Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4P.192/2003 /ech
Arrêt du 10 novembre 2003
Ire Cour civile
Composition
MM. les Juges Corboz, Président, Nyffeler et Favre.
Greffier: M. Carruzzo.
Parties
A.________,
recourant,
contre
B.________,
intimé, représenté par Me Jean Heim, avocat, rue de la Grotte 6, case postale 2480,
1003 Lausanne,
Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route du Signal 8, 1014 Lausanne.
Objet
recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 12 février 2003.
Faits:
A.
A.________, né en 1960, souffre d'importants problèmes de calvitie que deux opérations - par la doctoresse C.________, puis par le docteur D.________ - n'ont pas réussi à résoudre. Le 25 mars 1993, il a subi une troisième intervention, pratiquée sous narcose totale, dans son cabinet lausannois, par le docteur B.________, spécialiste en chirurgie plastique et reconstructive, qui a procédé à l'expansion du cuir chevelu, à l'excision de la zone d'alopécie cicatricielle et à l'extraction d'une tumeur sur la lèvre supérieure du patient (naevus). En fin d'opération, l'état de santé de celui-ci s'étant altéré (saignement et formation d'un hématome), le médecin et l'anesthésiste ont décidé d'hospitaliser A.________ durant 24 heures à la Clinique X.________, afin de le garder sous contrôle médical. L'opéré a quitté la clinique le 28 mars 1993.
B.
Mécontent du résultat de cette dernière intervention, A.________ a assigné B.________ devant la justice vaudoise, par demande du 11 juillet 1994, aux fins d'obtenir le paiement d'un montant de 93'789 fr.05, plus intérêts.
Le défendeur a conclu au rejet de la demande. Reconventionnellement, il a réclamé le paiement de 4'000 fr. à titre de solde de sa note d'honoraires et de 20'000 fr. pour réparation d'une atteinte illicite à sa personnalité, motif pris de la cabale dont il aurait été victime de la part du demandeur.
Par jugement rendu le 19 novembre 2001, la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté pour l'essentiel la demande principale ainsi que la demande reconventionnelle, n'allouant que 3'010 fr. au demandeur et 3'600 fr. au défendeur avec les intérêts y afférents. Ce jugement, qui se fonde essentiellement sur les conclusions de l'expert judiciaire, le professeur E.________, médecin-chef, spécialiste en chirurgie plastique et reconstructive à l'Hôpital de Y.________, peut être résumé comme il suit: l'opération a été effectuée dans les règles de l'art et le défendeur n'a commis aucune faute professionnelle en décidant de pratiquer une expansion peropératoire (i.e. durant l'intervention) plutôt qu'une expansion lente (qui suppose deux interventions successives à quelques mois d'intervalle). Au demeurant, le demandeur n'a pas prouvé ni rendu vraisemblable la violation du devoir d'information qu'il imputait au défendeur. Ce dernier l'a en effet informé sur l'étendue du traitement envisagé, soit sur la possibilité d'exécuter une expansion rapide et de procéder à l'ablation du naevus. Toutefois, en amenant d'urgence le demandeur à la clinique précitée plutôt qu'au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), alors que le patient était assuré en division commune, le défendeur a engagé sa responsabilité extracontractuelle, de sorte qu'il devra verser un montant estimé, selon l'art. 42 CO, à 3'010 fr., qui correspond à la moitié de la facture de ladite clinique. Ayant exécuté correctement son mandat, le médecin a droit au solde de ses honoraires, soit 3'600 fr. En revanche, la prétention de 20'000 fr. du chef de l'atteinte illicite à la personnalité du défendeur n'apparaît pas fondée.
C.
Le demandeur a interjeté, contre ce jugement, un recours en réforme au Tribunal fédéral, qu'il a retiré le 29 octobre 2003.
A l'encontre du même jugement, le demandeur a exercé un recours en nullité cantonal que la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a rejeté par arrêt du 12 février 2003.
Contre cet arrêt, le demandeur a déposé un recours de droit public assorti d'une demande d'assistance judiciaire. Cette demande a été rejetée par décision du 14 octobre 2003 et le recourant a versé l'avance de frais requise dans le délai qui lui a été imparti à cette fin.
L'intimé et la Chambre des recours n'ont pas été invités à déposer une réponse.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le recourant invoque principalement la violation de l'art. 9 Cst. Pour l'essentiel, il fait grief à la Chambre des recours d'avoir entériné le jugement de la Cour civile en tant qu'il se fonde, pour rejeter ses conclusions, sur le résultat de l'expertise judiciaire, laquelle prêterait le flanc à la critique tant en ce qui concerne le type d'opération pratiqué par le défendeur - une expansion peropératoire plutôt qu'une expansion discontinue lente - que pour ce qui est du respect des règles de l'art médical durant l'intervention.
1.1 L'appréciation in concreto de la valeur probante d'une expertise ressortit au fait. Elle peut donc être revue dans le cadre d'un recours de droit public pour arbitraire (cf. ATF 107 II 222 consid. II/2 p. 225 in fine; 103 Ia 55 consid. 1b p. 58; consid. 4b non publié de l'ATF 117 II 47). Lorsque, faute de posséder les connaissances spécifiques nécessaires, il ordonne une expertise, le juge n'est en principe pas lié par les conclusions de l'expert. Même s'il apprécie librement les preuves, il ne saurait toutefois, sans motifs sérieux, substituer son opinion à celle de l'expert; en l'absence de tels motifs, il s'expose au reproche d'arbitraire (ATF 118 Ia 144 consid. 1c/bb p. 149; 101 IV 129 consid. 3a; consid. 4a non publié de l'ATF 121 III 274; arrêt non publié du 12 août 1996, le consid. 2a, reproduit in SJ 1997, p. 58). A l'inverse, s'il éprouve des doutes sur l'exactitude d'une expertise judiciaire, le juge doit recueillir des preuves supplémentaires, en ordonnant par exemple une expertise complémentaire ou une contre-expertise; en effet, une décision fondée sur une expertise non concluante peut être entachée d'arbitraire (ATF 118 Ia 144 consid. 1c p. 146; arrêt non publié du 27 avril 2000 dans la cause 1P.153/2000, consid. 2b). Il n'en demeure pas moins que le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans ce domaine. Le Tribunal fédéral n'admettra un recours pour violation de l'art. 9 Cst. que si les conclusions que l'autorité cantonale tire d'une expertise considérée comme concluante se révèlent non seulement inexactes, mais encore insoutenables. Tel est le cas lorsque l'expert n'a pas répondu aux questions qui lui ont été posées, lorsque ses conclusions sont contradictoires ou lorsque l'expertise souffre de défauts évidents et reconnaissables sans connaissances spéciales de sorte qu'ils ne devaient pas échapper à l'autorité cantonale (arrêt 4P.62/2000 du 8 septembre 2000, consid. 3b).
1.2
1.2.1 Devant la Chambre des recours, le recourant s'était employé à démontrer que le jugement de première instance était arbitraire pour avoir retenu les conclusions de l'expertise judiciaire malgré le fait que l'expert connaissait le défendeur depuis une quinzaine d'années, qu'il l'avait côtoyé lors de congrès médicaux et qu'il le tutoyait. L'autorité intimée a écarté les différents griefs articulés par le recourant dans ce cadre-là. Dans son recours de droit public, le demandeur ne soulève aucun moyen en rapport avec le rejet de tels griefs.
1.2.2 Dans une longue argumentation, qui revêt manifestement un caractère appellatoire, le recourant reproche, en substance, à la Chambre des recours d'avoir tenu le résultat de l'expertise pour probant sans motiver son point de vue et, surtout, sans indiquer pour quelle(s) raison(s) il n'y avait pas lieu de tenir compte de la littérature médicale qu'il avait versée au dossier et qui contredisait les conclusions de l'expert quant au type d'intervention à pratiquer pour corriger l'alopécie du patient et au déroulement de l'opération pratiquée par l'intimé.
Tel qu'il est présenté, le grief relatif à l'expertise n'apparaît pas fondé. En effet, dans la mesure où le recourant cherche à démontrer que les avis exprimés dans la littérature médicale produite par lui auraient dû être préférés à l'opinion émise par l'expert judiciaire, il argumente comme s'il plaidait devant une cour d'appel qui devrait choisir entre ceux-là et celle-ci. Or, ce qu'il lui fallait établir, dans son recours de droit public, c'est que la Chambre des recours avait considéré à tort que les premiers juges pouvaient retenir les conclusions de l'expert judiciaire sans tomber dans l'arbitraire. Force est de constater, à la lecture du présent recours, qu'une telle démonstration n'a pas été faite.
