Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
2P.102/2002/svc
Arrêt du 4 novembre 2002
IIe Cour de droit public
Les juges fédéraux Wurzburger, président,
Yersin et Wuilleret, juge suppléant,
greffier Addy.
M.________, recourant,
contre
Conseil supérieur de la magistrature du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.
art. 9 Cst. (destitution),
recours de droit public contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature du canton de Genève du 15 avril 2002.
Faits:
A.
M.________ est juge prud'homme salarié au Tribunal des prud'hommes de Genève. Il exerce également la profession d'huissier d'étage auprès de cette juridiction pour le compte de Me D.________, huissier judiciaire.
Le 21 août 2001, le Président de la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes a dénoncé M.________ au Conseil supérieur de la magistrature du canton de Genève pour avoir usé, dans le cadre d'une action en justice contre Me D.________, de termes incompatibles avec les exigences de retenue et de dignité qui s'imposent à un juge.
Par lettre du 29 août 2001, la Présidente du Conseil supérieur de la magistrature a invité M.________ à faire preuve à l'avenir de plus de modération, sous peine de sanction. L'intéressé n'a pas réagi à cette lettre.
Saisie d'une nouvelle plainte concernant le comportement de M.________, la Présidente du Conseil supérieur de la magistrature a prié l'intéressé de se déterminer sur les reproches qui lui étaient faits, en l'avisant qu'il encourait une sanction sévère, voire la révocation de ses fonctions de juge prud'homme.
Le 18 mars 2002, M.________ a déposé ses observations.
B.
Statuant le 15 avril 2002, le Conseil supérieur de la magistrature a prononcé la destitution de M.________. A l'appui de sa décision, cette autorité a retenu que l'intéressé avait perturbé le fonctionnement d'une juridiction en sollicitant la récusation en bloc d'un groupe de juges, utilisant ainsi des moyens totalement disproportionnés et que, dans le cadre de cette procédure, il avait mis gravement en cause la probité des magistrats incriminés, sans aucun discernement. Par la suite, il ne s'était pas plié aux injonctions du Conseil supérieur de la magistrature et avait persisté à jeter le discrédit sur toute une juridiction, mettant en doute une nouvelle fois l'intégrité de ses collègues juges. II avait fait des allusions menaçantes à l'encontre du Président de la Chambre d'appel des prud'hommes et n'avait pas craint de mettre en cause les autorités supérieures en les accusant d'être "les complices de fripouilles". L'autorité de surveillance en a conclu que M.________, malgré l'avertissement qui lui avait été signifié, était incapable d'observer une conduite appropriée et n'était par conséquent plus digne d'exercer sa charge.
C.
Agissant par la voie du recours de droit public, M.________ conclut, du moins implicitement, à l'annulation de la décision du Conseil supérieur de la magistrature du 15 avril 2002 et à la publication de celle-ci, le tout sous suite de frais et dépens. II reproche à l'autorité cantonale d'avoir violé son droit d'être entendu et de ne pas l'avoir averti avant de le révoquer. Il dit ne pas avoir été informé de la composition de l'autorité qui l'a sanctionné et ignorer ce qui lui est exactement reproché. Finalement, il se plaint de ne pas avoir pu consulter un avocat.
Le Conseil supérieur de la magistrature n'a pas formulé d'observations sur le recours.
D.
Par décision incidente du 27 mai 2002 et ordonnance présidentielle du 26 juin suivant, le Tribunal fédéral a rejeté les demandes respectivement d'assistance judiciaire et d'effet suspensif présentées par M.________.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 128 Il 13 consid. 1a p. 16; 46 consid. 2a p. 47 et les arrêts cités).
1.1 Le recourant est directement touché par la décision attaquée qui prononce sa destitution comme juge salarié au Tribunal des prud'hommes de Genève; il a donc un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cette décision soit annulée (art. 88 OJ).
1.2 Sous réserve d'exceptions non réalisées dans le cas particulier, le recours de droit public revêt un caractère purement cassatoire (cf. ATF 127 II 1 consid. 2c p. 5; 127 III 279 consid. 1 b p. 282). Les conclusions qui vont au-delà de la simple annulation de la décision entreprise et qui tendent à la publication de celle-ci aux frais de l'Etat de Genève sont dès lors irrecevables.
1.3 Pour le surplus, formé en temps utile et dans les formes prescrites contre une décision finale rendue en dernière instance cantonale, le recours répond aux conditions des art. 84 ss OJ, si bien qu'il est en principe recevable, sous réserve de satisfaire aux exigences de motivation posées à l'art. 90 al. 1 lettre b OJ.
1.4 Selon la disposition précitée, le mémoire de recours doit notamment, à peine d'irrecevabilité, contenir un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques qui auraient été violés, précisant en quoi consiste la violation. Lorsqu'il est saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'a pas à vérifier d'office si l'arrêt attaqué est en tous points conforme au droit et à l'équité. II n'examine que les griefs exposés de manière assez claire et détaillée pour qu'il puisse déterminer quel est le droit constitutionnel dont l'application est en jeu et dans quelle mesure celui-ci a été violé (ATF 127 I 38 consid. 3c p. 43; 126 III 534 consid. 1 b p. 536 et la jurisprudence citée). Une motivation brève, comportant une référence indirecte à la violation de droits constitutionnels non expressément désignés peut, suivant les circonstances, satisfaire aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, notamment lorsque, comme en l'espèce, le recours est interjeté par une personne ne bénéficiant pas d'une formation juridique (cf. ATF 115 la 12 consid. 2b p. 14). En revanche, dans un recours fondé sur l'art. 9 Cst., le recourant ne peut se contenter de critiquer l'arrêt attaqué, mais il doit au contraire préciser, par une argumentation précise, en quoi cet arrêt serait arbitraire, ne reposant sur aucun motif sérieux et objectif, apparaissant insoutenable ou heurtant gravement le sens de la justice (ATF 125 I 492 consid. 1 b p. 495; sur la notion d'arbitraire, cf. ATF 126 I 168 consid. 3a p. 170 et les arrêts cités). II ne peut donc se borner à critiquer la décision attaquée comme il le ferait en procédure d'appel (ATF 117 la 10 consid. 4b p. 12; 110 la 1 consid. 2a p. 3; 107 la 186 et la jurisprudence citée), ni se contenter d'opposer sa thèse à celle de l'autorité cantonale (ATF 120 la 369 consid. 3a p. 373; 116 la 85 consid. 2b p. 88; 86 I 226).
C'est à la lumière de ces principes que les griefs seront examinés.
2.
Le recourant reproche au Conseil supérieur de la magistrature de ne pas l'avoir entendu de vive voix.
2.1 La portée du droit d'être entendu et les modalités de sa mise en oeuvre sont déterminées en premier lieu par les dispositions cantonales de procédure, dont le Tribunal fédéral ne contrôle l'application et l'interprétation que sous l'angle restreint de l'arbitraire; dans tous les cas cependant, l'autorité cantonale doit respecter les garanties minimales déduites directement de l'art. 29 al. 2 Cst., dont le Tribunal fédéral examine librement le respect (cf. ATF 126 I 15 consid. 2a p. 16 et les arrêts cités).
En l'espèce, le recourant dénonce une violation de l'art. 5 al. 4 de la loi genevoise du 25 septembre 1997 instituant un Conseil supérieur de la magistrature qui impose au Conseil d'entendre ou d'appeler le magistrat mis en cause et le plaignant avant de rendre sa décision.
Tel qu'il est prévu par cette disposition ainsi que, par renvoi (cf. art. 5 al. 5 de la loi cantonale instituant un Conseil supérieur de la magistrature), par la loi genevoise du 12 septembre 1985 sur la procédure administrative, le droit d'être entendu ne va pas plus loin, au plan cantonal, que celui qui est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. C'est donc exclusivement à la lumière de cette disposition constitutionnelle qu'il convient d'examiner le mérite du recours.
2.2 Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès sur le fond. Tel qu'il est reconnu par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu comprend en particulier le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (cf. ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56 et l'arrêt cité).
Dans le cas présent, le recourant a eu l'occasion - et il l'a utilisée - de faire valoir par écrit son point de vue sur les reproches qui lui sont faits quant à son activité de juge prud'homme et de se déterminer sur l'éventualité d'une sanction, voire de sa révocation. Ce droit n'impliquait pas, en revanche, celui d'être entendu oralement comme il le réclame (cf. ATF 122 II 464 consid. 4c p. 469 et les arrêts cités).
2.3 Le droit d'être entendu comprend également le droit pour la partie d'obtenir une décision motivée. L'étendue de l'obligation de motiver se détermine, en général, en fonction de la complexité de l'affaire. Le recourant, en procédure contentieuse, doit pouvoir prendre position de façon adéquate sur les informations principales de la décision. Une motivation peut être considérée comme suffisante lorsque l'intéressé est en mesure de se rendre compte de la décision et de la déférer à l'instance supérieure en pleine connaissance de cause. L'auteur de la décision n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais il peut se limiter à ceux qui sont pertinents (cf. ATF 126 I 15 consid. 2a/aa; 125 II 369 consid. 2c p. 372; Benoît Bovay, Procédure administrative, Berne 2000, p. 266/267).
Le droit à une décision motivée est également garanti par l'art. 8 al. 1 de la loi cantonale précitée instituant le Conseil supérieur de la magistrature.
2.4 C'est en vain que le recourant se plaint de l'insuffisance de la motivation de la décision entreprise, car celle-ci indique dans le détail et de façon très compréhensible les raisons pour lesquelles le Conseil supérieur de la magistrature a considéré son comportement comme incompatible avec sa charge de juge prud'homme. En substance, l'autorité intimée lui a ainsi reproché d'avoir perturbé le fonctionnement d'une juridiction civile en usant de procédés disproportionnés, consistant en particulier en une demande injustifiée de récusation en bloc des juges de l'autorité saisie, et d'avoir également gravement mis en cause, de manière totalement infondée, l'intégrité des magistrats incriminés, persistant à jeter le discrédit sur toute une juridiction au mépris de l'avertissement qui lui avait pourtant été signifié. Le recourant était donc parfaitement à même de comprendre ce qui lui était reproché dans la décision attaquée et, le cas échéant, de contester utilement celle-ci (cf. ATF 122 II 359 consid. 2a p. 362/363; Thomas Merkli/Arthur Aeschlimann/Ruth Herzog, Kommentar zum Gesetz über die Verwaltungsrechtspflege im Kanton Bern, Berne 1997, ad art. 52 nos 5 et 6 p. 364/365). Pour s'en convaincre, il suffit d'ailleurs d'examiner les griefs qu'il développe dans son mémoire de recours: ceux-ci attestent bien que les raisons pour lesquelles le Conseil supérieur de la magistrature a prononcé sa destitution lui sont tout à fait claires.
2.5 Pour ce qui est des autres griefs soulevés par le recourant, à savoir qu'il n'aurait pas fait l'objet d'un véritable avertissement préalable, qu'il n'aurait pas eu connaissance de la composition du Conseil supérieur de la magistrature et qu'il n'aurait pas pu consulter un avocat, le recours ne satisfait manifestement pas aux exigences de motivation qui ont été rappelées plus haut (cf. supra consid. 1.4). Au demeurant, la valeur d'admonition du courrier adressé le 29 août 2001 au recourant ne pouvait lui avoir échappé. Pour le reste, on relèvera que l'intéressé ne prétend pas que l'autorité intimée aurait statué dans une composition irrégulière ou avec le concours d'un membre prévenu (cf. ATF 114 la 275 consid. 2a p. 276, 107 la 135 consid. 2b p. 137); il n'invoque de toute façon aucun motif de récusation à l'encontre des membres dont il a pu prendre connaissance à la lecture de la décision entreprise. Enfin, on voit mal pour quelle raison il n'aurait pas pu consulter un avocat, sauf à prétendre que l'assistance judiciaire lui aurait été refusée; or, il n'a pas déposé une telle demande auprès du service cantonal concerné.
2.6 De surcroît, la décision attaquée apparaît pleinement justifiée sur le fond, au vu notamment de la nature et de la gravité des actes reprochés au recourant et du mépris dont il a témoigné à l'égard des avertissements qui lui ont été signifiés.
3.
Le recours doit par conséquent être rejeté dans la mesure où il est recevable, aux frais du recourant, qui succombe (cf. art. 156 al. 1 OJ). II n'y a pas lieu d'allouer une indemnité à l'autorité intimée (cf. art. 159 al. 2 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant et au Conseil supérieur de la magistrature du canton de Genève.
Lausanne, le 4 novembre 2002
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: