[AZA 1/2]
1A.157/2001
1A.158/2001
Ie COUR DE DROIT PUBLIC
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7 décembre 2001
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Pont Veuthey, Juge suppléante. Greffier: M. Zimmermann.
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Statuant sur les recours de droit administratif
formés par
Abubakar Bagudu, NG-Abuja, représenté par Me Vincent Jeanneret, avocat à Genève, etMohammed Sani Abacha, NG-Abuja, représenté par Mes Bruno de Preux et Pierre de Preux, avocats à Genève,
contre
l'ordonnance rendue le 24 août 2001 par la Chambre d'accusation du canton de Genève, dans la cause qui oppose les recourants à la République fédérale du Nigeria;
(Entraide judiciaire au Nigeria; droit de consulter le
dossier de la procédure pénale cantonale parallèle)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Le 30 septembre 1999, la République fédérale du Nigeria (ci-après: la République fédérale) a annoncé à l'Office fédéral de la justice (ci-après: l'Office fédéral) qu'elle envisageait de demander à la Suisse l'entraide judiciaire pour les besoins de l'enquête ouverte au Nigeria à l'encontre des parents et des proches de feu Sani Abacha, Président de la République fédérale du 17 novembre 1993 à son décès le 8 juin 1998. Les personnes poursuivies le sont pour détournement de fonds publics.
B.- Le 28 octobre 1999, le Procureur général du canton de Genève, se fondant sur des communications faites en application de la LBA, a, dans le même complexe de faits, ordonné l'ouverture d'une information pénale des chefs d'organisation criminelle (art. 260ter CP) et de blanchiment d'argent (art. 305bis CP). Cette procédure a été désignée sous la rubrique P/12983/99.
Le 24 novembre 1999, la République fédérale a déposé auprès du Procureur général une plainte pénale notamment pour abus de confiance, escroquerie, extorsion, gestion déloyale, recel, participation à une organisation criminelle et blanchiment d'argent contre Maryam Abacha, épouse de Sani Abacha, Mohammed Sani Abacha, fils de Sani Abacha, Alahaji Isamaila Gwarzo, ancien conseiller de Sani Abacha, ainsi que contre Alahaji Ahmadu Daura et Abubakar Attiku Bagudu, hommes d'affaires et amis de Sani Abacha. Le Procureur général a ordonné l'ouverture d'une information pénale. Cette procédure, désignée sous la rubrique P/14457/99, a été jointe à la procédure P/12983/99, le 29 novembre 1999.
Le 3 décembre 1999, le Juge d'instruction a admis la République fédérale comme partie civile à la procédure P/12983/99, ainsi qu'aux procédures connexes, désignées par les rubriques P/4849/99, P/9146/99, P/10749/99, P/11890/99, P/12524/99, P/12824/99, P/12859/99, P/13340/99 et P/13808/99.
Le 22 décembre 1999, le Juge d'instruction a joint toutes les procédures connexes à la procédure principale P/12983/99, au dossier de laquelle il avait donné accès à la République fédérale, le 9 décembre 1999.
Le 20 décembre 1999, la République fédérale a présenté à l'Office fédéral une demande formelle d'entraide judiciaire, pour les besoins de l'enquête conduite par la "Special Fraud Unit" de la police nigériane contre les parents et les proches de feu Sani Abacha. Les faits évoqués dans la demande d'entraide sont identiques à ceux appuyant la plainte du 24 novembre 1999.
Le 20 janvier 2000, l'Office fédéral a rendu une décision d'entrée en matière et ordonné le blocage d'une série de comptes bancaires. Il a délégué au même Juge d'instruction que celui chargé des procédures pénales ouvertes à Genève la mission de réunir la documentation relative à ces comptes, en l'invitant à remettre "toute information additionnelle recueillie dans le cadre de sa propre procédure et ayant une utilité potentielle pour répondre à la demande". Cette procédure a été désignée sous la rubrique CP/286/99.
Le 26 avril 2000, le Juge d'instruction a inculpé Bagudu de participation à une organisation criminelle, de blanchiment d'argent, d'escroquerie, de gestion déloyale, subsidiairement de gestion déloyale des intérêts publics.
Le 24 mai 2000, le Juge d'instruction s'est rendu à Lagos, où Mohammed Sani Abacha est détenu, pour lui signifier son inculpation pour les mêmes charges et les mêmes faits que ceux retenus à l'encontre de Bagudu.
Le 7 novembre 2000, Bagudu s'est adressé au Juge d'instruction pour se plaindre de ce que la République fédérale aurait eu accès à des renseignements, contenus dans le dossier de procédure P/12983/99, équivalents, selon lui, à ceux réclamés dans la demande d'entraide judiciaire (CP/286/99), dont le traitement était en cours. De cette manière, la République fédérale aurait obtenu, de manière indue et prématurée, des informations qu'elle n'aurait pu obtenir qu'au terme de la procédure d'entraide. Bagudu a demandé au Juge d'instruction de suspendre le droit de la République fédérale de consulter le dossier, subsidiairement de lui faire interdiction d'utiliser les renseignements obtenus dans le cadre de la procédure P/12983/99 jusqu'à droit connu sur la demande d'entraide judiciaire.
Abacha a fait sienne la demande de Bagudu.
Le 23 novembre 2000, le Juge d'instruction a rejeté cette requête.
Le 14 février 2001, la Chambre d'accusation a rejeté les recours formés par Bagudu et Abacha contre la décision du 23 novembre 2000, qu'elle a confirmée.
Par arrêt du 5 juin 2001 (ATF 127 II 198), le Tribunal fédéral, après avoir joint les recours de droit public formés par Abacha et Bagudu, les a admis, traités comme recours de droit administratif, et annulé les décisions du 14 février 2001 en renvoyant les causes au Juge d'instruction pour nouvelle décision au sens des considérants (procédures 1P.233/2001 et 1P.241/2001). Après avoir relevé que la décision relative à la consultation du dossier d'une procédure pénale cantonale peut faire l'objet d'un recours de droit administratif lorsque cette décision influe directement sur le sort de la procédure d'entraide étroitement connexe, le Tribunal fédéral a considéré qu'en l'espèce, compte tenu de l'imbrication des procédures parallèles, l'octroi à la République d'un droit illimité de consulter le dossier de la procédure pénale selon les règles du droit cantonal, était de nature à compromettre en l'espèce la procédure d'entraide. Le Tribunal fédéral a jugé indispensable de réduire le droit de la République fédérale de consulter le dossier de la procédure P/12983/99, dans toute la mesure requise pour préserver l'objet de la procédure d'entraide.
C.- Le 20 juin 2001, le Juge d'instruction a décidé de limiter le droit de la République fédérale à consulter le dossier de la procédure P/12983/99 de la manière suivante:
"- la République fédérale du Nigeria ne peut faire aucun
usage des pièces dont copie lui sont transmises
en application de l'art. 142 al. 2 CPPG, et des informations
auxquelles elle a accès en application
de l'art. 142 al. 4 CPPG dans la procédure pénale
dans le cadre de laquelle elle a formé la demande
d'entraide internationale du 20 décembre 1999, à
l'exception de toute démarche entreprise sur son
plan interne ou international en vue de sauvegarder
ses intérêts patrimoniaux, à savoir toute démarche
visant à obtenir la saisie conservatoire ou la confiscation
du produit des infractions dont sont
soupçonnés les inculpés dans la procédure nigériane;
- dit que ces restrictions subsisteront jusqu'à ce
que la procédure d'entraide engagée en Suisse,
suite à la demande d'entraide judiciaire du 20 décembre
1999, soit définitivement clôturée;
- dit que le droit de la République fédérale du
Nigeria de consultation et de communication du dossier
P/12983/99 est suspendu jusqu'à ce que celle- ci se soit engagée à respecter les conditions précitées;
- (notification)".
Par note diplomatique du 26 juin 2001, l'Ambassade du Nigeria à Berne a donné le consentement exprès de la République fédérale à se soumettre aux conditions mentionnées dans la décision du 20 juin 2001.
Abacha et Bagudu ont recouru auprès de la Chambre d'accusation, en faisant valoir, en bref, que le Juge d'instruction aurait violé leur droit d'être entendus et ne se serait pas conformé à l'arrêt du 5 juin 2001.
Les 4 et 5 juillet 2001, la Présidente de la Chambre d'accusation a ordonné des mesures provisionnelles. Les 20 juillet et 14 août 2001, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevables au regard de l'art. 87 OJ les deux recours de droit public formés contre ces décisions par la République fédérale (procédures 1P.481 et 1P.482/2001; 1P.515 et 516/2001).
Le 23 juillet 2001, le Juge d'instruction a disjoint la cause concernant Abacha et Bagudu (désignée dorénavant sous la rubrique P/9806/2001), fait apporter à cette nouvelle procédure les "pièces utiles" contenues dans la procédure P/12983/99, selon une liste séparée, et ordonné la communication de la procédure P/9806/2001 au Procureur général, conformément à l'art. 185 CPP gen.
Le 24 août 2001, la Chambre d'accusation, après avoir joint les recours, les a admis en annulant la décision du 20 juin 2001. Statuant à nouveau, elle a décidé comme suit:
".. Dit que la République fédérale du Nigeria conserve
accès aux pièces du dossier (consultation et
obtention de copies), composant la procédure conduite
sous référence P/12983/99, ou sous toute autre
référence donnée à cette procédure, successivement
ou parallèlement, depuis la communication par
le juge d'instruction, le 23 juillet 2001, du dossier
au Parquet concernant le volet relatif aux inculpés
Abacha et Bagudu;
Fait interdiction formelle et sans réserve à la République
fédérale du Nigeria d'utiliser, directement
ou indirectement, lesdites pièces dans le cadre
de la procédure pénale à l'appui de laquelle
elle a requis l'entraide, jusqu'à décision de clôture
et d'exécution complète et définitive de cette
procédure d'entraide.. "
D.- Agissant séparément par la voie du recours de droit administratif, Mohamed Sani Abacha et Abubakar Attiku Bagudu demandent principalement au Tribunal fédéral d'annuler la décision du 24 août 2001, de suspendre le droit de la République fédérale de consulter les pièces du dossier et d'en faire des copies, ainsi que d'assister aux audiences d'instruction, jusqu'à droit connu sur la demande d'entraide du 20 décembre 1999. Ils requièrent en outre le Tribunal fédéral d'interdire à la République fédérale d'utiliser les pièces de la procédure déjà en sa possession. A titre subsidiaire, les recourants concluent au renvoi de la cause au Juge d'instruction pour nouvelle décision au sens des considérants. Ils invoquent l'art. 29 al. 2 Cst. , ainsi que les art. 65a, 67, 67a et 80b EIMP, en faisant valoir, en bref, que la décision attaquée ne serait pas compatible avec les exigences de l'arrêt du 5 juin 2001.
La Chambre d'accusation se réfère à sa décision.
L'Office fédéral et la République fédérale concluent au rejet des recours.
Invités à répliquer, les recourants ont maintenu leurs conclusions.
Considérant en droit :
1.- Il convient de joindre les recours, formés séparément contre la même décision, et de statuer par un seul arrêt (cf. ATF 127 V 29 consid. 1 p. 33; 123 II 18 consid. 1 p. 20; 122 II 367 consid. 1a p. 368; 113 Ia 390 consid. 1 p. 394).
2.- Dirigés contre une décision cantonale régissant le droit de consulter le dossier d'une procédure pénale étroitement connexe à une procédure d'entraide, les recours sont recevables au regard des art. 97 ss OJ, mis en relation avec les art. 80b, 80e et 80k EIMP (ATF 127 II 198 consid.
p. 201-206).
3.- A la suite de l'arrêt de renvoi du 5 juin 2001, il incombait au Juge d'instruction (puis, sur recours, à la Chambre d'accusation), de limiter le droit de la République fédérale de consulter le dossier de la procédure pénale P/12983/99, dans toute la mesure exigée par la sauvegarde de la procédure d'entraide (CP/286/99). Cette obligation valait également pour la procédure P/9806/2001, disjointe de la procédure P/12983/99.
Renvoyant la cause au Juge d'instruction pour nouvelle décision selon l'art. 114 al. 2 OJ, le Tribunal fédéral avait, dans son arrêt du 5 juin 2001, évoqué trois moyens de remédier aux défauts constatés de la procédure. Une première solution aurait consisté à effectuer un tri des pièces que la République fédérale aurait été autorisée à consulter librement.
A titre alternatif, le Tribunal fédéral a envisagé la possibilité de suspendre le droit de la République fédérale de consulter le dossier jusqu'à l'entrée en force d'une décision de clôture de la procédure d'entraide. Enfin, l'autorité cantonale aurait pu interdire à la République fédérale d'utiliser les pièces et renseignements divulgués, jusqu'au prononcé d'une décision de clôture, complète ou partielle, entrée en force. Il ressort clairement de l'arrêt du 5 juin 2001 qu'il s'agissait là de moyens évoqués à titre d'exemples:
si une solution s'imposait d'emblée comme la seule idoine, le Tribunal fédéral aurait statué lui-même. En d'autres termes, l'autorité cantonale était libre d'agir comme elle l'entendait, pourvu que le but assigné à son action fût atteint.
Pour cela, la Chambre d'accusation a réaffirmé le droit de la République fédérale de consulter librement toutes les pièces de la procédure P/12983/99 et des procédures parallèles et subséquentes, dont celle (P/9806/99) ouverte le 23 juillet 2001, tout en lui interdisant de faire usage de ces pièces et informations dans le cadre de la procédure pénale pour les besoins de laquelle la demande d'entraide avait été présentée, jusqu'au prononcé d'une décision de clôture exécutoire.
4.- Selon les recourants, la décision attaquée violerait leur droit d'être entendus, faute de motivation suffisante.
Dans les domaines qui relèvent de la juridiction administrative fédérale, le recours de droit administratif permet de soulever le grief tiré de la violation des droits constitutionnels en relation avec l'application du droit fédéral (ATF 126 V 252 consid. 1a p. 254; 125 II 1 consid. 2a p. 5, 508 consid. 3a p. 509, et les arrêts cités).
a) Les parties ont le droit d'être entendues (art. 29 al. 2 Cst.). Selon la jurisprudence relative à l'art. 4 aCst. , applicable à l'art. 29 al. 2 Cst. , l'autorité doit indiquer dans son prononcé les motifs qui la conduisent à sa décision (ATF 123 I 31 consid 2c p. 34; 112 Ia 107 consid. 2b p. 109). Elle n'est pas tenue de discuter de manière détaillée tous les arguments soulevés par les parties; elle n'est pas davantage astreinte à statuer séparément sur chacune des conclusions qui lui sont présentées. Elle peut se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige; il suffit que le justiciable puisse apprécier correctement la portée de la décision et l'attaquer à bon escient (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 17; 125 II 369 consid. 2c p. 372; 124 II 146 consid. 2a p. 149, et les arrêts cités).
b) Malgré quelques obscurités de formulation, le sens de la décision attaquée est univoque. La Chambre d'accusation a opté pour une variante de la deuxième solution évoquée dans l'arrêt du 5 juin 2001. Sans restreindre le droit de la République fédérale d'accéder aux dossiers de toutes les procédures pénales dans lesquelles elle a qualité de partie civile (soit le droit de consulter les pièces, d'en faire des copies et d'assister aux audiences d'instruction), la Chambre d'accusation a tenu pour suffisante l'interdiction faite à la République fédérale d'utiliser les pièces et renseignements ainsi obtenus, dans le cadre de la procédure pénale ouverte au Nigeria pour laquelle la demande d'entraide du 20 décembre 1999 a été présentée. A contrario, la Chambre d'accusation n'a pas estimé nécessaire de restreindre le droit de la République fédérale d'utiliser les informations déjà en sa possession ou dont elle viendrait à prendre connaissance ultérieurement, pour le besoin d'autres procédures, civiles ou pénales, internes ou internationales, engagées à un autre titre, notamment à l'appui de demandes d'entraide adressées à des États tiers. Ainsi, contrairement à ce que prétendent les recourants, la Chambre d'accusation a réglé le sort des documents remis à la République fédérale avant le prononcé de l'arrêt du 5 juin 2001. Prêtant à la décision attaquée l'attention soutenue nécessaire à sa compréhension, les recourants ne devaient concevoir de doutes quant à sa portée concrète. Ils ne s'y sont d'ailleurs pas trompés.
c) Devant la Chambre d'accusation, les recourants avaient reproché au Juge d'instruction d'avoir statué, le 20 juin 2001, sans leur avoir préalablement donné l'occasion de se déterminer à ce sujet. Bien que la décision attaquée n'évoque pas ce grief, il faut admettre que la Chambre d'accusation l'a implicitement rejeté. Pour le surplus, les recourants ne se prévalent pas d'une disposition du droit cantonal leur conférant le droit qu'ils revendiquent, ni ne disent en quoi le Juge d'instruction aurait violé la Constitution en statuant sur la suite à donner à l'arrêt du 5 juin 2001 sans les consulter préalablement.
Le grief tiré de l'art. 29 al. 2 Cst. est ainsi mal fondé.
5.- Il reste à examiner si la décision attaquée est conforme à l'arrêt du 5 juin 2001.
a) Les recourants le contestent, en exposant que le Juge d'instruction, puis la Chambre d'accusation, n'auraient eu d'autre alternative que d'exclure la République fédérale des procédures pénales en cours ou, à tout le moins, de suspendre son droit de prendre connaissance des pièces des différents dossiers, jusqu'à droit connu sur la procédure d'entraide CP/286/99. Une mesure aussi rigoureuse n'aurait certes pas contredit l'arrêt du 5 juin 2001, qui l'envisage expressément.
Comme déjà relevé (consid. 3 ci-dessus), le Tribunal fédéral n'a toutefois pas exclu d'emblée une solution moins incisive, mais tout aussi efficace.
b) Celle retenue en l'occurrence prête le flanc à la critique.
aa) En premier lieu, la Chambre d'accusation s'est fondée sur le constat implicite que la République fédérale accepterait de se plier aux conditions posées dans la décision attaquée, sans examiner si cela était effectivement le cas. La Chambre d'accusation aurait pu vérifier ce point, comme le Juge d'instruction avait pour sa part pris la précaution de le faire. Cela étant, par sa note diplomatique du 26 juin 2001, la République fédérale a exprimé son consentement exprès à se conformer à des exigences plus restrictives que celles finalement retenues dans la décision attaquée. Il faut donc admettre - bien qu'il eût été sans doute préférable de s'en assurer - que la République fédérale respectera les conditions fixées par la Chambre d'accusation.
bb) En deuxième lieu, on peut se demander, avec les recourants, si les modalités retenues par la Chambre d'accusation tiennent suffisamment compte des exigences de l'art. 65a EIMP. Selon l'al. 3 de cette disposition, la présence de représentants de l'Etat requérant lors de l'exécution des actes d'entraide ne peut avoir pour conséquence que des faits ressortissant au domaine secret soient portés à leur connaissance avant que l'autorité compétente ait statué sur l'octroi et l'étendue de l'entraide. En l'espèce, il est constant que les procédures pénales (P/12983/99 et P/9806/2001) et la procédure d'entraide (CP/286/99) sont conduites de manière étroitement coordonnée, d'une part, et que la République fédérale, comme partie civile, est autorisée à participer à tous les actes de la procédure pénale (art. 142 et 143 CPP gen.), d'autre part. Compte tenu des circonstances particulières du cas, peut surgir le risque d'un détournement de la procédure d'entraide, si la République fédérale obtenait dans le cadre des procédures pénales des documents ou renseignements qui ne devraient pas, le cas échéant, lui être remis au terme de la procédure d'entraide CP/286/99 - à laquelle la République fédérale, comme État requérant, n'est pas partie. En l'espèce, la République fédérale a participé aux audiences d'instruction par l'entremise de son mandataire, lequel doit être considéré comme une personne participant à la procédure à l'étranger au sens de l'art. 65a EIMP (cf. le Message du 23 mai 1995 à l'appui du projet d'EIMP, FF 1995 III p. 23). Le danger que le Nigeria, par le truchement de son mandataire intervenant dans la procédure pénale étroitement connexe à la procédure d'entraide, soit informé des développements de celle-ci avant le prononcé de la décision de clôture, doit être pris au sérieux. Il est toutefois pallié par l'engagement formel pris par la République fédérale, le 26 juin 2001, de se conformer aux conditions fixées par le Juge d'instruction dans sa décision du 20 juin 2001.
Ces assurances, transposables à la décision attaquée (con-sid. 5b/aa ci-dessus), perdurent jusqu'à l'entrée en force de la décision de clôture de la procédure d'entraide; elles peuvent être tenues pour suffisantes au regard de l'art. 65a al. 3 EIMP (Robert Zimmermann, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, Berne, 1999, no 233).
cc) En troisième lieu, il convient de souligner l'importance, dans ce contexte, du principe de la spécialité, selon lequel la coopération de la Suisse ne peut être accordée, sans son accord, pour d'autres procédures que celle à l'origine de la demande d'entraide - soit, en l'occurrence, la procédure pénale ouverte au Nigeria contre les recourants et des tiers. Pour le cas où la demande d'entraide du 20 décembre 1999 devait être acceptée, l'autorité d'exécution devra envisager la possibilité d'assortir la transmission de documents réclamés d'une réserve garantissant la protection du principe de la spécialité. Afin de sauvegarder les intérêts de la procédure d'entraide, il est partant indispensable de veiller à ce que cette réserve éventuelle ne soit pas réduite à néant par l'octroi trop généreux de l'accès au dossier des procédures pénales P/12983/99 et P/9806/2001. A cet effet, la Chambre d'accusation a, selon le deuxième paragraphe du dispositif de la décision attaquée, interdit à la République fédérale de faire usage des documents et informations d'ores et déjà en sa possession dans la procédure pénale nigériane qui est à l'origine de la demande d'entraide du 20 décembre 1999. Cette précaution, louable, est insuffisante.
A contrario, elle laisse la République fédérale libre d'utiliser les documents et informations reçus dans le cadre d'une procédure civile ou administrative (y compris fiscale) que les autorités de cet État pourraient ouvrir à l'encontre des recourants ou de tiers. Or, si une telle éventualité venait à se réaliser avant la clôture de la procédure d'entraide, la réserve de la spécialité dont pourrait être assortie la décision de clôture se trouverait de fait vidée de sa substance, en violation des règles de l'EIMP, lesquelles priment l'application des normes de procédure cantonale (ATF 127 II 198 consid. 4d p. 207). La situation étant claire, le Tribunal fédéral est en état de statuer lui-même (art. 114 al. 2 OJ). La décision attaquée doit ainsi être réformée dans le sens d'une précision du deuxième paragraphe du dispositif de la décision attaquée, lequel doit désormais se lire comme suit:
"Il est interdit à la République fédérale du Nigeria
d'utiliser, directement ou indirectement, les pièces
obtenues dans le cadre des procédures pénales
cantonales ouvertes à la suite de la plainte du 24 novembre 1999, pour les besoins de toute procédure
pénale, civile ou administrative au Nigeria,
ainsi que pour les besoins de la procédure pénale à
l'origine de la demande d'entraide du 20 décembre
1999, et ceci jusqu'à l'entrée en force de la décision
de clôture relative à cette demande.. "
Les recours doivent être admis partiellement sur ce point précis.
Il appartiendra à la Chambre d'accusation d'impartir à la République fédérale un bref délai pour qu'elle s'engage formellement à respecter cette condition. A défaut d'une telle assurance, la Chambre d'accusation n'aurait d'autre solution que de suspendre immédiatement les droits de partie de la République fédérale, en invitant celle-ci à restituer tous les documents déjà en sa possession, provenant des procédures P/12983/99 et P/9806/2001.
dd) Si la République fédérale promet de respecter la condition susmentionnée, il n'y aura pas lieu de lui interdire d'utiliser les documents et informations déjà en sa possession ou dont elle adviendrait à connaître dans la suite du déroulement des procédures pénales cantonales, pour les besoins de demandes d'entraide qu'elle pourrait adresser ultérieurement à la Suisse ou à des États tiers, comme le voudraient les recourants. Une telle restriction, outre qu'elle serait invérifiable, porterait atteinte à la souveraineté de la République fédérale, laquelle ne peut être entravée dans la conduite de ses relations internationales par une décision unilatérale de l'autorité suisse.
ee) Dans des cas analogues à ceux de la présente espèce, il conviendrait, afin de prévenir toute équivoque, que l'autorité d'exécution - si elle ne l'a pas fait dans l'intervalle - mette rapidement un terme à la procédure d'entraide, en rendant à cet effet des décisions de clôture, complète ou partielles. Cette solution aurait le mérite de lever toutes les ambiguïtés liées à la conduite parallèle des procédures pénales cantonales, d'une part, et de la procédure d'entraide, d'autre part. De manière générale, en pareil cas, les intérêts d'un traitement rapide de celle-ci devraient primer sur la conduite de celles-là.
6.- Les recours doivent ainsi être admis partiellement au sens du considérant 5b/cc, et rejetés pour le surplus.
Les conclusions des recourants étant dans une très large mesure écartées, il se justifie de mettre les frais à leur charge (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens (art. 159 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Joint les procédures 1A.157/2001 et 1A.158/2001;
2. Admet partiellement les recours au sens du considérant 5b/cc. Modifie en conséquence le deuxième paragraphe du dispositif de la décision attaquée comme suit:
"Il est interdit à la République fédérale du Nigeria d'utiliser, directement ou indirectement, les pièces obtenues dans le cadre des procédures pénales cantonales ouvertes à la suite de la plainte du 24 novembre 1999, pour les besoins de toute procédure pénale, civile ou administrative au Nigeria, ainsi que pour les besoins de la procédure pénale à l'origine de la demande d'entraide du 20 décembre 1999, et ceci jusqu'à l'entrée en force de la décision de clôture relative à cette demande.. "
3. Rejette les recours pour le surplus;
4. Met à la charge des recourants, par moitié chacun, un émolument global de 5000 fr. Il n'est pas alloué de dépens;
5. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des recourants, à la République fédérale du Nigeria, au Juge d'instruction et à la Chambre d'accusation du canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice, Division des affaires internationales.
___________
Lausanne, le 7 décembre 2001 ZIR/dxc
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,