Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1P.77/2003 /col
Arrêt du 14 avril 2003
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Thélin.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Patrick Stoudmann, avocat, place de la Palud 13, case postale 2208, 1002 Lausanne,
contre
Y.________, intimée, représentée par Me Antoinette Haldy-Dimel, avocate, avenue C.-F. Ramuz 60,
case postale 234, 1001 Lausanne,
dame X.________, partie intéressée, représentée par
Me Christian Favre, avocat, rue de la Paix 4, case postale 3632, 1002 Lausanne,
Procureur général du canton de Vaud, rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de cassation pénale, 1014 Lausanne.
Objet
procédure pénale; appréciation des preuves
recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal cantonal du 24 juin 2002.
Faits:
A.
En mai 1996, le Juge de paix du cercle d'Ollon était saisi d'une demande d'interdiction introduite par les époux X.________, tendant à ce que leur fille Y.________, née en 1976, fût placée sous leur autorité parentale. Le Juge de Paix a ordonné une expertise qu'il a confiée au docteur Claude Miéville, médecin psychiatre. Ce praticien a déposé un rapport daté du 1er juillet 1996, préconisant une tutelle à assumer par un spécialiste étranger au milieu familial. Le rapport décrivait ce milieu comme perturbé et mentionnait que d'après certaines personnes ayant soigné la jeune fille, celle-ci faisait allusion à des abus sexuels subis du fait de son père.
En octobre suivant, sur dénonciation du Tuteur général, le Juge d'instruction compétent a ouvert une enquête pénale. Y.________ ayant décrit des abus sexuels commis par son père, le juge a confié une expertise de "crédibilité" au docteur Bernard Graf, psychiatre pour enfants. Celui-ci a déposé son rapport le 10 avril 2001; à l'issue d'une discussion détaillée, il tenait la victime présumée pour "tout à fait crédible".
B.
Les époux X.________ furent tous deux renvoyés devant le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de l'Est vaudois, l'épouse étant prévenue de complicité dans les abus imputés à son mari. Ils contestaient les faits allégués par leur fille.
A l'audience du 21 janvier 2002, le tribunal a interrogé la victime, en l'absence des accusés et de leurs conseils. Elle a alors décrit, pour la première fois, des abus sexuels censément perpétrés dans la cave du logement que la famille occupait alors à Aigle, avant son déménagement à Ollon. Son père l'avait entraînée dans ce local sous prétexte de travailler à l'établi qui s'y trouvait. Informé de ces déclarations, X.________ a alors soutenu qu'il n'avait jamais possédé d'établi, que la configuration des lieux ne permettait aucun travail et que les parois à claire-voie n'offraient pas de protection contre les regards de tiers; il a demandé le renvoi des débats afin de pouvoir produire des photographies de cette cave. Dans une décision incidente, le Tribunal correctionnel a rejeté cette requête. Il a considéré que les accusés avaient quitté ces lieux depuis plusieurs années et que des images de leur état actuel n'apporteraient aucun élément pertinent.
Préalablement aux débats, X.________ avait demandé la citation du Dr. Graf, expert judiciaire que le Président a effectivement convoqué. En raison d'une erreur de sa part, ce psychiatre ne s'est toutefois pas présenté. X.________ a alors soutenu que les rapports des experts Miéville et Graf présentaient des contradictions, et que seule l'audition de ce dernier permettrait de comprendre comment il était parvenu à un diagnostic "totalement différent" de celui de son confrère; en conséquence, l'accusé demandait le renvoi des débats et une nouvelle citation du Dr. Graf. Dans une deuxième décision incidente, le tribunal a jugé que l'audition de cet expert n'était pas nécessaire au point d'imposer un renvoi et que le procès devait au contraire, compte tenu du temps déjà écoulé, se poursuivre sans désemparer; en tant qu'une contradiction diagnostique existait entre les deux rapports d'expertise, elle s'expliquait pas la différence des missions conférées à leurs auteurs. Le Tribunal correctionnel a ainsi rejeté cette nouvelle requête.
Le 22 janvier 2002, à l'issue des débats, le Tribunal correctionnel a reconnu X.________ coupable de contrainte sexuelle et viol au préjudice de sa fille, et l'a condamné à trois ans de réclusion. Il a reconnu dame X.________ coupable de complicité de viol et l'a condamnée à cinq mois d'emprisonnement, avec sursis durant deux ans.
C.
Les condamnés ont recouru à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois; ils contestaient notamment les décisions incidentes prises aux débats. Statuant le 24 juin 2002, la cour saisie a rejeté leurs conclusions.
D.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de cassation pénale. Il persiste seulement dans ses critiques dirigées contre les décisions incidentes précitées. Il se plaint d'arbitraire dans l'appréciation anticipée des preuves par lui offertes et, en conséquence, de violation du droit d'être entendu.
Invités à répondre, le Ministère public cantonal propose le rejet du recours; la victime intimée et la Cour de cassation pénale se sont prononcées dans le même sens, sans déposer d'observations.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. confère aux parties, notamment, le droit d'obtenir l'administration des preuves qu'elles ont valablement offertes, à moins que celles-ci ne portent sur un fait dépourvu de pertinence ou qu'elles soient manifestement inaptes à faire apparaître la vérité quant au fait en cause. Par ailleurs, le juge est autorisé à effectuer une appréciation anticipée des preuves déjà disponibles et, s'il peut admettre de façon exempte d'arbitraire qu'une preuve supplémentaire offerte par une partie serait impropre à ébranler sa conviction, refuser d'administrer cette preuve (ATF 124 I 208 consid. 4a p. 211, 122 V 157 consid. 1d p. 162, 119 Ib 492 consid. 5b/bb p. 505).
L'appréciation des preuves est arbitraire lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral n'invalide la solution retenue par le juge de la cause que si elle apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective ou adoptée sans motifs objectifs. Il ne suffit pas que les motifs retenus soient insoutenables; il faut en outre que l'appréciation soit arbitraire dans son résultat. Il ne suffit pas non plus qu'une solution différente puisse être tenue pour également concevable, ou apparaisse même préférable (ATF 127 I 38 consid. 2 p. 40, 126 I 168 consid. 3a p. 170; 125 I 166 consid. 2a p. 168).
1.2 L'art. 90 al. 1 let. b OJ exige que l'acte de recours contienne un exposé des faits essentiels et un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques tenus pour violés, précisant en quoi consiste la violation. Lorsqu'il se plaint d'arbitraire, le recourant doit préciser de façon détaillée en quoi la juridiction ou l'autorité intimée s'est gravement trompée et est ainsi parvenue à une décision manifestement erronée ou injuste; une argumentation qui ne satisfait pas à cette exigence est irrecevable (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495, 117 Ia 10 consid. 4b p. 11/12, 110 Ia 1 consid. 2a p. 3).
2.
La contestation porte sur l'appréciation anticipée de deux preuves offertes par le recourant, soit la production de photographies de la cave du logement d'Aigle, d'une part, et l'interrogatoire du Dr. Graf, d'autre part.
2.1 Le recourant soutient que le seul élément vérifiable, dans les déclarations de sa fille, consistait dans sa description de la cave, de sorte qu'il importait d'examiner si un établi pouvait effectivement s'y trouver, et d'examiner aussi si l'aménagement des lieux permettait un acte sexuel à l'abri des regards. Le recourant tient pour probable que s'il avait pu prouver l'impossibilité d'installer un établi, la conviction du Tribunal correctionnel en eût été modifiée.
Ainsi que le constate l'arrêt attaqué, le Tribunal correctionnel disposait déjà, pour apprécier la force probante à reconnaître aux dires de la victime, de l'expertise du Dr. Graf et des témoignages de plusieurs personnes à qui elle s'était confiée. Dans le cadre d'une appréciation de l'ensemble de ces preuves déjà administrées, les accusations élevées par la victime pouvaient être jugées dignes de foi en dépit d'une éventuelle erreur ou imprécision au sujet de l'établi, objet qui n'avait aucune rôle essentiel dans les faits constitutifs de l'infraction. La présence de simples parois à claire-voie n'était pas non plus une circonstance propre à exclure ou à rendre hautement invraisemblable le comportement imputé à l'accusé. Au regard de cette situation, il n'était donc nullement arbitraire de considérer la preuve offerte comme dépourvue de pertinence. Sur ce point, le recourant se borne d'ailleurs à opposer sa propre opinion à celle des précédents juges, ce qui ne satisfait pas aux exigences précitées relatives à l'art. 90 al. 1 let. b OJ.
2.2 Le recourant fait valoir que dans la procédure préliminaire aux débats, le Président du Tribunal correctionnel a implicitement admis la nécessité d'interroger le Dr. Graf, puisqu'il l'a convoqué conformément à sa demande; il tient pour incompréhensible que le tribunal soit ensuite revenu sur cette appréciation pour refuser une nouvelle convocation de cet expert, alors que celui-ci ne s'était pas présenté. A son avis, la continuation du procès n'était pas réellement urgente et le renvoi des débats n'était donc pas un inconvénient suffisamment grave pour justifier ce refus. Enfin, il conteste que la différence des missions confiées à chacun des experts soit propre à expliquer la différence de leurs diagnostics.
L'arrêt attaqué contient une analyse succincte mais néanmoins détaillée des deux expertises, d'où il ressort que les diagnostics posés sont proches et que la seconde expertise complète la première sans la contredire. Le premier expert décrivait les troubles observés mais ne disposait pas d'éléments lui permettant d'en exposer les causes; le deuxième a repris les observations du premier en y ajoutant les éléments nouveaux produits par l'évolution de l'intéressée. Or, le recourant ne tente aucune réfutation sérieuse de cette analyse; il se borne à souligner que le Dr. Miéville devait se prononcer non seulement sur une éventuelle interdiction civile de Y.________, mais aussi sur l'opportunité de remettre la tutelle à ses parents. Dans la mesure où elle est recevable, cette argumentation est inconsistante. L'utilité d'un interrogatoire du Dr. Graf n'a donc pas été démontrée et, à ce sujet, il importe peu que le Président du Tribunal correctionnel ait d'abord accepté de convoquer l'expert avec les témoins demandés par la défense, alors qu'il n'en résultait aucun inconvénient pour l'avancement de la cause. La preuve litigieuse n'étant pas utile, le refus de l'administrer échappe au grief d'arbitraire.
3.
Le recours de droit public se révèle mal fondé sur les deux chefs de la contestation, de sorte qu'il doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. L'émolument judiciaire incombe à son auteur; il n'est pas alloué de dépens à la victime qui n'a pas déposé d'observations.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
2.
Le recourant acquittera un émolument judiciaire de 3'000 fr.
3.
Il n'est pas alloué de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Procureur général et au Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 14 avril 2003
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: