Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
6A.84/2003 /rod
Arrêt du 27 janvier 2004
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger et Kolly.
Greffière: Mme Bendani.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Jacopo Rivara, avocat,
contre
Tribunal administratif du canton de Genève 2ème section, rue du Mont-Blanc 18, case postale 1256,
1211 Genève 1.
Objet
retrait du permis de conduire,
recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de Genève 2ème section du
21 octobre 2003.
Faits:
A.
X.________, né en 1984, est titulaire d'un permis de conduire pour la catégorie A1 depuis le 15 décembre 2002 ainsi que d'un permis d'élève conducteur de la catégorie B. Il n'a pas d'antécédents en matière de circulation routière.
Le 9 décembre 2002, à 22 h. 18, X.________ circulait en motocycle sur l'avenue Trembley, en direction de l'avenue du Bouchet en ville de Genève, lorsqu'il a été victime d'un accident, une automobiliste, quittant le stop placé au débouché de l'avenue Riant-Parc, ne lui ayant pas accordé la priorité. L'expertise toxicologique, effectuée le 10 décembre 2002, à 0 h. 30, a relevé qu'il se trouvait sous l'influence de cannabis et de lidocaïne au moment de la collision.
Le 4 avril 2003, le service des contraventions du canton de Genève l'a condamné à une amende de 660 francs, montant dont le motocycliste s'est acquitté, après avoir, selon ses dires, confondu l'aspect pénal et administratif de l'affaire.
B.
Par décision du 11 mars 2003, le service genevois des automobiles et de la navigation a retiré le permis de conduire et le permis d'élève conducteur de X.________ pour une durée d'un mois. Il a retenu que ce dernier avait conduit sous l'influence de cannabis et gravement compromis la sécurité du trafic. Par arrêt du 21 octobre 2003, le Tribunal administratif du canton de Genève a rejeté le recours du motocycliste.
C.
X.________ dépose un recours de droit administratif au Tribunal fédéral. Il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et, principalement, à ce qu'il soit renoncé à toute mesure administrative à son encontre et, subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision. Il requiert l'effet suspensif.
Le Tribunal administratif genevois et l'Office fédéral des routes ont renoncé à déposer des observations.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le recours de droit administratif au Tribunal fédéral est ouvert contre une décision cantonale de dernière instance en matière de retrait du permis de conduire (art. 24 al. 2 LCR). Il peut être formé pour violation du droit fédéral y compris l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 104 let. a OJ). Le Tribunal fédéral n'est pas lié par les motifs invoqués, mais il ne peut aller au-delà des conclusions des parties (art. 114 al. 1 OJ). En revanche, lorsque, comme en l'espèce, le recours est dirigé contre la décision d'une autorité judiciaire, il est lié par les faits constatés dans l'arrêt attaqué, sauf s'ils sont manifestement inexacts ou incomplets ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de la procédure ( art. 104 let. b et 105 al. 2 OJ ).
2.
2.1 Le recourant reproche en bref à l'autorité cantonale d'avoir considéré qu'il se trouvait, au moment de l'accident, sous l'influence de cannabis. Il soutient que la présence de THC, révélée par les analyses toxicologiques, ne suffit pas à retenir qu'il était incapable de conduire et avait gravement mis en danger les autres usagers de la route.
2.2 En l'espèce, on ne sait pas quel genre de retrait de permis de conduire le Tribunal administratif a prononcé. En effet, il se base, d'une part, sur les règles relatives au retrait de sécurité (art. 16 al. 1 et 14 al. 2 let. c LCR) pour en justifier le principe et, d'autre part, sur celles relatives au retrait d'admonestation ( art. 16 al. 2 et 3 LCR ) pour en fixer la durée. Il convient donc d'examiner si l'une de ces mesures - d'admonestation (cf. infra consid. 3) ou de sécurité (cf. infra consid. 4) - est conforme au droit fédéral.
3.
3.1 Selon l'art. 16 al. 2 LCR, le permis de conduire peut être retiré au conducteur qui, par des infractions aux règles de la circulation, a compromis la sécurité de la route ou incommodé le public (1ère phrase); dans les cas de peu de gravité, un simple avertissement peut être prononcé (2ème phrase). L'art. 16 al. 3 LCR dispose que le permis de conduire doit être retiré si le conducteur a compromis gravement la sécurité de la route.
3.1.1 A partir du texte légal, quatre situations doivent être distinguées. D'abord, le cas où le conducteur n'a pas compromis la sécurité de la route ou incommodé le public, pour lequel l'autorité n'ordonnera aucune mesure administrative. Deuxièmement, le cas de peu de gravité (art. 16 al. 2, 2ème phrase LCR), pour lequel elle donnera un avertissement. En troisième lieu, le cas de gravité moyenne (art. 16 al. 2, 1ère phrase LCR), pour lequel l'autorité doit retirer le permis de conduire. Elle ne peut s'en abstenir qu'en présence de circonstances spéciales, telles que celles qui justifient d'abandonner toute peine en application de l'art. 66bis CP. Enfin, le cas grave, qui implique le retrait du permis de conduire en application de l'art. 16 al. 3 let. a LCR (ATF 128 II 86 consid. 2a p. 87 s. et la jurisprudence citée). Le choix entre ces possibilités doit se faire en fonction de la gravité du cas d'espèce. La renonciation au retrait du permis n'est en principe possible que s'il s'agit d'un cas de peu de gravité au sens de l'art. 16 al. 2, 2ème phrase LCR, ce qui doit être déterminé en premier lieu au regard de l'importance de la mise en danger de la sécurité et de la gravité de la faute, mais aussi en tenant compte des antécédents du conducteur comme automobiliste (ATF 123 II 106 consid. 2b p. 110 s.; 121 II 127 consid. 3c p. 130 et les arrêts cités).
La durée du retrait d'admonestation doit être fixée selon les circonstances (art. 17 al. 1 LCR), mais doit être au minimum d'un mois (art. 17 al. 1 let. a LCR). Sous réserve de ce minimum légal, l'art. 33 al. 2 OAC (RS 741.51) précise que cette durée doit être fixée surtout en fonction de la gravité de la faute, de la réputation de l'intéressé en tant que conducteur et de la nécessité professionnelle de conduire.
3.1.2 Aux termes de l'art. 31 al. 2 LCR, quiconque est pris de boisson, surmené ou n'est pas en mesure, pour d'autres raisons, de conduire un véhicule, est tenu de s'en abstenir. La loi tient ainsi compte de l'incapacité momentanée du conducteur en lui interdisant de conduire au moment de cette incapacité et en sanctionnant la violation de cette interdiction (cf. art. 16 al. 2 et 3 et 90 LCR ). Cette règle vaut également pour les effets momentanés d'une consommation de produits toxiques (ATF 105 Ib 385, consid. 1a p. 387).
La consommation de stupéfiants, même si elle n'est qu'occasionnelle et ne porte que sur de faibles quantités de haschisch, est susceptible d'altérer l'aptitude à conduire. Il peut, par exemple, en résulter une diminution de l'acuité visuelle dynamique, un allongement du temps de réaction, une altération de la capacité de coordination ou encore une diminution de la précision des automatismes de conduite. Parmi les erreurs de conduite typiques, on peut citer les difficultés à tenir sa ligne, l'éloignement de sa voie de circulation, la mauvaise appréciation des manoeuvres de dépassement, la confusion entre limites extérieures et intérieures de la route, l'augmentation de la fréquence des collisions et les excès de vitesse (ATF 124 II 559 consid. 3c/aa p. 563 s. et les références citées). L'inaptitude à conduire ne peut toutefois être établie par la seule présence de cannabis dans l'urine (Peter Iten, Fahren unter Drogen- oder Medikamenteneinfluss, Forensische Interpretation und Begutachtung, 1994, p. 71). En effet, d'une part, les performances sont surtout détériorées les premières heures après la consommation et, d'autre part, la preuve de présence de THC dans l'urine peut être apportée longtemps après sa consommation. Pour conclure à l'inaptitude, il convient par conséquent d'analyser les résultats des tests toxicologiques cumulativement avec les données scientifiques fondées sur l'expérience, le comportement de l'automobiliste et les observations faites sur ce dernier au moment de l'événement (cf. ATF 115 Ib 328 consid. 1 p. 330 s. et les références citées).
3.2 L'arrêt attaqué ne précise pas quelle est la gravité de la faute commise, ni celle de la mise en danger du trafic imputable au recourant. On ne peut davantage se référer à la condamnation pénale qui, bien qu'exécutoire, n'a pas été prononcée au terme d'une procédure pénale ordinaire et ne contient aucune constatation de faits, mais condamne simplement le motocycliste en application des art. 26, 31 et 91 LCR , alors que cette dernière disposition réprime le conducteur pris de boisson et non celui qui, comme l'intéressé, se trouve exclusivement sous l'emprise de stupéfiants (Bussy & Rusconi, Code suisse de la circulation routière, commentaire, 1996 Lausanne, ch. 2 p. 691 ad art. 91 LCR; ATF 121 II 214 consid. 3a; 119 Ib 158 consid. 2c/bb). Selon les constatations cantonales, le recourant a reconnu avoir fumé éventuellement la veille de l'accident et le test toxicologique s'est révélé positif. Ces éléments ne suffisent toutefois pas à démontrer l'inaptitude concrète du motocycliste au moment de l'accident et à définir exactement sa faute et l'importance de celle-ci. En effet, on ne peut conclure que n'importe quelle quantité de cannabis provoque durablement et sans autre condition une inaptitude à conduire. Il conviendrait encore de connaître la quantité absorbée, le moment et la durée de la consommation et de tenir compte de la réaction de l'organisme, étant précisé que les capacités sont surtout diminuées les premières heures après la consommation de cannabis dont la présence subsiste plusieurs jours dans l'urine. On ne sait pas non plus quel a été le comportement du recourant, ni dans quel état il se trouvait au moment de la collision. Il ne ressort en tout cas pas de l'arrêt attaqué qu'il se serait comporté de manière incorrecte, qu'il aurait commis une faute de conduite, par exemple en freinant tardivement. Selon les constatations cantonales, le recourant n'a pas d'antécédents en matière de circulation routière. Sur le vu de ce qui précède, il n'existe pas d'éléments suffisants pour admettre l'existence d'une faute, qualifier le cas de peu ou de moyenne gravité et, enfin, prononcer un avertissement ou ordonner un retrait d'admonestation.
4.
4.1 Le retrait fondé sur les art. 14 al. 2 et 16 al. 1 LCR est un retrait de sécurité destiné à protéger le trafic contre les conducteurs incapables (cf. art. 30 al. 1 OAC). L'art. 16 al. 1 LCR prévoit que le permis de conduire doit être retiré lorsque l'autorité constate que les conditions légales de sa délivrance ne sont pas ou plus remplies. L'art. 14 al. 2 let. c LCR précise que le permis de conduire ne peut être délivré à celui qui s'adonne à la boisson ou à d'autres formes de toxicomanie pouvant diminuer ses aptitudes à conduire. Un tel retrait est prononcé pour une durée indéterminée et assorti d'un délai d'épreuve d'une année au moins (art. 17 al. 1bis LCR; art. 33 al. 1 OAC).
4.1.1 Le retrait de sécurité fondé sur l'art. 14 al. 2 let. c LCR vise un état plus ou moins durable de toxicomanie impliquant le risque que l'intéressé compromette la circulation lorsqu'il conduit. Il n'est de ce point de vue nullement nécessaire qu'il soit incapable de conduire au moment où la décision relative à l'octroi ou au retrait du permis est rendue. C'est le danger potentiel qui est décisif, mais la simple éventualité d'une mise en danger ultérieure ne suffit cependant pas. Selon la jurisprudence, il existe une dépendance aux stupéfiants lorsque sa fréquence et l'importance des quantités consommées diminuent l'aptitude à conduire et qu'il existe un risque majeur que l'intéressé se mette au volant d'un véhicule dans un état, momentané ou durable, le rendant dangereux pour la circulation (ATF 124 II 559 consid. 2b et 4 p. 562 et 564 ss; 105 Ib 385 consid. 1b p. 387).
La constatation d'une dépendance au cannabis soulève des difficultés particulières. La preuve de la présence de THC dans l'urine peut être apportée longtemps après sa consommation et ne permet pas à elle seule de tirer des conclusions sur le moment, la fréquence et l'importance de la consommation de haschisch. Elle constitue un indice selon lequel la personne concernée ne peut mettre fin elle-même à sa consommation de drogues, mais, à défaut d'autres éléments parlant en faveur d'une toxicomanie, ne permet pas de conclure à une dépendance (ATF 124 II 559, consid. 3c/aa p. 563 et les références citées). Il convient d'examiner les habitudes de l'intéressé, notamment la fréquence, la quantité et les circonstances de sa consommation (lieu et moment, étant précisé que c'est surtout la griserie immédiate, soit celle qui se produit dans les premières heures après la consommation qui entraîne une détérioration significative des performances) et d'analyser la personnalité du consommateur, en particulier en ce qui concerne l'abus de drogues et son comportement en tant que conducteur. Il faut également tenir compte de l'éventuelle absorption d'autres substances stupéfiantes et/ou d'alcool (ATF 124 II 559 consid. 4 p. 564 ss et les références citées).
4.1.2 Le retrait de sécurité ordonné pour alcoolisme ou autres causes de toxicomanie constitue une grave ingérence dans la sphère privée du conducteur visé. Dès lors, avant d'ordonner un tel retrait, l'autorité doit éclaircir d'office la situation de la personne concernée. En particulier elle doit examiner l'incidence de la toxicomanie sur son comportement comme conducteur ainsi que le degré de dépendance. Les mesures appropriées à cet effet, notamment l'opportunité d'une expertise médicale, varient en fonction des circonstances et relèvent du pouvoir d'appréciation des autorités cantonales appelées à se prononcer sur le retrait (ATF 129 II 82 consid. 2.2 p. 84 s. et les références citées).
4.2 En l'espèce, la cour cantonale a admis la toxicomanie du recourant en se fondant sur les déclarations de ce dernier selon lesquelles il fumait un joint par semaine depuis l'âge de 17 ans et avait admis avoir consommé du cannabis la veille de l'accident ainsi que sur les résultats de l'expertise toxicologique. Au regard de la jurisprudence précitée, ces éléments sont toutefois insuffisants pour conclure à une dépendance au sens de l'art. 14 al. 2 let. c LCR. En effet, il est douteux que la consommation indiquée puisse avoir un effet sur l'aptitude à conduire de l'intéressé et les analyses n'ont révélé aucune absorption simultanée d'alcool ou d'autres stupéfiants. De plus, le motocycliste n'a aucun antécédent en matière de circulation routière. Aucun élément ne permet d'affirmer qu'il ne saurait séparer sa consommation de la conduite d'un véhicule automobile. Il a d'ailleurs affirmé ne pas avoir fumé le jour de l'accident, mais peut-être la veille ou les jours précédents. Enfin, on ne connaît pas la quantité exacte et les circonstances de consommation de l'intéressé. On ne sait pas davantage s'il consomme régulièrement d'autres produits, comme de l'alcool, ni quel est son comportement en tant que conducteur. Dans ces conditions, le Tribunal administratif a violé le droit fédéral en prononçant un retrait de sécurité sur la base de l'art. 14 al. 2 let. c LCR. Elle a également violé le droit fédéral en ce sens qu'elle a fixé la durée du retrait à un mois en application des art. 17 al. 1 LCR et 33 al. 2 OAC, alors qu'un retrait de sécurité ne peut être prononcé que pour une durée indéterminée et assorti d'un délai d'épreuve d'une année au moins, conformément aux art. 17 al. 1bis LCR et 33 al. 1 OAC.
5.
En conclusion, les constatations de fait cantonales sont insuffisantes pour prononcer un retrait de permis de conduire. L'arrêt attaqué doit ainsi être annulé et la cause renvoyée au Tribunal administratif pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Dans l'hypothèse d'une mesure d'admonestation, il appartient à l'autorité cantonale d'examiner l'aptitude du recourant au moment de l'accident au sens de l'art. 31 al. 2 LCR, de déterminer s'il a compromis la sécurité par une infraction aux règles de la circulation, puis, cas échéant, de prononcer une mesure (avertissement ou retrait) propre à sanctionner l'infraction commise en application des art. 16 al. 2 et 3 LCR . Dans l'hypothèse d'une mesure de sécurité, il incombe à l'autorité cantonale de déterminer si le recourant est toxicomane au sens de l'art. 14 al. 2 let. c LCR, puis de prononcer, cas échéant, un retrait d'une durée indéterminée.
6.
Vu l'issue du recours, il ne sera pas perçu de frais ( art. 156 al. 1 et 2 OJ ) et le canton de Genève versera au mandataire du recourant une indemnité de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 159 al. 1 OJ).
La cause étant ainsi tranchée, la requête d'effet suspensif est sans objet.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée au Tribunal administratif pour nouvelle décision.
2.
Il n'est pas perçu de frais.
3.
Le canton de Genève versera au mandataire du recourant une indemnité de 2'000 francs à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant et au Tribunal administratif du canton de Genève 2ème section ainsi qu'au Service des automobiles du canton de Genève et à l'Office fédéral des routes Division circulation routière.
Lausanne, le 27 janvier 2004
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: