BGer 5C.172/2002
 
BGer 5C.172/2002 vom 20.11.2002
Tribunale federale
{T 0/2}
5C.172/2002 /svc
arrêt du 20 novembre 2002
IIe Cour civile
Les juges fédéraux Bianchi, président,
Escher, Hohl,
greffier Abrecht.
Les époux A.________, demandeurs et recourants, représentés par Me Christophe Piguet, avocat,
place St-François 5, case postale 3860, 1002 Lausanne,
contre
B.________, défendeur et intimé, représenté par
Me Jean-Pierre Gross, avocat, avenue des Mousquines 20,
case postale 31, 1000 Lausanne 5.
passage nécessaire,
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 14 février 2002.
Faits:
A.
C.________ a acquis en 1989 la parcelle inscrite au Registre foncier sous le n° ccc de la Commune de X.________, sise au Sentier Y.________. Cette parcelle, d'une surface de 1'246 m2 dont 589 m2 affectés à un bâtiment de trois logements avec garage souterrain, a été constituée en propriété par étages en 1994. L'une des parts de copropriété par étages a été acquise en 1997 par les époux A.________. Inscrite au Registre foncier sous le n° aaa, elle représente 440/1000 de la parcelle de base n° ccc, avec droit exclusif sur un appartement de deux niveaux (second étage et combles) de 357 m2 environ, avec balcon et loggia de 60 m2. Les autres parts de copropriété par étages appartiennent à C.________ et à D.________.
B.________ est propriétaire depuis 1989 de la parcelle inscrite au Registre foncier sous le n° bbb de la Commune de X.________, sise au Sentier Y.________. Cette parcelle, d'une surface de 1'293 m2, est entourée à l'ouest par la parcelle n° ccc, à l'est par la parcelle n° eee (propriété de l'État de Vaud et aménagée en court de tennis) et au sud par le Sentier Y.________, de l'autre côté duquel se trouvent les parcelles nos ... et ... , en mains privées.
B.
Le 23 mai 1991, une convention intitulée "promesse de constitution de servitudes", portant sur des servitudes de passage à pied, pour tous véhicules et canalisations, en faveur de la Commune de X.________, a été signée devant notaire par les propriétaires des parcelles nos ... , ... (sise dans le prolongement sud de la précédente), ... , ... , ... (sise dans le prolongement sud de la précédente), fonds dominants, et des parcelles nos bbb, ccc (dont C.________ était alors seul propriétaire) et eee, fonds dominants et servants. Les servitudes devaient permettre d'élargir le Sentier Y.________, de manière à permettre d'une part aux propriétaires concernés d'accéder à leurs parcelles et d'utiliser la place de rebroussement aménagée sur les parcelles nos bbb et ccc et, d'autre part, au personnel et aux véhicules communaux d'emprunter le Sentier Y.________ ainsi élargi pour l'accomplissement des services publics et de faire poser en sous-sol toutes canalisations. Les frais d'aménagement du passage, de pose des canalisations et de remise en état des parcelles concernées à leur limite avec le sentier élargi seraient à la charge de la Commune de X.________, de même que les frais d'entretien et de déblaiement de la neige.
C.
Fort de cette convention du 23 mai 1991, C.________ a pu construire sur la parcelle n° ccc l'immeuble qu'il a constitué en propriété par étages. Les travaux d'aménagement du Sentier Y.________ ont été réalisés et pris en charge par la Commune de X.________. Celle-ci a participé financièrement à l'aménagement de la surface prévue pour la place de rebroussement sur la partie sud-est de la parcelle n° ccc, où le Sentier Y.________ se termine en cul-de-sac; elle a en effet supporté à cet endroit les frais d'un dallage conséquent susceptible de parer à une usure importante due au passage de véhicules communaux lourds (ordures, déblaiement de la neige, etc.). Avant son élargissement à environ trois mètres et son aménagement, la portion du Sentier Y.________ qui longe le côté sud de la parcelle n° bbb et se termine en cul-de-sac au coin sud-est de la parcelle n° ccc était un chemin presque exclusivement piétonnier, le domaine public à cet endroit étant trop étroit (entre 1 m 36 et 1 m 61) pour permettre la circulation de véhicules.
Les époux A.________, mis en demeure le 9 décembre 1998 par B.________ de signer la convention définitive de constitution de servitudes, ont refusé de signer cet accord. D.________ a quant à lui signé la convention définitive.
D.
Le 15 décembre 1998, B.________ a fait déposer des obstacles sur la portion goudronnée du Sentier Y.________ élargi qui empiète sur sa parcelle, empêchant ainsi les propriétaires riverains d'accéder à leur habitation au moyen d'un véhicule. Saisi d'une requête de mesures provisionnelles et d'extrême urgence par les époux A.________, le Président du Tribunal de district a alors fait interdiction à B.________ de clôturer la partie asphaltée du Sentier Y.________ qui empiète sur la parcelle n° bbb et de faire obstacle à la circulation des véhicules empruntant ce tronçon du chemin. B.________ a obtempéré.
E.
Par demande du 25 mars 1999, les époux Schedel ont ouvert action en passage nécessaire contre B.________. Ils ont conclu à ce qu'un tel passage leur soit accordé, en leur qualité de titulaires de la part de copropriété par étages inscrite au Registre foncier sous le n° aaa de la Commune de X.________, sous la forme d'une servitude de passage à pied et en voiture d'une largeur de 1,5 m sur le côté sud de la parcelle n° bbb, moyennant paiement d'une indemnité de 1'000 fr. Ils ont fondé leur prétention sur l'art. 694 al. 1 CC, dont les conditions étaient selon eux réalisées sans que le rebroussement sur la parcelle n° ccc puisse leur être imposé, leur bonne foi à cet égard étant donnée.
B.________ a conclu principalement au rejet des conclusions de la demande, et subsidiairement à ce qu'ordre soit donné aux demandeurs de signer, dans les dix jours dès jugement définitif et exécutoire, une convention relative à la constitution des diverses servitudes prévues dans la convention du 23 mai 1991, faute de quoi le Conservateur du Registre foncier devrait procéder d'office à l'inscription. Le défendeur a soutenu que les demandeurs n'avaient pas qualité pour agir, que les conditions exigées par l'art. 694 al. 1 CC n'étaient pas réalisées et que le refus par les demandeurs de concourir à l'acte de constitution de servitudes, qui n'attendait que leur signature, relevait de la mauvaise foi.
Les demandeurs ont conclu au rejet des conclusions reconventionnelles. A l'audience de jugement, ils ont précisé que l'indemnité pour le passage nécessaire en faveur de leur part de copropriété par étages serait de 11'955 fr., montant fixé par expertise.
F.
Par jugement du 20 juin 2001, le Président du Tribunal d'arrondissement a rejeté tant les conclusions des demandeurs que celles reconventionnelles du défendeur, auquel il a alloué des dépens réduits.
Le premier juge a considéré en substance que tous les copropriétaires, et non pas les seuls demandeurs, auraient dû demander la constitution de la servitude de passage en faveur de la parcelle de base n° ccc. S'agissant des conclusions reconventionnelles du défendeur, il a estimé que les demandeurs ne pouvaient être contraints de signer un contrat auquel ils n'avaient jamais été parties et qui n'était pas mentionné dans l'acte de vente de leur part de copropriété par étages; en outre, les conclusions du défendeur auraient dû être dirigées contre l'ensemble des copropriétaires, et non contre les seuls demandeurs.
G.
Statuant par arrêt du 14 février 2002 sur appel des demandeurs, la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud a confirmé le jugement de première instance et a mis les frais et dépens d'appel à la charge des demandeurs.
Les juges cantonaux ont considéré en substance que la constitution d'une servitude de passage en faveur de la seule part de copropriété par étages des demandeurs était de nature à restreindre les droits des autres copropriétaires par étages et qu'elle nécessitait donc le concours de tous en vertu de l'art. 648 al. 2 CC. Dès lors que seule la communauté des copropriétaires avait ainsi qualité pour requérir l'inscription d'une servitude de passage sur la parcelle de base, l'action des demandeurs devait être rejetée faute de légitimation active.
H.
Contre cet arrêt, les demandeurs exercent un recours en réforme au Tribunal fédéral. Ils concluent principalement à la réforme de l'arrêt attaqué, en ce sens que l'appel soit admis et que les conclusions qu'ils ont formulées en première instance soient accordées avec suite de dépens, et subsidiairement à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de l'affaire à la cour cantonale pour nouvelle décision. A l'appui de leur recours, les demandeurs produisent un avis de droit établi le 9 août 2002 par le Professeur Paul-Henri Steinauer, lequel soutient en substance qu'une servitude de passage nécessaire peut être constituée en faveur d'une part de copropriété par étages dans la mesure où le titulaire de cette part peut faire valoir un intérêt raisonnable à la servitude, ce qui serait le cas des demandeurs.
Le défendeur conclut avec dépens au rejet du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Les droits contestés dans la dernière instance cantonale dépassent la valeur d'au moins 8'000 fr. dont l'art. 46 OJ fait dépendre la recevabilité du recours en réforme dans les contestations civiles portant sur des droits de nature pécuniaire autres que ceux visés à l'art. 45 OJ. Le recours est ainsi recevable sous cet angle. Déposé en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance cantonale, il est également recevable du chef des art. 54 al. 1 et 48 al. 1 OJ.
1.2 Sous réserve d'exceptions qui ne sont pas réalisées en l'espèce (cf. ATF 127 III 248 consid. 2c), le Tribunal fédéral fonde son arrêt sur les faits tels qu'ils ont été constatés par la dernière autorité cantonale (art. 63 al. 2 OJ). L'état de fait déterminant ne comprend pas seulement les faits que la cour cantonale a elle-même exposés, mais aussi les faits constatés dans la décision de l'instance inférieure, si la cour cantonale s'y réfère expressément (Corboz, Le recours en réforme au Tribunal fédéral, in SJ 2000 II 61; Messmer/Imboden, Die eidgenössischen Rechtsmittel in Zivilsachen, p. 128 n. 93), ce que la Chambre des recours a fait en l'espèce (cf. le consid. 1a de l'arrêt attaqué).
1.3 Si le Tribunal fédéral ne peut pas aller au delà des conclusions des parties, il n'est en revanche pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ); il peut donc admettre un recours pour d'autres motifs que ceux invoqués par le recourant, de même qu'il peut rejeter le recours en adoptant une autre argumentation juridique que celle retenue par la cour cantonale (ATF 127 III 248 consid. 2c et les références citées).
2.
2.1 Aux termes de l'art. 694 al. 1 CC, le propriétaire qui n'a qu'une issue insuffisante sur la voie publique peut exiger de ses voisins qu'ils lui cèdent le passage nécessaire, moyennant pleine indemnité. La jurisprudence s'est montrée stricte dans l'application de cette disposition, en raison de la gravité de l'atteinte portée en pareil cas à la propriété du voisin. Le droit au passage nécessaire ne peut être invoqué qu'en cas de véritable nécessité (ATF 120 II 185 consid. 2a; 117 II 35 consid. 2; 110 II 126 consid. 4; 105 II 178 consid. 3b). En particulier, ce droit ne peut être que subsidiaire par rapport aux instruments du droit public en matière d'équipement des zones à bâtir, que la collectivité intéressée a l'obligation d'équiper notamment par des voies d'accès adaptées à l'utilisation prévue (art. 19 LAT, RS 700; cf. art. 5 LCAP, RS 843); il appartient avant tout au droit public de prévoir les moyens assurant l'équipement d'un bien-fonds, et il n'y a pas lieu d'accorder un passage nécessaire au sens du droit civil tant qu'un accès approprié peut être atteint par des moyens relevant du droit public (ATF 120 II 185 consid. 2c; 117 II 35 consid. 4b; 110 II 17; cf. ATF 121 I 65 consid. 4 et 5).
2.2 L'équipement d'un terrain constructible, comprenant la desserte par des voies d'accès adaptées à l'utilisation prévue, est une condition sine qua non de la délivrance d'une autorisation de construire (art. 22 al. 2 let. b LAT). Comme on vient de le voir, cet équipement doit en principe être réalisé au moyen des instruments du droit public, qui permettent le cas échéant le remembrement (art. 20 LAT) ou la rectification de limites (art. 10 LCAP; Jomini, in Commentaire de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, Zurich 1999, n. 23 ad art. 19 LAT; ATF 121 I 65 consid. 5b/aa). Il n'y a toutefois lieu de recourir à une telle procédure que si les droits de passage indispensables à l'équipement ne peuvent être constitués sur une base contractuelle (ATF 121 I 65 consid. 5b/aa; cf. l'arrêt du Tribunal administratif vaudois du 30 septembre 1998 publié in RDAF 1999 I 219, consid. 3b p. 225 et 6a p. 234), par convention conclue entre la collectivité et les propriétaires fonciers concernés (cf. Jomini, op. cit., n. 68 ad art. 19 LAT).
2.3 En l'espèce, il appert que la Commune de X.________ a conclu avec l'ensemble des propriétaires riverains du tronçon du Sentier Y.________ qui se termine en cul-de-sac au coin sud-est de la parcelle n° ccc, tronçon sur lequel la circulation et le rebroussement de véhicules étaient impossibles, une convention destinée à permettre une desserte appropriée de toutes les parcelles concernées. C'est sur la base de cette convention, qui comportait l'engagement des propriétaires sur les fonds desquels devaient être réalisés l'élargissement du sentier et la place de rebroussement de constituer les servitudes nécessaires, que l'autorisation de construire a été accordée à C.________  -alors seul propriétaire de la parcelle n° ccc - et que les travaux d'aménagement du sentier élargi et de la place de rebroussement ont été réalisés et pris en charge par la Commune de X.________.
La résolution du problème de l'accès à la parcelle n° 853 a ainsi été entamée par la voie du droit public, à travers la convention passée le 23 mai 1991 entre la Commune de X.________ et les propriétaires concernés pour assurer conformément à l'art. 19 LAT la desserte appropriée des biens-fonds riverains du dernier tronçon est-ouest du Sentier Y.________. C'est donc cette procédure qui doit être menée à terme, d'une manière qui assurera à tous les copropriétaires actuels de la parcelle n° ccc la desserte appropriée de leur bien-fonds. Or, comme on l'a vu (cf. consid. 2.1 supra), tant qu'un accès approprié peut être atteint par des moyens relevant du droit public, il n'y a pas lieu d'accorder un passage nécessaire au sens du droit civil. En conséquence, les conclusions des demandeurs tendant à la constitution d'une servitude de passage nécessaire doivent être rejetées, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si une telle servitude pourrait être constituée en faveur d'une part de copropriété par étages.
3.
Il résulte de ce qui précède que le recours en réforme des demandeurs, mal fondé, doit être rejeté et l'arrêt attaqué confirmé. Les recourants, qui succombent, supporteront solidairement entre eux les frais judiciaires (art. 156 al. 1 et 7 OJ) ainsi que les frais occasionnés par la procédure fédérale à l'intimé (art. 159 al. 1 et 5 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté et l'arrêt attaqué est confirmé.
2.
Sont mis à la charge solidaire des recourants:
2.1 un émolument judiciaire de 5'000 fr.;
2.2 une indemnité de 5'000 fr. à verser à l'intimé à titre de dépens.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 20 novembre 2002
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: