BGer 5C.221/2001
 
BGer 5C.221/2001 vom 20.02.2002
[AZA 0/2]
5C.221/2001
IIe COUR CIVILE
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20 février 2002
Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mme Nordmann
et M. Meyer, juges. Greffière: Mme Mairot.
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Dans la cause civile pendante
entre
Dame X.________, née Y.________, demanderesse et recourante, représentée par Me Pascal Maurer, avocat à Genève,
et
X.________, défendeur et intimé, représenté par Me Vincent Spira, avocat àGenève;
(divorce selon l'art. 115 CC)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- X.________, né en 1911, et dame X.________, née Y.________ en 1939, se sont mariés le 10 janvier 1977. Aucun enfant n'est issu de cette union. Par contrat du 22 février 1983, les conjoints ont adopté le régime matrimonial de la séparation de biens.
X.________ a été arrêté le 9 décembre 1997. Inculpé d'abus sexuels sur la personne de la petite-fille de son épouse, il a été détenu une dizaine de jours à titre préventif à la prison de Champ-Dollon, avant d'être remis en liberté provisoire. Il a alors constaté que dame X.________ avait quitté le domicile conjugal en emportant avec elle des espèces et des titres déposés dans un coffre-fort, d'une valeur approximative de 1'810'000 fr. Le 9 janvier 1998, il a déposé plainte pénale contre son épouse, qui a été inculpée de vol et d'abus de confiance le 6 février suivant.
Le 20 mai 1998, dame X.________ a saisi le Tribunal de première instance de Genève d'une demande en séparation de corps. Elle a également déposé une requête de mesures préprovisoires urgentes tendant au paiement d'une contribution d'entretien mensuelle de 6'000 fr. pendant la durée de la procédure.
Par ordonnance de mesures préprovisoires du 16 juin 1998, le Tribunal de première instance a donné acte aux parties de ce qu'elles s'engageaient à libérer un compte courant auprès du Credit Suisse de Gibraltar et à se répartir le solde par moitié chacune, "à titre de liquidation partielle du régime matrimonial". Cette ordonnance a été exécutée par les époux, qui ont reçu chacun environ 210'000 fr. en juillet 1998.
Lors de l'audience d'introduction et de comparution personnelle du 21 septembre 1998, le mari a conclu reconventionnellement au divorce sur la base de l'art. 115 CC.
L'épouse s'y est opposée et a sollicité l'ouverture d'une instruction sur mesures provisoires, en concluant au versement d'une contribution d'entretien de 7'000 fr. par mois dès le 21 septembre 1998.
Le 2 mars 1999, le Tribunal de première instance a débouté l'épouse de ses conclusions sur mesures provisoires.
Par arrêt du 8 octobre 1999, la Cour de justice du canton de Genève a réformé ce jugement en ce sens qu'elle a condamné le mari à contribuer à l'entretien de sa femme par le versement d'une somme mensuelle de 2'700 fr. dès le 21 septembre 1998.
Le recours de droit public formé par le mari contre cet arrêt a été rejeté par le Tribunal fédéral le 17 décembre 1999.
X.________ a été acquitté des préventions d'actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance et d'actes d'ordre sexuel avec une enfant par arrêt de la Cour correctionnelle du canton de Genève du 6 octobre 1999; cette décision a été confirmée par la Cour de cassation le 17 mars 2000.
Le 19 janvier 2000, le Procureur général a rendu une décision de classement de la procédure pénale ouverte contre dame X.________, décision qui a été confirmée par la Chambre d'accusation le 28 août 2000. Par arrêt du 8 décembre suivant, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le pourvoi en nullité interjeté par X.________.
B.- Par jugement du 13 juillet 2000, le Tribunal de première instance a débouté les époux de toutes leurs conclusions au fond. Statuant le 22 juin 2001 sur l'appel du mari, la Cour de justice a annulé ce jugement, prononcé le divorce des parties et renvoyé la cause au Tribunal de première instance pour qu'il statue sur les effets accessoires et sur l'action en constatation de droit intentée par le mari concernant la liquidation des rapports patrimoniaux entre les époux.
C.- Contre cet arrêt, dame X.________ exerce parallèlement un recours de droit public et un recours en réforme au Tribunal fédéral. Dans le second, elle conclut à l'annulation de l'arrêt entrepris et au rejet de la demande en divorce de son mari, celui-ci étant débouté de toutes autres conclusions.
L'intimé conclut, à la forme, à l'irrecevabilité du recours et, au fond, à la constatation que celui-ci est devenu sans objet. En toutes hypothèses, il propose le rejet des conclusions de la recourante et la confirmation de l'arrêt entrepris.
Considérant en droit :
1.- Aux termes de l'art. 57 al. 5 OJ, il est sursis en règle générale à l'arrêt sur le recours en réforme jusqu'à droit connu sur le recours de droit public. Cette disposition souffre toutefois des exceptions dans des situations particulières, qui justifient l'examen préalable du recours en réforme.
Il en est ainsi lorsque ce recours paraît devoir être admis indépendamment de l'issue du recours de droit public (ATF 122 I 81 consid. 1 p. 83; 120 Ia 377 consid. 1 p. 378/379 et les arrêts cités; Jean-François Poudret, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. II, n. 5 ad art. 57). Tel est le cas en l'espèce.
2.- Selon l'art. 48 al. 1 in initio OJ, le recours en réforme n'est recevable en règle générale que contre les décisions finales prises par les tribunaux ou les autres autorités suprêmes des cantons. En l'espèce, la Cour de justice, en prononçant le divorce tout en renvoyant la cause au Tribunal de première instance pour qu'il règle les effets patrimoniaux de la dissolution du lien conjugal, a rendu une décision finale incomplète. Conformément à la jurisprudence (ATF 113 II 97 consid. 1 p. 98), il y a lieu d'entrer en matière sur le présent recours en réforme.
3.- a) En vertu du principe, de droit fédéral, de l'unité du jugement de divorce, le juge qui prononce le divorce ou la séparation de corps doit statuer en même temps sur tous les effets accessoires (ATF 113 II 97 consid. 2 p. 98/99 et les arrêts cités). La jurisprudence n'apporte une exception à ce principe - dont le Tribunal fédéral impose d'office le respect au juge (ATF 107 II 13 consid. 3 p. 17 et les références) - que pour la liquidation du régime matrimonial, qui peut, à certaines conditions, être disjointe et faire l'objet d'un procès séparé. Tel est le cas lorsque son résultat est sans influence sur les autres effets accessoires du divorce, notamment sur les prétentions à une contribution d'entretien (ATF 113 II 97 précité; 112 II 289 consid. 2 p. 291; 105 II 218 consid. 1c p. 223/224; 98 II 341 consid. 4 p.
345; 80 II 8; cf. ég. Jean-François Poudret/Philippe Mercier, L'unité du jugement de divorce et l'office du juge, in Mélanges Paul Piotet, Berne 1990, p. 317 ss et les références). Si le prononcé sur ces prétentions dépend de la liquidation du régime, il ne doit pas être renvoyé, avec celle-ci, à un procès distinct; dans un tel cas, le juge qui prononce le divorce doit simultanément et dans la même instance procéder à la liquidation du régime matrimonial et statuer sur les effets accessoires du divorce (ATF 95 II 65 let. c p. 68; 77 II 18 consid. 1e p. 22). Le principe de l'unité du jugement de divorce n'est pas limité aux effets légaux du divorce ou de la séparation, mais s'étend à toutes les prétentions pécuniaires entre époux, même séparés de biens, nées pendant le mariage, à condition qu'elles ne soient pas étrangères au divorce (ATF 111 II 401 ss; 109 Ia 53 consid. 2 p. 54/55; Jean-François Poudret/Philippe Mercier, op. cit. , p. 319-320). Ces règles sont également applicables sous le nouveau droit du divorce (Karl Spühler, Neues Scheidungsverfahren, Zurich 1999, § 14, p. 82-83, et Supplément, Zurich 2000, § 14, p. 76).
Ne porte pas atteinte au principe de l'unité du jugement de divorce le juge qui se limite à examiner le mérite de la demande en divorce et, dans l'hypothèse où il l'estime bien fondée, ne prend pas formellement la décision prononçant la dissolution du mariage avant droit connu sur les effets accessoires. De même, si la décision de l'autorité de première instance portant sur le principe du divorce seulement est déférée à la juridiction cantonale de dernière instance, celle-ci, autant qu'elle entend admettre la demande en divorce, doit, pour observer ledit principe, renvoyer la cause au premier magistrat pour qu'il prononce le divorce et règle en même temps les effets accessoires (ATF 113 II 97 précité; 105 II 218 ss).
b) En l'espèce, la Cour de justice ne s'en est pas tenue à ce principe. En effet, elle ne s'est pas contentée d'admettre la demande en divorce. Elle a elle-même prononcé le divorce entre les parties et a renvoyé l'affaire au Tribunal de première instance pour qu'il statue sur les effets accessoires et sur l'action en constatation de droit intentée par le mari concernant la liquidation des rapports financiers entre les conjoints. Ce faisant, l'autorité cantonale a violé le droit fédéral. Par conséquent, il y aurait lieu d'annuler l'arrêt entrepris même si la demande en divorce, contestée, devait être admise. La cause devrait alors être renvoyée au Tribunal de première instance pour qu'il prononce le divorce et prenne en même temps une décision concernant les effets accessoires. Comme un rejet de la demande en divorce provoquerait une décision finale au sens du rejet de l'action, il y a cependant lieu d'examiner les arguments de fond invoqués par l'épouse.
4.- La recourante reproche à la Cour de justice d'avoir violé l'art. 115 CC en retenant l'existence d'un motif sérieux de divorce au sens de cette disposition. Elle soutient que le fait d'avoir emporté de l'argent et des valeurs qui se trouvaient dans un coffre-fort au domicile conjugal et d'avoir ensuite refusé de les remettre en place ne saurait constituer un tel motif.
a) Un époux peut demander unilatéralement le divorce lorsque, au début de la litispendance de la demande ou au jour du remplacement de la requête par une demande unilatérale, les conjoints ont vécu séparés pendant quatre ans au moins (art. 114 CC); toutefois, chaque époux peut demander le divorce avant l'expiration de ce délai de quatre ans, lorsque des motifs sérieux qui ne lui sont pas imputables rendent la continuation du mariage insupportable (art. 115 CC). Savoir si tel est le cas dépend des circonstances particulières de chaque espèce, de sorte qu'il n'est pas possible, ni souhaitable, d'établir des catégories fermes de motifs sérieux au sens de l'art. 115 CC (ATF 126 III 404 consid. 4g/h p. 410 et les références citées). La formulation ouverte de l'art. 115 CC doit précisément permettre aux tribunaux de tenir compte des circonstances du cas particulier et ainsi d'appliquer les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC). Il s'agit de déterminer si le maintien du lien légal peut raisonnablement être exigé sur le plan affectif, autrement dit si la réaction mentalo-émotionnelle qui pousse le conjoint demandeur à ressentir la perpétuation des liens juridiques pendant quatre ans comme insupportable est objectivement compréhensible (ATF 127 III 129 consid. 3b in fine p. 134).
b) L'autorité cantonale a constaté que le mari avait déposé plainte pénale contre son épouse le 9 janvier 1998. Il lui reprochait d'avoir emporté, pendant qu'il était en détention préventive, des espèces et des titres déposés dans un coffre-fort au domicile conjugal, pour une valeur d'environ 1'810'000 fr. L'épouse avait été inculpée de vol et d'abus de confiance le 6 février suivant. Le Procureur général avait cependant rendu, le 19 janvier 2000, une ordonnance de classement de la procédure pénale ouverte contre l'intéressée, décision qui avait été confirmée le 28 août 2000 par la Chambre d'accusation statuant sur recours. Considérant que l'épouse n'avait toutefois pas demandé le non-lieu, la Cour de justice a estimé qu'elle avait commis une grave entorse au devoir de fidélité et de confiance (recte: assistance) prévu par l'art. 159 al. 3 CC, en dérobant de l'argent à son époux alors qu'il était incarcéré pour des faits au sujet desquels il avait ensuite été acquitté.
Cette opinion ne peut être confirmée. Dès lors que l'arrêt entrepris retient que la procédure a été classée par le Procureur général et que le recours déposé contre cette ordonnance a été rejeté par la Chambre d'accusation, l'épouse n'a commis aucune infraction pénale grave contre son conjoint, susceptible de constituer un motif sérieux au sens de l'art. 115 CC (cf. ATF 126 III 404 consid. 4h p. 410 et les références). Le comportement de l'épouse - à savoir le retrait des valeurs du coffre-fort et son refus de les restituer - paraît certes injustifié, même si l'on tient compte du litige opposant les parties concernant le règlement de leurs rapports patrimoniaux. Il convient toutefois de garder à l'esprit qu'avant que le mari ne conclue reconventionnellement au divorce, l'épouse avait été d'accord de procéder au partage d'un compte courant, ce qui avait permis à chacun des conjoints, donc au mari, de recevoir environ 210'000 fr. "à titre de liquidation partielle du régime matrimonial"; ce dernier prétend dès lors à tort qu'il se serait trouvé démuni.
Quoi qu'il en soit, on pouvait raisonnablement exiger de lui qu'il attende la fin du délai de séparation, à savoir, selon les constatations de l'arrêt entrepris, jusqu'en décembre 2001. Ce qui importe en effet, ce n'est pas de savoir si l'on peut exiger de l'époux demandeur la reprise de la vie commune, mais si on peut lui imposer la continuation du mariage, en tant que lien légal. Dans le cas particulier, les éléments résultant de l'arrêt entrepris ne permettent pas de dire que le maintien du mariage jusqu'à la fin des quatre années de séparation aurait pu être objectivement ressenti par le mari comme excessivement rigoureux (cf. ATF 126 III 404 consid. 5b p. 411). Sa crainte que son épouse n'hérite de lui dans l'intervalle n'est à cet égard pas suffisant, ce d'autant plus que les époux sont mariés depuis 1977.
Contrairement à ce que prétend l'intimé, le recours en réforme ne saurait être déclaré sans objet du fait que les époux ont désormais vécu séparés depuis plus de quatre ans.
En cas de rejet d'une action fondée sur l'art. 115 CC, il appartient au conjoint qui le souhaite de déposer une nouvelle demande sur la base de l'art. 114 CC, le délai de quatre ans requis par cette disposition devant être écoulé, selon les termes de la loi, "au début de la litispendance de la demande" (Message du Conseil fédéral du 15 novembre 1995 concernant la révision du Code civil suisse, FF 1996 I 1 ss, n. 231. 31, p. 94 et n. 231. 32, p. 95; Roland Fankhauser, in Ingeborg Schwenzer (éd.), Praxiskommentar Scheidungsrecht, 2000, n. 6 ad art. 114 CC; cf. aussi n. 20 ad art. 115 CC; Thomas Sutter/Dieter Freiburghaus, Kommentar zum neuen Scheidungsrecht, Zurich 1999, n. 14 ad art. 114 CC).
5.- En conclusion, le recours doit être admis et l'arrêt entrepris réformé dans le sens des conclusions prises par la recourante. Les frais judiciaires seront supportés par l'intimé, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Celui-ci versera en outre des dépens à la recourante (art. 159 al. 1 et 2 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Admet le recours et réforme l'arrêt entrepris en ce sens que la demande en divorce est rejetée.
2. Renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale.
3. Met à la charge de l'intimé:
a) un émolument judiciaire de 2'000 fr.
b) une indemnité de 2'000 fr. à verser à la
recourante à titre de dépens.
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
__________
Lausanne, le 20 février 2002 MDO/frs
Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
Le Président,
La Greffière,