Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
5P.344/2003 /frs
Arrêt du 8 janvier 2004
IIe Cour civile
Composition
M. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann et Hohl.
Greffière: Mme Mairot.
Parties
X.________,
recourante, représentée par Me Christophe Tafelmacher, avocat,
contre
1. A.________,
2. B.________,
3. C.________,
4. D.________,
5. E.________,
intimés, tous représentés par Me Pierre-Dominique Schupp, avocat,
Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route du Signal 8, 1014 Lausanne.
Objet
Art. 9 Cst. (liquidation du régime matrimonial),
recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 24 juillet 2003.
Faits:
A.
Z.________ est décédé le 5 juin 1987 à Cudrefin, en laissant pour héritiers son épouse, X.________, avec qui il était marié sous le régime de l'union des biens, et leurs trois enfants, A.________, B.________ et F.________. Ce dernier est décédé le 9 avril 1993; sa femme, C.________, et ses enfants, D.________ et E.________, sont ses héritiers.
La succession de feu Z.________ comprenait essentiellement cinq parcelles sises à Cudrefin, qui ont été vendues aux enchères publiques le 2 juin 1989. Ces immeubles provenaient de la succession paternelle du défunt et sont ainsi à considérer, de l'avis concordant des intéressés, comme apports du mari.
Dans le cadre de l'action en partage de la succession de feu Z.________ pendante devant le Président du Tribunal civil du district d'Avenches, une expertise a été confiée à un notaire. Dans son rapport déposé le 2 mars 1996, celui-ci a exposé que le partage devait être précédé de la liquidation du régime matrimonial des époux, liquidation qui devait s'effectuer selon les règles de l'union des biens.
B.
Par requête de conciliation adressée au Juge de paix du cercle de Cudrefin le 29 mai 1997, X.________ a ouvert action en liquidation du régime matrimonial contre A.________, B.________, C.________, D.________ et E.________. Le 11 juillet 1997, ce magistrat lui a délivré un acte de non-conciliation.
X.________ a, par demande du 11 septembre 1997, ouvert action devant la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud. Elle a conclu à ce que le régime matrimonial des époux soit liquidé selon les règles de l'union des biens préalablement au partage de la succession, et à ce que les défendeurs soient en conséquence condamnés, solidairement entre eux, à lui verser la somme de 137'125 fr., avec intérêt à 5% l'an dès le 5 juin 1988, au titre de la restitution de ses apports et du remboursement de ses biens réservés.
Dans leur réponse du 18 août 1999, les défendeurs ont proposé le rejet de la demande. Reconventionnellement, ils ont principalement conclu à ce que le montant des biens réservés de X.________ soit fixé à 8'306 fr. et, subsidiairement, à ce qu'ils doivent solidairement à celle-ci la somme de 8'306 fr., sous déduction de sa part, à savoir 4'153 fr.; plus subsidiairement encore, ils ont sollicité qu'un expert soit commis à la liquidation du régime matrimonial.
Dans sa réplique du 29 octobre 1999, la demanderesse a conclu au rejet des conclusions reconventionnelles prises par les défendeurs.
Un second notaire a été commis comme expert en cours d'instance avec pour mission de répondre à certains allégués; il a déposé son rapport le 10 avril 2001.
Par jugement du 29 août 2002, la Cour civile a notamment prononcé que le régime matrimonial des époux Z.________ et X.________ est liquidé et qu'à ce titre, les défendeurs verseront à la demanderesse, solidairement entre eux, la somme de 24'406 fr., plus intérêt à 5% l'an dès le 1er juin 1997.
Contre ce jugement, la demanderesse a déposé à la fois un recours en nullité cantonal et un recours en réforme au Tribunal fédéral.
Par arrêt du 24 juillet 2003, la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le recours en nullité et maintenu le jugement attaqué.
C.
Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral, X.________ conclut à l'annulation de l'arrêt de la Chambre des recours du 24 juillet 2003.
Elle sollicite en outre l'octroi de l'assistance judiciaire.
Les intimés proposent le rejet du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Aux termes de l'art. 57 al. 5 OJ, applicable ici (cf. arrêts non publiés 5C.70/2001 du 22 mars 2002 consid. 1b; 4P.203/2001 du 18 mars 2002 consid. 1 et les références citées), il est sursis en règle générale à l'arrêt sur le recours en réforme jusqu'à droit connu sur le recours de droit public. Il n'y a pas lieu d'y déroger en l'espèce.
1.2 Formé en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance cantonale, le présent recours est recevable du chef des art. 86 al. 1, 87 (a contrario) et 89 al. 1 OJ.
1.3 Les moyens pris de la violation du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. et - pour autant qu'il s'agisse réellement d'un grief - de l'art. 30 Cst. sont irrecevables, faute de motivation suffisante (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 129 I 113 consid. 2.1 p. 120; 127 I 38 consid. 3c p. 43; 126 III 534 consid. 1b p. 536; 125 I 71 consid. 1c p. 76).
2.
La recourante se plaint à plusieurs égards d'arbitraire (art. 9 Cst.) dans l'appréciation des preuves et l'application du droit cantonal.
2.1
2.1.1 De jurisprudence constante, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Pour que la décision attaquée soit annulée, encore faut-il qu'elle apparaisse arbitraire, non seulement dans ses motifs, mais aussi dans son résultat; à cet égard, il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre solution paraît concevable, voire même préférable (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 128 I 273 consid. 2.1 p. 275). Le recourant ne peut se contenter d'opposer son opinion à celle de l'autorité cantonale mais il doit démontrer, par une argumentation précise, que la décision attaquée repose sur une application de la loi ou une appréciation des preuves manifestement insoutenables (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 128 I 295 consid. 7a p. 312; 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités).
2.1.2 Dans un recours de droit public fondé sur l'art. 9 Cst. et dirigé contre une décision de l'autorité cantonale de dernière instance dont la cognition est limitée à l'arbitraire, le recourant doit se plaindre non seulement de ce que les juges cantonaux ont refusé de qualifier d'arbitraire l'appréciation des preuves de l'autorité précédente, mais il doit également s'en prendre aux considérants de cette dernière. En d'autres termes, même si, formellement, le recourant ne peut pas demander l'annulation du jugement de première instance, il doit, matériellement, remettre en cause l'appréciation des preuves qui y a été effectuée; en outre, puisque seule la décision de l'autorité de dernière instance peut être attaquée, il doit aussi démontrer pourquoi celle-ci a nié à tort l'arbitraire dans l'appréciation des preuves. Il ne peut pas se limiter à reprendre les griefs qu'il avait soulevés dans son recours cantonal (arrêt 1P.105/2001 in RDAT 2001 II 58 227; ATF 125 I 492 consid. 1a/cc p. 494/495; 116 III 70 consid. 2b p. 71).
2.2
2.2.1 La Cour civile a considéré, sur le vu des éléments dont elle disposait, que l'épouse avait accepté, par actes concluants, de contribuer aux frais du ménage et qu'elle avait renoncé à toute indemnité de ce fait lors de la liquidation du régime matrimonial. La recourante expose qu'en seconde instance cantonale, elle a contesté toute intention de donner de sa part (animus donandi) en invoquant, à l'appui de ce grief, le refus des défendeurs de coopérer à l'administration de ce "fait négatif". Or, la Chambre des recours a refusé d'entrer en matière sur cette critique, au motif qu'il s'agissait d'un moyen de fond, ressortissant au recours en réforme et, par conséquent, irrecevable dans un recours en nullité. La recourante le conteste, se plaignant à cet égard d'arbitraire dans l'appréciation des preuves et l'application du droit cantonal de procédure.
Elle prétend en outre, de manière contradictoire, que l'art. 8 CC aurait été enfreint, tout en affirmant que le refus de collaborer à la procédure probatoire ne relève pas de cette disposition, mais doit être examiné sous l'angle de l'appréciation arbitraire des preuves. Quand bien même cette critique serait-elle recevable (art. 84 al. 2 OJ), la prétendue violation de l'art. 8 CC n'a donc pas lieu d'être examinée.
2.2.2 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral citée par la recourante, la règle de l'art. 8 CC - selon laquelle chaque partie doit prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit - s'applique en principe également lorsque la preuve porte sur des faits négatifs. Cette exigence est toutefois tempérée par les règles de la bonne foi, qui obligent la partie adverse à coopérer à la procédure probatoire, notamment en offrant la preuve du contraire. Ladite obligation est de nature procédurale et est donc exorbitante du droit fédéral - singulièrement de l'art. 8 CC -, car elle ne touche pas au fardeau de la preuve et n'implique nullement un renversement de celui-ci. C'est dans le cadre de l'appréciation des preuves que le juge se prononcera sur le résultat de la collaboration de la partie adverse ou qu'il tirera les conséquences d'un refus de collaborer à l'administration de la preuve. (ATF 119 II 305 s.). Or, l'arbitraire dans l'appréciation des preuves constitue un moyen de nullité au sens de l'art. 444 al. 1 ch. 3 CPC/VD (ATF 126 I 257; JT 2001 III 128).
Cela ne signifie toutefois pas encore que l'arrêt attaqué soit arbitraire dans son résultat. Du moins, la recourante ne le démontre pas (art. 90 al. 1 let. b OJ). Selon l'art. 246 aCC (applicable en vertu de l'art. 9a al. 2 Tit. fin. CC), le mari peut exiger que la femme contribue dans une mesure équitable aux charges du ménage (al. 1) et il n'est tenu à aucune restitution en raison des prestations de celle-ci (al. 3). Le Tribunal fédéral a précisé que l'art. 246 al. 3 aCC était applicable non seulement aux prestations dues par la femme en vertu de l'art. 246 al. 1 aCC, mais également à celles qu'elle fournit volontairement, en sus de son obligation légale, pourvu que ces prestations soient faites animo donandi ou pour accomplir un devoir moral; de manière générale, l'animus donandi ou la volonté d'accomplir un devoir moral peuvent être présumés (ATF 96 II 1 ss). Dans le cas particulier, la Cour civile a retenu que l'épouse avait accepté, par actes concluants, de contribuer aux frais du ménage et qu'elle avait renoncé à toute restitution de ce fait lors de la liquidation du régime matrimonial. Cette autorité a ainsi conclu des faits constatés - qui n'ont pas été remis en cause par la recourante dans son recours en nullité - que, dans l'esprit de celle-ci, ses prestations étaient effectuées animo donandi. Elle n'a en revanche nullement retenu que des faits juridiquement déterminants, dont la preuve aurait incombé à la demanderesse, restaient douteux ou n'étaient pas démontrés. Dès lors que les juges de première instance s'estimaient convaincus, il appartenait à la recourante d'établir, en premier lieu dans la procédure cantonale, pour quels motifs leur appréciation, fondée sur différents indices, était insoutenable. En se contentant de se plaindre - tant dans son recours en nullité que dans le présent recours de droit public - du refus des intimés de collaborer à la procédure probatoire, elle ne démontre pas que cette appréciation serait insoutenable ni, par conséquent, que le résultat auquel est parvenu la Chambre des recours serait arbitraire.
3.
Dans un autre grief, la recourante soutient que le rapport du 10 avril 2001 était manifestement lacunaire, de sorte qu'il ne permettait pas de retenir que les salaires de l'épouse n'avaient pas servi à payer les intérêts et/ou une part de l'amortissement des hypothèques grevant les immeubles du mari. En considérant, à l'instar de la Cour civile, que ce rapport était exhaustif et qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner un complément d'expertise, la Chambre des recours aurait fait preuve d'arbitraire dans l'application des art. 4 et 238 CPC/VD ainsi que, par conséquent, dans l'appréciation des preuves.
3.1 L'autorité cantonale a retenu que l'art. 4 al. 1 CPC/VD - qui interdit au juge de fonder son jugement sur d'autres faits que ceux qui ont été allégués dans l'instance et qui ont été soit admis par les parties, soit établis au cours de l'instruction selon les formes légales - n'avait pas été violé. D'une part, il était manifestement faux d'affirmer que la Cour civile s'était fondée sur d'autres faits que ceux allégués, le rapport du 10 avril 2001 étant destiné à prouver l'allégué 11, selon lequel les biens réservés de l'épouse avaient servi à financer les immeubles du mari; il fallait également tenir compte des allégués 23 et 2 disant que les salaires de celle-ci avaient été affectés au ménage, ce qu'elle avait elle-même indiqué au notaire commis au partage. D'autre part, ces faits avaient été démontrés: non seulement, le rapport du 10 avril 2001 était clair sur le point de savoir si les biens réservés de l'épouse avaient permis de financer les immeubles du mari, mais il était corroboré, pour l'essentiel, par les conclusions du rapport d'expertise établi le 2 mars 1996 dans le cadre de l'action en partage successoral. Or, la recourante ne conteste pas valablement cette motivation, se contentant de critiques confuses et d'affirmations au demeurant appellatoires (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 128 I 295 précité; 125 I 492 consid. 1b p. 495 précité et les références).
La Chambre des recours a par ailleurs considéré qu'il aurait appartenu à la recourante, si elle estimait que le rapport litigieux n'était pas exhaustif, de demander un complément d'expertise, voire une seconde expertise; comme elle ne l'avait pas fait, elle ne pouvait s'en plaindre dans son recours en nullité. Ce faisant, l'autorité intimée n'a pas arbitrairement violé le droit cantonal. Contrairement à ce que prétend la recourante, la formulation de l'art. 238 al. 2 CPC/VD, selon lequel le juge n'est pas lié par les réquisitions des parties, ne signifie pas que celles-ci n'ont pas la faculté de demander un rapport complémentaire; les commentateurs précisent d'ailleurs que la rédaction de cette disposition tend à lutter contre l'abus des compléments d'expertise "requis par les parties" (Poudret/Haldy/Tappy, Procédure civile vaudoise, 2002, n. 1 ad art. 238 CPC/VD).
Le moyen tiré de l'application insoutenable des dispositions précitées du droit cantonal est par conséquent mal fondé, dans la mesure où il est recevable.
3.2 Il s'ensuit que le grief selon lequel la prétendue violation de ces règles aurait conduit les autorités cantonales à apprécier arbitrairement les preuves tombe à faux; au demeurant, la recourante ne démontre pas en quoi la Chambre des recours aurait estimé à tort que l'appréciation des preuves effectuées par la Cour civile n'était pas insoutenable (cf. supra consid. 2.1.2).
4.
En conclusion, le recours se révèle mal fondé et doit être rejeté, dans la mesure de sa recevabilité. Comme ce résultat était d'emblée prévisible, la requête d'assistance judiciaire ne peut qu'être refusée (art. 152 al. 1 OJ). La recourante supportera dès lors les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ), lesquels seront fixés de manière réduite pour tenir compte de sa situation financière (art. 153a al. 1 OJ). Elle versera en outre des dépens aux intimés (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
La requête d'assistance judiciaire est rejetée.
3.
Un émolument judiciaire de 1'500 fr. est mis à la charge de la recourante.
4.
La recourante versera aux intimés une indemnité de 1'500 fr. à titre de dépens.
5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 8 janvier 2004
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: