[AZA 0/2]
4P.49/2002
Ie COUR CIVILE
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30 mai 2002
Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffière: Mme de Montmollin.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
X.________ SA, représentée par Me Jean-Claude Mathey, avocat à Lausanne,
contre
l'arrêt rendu le 14 août 2001 par la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud dans la cause qui oppose la recourante à dame A.________;
( art. 9, 29 al. 1 Cst. ; appréciation arbitraire des preuves,
terme de congé)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Par contrat de travail du 22 novembre 1999, X.________ SA a engagé dame A.________ comme vendeuse de la boutique Y.________. Dès l'expiration du temps d'essai et jusqu'à la fin de la première année de service, le préavis de résiliation était "d'un mois de calendrier".
Le 20 avril 2000, l'employeur a notifié à la vendeuse une lettre se référant à un entretien du 14 avril 2000 et confirmant son licenciement au 14 mai 2000. Le 15 mai 2000, l'employée s'est rendue sur son lieu de travail, où elle aurait effectué son dernier jour au service de la société.
Elle aurait par la suite entrepris des démarches auprès de l'assurance-chômage. Le 19 juillet 2000, son médecin-traitant a attesté un premier contrôle de grossesse effectué le 4 juillet, en précisant que la période de conception s'étendait du 26 mai au 7 juin 2000.
Les 5 juillet, 9 août et 19 septembre 2000, la travailleuse a offert ses services à l'employeur, qui les a refusés.
B.- Le 18 octobre 2000, l'employée a introduit une action en paiement d'arriérés de salaire contre son employeur, à concurrence de 13'500 fr. selon ses dernières conclusions. Celui-ci a conclu à sa libération. Par jugement du 10 janvier 2001, le Tribunal de prud'hommes de Lausanne a condamné l'employeur à payer à la vendeuse 10'500 fr., sous déduction des retenues légales fixées à 10,64%, et la somme de 874 fr.65, valeur brute.
Saisie par l'employeur, la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud a, par arrêt du 14 août 2001, condamné ce dernier à payer à la travailleuse le seul montant de 10'500 fr., sous déduction des retenues légales.
En substance, la cour cantonale a estimé que la question du délai de congé pouvait rester indécise, dès lors que le 15 mai 2000, la vendeuse s'était présentée à son poste et avait effectué sa prestation de travail, sans opposition de son employeur. Ainsi, par actes concluants, les rapports de service n'avaient pas pris fin le 14 mai mais s'étaient poursuivis jusqu'au 31 mai 2000. Comme l'employée était enceinte depuis le 26 mai, elle bénéficiait de la période de protection à teneur des art. 336c al. 1 let. c et 336 al. 2 CO. Le salaire devait donc être payé du 16 mai au 31 décembre 2000; la travailleuse n'avait toutefois pas droit à une indemnité de vacances, puisqu'elle avait bénéficié de celles-ci pendant la période où elle était libérée de son obligation de travailler.
C.- Parallèlement à un recours en réforme, l'employeur interjette un recours de droit public dans lequel il reproche à la cour cantonale une appréciation arbitraire des preuves. Il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la juridiction intimée pour nouvelle décision.
Il fait grief à la Chambre des recours d'avoir retenu, sans aucun fondement, que la salariée aurait effectué sa prestation de travail le 15 mai 2000. Au contraire, le fait qu'elle ne soit pas venue le 16 mai et les semaines suivantes démontrerait que la société s'était opposée à la reprise du travail par la vendeuse, de sorte qu'on ne pourrait en déduire l'accord des parties pour un report du congé au 31 mai 2000.
La cour cantonale se réfère à son arrêt; l'intimée ne prend pas position.
Considérant en droit :
1.- Les moyens invoqués dans le recours de droit public sont susceptibles de conduire à l'annulation de l'arrêt attaqué, notamment pour appréciation arbitraire des preuves, et cela sans examen de la cause au fond. Il se justifie dès lors de se conformer à la règle de l'art. 57 al. 5 OJ qui prescrit de traiter en principe le recours de droit public avant le recours en réforme (ATF 123 III 213 consid. 1; 122 I 81 consid. 1).
2.- Vu la nature cassatoire du recours de droit public, sauf exceptions non réalisées en l'espèce, les conclusions qui vont au-delà de la demande de simple annulation de la décision entreprise sont irrecevables (ATF 127 II 1 consid. 2c p. 5; 127 III 279 consid. 1b p. 282). Tel est le cas de la requête de renvoi à la cour cantonale pour nouvelle instruction et nouvelle décision, de toute manière superflue en cas d'admission du recours. Il en va de même des conclusions tendant à réformer le jugement entrepris dans le sens du déboutement de l'intimée et de l'admission des conclusions libératoires de la recourante, qui sont la transcription textuelle de celles prises dans le recours en réforme, où elles ont exclusivement leur place.
3.- a) Saisi d'un recours de droit public mettant en cause l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral examine seulement si le juge cantonal a outrepassé son pouvoir d'appréciation et établi les faits de manière arbitraire (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4 p. 211; 120 Ia 31 consid. 2d p. 37/38; 118 Ia 28 consid. 1b p. 30 et les arrêts cités). Une constatation de fait n'est pas arbitraire pour la seule raison que la version retenue par le juge ne coïncide pas avec celle de l'une ou l'autre des parties; encore faut-il que l'appréciation des preuves soit manifestement insoutenable, en contradiction flagrante avec la situation effective, qu'elle constitue la violation d'une règle de droit ou d'un principe juridique clair et indiscuté, ou encore qu'elle heurte de façon grossière le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30), ce qu'il appartient au recourant d'établir (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités).
b) En l'espèce, la recourante soutient que la relation de travail a pris fin le 14 mai 2000, en raison de la validité du congé donné le 14 avril 2000 moyennant le respect du préavis "d'un mois de calendrier". Il est constant que l'intimée s'est rendue à sa place de travail le 15 mai 2000, mais la recourante conteste formellement que la vendeuse ait effectué sa prestation de travail ce jour-là, comme l'ont retenu successivement le Tribunal de prud'hommes de l'arrondissement de Lausanne puis la Chambre des recours du Tribunal cantonal. Or, comme la juridiction cantonale a estimé que la question de la validité de la clause contractuelle dérogeant au principe de résiliation pour la fin d'un mois ( art. 335c al. 1 et 2 CO ) pouvait rester indécise, parce que les parties auraient admis par actes concluants le report de l'échéance au 31 mai 2000, il est indispensable de connaître quel a été leur comportement pendant la journée du 15 mai 2000.
En l'état, le dossier ne contient aucune indication autre que la constatation du fait que l'intimée s'est présentée à sa place de travail. En particulier, il ne ressort ni des documents ni des déclarations des parties, et pas davantage du procès-verbal très sommaire tenu par le Tribunal de prud'hommes, lors des audiences des 15 novembre 2000 et 10 janvier 2001, que l'employée ait effectué ses prestations contractuelles ce jour-là, ni que l'employeur l'ait empêchée de le faire, ou lui ait rappelé qu'à son avis la relation de travail avait pris fin la veille, le 14 mai 2000.
En l'absence de tout renseignement sur les déclarations et le comportement des parties le 15 mai 2000, le Tribunal cantonal était réduit à des hypothèses qui ne permettent pas, en fait, d'asseoir la conclusion qu'il en a tirée, à savoir que les rapports de travail se sont poursuivis jusqu'au 31 mai 2000. Une telle conclusion est tout à fait vraisemblable, au regard d'une certaine ambiguïté de la clause du contrat de travail fixant le délai de congé et de son caractère inusuel, voire insolite; de même, l'hypothèse inverse du rappel par l'employeur de l'échéance du délai de congé au 14 mai 2000 s'avère tout aussi vraisemblable; en effet, pour des raisons inexpliquées, la travailleuse ne s'est plus présentée à son poste dès le 16 mai 2000 et jusqu'à la fin du mois de juin, sans encourir de reproche de la part de la recourante.
Il s'ensuit que le grief d'appréciation arbitraire des faits est bien-fondé, ce qui entraîne l'admission du recours de droit public dans la mesure où il est recevable et l'annulation de l'arrêt attaqué.
La procédure est ainsi replacée dans la situation où elle se trouvait avant le prononcé de la décision entreprise et il appartiendra à la juridiction cantonale, avec la collaboration des parties (ATF 107 II 233 consid. 2c p. 236; cf.
également ATF 125 III 231 consid. 4a p. 238/239 et les références; Fabienne Hohl, La réalisation du droit et les procédures rapides, Fribourg 1994, p. 56) de déterminer ce qu'elles ont dit et fait le 15 mai 2000, et dans la période qui a suivi, avant de se prononcer une nouvelle fois sur les conséquences juridiques des faits correctement établis.
4.- La valeur litigieuse de la présente cause étant inférieure à 30'000 fr., la procédure est gratuite en application de l'art. 343 al. 3 CO. En principe, cette disposition ne dispense pas la partie qui succombe de verser à la partie adverse une indemnité à titre de dépens (ATF 115 II 30 consid. 5c p. 42). Dans le cas particulier, comme l'issue du litige au fond demeure réservée, et compte tenu de la situation de l'intimée, il se justifie de ne mettre aucune indemnité de dépens à la charge de celle-ci et en faveur de la recourante (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Admet le recours dans la mesure où il est recevable et annule l'arrêt attaqué;
2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire;
3. Communique le présent arrêt en copie aux parties et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
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Lausanne, le 30 mai 2002 ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,
La greffière,