Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
5P.54/2002 /frs
Arrêt du 28 octobre 2002
IIe Cour civile
Les juges fédéraux Bianchi, président,
Nordmann, Hohl,
greffière Mairot.
Y.________,
recourant, représenté par Me Guy Frédéric Zwahlen, avocat,
rue Robert-Céard 13, 1204 Genève,
contre
Autorité de surveillance des Offices de poursuites et de faillites du canton de Genève,
Palais de Justice, case postale 3108, 1211 Genève 3.
art. 9 Cst. (procédure disciplinaire contre un huissier de l'office des poursuites et faillites Arve-Lac),
recours de droit public contre la décision de l'Autorité de surveillance des Offices de poursuites et de faillites du
canton de Genève du 19 décembre 2001.
Faits:
A.
Le 31 août 2001, l'Inspection cantonale des finances a adressé au Conseil d'Etat de la République et canton de Genève un rapport concernant les offices de poursuites et faillites genevois, qui relatait des dysfonctionnements et des manquements à la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP), à ses ordonnances d'exécution et à des normes de droit cantonal.
Des mesures de suspension provisoire de fonction ont été prises et des enquêtes disciplinaires ont été ouvertes à l'encontre d'un certain nombre de fonctionnaires, au nombre desquels figurait Y.________, huissier de la division "faillites" de l'Office Arve-Lac.
B.
Sur la base dudit rapport et de ses propres mesures d'instruction, l'Autorité cantonale de surveillance des offices de poursuites et de faillites a, par décision du 19 décembre 2001, notamment prononcé la destitution du fonctionnaire susnommé, en application de l'art. 14 al. 2 ch. 4 LP.
C.
C.a Agissant par la voie du recours de droit public pour arbitraire, celui-ci conclut à l'annulation de cette décision. Il demande en outre le renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau dans le sens des considérants.
Des observations sur le fond n'ont pas été requises.
C.b Par arrêt du 26 mars 2002, la Chambre des poursuites et faillites du Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours au sens de l'art. 19 al. 1 LP formé parallèlement par le recourant.
D.
Par ordonnance du 10 septembre 2002, le président de la cour de céans a admis la demande d'effet suspensif.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 La décision prise, comme en l'espèce, par l'Autorité cantonale de surveillance des offices de poursuites et de faillites en vertu de son pouvoir disciplinaire (art. 14 al. 2 LP; ATF 128 III 156 consid. 1), ne peut être attaquée que par la voie du recours de droit public. Le présent recours est dès lors rece-vable selon l'art. 84 al. 2 OJ. Formé en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance cantonale, il l'est aussi au regard des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ.
1.2 Selon l'art. 90 al. 1 let. b OJ, le recours de droit public doit contenir un exposé succinct des faits essentiels et l'indication résumée des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés par la décision attaquée, en précisant la portée de cette violation. Le Tribunal fédéral n'examine que les griefs invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours. Il n'entre pas en matière sur des moyens articulés de façon lacunaire ou lorsque le recourant se borne à une critique de nature appellatoire (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités; cf. aussi ATF 128 III 50 consid. 1c p. 53/54; 127 I 38 consid. 3c p. 43; 127 III 279 consid. 1c p. 282). Dès lors, les remarques d'ordre général formulées par le recourant, notamment à titre liminaire et dans la partie "en fait" de son mémoire, ne peuvent être prises en compte.
1.3 Dans un recours de droit public pour arbitraire, l'invocation de faits nouveaux est exclue (ATF 120 Ia 369 consid. 3b p. 374; 119 Ia 88 consid. 1a p. 90/91; 118 III 37 consid. 2a p. 38/39 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral s'en tient donc à l'état de fait sur lequel la décision attaquée s'est fondée, à moins que le recourant n'établisse que les constatations de l'autorité cantonale sont arbitrairement fausses ou incomplètes (ATF 118 Ia 20 consid. 5a p. 26 et les arrêts cités). Les compléments ou précisions que le recourant entend apporter au déroulement des faits - en particulier concernant le contexte de l'affaire et l'enquête dirigée parallèlement contre lui par le Conseil d'Etat - sont donc irrecevables, sous réserve des moyens qui font l'objet d'un grief de violation de la Constitution motivé conformément aux exigences découlant de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. ATF 125 I 492 précité et les références).
2.
Le recourant reproche à l'autorité cantonale d'avoir rendu une décision arbitraire en omettant d'analyser l'ensemble des circonstances, méconnaissant ainsi un élément d'appréciation important. Il soutient en outre que la sanction qui lui a été infligée est disproportionnée, moyen qui se confond avec le précédent (ATF 123 I 1 consid. 10 p. 11).
2.1 L'art. 14 al. 2 LP prévoit quatre peines disciplinaires: la réprimande, l'amende jusqu'à 1'000 fr., la suspension pour six mois au plus et la destitution. Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'intervient que si l'autorité cantonale de surveillance a commis un excès ou un abus dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, qui est large dans le cadre de l'application de cette disposition. Il y a excès ou abus du pouvoir d'appréciation lorsque la décision attaquée repose sur une appréciation insoutenable des circonstances de fait, qu'elle est inconciliable avec les règles du droit et de l'équité, qu'elle omet de tenir compte de tous les éléments de fait propres à fonder la décision ou encore lorsqu'elle prend au contraire en considération des circonstances qui ne sont pas pertinentes (ATF 128 III 156 précité et les références).
2.2 L'autorité cantonale a considéré qu'à teneur de l'art. 11 LP, il était interdit aux préposés et employés de conclure, pour leur propre compte, une affaire touchant des créances en poursuite ou des objets à réaliser. Or, l'intéressé avait admis avoir contrevenu plusieurs fois à cette disposition, qu'il connaissait. S'il avait spontanément reconnu un certain nombre d'achats effectués à l'occasion de "ventes liquidation", il avait fallu qu'il soit auditionné par une commission d'enquête administrative et par la police pour relater les circonstances précises de la transaction portant sur une montre Patek Philippe, d'un montant de 1'200 fr., dont il avait demandé à la gestionnaire concernée d'établir la quittance au nom d'un tiers dans le but de cacher qu'il en était le véritable acquéreur. Il en allait de même de l'acquisition, pour la somme de 3'820 fr., d'un véhicule provenant d'une succession répudiée, en indiquant un garage comme acheteur; les déclarations du recourant selon lesquelles cette voiture avait été préalablement proposée aux créanciers par voie de circulaire s'étaient au demeurant révélées fausses. Celui-ci avait donc recouru par deux fois, délibérément et en toute connaissance de cause, à des procédés de camouflage pour pouvoir acquérir, en violation de la loi, des actifs provenant de faillites pour ses besoins personnels. Quelles que soient leurs conséquences pénales, de tels actes revêtaient un caractère de grande gravité. Lors de la faillite d'une bijouterie, il avait de plus organisé, dans les locaux de l'Office Arve-Lac, une vente de gré à gré à l'intention des employés de celui-ci, ce qui était indiscutablement contraire à l'art. 11 LP. Enfin, il avait reconnu qu'il ne faisait pas systématiquement signer les inventaires par le failli ou qu'il ne recherchait celui-ci qu'une fois l'état de collocation établi. L'intéressé avait expliqué cette façon d'agir par des considérations de rapidité et d'efficacité; elle n'était cependant pas admissible, compte tenu des conséquences attachées à la déclaration du failli.
En raison de la nature et de la répétition des infractions commises par l'employé en cause, ainsi que de son faible degré de conscience de l'illicéité et de la gravité de ses agissements, l'autorité cantonale a estimé que le lien de confiance, particulièrement étroit, qui devait exister entre l'huissier, d'une part, son gestionnaire ou, plus généralement, sa hiérarchie ainsi que l'Autorité de surveillance, d'autre part, était atteint au point que le maintien de l'intéressé dans ses fonctions n'était pas envisageable et qu'il y avait donc lieu de prononcer sa destitution.
2.3 Le recourant expose qu'il n'a pratiquement pas été instruit ni formé avant de prendre ses fonctions et qu'à son arrivée, des pratiques avaient cours dans les offices, qui lui avaient été imposées par sa hiérarchie. La vente de gré à gré dont l'organisation lui était reprochée avait ainsi été ordonnée par le préposé. Quant aux achats d'objets à titre personnel, ils avaient été effectués en accord avec ses supérieurs, qui lui avaient du reste préconisé de les faire acquérir par un tiers. Enfin, l'absence de signature de certains inventaires par le failli n'avait jamais été relevée par le juge des faillites. Le recourant soutient qu'étant donné le dysfonctionnement général des offices de poursuites et faillites genevois et le manque de contrôle de l'autorité de surveillance, il est disproportionné, partant, arbitraire d'infliger à un fonctionnaire subalterne la sanction la plus grave, à savoir la destitution, sans examiner l'opportunité d'une peine plus légère, ni même vérifier si les administrés ont subi un dommage du fait de ses agissements.
Cette argumentation, de nature essentiellement appellatoire, n'établit pas en quoi la décision de l'autorité cantonale serait manifestement insoutenable. Il n'est en effet pas déterminant que le recourant n'ait bénéficié que d'une formation de trois jours, dès lors qu'outre son CFC d'employé d'administration, il est titulaire d'un brevet de clerc d'avocat et qu'avant d'occuper son poste actuel, il avait notamment travaillé comme huissier de la division "poursuites". De toute manière, il a été retenu qu'il n'ignorait pas l'art. 11 LP. Il ne saurait en outre tirer argument du fait que ces pratiques auraient été avalisées, voire imposées par sa hiérarchie. L'autorité cantonale a admis qu'il s'agissait d'un facteur d'atténuation de la responsabilité personnelle de l'huissier. Toutefois, à supposer que celui-ci n'ait pas adhéré à ces procédés, on ne pouvait que s'étonner qu'il ne se fût pas adressé au substitut de la division "faillites" de l'époque, avocat de formation et dont les divergences d'opinion avec le préposé concernant le fonctionnement général de l'Office Arve-Lac étaient connues de tout le personnel, étant précisé que ledit substitut ne figurait pas parmi ceux admis à cette vente. Or le recourant ne s'en prend pas à cette motivation. Quant à l'acquisition d'objets à titre personnel, il se contente d'affirmer, sans rien démontrer, qu'il a agi avec l'accord de sa hiérarchie, circonstance qui n'est de toute façon pas décisive. Il se prévaut aussi en vain de la justesse des prix de ces objets, l'autorité cantonale ayant estimé que cette affirmation n'était pas établie, voire invérifiable dans certains cas, ce qu'il ne conteste pas valablement. Au vu de l'ensemble des circonstances, la peine infligée au recourant apparaît certes rigoureuse, mais elle ne saurait être taxée d'arbitraire. L'autorité cantonale a estimé à juste titre que la fonction d'huissier des faillites conférait à la personne qui en était investie une très grande liberté d'action et requérait en conséquence un sens aigu des responsabilités, ainsi qu'une honnêteté sans faille. Le recourant ne saurait dès lors arguer de la faible valeur des objets qu'il a achetés, ni de la prétendue absence de dommage causé aux administrés.
2.4 En conclusion, le recours ne peut être que rejeté, dans la mesure où il est recevable. Les frais judiciaires seront supportés par le recourant, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a en revanche pas lieu d'allouer des dépens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Conseil d'Etat et à l'Autorité de surveillance des Offices de poursuites et de faillites du canton de Genève.
Lausanne, le 28 octobre 2002
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: