigences excessives (ATF 127 III 129 consid. 3b p. 134, approuvé par Roger Weber, in AJP/PJA 4/2001, p. 466 ss, qui préconise une réduction du délai de quatre ans, tout comme Alexandra Rumo-Jungo, in Recht 2/2001, p. 82 ss). Savoir si tel est le cas dépend des circonstances de chaque espèce. Il n'est dès lors pas possible, ni souhaitable, d'établir des catégories fermes de motifs sérieux au sens de l'art. 115 CC; le juge doit statuer en appliquant les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC; 127 III 129 consid. 3 p. 132 ss, 347 consid. 2a p. 349; 126 III 404 consid. 4 p. 407 ss). Il est cependant unanimement admis que les actes de violence mettant en péril la santé physique et psychique du conjoint demandeur peuvent constituer des motifs sérieux permettant de solliciter le divorce pour rupture du lien conjugal (ATF 126 III 404 consid. 4g et h p. 410 et les citations; cf. aussi ATF 127 III 129 ss; Jacques Micheli et al., Le nouveau droit du divorce, 1999, n. 194).
d) En l'espèce, des actes de violence mettant en péril la santé physique et psychique de l'épouse ont été constatés par la dernière autorité cantonale, d'une manière qui lie le Tribunal fédéral (cf. consid. 2a supra) et qui n'est d'ailleurs plus contestée devant la Cour de céans par le défendeur. Celui-ci, quoiqu'affirmant que la présente espèce n'est à cet égard pas comparable à celle qui a donné lieu à l'ATF 127 III 129, ne cherche pas à démontrer que les éléments sur lesquels s'est fondée la cour cantonale ne sauraient en eux-mêmes être considérés comme rendant la continuation du mariage insupportable pour la demanderesse. Il fait en revanche valoir que près de deux mois après avoir introduit sa demande de divorce fondée sur l'art. 115 CC, la demanderesse a rencontré le défendeur à deux reprises pour essayer de sauver leur couple; cela démontrerait que la continuation du mariage n'était pas insupportable et donc que les conditions d'application de l'art. 115 CC n'étaient pas réunies au moment du dépôt de la demande en divorce.
Le défendeur ne peut être suivi lorsqu'il soutient que les conditions de l'art. 115 CC doivent être réunies au moment de l'introduction de l'action. Une simple lecture de l'art. 138 al. 1 CC permet au contraire clairement de tirer la conclusion inverse: des faits et moyens de preuve nouveaux peuvent être invoqués encore devant l'instance cantonale supérieure; même des conclusions nouvelles sont admises pour autant qu'elles soient fondées sur des faits ou des moyens de preuve nouveaux. Dès lors, rien n'empêchait la demanderesse d'invoquer de nouveaux motifs sérieux à un stade de la procédure postérieur à l'introduction de l'action (cf. aussi Roland Fankhauser, in Ingeborg Schwenzer, Praxis Kommentar Scheidungsrecht, 2000, n. 5 ad art. 115 CC).
S'il est vrai que l'épouse, après l'introduction de l'action, a encore cherché à dialoguer avec son mari en vue de sauver le mariage, les conditions posées (recours à un office de consultations conjugales et traitement du défendeur auprès d'une unité de l'Hôpital cantonal s'occupant de violence) résultant du procès-verbal de comparution personnelle cité par le défendeur dans son recours n'ont jamais été acceptées et suivies par ce dernier. On peut aisément concevoir que l'épouse ait espéré que le comportement de son mari, aux conditions précitées, changerait et que les brutalités dont elle avait fait l'objet ne se reproduiraient pas. Quand bien même la demanderesse s'est efforcée dans un premier temps, après l'ouverture d'action, de trouver une solution pour sauver son mariage et ne s'est rendue à l'évidence que plus tard, il n'en demeure pas mois que les effets des violences subies, tant sur le plan physique que psychique, peuvent être durables; une simple discussion en vue de tenter de trouver une solution pour éviter le divorce ne saurait supprimer les motifs sérieux de divorce constatés précédemment. Cela d'autant moins que selon la doctrine, seul un acte de pardon explicite peut annuler les motifs sérieux qui rendent intolérable le maintien du lien conjugal; une simple tolérance, même de longue durée, ne suffit pas (Fankhauser, op. cit. , n. 13 ad art. 115 CC). Les conditions d'application de l'art. 115 CC apparaissent ainsi réunies et l'arrêt attaqué se révèle conforme au droit fédéral.
3.- Il résulte de ce qui précède que le recours, manifesement mal fondé, doit être rejeté. La requête d'assistance judiciaire du défendeur fondée sur l'art. 152 OJ doit également être rejetée; le recours apparaissait en effet d'emblée voué à l'échec au sens de cette disposition, dès lors qu'il doit être rejeté dans le cadre de la procédure simplifiée de l'art. 36a OJ (cf. Poudret/Sandoz-Monod, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol.
V, Berne 1992, n. 5 ad art. 152 OJ). Les frais judiciaires seront ainsi mis à la charge du recourant (art. 156 al. 1 OJ). En revanche, dès lors qu'un échange d'écritures n'a pas été ordonné, il n'y a pas lieu d'allouer de dépens.
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral,
vu l'art. 36a OJ:
1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué.
2. Rejette la demande d'assistance judiciaire du recourant.
3. Met un émolument judiciaire de 2'000 fr. à la charge du recourant.
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-tice du canton de Genève.
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Lausanne, le 6 décembre 2001 ABR/frs
Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE :
Le Président,
Le Greffier,