D'autre part et quoi qu'en dise l'intéressé, la Chambre des recours a bien indiqué les raisons pour lesquelles elle considère que la littérature médicale produite par le recourant n'est pas propre à infirmer le résultat de l'expertise judiciaire: elle relève, en premier lieu, que les articles doctrinaux traitent le sujet en général, mais pas l'opération du demandeur en particulier, alors que l'appréciation d'une éventuelle faute médicale dépend de toutes les circonstances du cas concret et de l'examen personnel du patient tel qu'il a été pratiqué par l'expert; au surplus, souligne-t-elle, ces articles ont été dûment sélectionnés par le demandeur à l'appui de sa thèse et rien n'indique qu'ils refléteraient la doctrine unanime, ni même majoritaire, dans le domaine considéré. Or, le recourant ne formule aucune critique, en ce qui concerne la mise en doute, par l'autorité intimée, de la valeur probante de la littérature médicale versée au dossier; il se contente bien plutôt d'opposer à l'opinion de l'expert les avis issus de cette littérature.
C'est le lieu d'observer que l'expert, lors de son audition, a été amené à s'expliquer sur les divergences éventuelles pouvant exister entre ses conclusions et les avis exprimés dans la doctrine médicale invoquée par le recourant. Constatant la chose, la Chambre des recours poursuit en ces termes: "il aurait incombé au recourant, s'il estimait que les contradictions entre l'expert et l'avis abstrait de certains auteurs faisaient apparaître le rapport d'expertise comme douteux, de solliciter une nouvelle expertise, ce qu'il n'a pas fait, renonçant par ailleurs sciemment à assumer les frais d'une nouvelle expertise après qu'il a été interpellé lors de l'audience préliminaire complémentaire sur la nécessité de soumettre à l'expertise ses allégués ayant notamment trait à de la littérature médicale (...)". Dans son recours de droit public, le demandeur laisse intact cet argument. Il ne peut donc s'en prendre qu'à lui-même s'il n'a pas utilisé les moyens adéquats qui lui eussent peut-être permis d'infirmer les conclusions du rapport d'expertise judiciaire, étant précisé que la procédure au fond n'était pas régie par la maxime d'office.
1.2.3 S'agissant plus particulièrement de l'utilisation par le défendeur d'une rugine (déf. du petit Robert: "instrument formé d'une plaque d'acier à bords biseautés, sorte de rabot pour racler les os") comme instrument opératoire, le recourant fait grief à la Chambre des recours de n'avoir pas répondu aux arguments qu'il lui avait présentés. Toutefois, outre que l'intéressé s'abstient d'indiquer quels arguments précis il avait soumis à l'autorité intimée, il ressort du consid. 9c de l'arrêt attaqué que celle-ci a rejeté de tels arguments en tant qu'ils prenaient appui sur la littérature médicale produite par le recourant (cf., sur ce point, consid. 1.2.2 ci-dessus). De toute façon, le recourant lui-même ne peut pas affirmer à coup sûr que l'utilisation de l'instrument précité est à l'origine de la section de l'artère temporale et de l'importante hémorragie qui s'en est suivie, puisqu'il affirme seulement que c'est "très vraisemblablement le cas". Quant à l'expert judiciaire, il a évoqué d'autres causes possibles pouvant expliquer cette hémorragie, en excluant que celle-ci résultât d'une faute professionnelle. Sur ce point, il n'y a pas trace d'arbitraire dans l'arrêt attaqué.
2.
En ce qui concerne le problème du consentement éclairé, le recourant ne fait que reprendre les arguments qu'il avait soumis à la Chambre des recours, en reprochant à cette autorité de les avoir écartés. Il ne critique pas les motifs que les juges cantonaux ont énoncés pour rejeter son recours en nullité sur ce point. De toute façon, ces motifs résistent au grief d'arbitraire.
3.
Invoquant la violation de l'art. 29 al. 1 Cst., le recourant reproche, enfin, aux autorités vaudoises de n'avoir pas jugé sa cause dans un délai raisonnable. Il ressort de la motivation de son grief que celui-ci ne vise en réalité que la juridiction de première instance.
Semblable grief peut être rejeté d'emblée, en application d'une jurisprudence fermement établie (ATF 125 V 373 consid. 2b/bb et l'arrêt cité, confirmé par l'arrêt I 25/99 du 14 février 2000, consid. 1), dès lors que le recourant ne démontre pas, ni même n'allègue, avoir entrepris des démarches concrètes en vue d'obtenir de la Cour civile qu'elle fasse diligence.
4.
Cela étant, le recours de droit public soumis à l'examen du Tribunal fédéral ne peut qu'être rejeté dans la mesure où il est recevable. Son auteur, qui s'est vu refuser le bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite, devra payer les frais de la présente procédure (art. 156 al. 1 OJ).
Par ces motifs, vu l'art. 36a OJ, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 10 novembre 2003
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: