BGer I 259/2003
 
BGer I 259/2003 vom 05.02.2004
Eidgenössisches Versicherungsgericht
Tribunale federale delle assicurazioni
Tribunal federal d'assicuranzas
Cour des assurances sociales
du Tribunal fédéral
Cause
{T 7}
I 259/03
Arrêt du 5 février 2004
IIe Chambre
Composition
MM. les Juges Borella, Président, Lustenberger et Frésard. Greffier : M. Berthoud
Parties
Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue Général-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant,
contre
L.________, intimé, représenté par le Patronato INCA-CGIL, rue Saint Roch 40, 1004 Lausanne
Instance précédente
Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne
(Jugement du 16 mai 2002)
Faits:
A.
L.________ a travaillé en qualité de poseur de parois et de plafonds suspendus. Souffrant de problèmes rhumatismaux, il s'est annoncé à l'assurance-invalidité le 17 juillet 1997.
L'étendue de la capacité de travail de l'assuré a fait l'objet de plusieurs avis médicaux. Dans un rapport du 16 mars 1998, les docteurs A.________ et B.________, médecins à la Policlinique X.________ ont attesté une incapacité totale de travailler comme poseur de plafond, tandis que le psychiatre C.________ a fait état d'une constellation douloureuse justifiant une incapacité de travail de 50 % (rapport du 10 février 1998). Par ailleurs, l'administration a recueilli l'avis du docteur D.________, médecin traitant, qui a retenu une capacité de travail de 50 % dans une activité avec port de charges limité à 10 kg et autorisant des changements fréquents de position (rapport du 3 avril 2000).
L'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud (l'office AI) a estimé que l'assuré aurait une capacité de travail entière dans une activité adaptée, légère et sans port de charges dans différents secteurs de l'industrie, laquelle serait susceptible de lui procurer un revenu annuel de 41'700 fr. En comparant ce revenu avec le gain de 66'872 fr. 50 dont l'assuré aurait pu bénéficier sans l'atteinte à la santé, la perte de gain qui en résulterait atteindrait 37,64 %. Aussi, par décision du 12 septembre 2000, l'office AI a-t-il nié son droit à une rente d'invalidité.
B.
L.________ a déféré cette décision au Tribunal des assurances du canton de Vaud en concluant à l'allocation d'une demi-rente d'invalidité.
La juridiction de recours a ordonné une expertise qu'elle a confiée au docteur E.________, spécialiste en chirurgie orthopédique. Dans son rapport du 10 janvier 2002, ce médecin a attesté que l'assuré était entièrement incapable de travailler et que des mesures de réadaptation n'étaient en l'état actuel pas envisageables. L'assuré a dès lors conclu au versement d'une rente entière d'invalidité. Quant à l'office AI, il a contesté la valeur probante de l'expertise judiciaire et conclu qu'une nouvelle expertise fût ordonnée, en se fondant sur les avis des docteurs F.________ et G.________, tous deux du service médical régional AI (cf. rapports des 6 et 12 mars 2002).
Par jugement du 16 mai 2002, le Tribunal des assurances s'est écarté des conclusions de l'expert judiciaire, tout en refusant de donner suite à la requête de l'office AI. Tenant compte d'une capacité de travail de 50 % dans un emploi adapté, il a fixé le taux d'invalidité de l'assuré à 67,9 % et réformé la décision attaquée en ce sens qu'il lui a alloué une rente entière d'invalidité à partir du 1er mai 1998.
C.
L'office AI interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont il demande l'annulation, en concluant au renvoi de la cause aux premiers juges afin qu'ils fassent procéder à une nouvelle expertise.
L'intimé conclut au rejet du recours. De son côté, l'Office fédéral des assurances sociales n'a pas déposé d'observations.
Considérant en droit:
1.
Le litige porte sur le taux d'invalidité de l'intimé et singulièrement sur la nécessité d'ordonner une nouvelle expertise pour fixer ce taux.
2.
En principe, le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 352 consid. 3b/aa et les références). En ce qui concerne, par ailleurs, la valeur probante d'un rapport médical, ce qui est déterminant c'est que les points litigieux aient fait l'objet d'une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu'il ait été établi en pleine connaissance de l'anamnèse, que la description du contexte médical et l'appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l'expert soient dûment motivées. Au demeurant, l'élément déterminant pour la valeur probante n'est ni l'origine du moyen de preuve ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 125 V 352 consid. 3a, 122 V 160 consid. 1c et les références).
3.
3.1 Selon le mandat d'expertise judiciaire du 30 octobre 2001, la tâche de l'expert consistait essentiellement à décrire les troubles de santé de l'assuré et à se prononcer sur son taux d'incapacité de travail en tant que poseur de cloisons. Le docteur E.________ était aussi invité à indiquer si la reprise de ce métier était possible et, à défaut, à préciser si une autre activité lucrative entrait en ligne de compte moyennant d'éventuelles mesures de réadaptation.
Dans son rapport du 10 janvier 2002, l'expert a fait état de nombreuses affections, parmi lesquelles on citera une discopathie cervicale, des spondyloses déformantes antérieure et postérieure, une arthrose acromio-claviculaire, une exostose olécranienne, un status après maladie de Scheuermann dorsale, une scoliose idiopathique dorsale et lombaire, une hypoesthésie à la cuisse, à la jambe et au pied gauches, une hyperlodose lombaire et une coxarthrose bilatérale, notamment. A son avis, ces affections organiques rendaient l'assuré entièrement incapable de travailler et il ne pouvait être réadapté.
3.2 Les premiers juges ont procédé à la synthèse des avis médicaux dont ils disposaient. Ils ont admis que l'expert E.________ n'avait pas exposé de manière claire les motifs pour lesquels la capacité de travail de l'assuré ne pourrait pas atteindre un « taux relativement élevé (30 à 50 %) » et conclu que les critiques des médecins de l'office AI n'apparaissaient à cet égard pas dénuées de pertinence.
Le Tribunal des assurances a considéré que la documentation médicale recueillie était toutefois suffisante pour statuer en connaissance de cause. En effet, il a rappelé que le docteur D.________ avait, en procédure administrative, attesté une capacité de travail de 50 % dans une activité adaptée (cf. rapport du 3 avril 2000). Or ce taux de 50 % a finalement paru justifié aux juges cantonaux, si bien qu'ils ont décidé d'en tenir compte pour évaluer l'invalidité de l'intimé. Dès lors, ils ont établi le gain d'invalide sur la base des statistiques salariales publiées par l'Office fédéral de la statistique (cf. ATF 124 V 321), en appliquant un coefficient de réduction de 20 % (cf. ATF 126 V 75). Le degré d'invalidité de l'intimé a ainsi été arrêté à 67,9 %, justifiant l'allocation d'une rente entière.
4.
4.1 A l'appui de son recours, l'office AI soutient que les rapports des docteurs F.________ et G.________ étaient de nature à jeter le doute sur les conclusions du docteur E.________. Dans ces conditions, le recourant estime qu'une nouvelle expertise aurait dû être mise en oeuvre.
4.2 Prises isolément, les conclusions de l'expert E.________ pourraient emporter la conviction du juge, dès lors que son rapport propose une origine cohérente et plausible à l'incapacité de travail totale qu'il atteste.
Tel n'est cependant plus le cas lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires, aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert quant à l'exercice d'un emploi adapté. En effet, le docteur F.________ a soutenu qu'en l'absence d'examen neurologique, l'expert ne pouvait pas affirmer qu'il existait des troubles de la sensibilité du membre inférieur gauche. Il a ajouté que si l'examen orthopédique révélait des limitations de mobilité sur de nombreux sites, mais d'importance modeste, la mobilité du rachis restait satisfaisante dans son ensemble. Par ailleurs, le docteur F.________ a constaté que la mobilité des épaules était d'une amplitude normale, mais qu'on ne disposait pas d'un bilan fonctionnel permettant de suspecter une pathologie significative de la coiffe des rotateurs. Il a également observé que la force de préhension au niveau de la main droite n'était que très limitée, de même que la mobilité des hanches. En outre, il n'a pas noté d'amyotrophie de la cuisse, signe d'absence de pathologie des genoux (rapport du 6 mars 2002). Quant au docteur G.________, il a conclu, en se ralliant à l'avis de son confrère F.________, qu'une activité sédentaire légère restait possible, sans que l'on puisse toutefois en préciser le pourcentage. Pour ce motif, il a proposé de soumettre l'intimé à une contre-expertise auprès de la Clinique Y.________, laquelle devrait comporter notamment un volet neurologique (rapport du 12 mars 2002).
4.3 Si les premiers juges ont admis à juste titre que les objections soulevées par les médecins de l'office AI étaient de nature à mettre en doute le bien-fondé des conclusions de l'expert judiciaire, dans la mesure où ce dernier attestait une incapacité totale de travail, les critiques de l'administration auraient cependant dû conduire la juridiction cantonale de recours à ordonner un complément d'instruction. En effet, les docteurs F.________ et G.________ avaient clairement indiqué qu'ils n'étaient pas en mesure d'apprécier l'étendue réelle de la capacité de travail de l'intimé en l'état du dossier. Quant au rapport du docteur D.________, les juges cantonaux ne pouvaient guère, après coup, lui attribuer une valeur probante, alors qu'ils l'avaient implicitement niée dans un premier temps en ordonnant une expertise judiciaire.
Comme la cause n'est pas en état d'être jugée, il s'impose de renvoyer la cause au Tribunal des assurances pour qu'il complète l'instruction sous la forme d'une nouvelle expertise et statue à nouveau.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:
1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement du Tribunal des assurances du canton de Vaud du 16 mai 2002 est annulé, la cause lui étant renvoyée pour complément d'instruction au sens des considérants et nouveau jugement.
2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.
3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 5 février 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IIe Chambre: Le Greffier: