[AZA 0/2]
5C.239/2001/otd
IIe COUR CIVILE
*****************************
14 mars 2002
Composition de la Cour: M. Bianchi, président, Mme Nordmann
et Mme Hohl, juges. Greffière: Mme Revey.
_______________
Statuant sur le recours en réforme
interjeté par
D.________, représenté par Me Michel de Palma, avocat à Sion,
contre
le jugement rendu le 19 juillet 2001 par le Juge III du district de Sion, dans la cause opposant le recourant à la Chambre pupillaire de S i o n;
(art. 370 CC: prononcé d'une interdiction)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Par décision du 24 avril 2001 prise sur dénonciation du Juge d'instruction pénale du Valais central, la Chambre pupillaire de Sion a prononcé l'interdiction et la mise sous tutelle de D.________.
L'intéressé a déféré cette décision devant le tribunal du district de Sion, concluant à son annulation. Statuant le 19 juillet 2001, le Juge III du district de Sion a confirmé le prononcé attaqué en vertu de l'art. 370 CC, retenant en bref ce qui suit:
a) Né en 1938, D.________ a été condamné à neuf reprises de 1961 à 1996, soit au total à neuf ans et neuf mois d'emprisonnement, notamment pour escroquerie, abus de confiance et faux dans les titres. Son mode opératoire habituel consistait à tromper ses victimes sur sa réelle situation financière par un édifice de mensonges et une cohérente mise en scène, de manière à ce qu'elles concluent des contrats préjudiciables à leurs intérêts.
Le 6 avril 2001, le Juge d'instruction pénale du Valais central a ouvert contre l'intéressé une instruction pour escroquerie. Par acte signé le 11 décembre 2000, D.________ s'était en effet obligé à verser 950'000 fr. pour acquérir un immeuble de trois appartements, sans avoir la moindre idée du financement. Il avait ensuite commandé des travaux de rénovation en s'engageant pour 377'000 fr. supplémentaires, sans disposer de davantage de ressources. Le rapport de police rédigé dans le cadre de cette instruction précisait encore que le recourant avait déployé des largesses dépassant ses moyens vis-à-vis de ses victimes, afin d'accréditer l'image de riche rentier, qu'il véhiculait, et de gagner leur confiance. Enfin, ce rapport indiquait que des actes de défaut de biens avaient été délivrés à son encontre.
b) Dès sa jeunesse et jusqu'en 1994, D.________ a effectué des séjours dans des établissements psychiatriques en raison de menaces et de tentatives de suicide. Au fil des ans, des diagnostics tels qu'"état dépressif réactionnel" et "personnalité psychopathique" ont été posés.
Selon une expertise psychiatrique du 1er mars 1995, l'intéressé estimait n'assumer aucune faute ni responsabilité, son destin étant entièrement tracé par la malveillance de son entourage et de la société. Les escroqueries commises constituaient ainsi une réaction évidente et naturelle à une agression antérieure de la société. Son côté mythomane, et surtout sa force de conviction, étaient caractéristiques, lui permettant d'entraîner dans ses mystifications ses interlocuteurs qu'il pouvait duper, séduire et escroquer. Le diagnostic se rapprochant le mieux de son état était celui de "personnalité limite à manifestations paranoïaques et mythomaniaques", qui représentait un développement mental incomplet.
c) D.________ vit au bénéfice d'une rente mensuelle de l'assurance-invalidité de 2'376 fr., qui dépasse à peine son minimum vital. Il fait actuellement l'objet de poursuites pour plus de 13'100 fr. auprès de l'Office des poursuites de Sion. Par ailleurs, il avait été mis sous tutelle en 1960, mais cette mesure a été levée le 23 avril 1999 par les autorités neuchâteloises, au motif que leur pupille résidait en Valais depuis plusieurs années et qu'une intervention efficace leur était impossible.
B.- Se plaignant d'une violation de l'art. 370 CC, D.________ recourt en réforme au Tribunal fédéral et conclut à l'annulation de ce jugement. Il requiert également l'assistance judiciaire.
C.- Par ordonnance du 28 septembre 2001, la Cour de céans a suspendu la présente procédure jusqu'à droit connu sur deux recours formés par l'intéressé devant le Tribunal cantonal du canton du Valais. D.________ a été débouté les 17 septembre et 8 octobre 2001 respectivement.
Considérant en droit :
1.- a) Déposé en temps utile contre une mesure d'interdiction prononcée par un tribunal inférieur statuant en dernière instance cantonale, le recours est recevable du chef des art. 44 let. e, 48 al. 2 let. a et 54 al. 1 OJ.
b) Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral fonde son arrêt sur les faits tels qu'ils ont été constatés par la dernière autorité cantonale, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées ou que des constatations ne reposent sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ). Les griefs dirigés à l'encontre des constatations de fait - ou de l'appréciation des preuves à laquelle s'est livrée l'autorité cantonale (ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 189 consid. 2a; 125 III 368 consid. 3 in fine) - et les faits nouveaux sont irrecevables (art. 55 al. 1 let. c OJ). L'art. 64 OJ réserve en outre le complètement de constatations de fait incomplètes.
En ce sens, les affirmations du recourant selon lesquelles il évite toute dépense somptuaire pour lui-même et vit chichement, constituent des faits nouveaux irrecevables.
2.- a) Le Juge de district s'est exclusivement fondé sur l'art. 370 CC, renonçant à appliquer l'art. 369 CC faute d'expertise suffisamment récente. A cet égard, il a estimé que le comportement du recourant réalisait les causes d'interdiction que sont l'inconduite et la prodigalité.
S'agissant ensuite des besoins spéciaux de protection, il a relevé que le recourant menaçait par son inconduite la sécurité d'autrui; de plus, son attitude rendait nécessaires des soins et secours permanents et l'exposait à tomber dans le dénuement. Enfin, la mesure était proportionnée.
b) Le recourant ne dénie pas avoir sombré dans l'inconduite ni menacer de ce fait la sécurité d'autrui.
En revanche, il conteste commettre des prodigalités, se livrer à une mauvaise gestion, risquer de tomber dans le besoin et nécessiter des soins et secours permanents.
3.- a) A teneur de l'art. 370 CC, sera pourvu d'un tuteur tout majeur qui, par ses prodigalités, son ivrognerie, son inconduite ou sa mauvaise gestion, s'expose, lui ou sa famille, à tomber dans le besoin, ne peut se passer de soins et secours permanents ou menace la sécurité d'autrui.
Il résulte des termes clairs de la loi que l'existence de l'une des quatre causes d'interdiction alternatives suffit à justifier une mise sous tutelle, pour autant qu'une telle cause ait pour effet d'entraîner la concrétisation d'au moins un besoin spécial de protection exprimé dans une condition d'interdiction, à savoir le risque pour l'intéressé ou sa famille de tomber dans le besoin, la nécessité de soins et secours permanents ou la menace pour la sécurité d'autrui (arrêt du Tribunal fédéral du 29 juin 1977, publié in RDT 1978 p. 31; Bernhard Schnyder/Erwin Murer, Berner Kommentar, 1984, n. 142 ad art. 370 CC; cf. aussi Henri Deschenaux/Paul-Henri Steinauer, Personnes physiques et tutelle, 4e éd., Berne 2001, n. 118 à 121). De plus, la mesure d'interdiction doit respecter le principe de la proportionnalité (ATF 108 II 92 consid. 4). En particulier, il faut qu'elle soit apte à combattre la cause de l'interdiction, en tout cas ses conséquences, et qu'aucune mesure moins incisive ne puisse atteindre le même but (ATF 88 II 400 consid. 3c).
b) Selon la jurisprudence, on entend par inconduite "non seulement une conduite contraire à la morale du point de vue sexuel, mais toute conduite qui offense gravement l'ordre juridique ou les bonnes moeurs". Une faute isolée est insuffisante à cet égard, il faut un comportement durable et habituel, dont on peut affirmer qu'il se perpétuera en l'absence de mesure tutélaire. Un penchant durable à la délinquance constitue une telle inconduite (ATF 88 II 400 consid. 3a, 405 consid. 1).
La menace pour la sécurité d'autrui doit revêtir un certain degré de gravité et porter sur des intérêts personnels ou matériels importants (Martin Stettler, Droit civil I, Représentation et protection de l'adulte, 4e éd., Fribourg 1997, n. 356).
La notion de "soins et secours permanents" prévue par l'art. 370 CC ne concerne pas seulement les pupilles incapables de gérer adéquatement leur vie quotidienne, mais aussi ceux qui, notamment, ne peuvent s'empêcher de perpétuer un comportement délictueux qui leur est gravement préjudiciable.
En effet, il peut être nécessaire de prononcer une interdiction à l'encontre de délinquants non seulement pour sauvegarder la sécurité d'autrui, mais aussi pour préserver le pupille lui-même de nouvelles poursuites pénales, d'atteintes à son existence économique et, d'une manière générale, d'une déchéance sociale et morale (ATF 88 II 405 consid. 1; arrêt du Tribunal fédéral du 28 octobre 1976, reproduit in RDT 1977 p. 25; cf. aussi Hans Michael Riemer, Grundriss des Vormundschaftsrechts, 2e éd., Berne 1997, § 4 n. 35).
Sous l'angle de la proportionnalité, la jurisprudence relative à des auteurs multirécidivistes d'infractions contre le patrimoine a retenu que seule une mesure de tutelle est apte à offrir une protection suffisante contre une telle inconduite, dès lors qu'elle seule couvre tous les actes juridiques, saisit l'ensemble de la personnalité et donne de larges possibilités d'intervention. Certes, le tuteur ne peut préserver son pupille de toute rechute. Toutefois, par une surveillance et une assistance constantes, il peut conjurer au mieux le danger que l'intéressé réitère ses actes délictueux, notamment qu'il noue de nouvelles relations d'affaires par des déclarations mensongères. Par ailleurs, la publication de l'interdiction assure également une certaine protection (ATF 88 II 400 consid. 3c, 405 consid. 2; sous l'angle de l'art. 369 CC, ATF 97 II 302 consid. 2 p. 304 s. et RDT 1977 p. 25 précité).
4.- a) En l'espèce, le recourant a déjà été condamné à neuf reprises pour escroquerie, abus de confiance ou faux dans les titres et fait actuellement l'objet d'une instruction pour des agissements similaires. Répété régulièrement depuis environ quarante ans, ce comportement pénalement répréhensible constitue ainsi une "inconduite" au sens de l'art. 370 CC. Présentant de plus un risque de récidive important, le recourant menace les biens, partant la sécurité d'autrui (cf. ATF 88 II 400 consid. 3b).
b) De surcroît, le recourant nécessite une surveillance et une assistance permanentes propres à lui éviter de retomber dans la délinquance ou de s'engager excessivement.
Il est probable en effet qu'il cédera derechef à ses penchants si rien n'est entrepris, ce qui entraînera une nouvelle péjoration de sa situation personnelle. Il en ira vraisemblablement de même de son existence économique, alors que celle-ci est déjà délicate en dépit de l'insaisissabilité de sa rente AI (cf. art. 92 al. 1 ch. 9a LP), dès lors qu'il vit à peine au-dessus du minimum vital et qu'il incline indéniablement à s'obliger au-delà de ses moyens.
c) Dans ces circonstances, compte tenu du parcours pénal et psychique du recourant, du risque de récidive qu'il présente ainsi que de son inclination à s'engager excessivement, l'autorité cantonale a estimé à raison qu'une interdiction constitue une mesure propre à prévenir ce comportement dommageable pour l'intéressé lui-même et pour autrui, à condition que le tuteur entreprenne toutes les démarches nécessaires à le suivre efficacement. Il appartiendra ainsi au tuteur de le surveiller attentivement, de l'entourer de près et de l'aider par tous les moyens à résister à ses penchants.
La mesure s'avère donc proportionnée, d'autant que deux besoins spéciaux de protection sont réalisés.
d) La décision attaquée se révèle ainsi conforme à l'art. 370 CC. Il est dès lors superflu d'examiner les autres éléments de cette disposition, notamment la prodigalité.
5.- Vu ce qui précède, le recours est mal fondé et doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable, aux frais de son auteur. Ses conclusions étant d'emblée vouées à l'échec, la requête d'assistance judiciaire doit également être rejetée (art. 152 OJ). Succombant, le recourant devra supporter les frais judiciaires, qui seront fixés en fonction de sa situation financière ( art. 156 al. 1, 153 et 153a OJ ).
Par ces motifs,
le Tribunal f é d é r a l:
1. Rejette le recours dans la mesure où il est recevable et confirme le jugement entrepris.
2. Rejette la demande d'assistance judiciaire.
3. Met à la charge du recourant un émolument judiciaire de 1'000 fr.
4. Communique le présent arrêt en copie au mandataire du recourant et au Juge III du district de Sion.
_____________
Lausanne, le 14 mars 2002 RED/otd
Au nom de la IIe Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
La Greffière,