{T 0/2}
1P.319/2001/col
Arrêt du 21 décembre 2001
Ire Cour de droit public
Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du Tribunal fédéral,
Nay, Féraud, Catenazzi, Favre,
greffier Zimmermann.
A.________, recourant, représenté par Me Rainer Weibel, avocat, Herrengasse 30, 3011 Berne,
contre
B.________, représenté par Me Alain Ribordy, avocat, rue St-Pierre-Canisius 1, case postale 769, 1701 Fribourg,
C.________, représenté par Me André Fidanza, avocat, boulevard de Pérolles 22, case postale 47,
1705 Fribourg,
Assemblée des Rwandais de Suisse, 1706 Fribourg, représentée par Me André Clerc, avocat, boulevard de Pérolles 22, case postale 47, 1705 Fribourg, intimés,
Ministère public de l'Etat de Fribourg, rue Zaehringen 1,
1700 Fribourg,
Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg, place de l'Hôtel-de-Ville 2a, 1700 Fribourg.
art. 6 CEDH et art. 29 Cst. (procédure pénale cantonale)
(recours de droit public contre l'arrêt de la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg du 16 mars 2001)
Faits:
A.
Le 27 octobre 1999, le Tribunal pénal de l'arrondissement de la Sarine a reconnu A.________ coupable de diffamation à l'encontre de B.________, de C.________ et de l'Assemblée des Rwandais de Suisse (ci-après: l'Assemblée) et l'a condamné de ce fait à la peine de trois mois d'emprisonnement avec un délai d'épreuve de trois ans. Le Tribunal pénal a fondé son verdict sur cinq articles parus dans le journal "L'Objectif", entre le 17 octobre 1997 et le 12 décembre 1997. A.________ y a traité B.________ de "nazi", en lui reprochant d'avoir apporté un soutien sans réserve au régime responsable du génocide perpétré en 1994 contre les Tutsis du Rwanda. Le Tribunal pénal a en outre retenu à la charge de A.________ l'article publié dans l'édition du 13 novembre 1998 de "L'Objectif," dans lequel l'accusé avait reproché à l'Assemblée et à C.________ d'avoir soutenu le gouvernement responsable du génocide et encouragé l'armée gouvernementale rwandaise à massacrer les Tutsis. Le Tribunal pénal a considéré que l'accusé n'avait pas apporté la preuve libératoire de la vérité, pas davantage qu'il n'avait prouvé le fait d'avoir eu des raisons sérieuses de tenir ses affirmations de bonne foi pour vraies.
Par arrêt du 16 mars 2001, la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg a rejeté le recours formé par A.________ contre le jugement du 27 octobre 1999. La Cour d'appel a rejeté les requêtes de la défense tendant à l'administration de nouveaux moyens de preuve, notamment la production du manuscrit du procès-verbal des audiences du Tribunal pénal.
B.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 16 mars 2001 et de joindre la cause à la procédure 1P.319/2001, concernant la récusation du Tribunal cantonal. Il requiert en outre la récusation des Juges fédéraux Heinz Aemisegger et Arthur Aeschlimann, du Juge fédéral suppléant Marie-Claire Pont Veuthey et du Greffier Robert Zimmermann, à raison de leur participation à un arrêt du 14 décembre 2000 le concernant. Il invoque les art. 8, 9, 29 et 30 Cst., ainsi que l'art. 6 CEDH.
La Cour d'appel a produit des observations. Le Ministère public a renoncé à se déterminer. B.________, C.________ et l'Assemblée ont proposé le rejet du recours, dans la mesure où il serait recevable.
Les parties ont eu l'occasion de se prononcer au sujet d'un extrait du manuscrit du procès-verbal de l'audience du 25 octobre 1999.
Dans ce cadre, le recourant a pu consulter le dossier dans son intégralité, y compris le manuscrit en question. A l'appui de sa prise de position du 3 septembre 2001, il a présenté des conclusions nouvelles, tendant à ce que le Tribunal fédéral suspende la procédure afin de lui permettre de demander la révision de l'arrêt rendu le 14 décembre 2000 dans une autre cause le concernant (procédure 1P.567/2000). Il a requis en outre des enquêtes au sujet de la conformité du manuscrit du procès-verbal à celui-ci, l'octroi d'un délai pour compléter le recours et un débat public.
C.
Par un arrêt séparé du 19 juin 2001, le Tribunal fédéral a rejeté, dans la mesure où elle était recevable, la demande de récusation formée contre les Juges Aemisegger, Aeschlimann et Pont Veuthey, ainsi que contre le Greffier Zimmermann.
D.
Le 19 novembre 2001, le recourant a déposé une demande de révision de l'arrêt rendu le 14 décembre 2000 (procédure 1P.567/2000), cet acte constituant également un mémoire complémentaire pour la présente cause.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Il n'y a pas lieu de joindre le présent recours à celui dirigé contre l'arrêt rendu le 1er mai 2001 par le Tribunal de cinq membres du canton de Fribourg (cause 1P.391/2001), car l'objet du recours et les parties à la procédure ne sont pas les mêmes.
2.
Rien ne s'oppose à ce que le Juge Aemisegger et le Greffier Zimmermann examinent le recours, puisque la demande de récusation dirigée contre eux a été rejetée le 19 juin 2001.
3.
Hormis des exceptions non réalisées en l'espèce, le recours de droit public n'a qu'un effet cassatoire (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 126 I 213 consid. 1c p. 216/217; 126 III 534 consid. 1b p. 536; 125 I 104 consid. 1b p. 107, et les arrêts cités). Les conclusions nouvelles, formulées le 3 septembre 2001, sont irrecevables dans la mesure où elles vont au-delà de l'annulation de l'arrêt attaqué. Il s'ensuit que le Tribunal fédéral ne peut refaire l'instruction de la cause au fond. Des débats à cet effet sont superflus (art. 91 al. 2 OJ). Le mémoire complémentaire du 19 novembre 2001, que le recourant a déposé sans y avoir été invité, est irrecevable.
4.
Le recourant critique le fait de n'avoir pas été autorisé à consulter, dans la procédure d'appel cantonale, le manuscrit ("minutaire") du procès-verbal, ce qui l'aurait empêché de contrôler la relation des déclarations des témoins. Il y voit une violation de son droit d'être entendu et des art. 53ss CPP frib.
4.1 La portée du droit d'être entendu et les modalités de sa mise en oeuvre sont tout d'abord déterminées par la législation cantonale, dont le Tribunal fédéral revoit l'application sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 126 I 15 consid. 2a p. 16; 125 I 257 consid. 3a p. 259; 124 I 241 consid. 2 p. 242/243, et les arrêts cités). Il examine en revanche librement si les garanties minimales consacrées par le droit constitutionnel fédéral ont été respectées (ATF 126 I 15 consid. 2a p. 16; 125 I 257 consid. 3a p. 259; 124 I 241 consid. 2 p. 242/243, et les arrêts cités).
Les parties ont le droit d'être entendues (art. 29 al. 2 Cst.). Cela inclut le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à leur détriment, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d'avoir accès au dossier, de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 126 V 130 consid. 2 p. 130-132; cf., pour la jurisprudence relative à l'art. 4a Cst., ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 16; 124 I 49 consid. 3a p. 51, 242 consid. 2 p. 242, et les arrêts cités). Le droit d'être entendu comprend aussi le droit de la partie à une procédure pénale d'exiger que les déclarations des témoins, importantes pour l'issue du litige et faites pendant l'audience de jugement, soient consignées dans un procès-verbal (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 16; 124 V 389 consid. 3 p. 390).
4.2 Le procès-verbal relate notamment les dépositions des personnes entendues (art. 53 CPP frib.). Il est rédigé séance tenante; aux débats, il mentionne les déclarations sous une forme succincte (art. 54 al. 1 CPP frib.). Exceptionnellement, le procès-verbal peut être tenu en sténographie; le sténogramme doit alors être conservé au dossier après sa transcription (art. 55 al. 1 CPP frib.). L'autorité peut ordonner que certaines déclarations importantes soient intégralement consignées au procès-verbal et qu'elles soient lues et signées par la personne entendue (art. 55 al. 3 CPP frib.). Lors des débats, le procès-verbal ou certaines dépositions ne sont lus et signés que sur demande (art. 57 al. 2 CPP frib.).
Seul le procès-verbal manuscrit (« minutaire », selon la terminologie cantonale) est rédigé séance tenante, comme l'exige l'art. 54 al. 1, première phrase, CPP frib. Il suit de là que ce document uniquement peut être considéré comme le procès-verbal auquel se réfère la loi, sans que cela n'empêche que ce manuscrit soit ensuite retranscrit sous une forme dactylographiée, comme cela se fait selon la pratique des tribunaux fribourgeois. Au demeurant, selon une jurisprudence cantonale constante, les parties disposent du droit de contrôler le contenu du procès-verbal, y compris la conformité de celui-ci au minutaire (arrêt du Tribunal cantonal du 12 avril 1948, reproduit in: Extraits des principaux arrêts rendus par le Tribunal cantonal 1948 p. 155; du 4 juillet 1960 , in: Extraits 1960 p. 199; du 14 mai 1984, in: Extraits 1984 p. 30). Pour le surplus, le recourant ne démontre pas que les art. 53ss CPP frib., 29 al. 2 Cst. ou 6 par. 1 CEDH exigeraient que le procès-verbal soit rédigé immédiatement sous sa forme définitive ou empêcheraient que les notes manuscrites du greffier, prises au cours de l'audience, soient ultérieurement retranscrites dans un procès-verbal dactylographié. Le recourant ne prétend pas davantage que le juge aurait l'obligation de dicter intégralement le procès-verbal au greffier, tout au long du déroulement des débats. Si une partie estime que les déclarations d'un témoin sont particulièrement importantes, elle peut inviter le juge à procéder selon ce que prévoient les art. 55 al. 3 et 57 al. 2 CPP frib. En l'occurrence, le recourant ne dit pas avoir agi de la sorte. Enfin, il est constant que la version dactylographiée du procès-verbal, jointe au dossier de la procédure, a pu être consultée librement devant la Cour d'appel.
En l'occurrence, le manuscrit du procès-verbal a été rédigé par Valentine Schorderet, Greffière du Tribunal pénal, au fur et à mesure des débats. Ces notes en style télégraphique, consignées dans le minutaire, couvrent deux cent pages. Sur cette base, la Greffière Schorderet a établi le procès-verbal de l'audience, qui comprend cent-soixante pages dactylographiées.
Le 20 octobre 1999, le défenseur du recourant s'est adressé au Président du Tribunal pénal, en lui demandant de pouvoir disposer du procès-verbal des audiences des 18 et 19 octobre, en prévision des audiences des 25 et 26 octobre; la consultation de ce document lui était nécessaire « pour la préparation des questions aux témoins (...) ainsi qu'à la plaidoirie ». A l'ouverture de l'audience du 25 octobre 1999, ce mandataire s'est enquis de l'avancement de la rédaction du procès-verbal; le Président lui a répondu que cette tâche n'était pas terminée. Au terme de cette même audience, le défenseur du recourant a réitéré sa demande à pouvoir consulter le procès-verbal avant les plaidoiries, requête que le Président a rejetée parce qu'inhabituelle. Eu égard à ces faits, la Cour d'appel a considéré que le recourant, assisté d'un avocat patenté, n'aurait pas, devant le Tribunal pénal, manifesté son intention de consulter le minutaire pour vérifier la conformité de la version dactylographiée au procès-verbal original, ou le contenu des déclarations prêtées aux témoins. N'ayant, partant, pas fait usage du droit de contrôle que lui conférait la jurisprudence cantonale, selon les modalités fixées par celle-ci, le recourant serait forclos sur ce point. La Cour d'appel a ainsi refusé au recourant la possibilité de consulter le minutaire dans la procédure d'appel cantonale.
Cette solution est inconstitutionnelle.
Le procès-verbal de l'audience de jugement constitue un élément essentiel de la procédure d'appel; il aurait dû, au moins à ce stade, pouvoir être consulté librement par les parties. La demande adressée en ce sens par le recourant au Tribunal pénal, même si elle n'était pas absolument limpide, était néanmoins suffisamment claire pour que la Cour d'appel doive la comprendre comme une demande de consultation des déclarations faites par les parties devant l'autorité de première instance.
Eu égard à la nature formelle du droit d'être entendu (ATF 126 V 130 consid. 2b p. 132; 124 V 180 consid. 4a p. 183, et les arrêts cités), le recours doit être admis pour ce seul motif, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs soulevés par le recourant. Le vice qui affecte la procédure cantonale ne peut être réparé dans le cadre de la présente procédure (cf. ATF 126 I 68 consid. 2 p. 72; 125 I 209 consid. 9a p. 219; 107 Ia 1 consid. 1), quand bien même le recourant a pu, à cette occasion, prendre connaissance de l'intégralité du minutaire, d'en recevoir une copie et de se déterminer à ce sujet, d'une manière très détaillée. En effet, le recours de droit public étant formé essentiellement pour la constatation arbitraire des faits et l'appréciation arbitraire des preuves - notamment des déclarations des témoins relatées dans le procès-verbal -, le Tribunal fédéral ne dispose pas, en l'espèce, d'une cognition aussi étendue que celle de la Cour d'appel (cf. ATF 126 I 68 consid. 2 p. 72; 125 I 209 consid. 9a p. 219; 107 Ia consid. 1).
5.
Le recours doit ainsi être admis dans la mesure où il est recevable, et l'arrêt attaqué annulé. Il est statué sans frais. L'Etat de Fribourg versera au recourant une indemnité de 4000 fr. à titre de dépens (art. 159 OJ). Il n'y a pas lieu de mettre des dépens à la charge des intimés, même si ceux-ci ont conclu au rejet du recours; la cause de l'admission du recours est en effet principalement imputable à la Cour d'appel.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable et l'arrêt attaqué est annulé.
2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
3.
L'Etat de Fribourg versera au recourant une indemnité de 4000 fr. à titre de dépens. Il n'est pas alloué de dépens pour le surplus.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Ministère public et à la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg.
Lausanne, le 21 décembre 2001
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier: