BGer U 370/2002
 
BGer U 370/2002 vom 19.03.2004
Eidgenössisches Versicherungsgericht
Tribunale federale delle assicurazioni
Tribunal federal d'assicuranzas
Cour des assurances sociales
du Tribunal fédéral
Cause
{T 7}
U 370/02
Arrêt du 19 mars 2004
IIIe Chambre
Composition
Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Lustenberger et Kernen. Greffier : M. Métral
Parties
T.________, recourant, représenté par Me Mauro Poggia, avocat, rue de Beaumont 11, 1206 Genève,
contre
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, Service juridique, Fluhmattstrasse 1, 6004 Lucerne, intimée,
Instance précédente
Tribunal administratif de la République et canton de Genève, Genève
(Jugement du 5 novembre 2002)
Faits:
A.
T.________ travaillait comme manoeuvre au service de la Société anonyme Z.________. A ce titre, il était assuré par la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci-après : CNA), lorsqu'il fut blessé à la main droite par un bloc de lestage de grue, d'un poids de cinq cents kilos à une tonne, le 17 août 1999. La pièce de béton était accrochée à des chaînes et manipulée par un grutier. Alors qu'elle était presque posée, l'assuré devait enlever un carrelet de 8 à 10 centimètres de haut pour la mise en place définitive; lors de cette manipulation, le carrelet a glissé et la main est restée coincée sous le bloc de béton quelques secondes avant que le grutier puisse la libérer en soulevant à nouveau le lest. T.________ se rendit à la Polyclinique de chirurgie de l'Hôpital X.________, où fut posé le diagnostic de contusion du majeur et de l'auriculaire de la main droite. Les doigts furent immobilisés par attelle antébrachio-palmaire surélevée, avec un traitement anti-inflammatoire.
L'évolution fut dans un premier temps favorable, avec une reprise du travail le 20 septembre 1999. Toutefois, le 27 septembre suivant, l'assuré consulta en urgence le docteur J.________, de la Permanence médico-chirurgicale Y.________ SA, en raison de vives douleurs de la main droite, de blocages dans les doigts et de crampes. Ce praticien attesta depuis lors une incapacité de travail totale, en prescrivant notamment une physiothérapie et le port d'une bande élastique. Des radiographies et une scintigraphie osseuse effectuées le 25 octobre 1999 ne mirent pas en évidence de fracture, mais des contusions osseuses de la tête des troisième et quatrième métacarpiens droits, avec une algodystrophie de la main et du poignet. Examinant l'assuré le 16 décembre 1999, le docteur H.________, médecin d'arrondissement de la CNA, décrivit une main droite tuméfiée, tenue précautionneusement; tous les mouvements étaient effectués avec une grande lenteur, le membre supérieur crispé. Il posa le diagnostic de contusion du majeur et de l'auriculaire, avec développement d'une maladie de Sudeck.
Un séjour à la Clinique romande de réadaptation, à Sion, du 17 janvier au 10 mars 2000, ne permit pas d'améliorer durablement l'état de santé de l'assuré. Le rapport de sortie établi par les docteurs A.________ et B.________ fait état d'un tableau clinique correspondant à une algoneurodystrophie, stade II, entraînant une incapacité de travail totale dans l'activité de maçon; les médecins préconisaient la poursuite des séances de physiothérapie ambulatoire (trois fois par semaine), assorties d'une médication anti-douleurs.
Dès le 26 avril 2000, T.________ consulta le docteur V.________, psychiatre, qui posa le diagnostic d'état de stress post-traumatique, d'épisode dépressif sévère sans symptôme psychotique, et, à titre différentiel, de syndrome douloureux somatoforme persistant; il fit état d'une incapacité de travail totale. Pour sa part, le docteur H.________ réexamina l'assuré le 20 septembre 2000, sans constater d'amélioration et proposa la mise en oeuvre d'une expertise à la Clinique chirurgicale W.________. Dans ce cadre, les docteurs F.________, spécialiste en chirurgie de la main, et C.________, cheffe de clinique adjointe, examinèrent l'assuré le 7 décembre 2000; selon ces praticiens, les troubles trophiques constatés entraient moins dans le cadre des séquelles d'une maladie de Sudeck que dans celui de la non-utilisation de la main. Ils proposèrent un traitement antalgique et anti-inflammatoire, ainsi que la poursuite du traitement psychiatrique.
Dans une note de synthèse du 21 février 2001, le docteur G.________, médecin d'arrondissement de la CNA et spécialiste en chirurgie orthopédique, considéra que les atteintes à la santé de l'assuré étaient essentiellement d'origine psychique, celui-ci présentant une main spastique psychogène.
Par décision du 18 mai 2001 et décision sur opposition du 12 septembre 2001, la CNA considéra que les atteintes à la santé de l'assuré n'étaient plus d'origine accidentelle et mit fin, avec effet dès le 11 juin 2001, aux prestations qu'elle avait allouées jusqu'alors.
B.
T.________ déféra la cause au Tribunal administratif de la République et canton de Genève (aujourd'hui, en matière d'assurances sociales : Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève), qui rejeta le recours par jugement du 5 novembre 2002.
C.
L'assuré interjette un recours de droit administratif contre ce jugement, dont il demande l'annulation. Il conclut, sous suite de dépens, à la poursuite du paiement d'indemnités journalières et de la prise en charge des frais médicaux par la CNA, pour la période postérieure au 10 juin 2001. La CNA conclut au rejet du recours. Alpina Compagnie d'assurances SA, à laquelle T.________ est affilié pour l'assurance obligatoire de soins en cas de maladie, de même que l'Office fédéral des assurances sociales, domaine maladie et accidents (intégré, depuis le 1er janvier 2004, à l'Office fédéral de la santé publique), ont renoncé à se déterminer.
Considérant en droit:
1.
La juridiction cantonale a exposé de manière exacte et complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs à la nécessité d'un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre une atteinte à la santé et un accident assuré pour qu'il y ait lieu à prestations de l'assureur-accidents (sous réserve d'une maladie professionnelle); de même les premiers juges ont-ils présenté la jurisprudence relative à l'examen du rapport de causalité, en particulier en cas d'affection psychique de la personne assurée. Sur ces points, il convient de renvoyer au jugement entrepris.
On ajoutera que la Loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA), du 6 octobre 2000, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, n'est pas applicable en l'espèce, le juge des assurances sociales n'ayant pas à tenir compte des modifications du droit ou de l'état de fait survenues après que la décision sur opposition litigieuse a été rendue (ATF 127 V 467 consid. 1, 121 V 366 consid. 1b).
2.
Les premiers juges ont d'abord considéré que le recourant ne souffrait plus de séquelles physiques de l'accident du 17 août 1999, et que ses atteintes à la santé résultaient de facteurs d'ordre psychique, ce que le recourant conteste.
2.1 Lors de son examen par les docteurs F.________ et C.________, le 7 décembre 2000, T.________ fit état d'une impossibilité d'utiliser sa main droite, en raison des douleurs, d'une part, et d'une incapacité mécanique à mobiliser ses doigts, d'autre part. Sur le plan clinique, l'assuré présentait une tuméfaction diffuse de la main et des doigts; les doigts longs présentaient des déformations en col de cygne, le patient les tenant en position d'hyper-adduction. Les docteurs F.________ et C.________ observaient cependant que les déformations en col de cygne n'étaient vraisemblablement pas consécutives à des lésions tendineuses ayant eu lieu lors de l'accident, mais plutôt à des troubles dystoniques touchant la main droite. Les radiographies de la main, du poignet droit et des doigts effectuées en décembre 2000 ne démontraient, par ailleurs, aucune lésion osseuse ni trouble de la minéralisation osseuse ou pommelage évocateur d'une maladie de Sudeck. Enfin, les médecins de la clinique W.________ n'ont pas constaté d'obstacle mécanique lors des manoeuvres d'enroulement de tous les doigts longs, passivement, en dépit des douleurs importantes exprimées par l'assuré et de son état proche de la panique.
2.2 Les docteurs F.________ et C.________ ont conclu de leurs observations que l'état dans lequel se trouvait la main droite de T.________ résultait de troubles d'ordre psychique ayant conduit l'assuré à renoncer à l'utilisation de cette main, plutôt que de séquelles de la maladie de Sudeck qui s'était développée après l'accident. Ces conclusions sont dûment motivées et ne sont pas en contradiction avec le résultat des examens pratiqués, compte tenu notamment des constatations décrites ci-dessus (consid. 2.1). Les médecins de la Clinique W.________ avaient, par ailleurs, connaissance de l'anamnèse et ont décrit clairement la situation et le contexte médical; en particulier, contrairement à ce que soutient le recourant, ils n'ont pas ignoré ou nié les complications médicales survenues dès le mois de septembre 1999 et pour lesquelles l'assuré a été traité notamment à la Clinique romande de réadaptation. Le rapport établi par leurs soins revêt ainsi une pleine valeur probante (cf. ATF 125 V 352 consid. 3a et les références).
Cela étant, ce rapport n'exclut pas totalement la persistance de séquelles physiques de l'accident subi en août 1997. En revanche, il permet de tenir pour établi, au degré de la vraisemblance prépondérante généralement requis pour l'établissement des faits dans l'assurance sociale (ATF 125 V 195 consid. 2, 295 consid. 3b et les références), que ces séquelles ne sont pas la cause des symptômes douloureux éprouvés par l'assuré et de l'incapacité à utiliser cette main, affections plutôt liées aux troubles psychiques dont il souffre incontestablement (cf. rapport psychiatrique établi le 26 août 2000 par le docteur V.________). Le droit aux prestations litigieuses dépend donc du point de savoir si ces troubles psychiques sont en relation de causalité naturelle et adéquate avec l'accident assuré.
3.
3.1 Le lien de causalité naturelle entre l'atteinte à la santé psychique de l'assuré et l'accident du 17 août 1999 a été admis à juste titre par la juridiction cantonale et n'est pas remis en cause par l'intimée. Il n'y a pas lieu de revenir sur ce point.
3.2 En ce qui concerne le rapport de causalité adéquate, on retiendra que l'accident subi était de gravité moyenne, selon la classification établie par la jurisprudence en la matière. Par ailleurs, les circonstances dans lesquelles il s'est produit ne permettent pas de le tenir pour particulièrement dramatique ou impressionnant : la main n'est restée bloquée que quelques secondes sous le bloc de béton, sans que l'assuré ait eu à craindre pour sa vie ni à subir de lésions graves, quand bien même le membre touché est un organe auquel l'homme attache généralement une importance particulière (sur la prise en considération de ce critère dans le cadre de blessure à la main : cf. RAMA 2002 no U 449 p. 54 consid. 4b et les références).
Par la suite, il est vrai que des complications (algoneurodystrophie) ont entravé le rétablissement de l'assuré et prolongé son incapacité de travail. Mais les troubles psychiques de T.________ ont pris une importance croissante dès sa sortie de la Clinique romande de réadaptation, comme l'atteste la description de son état psychique par le docteur V.________ sur la base de l'examen pratiqué par ses soins le 26 avril 2000. Compte tenu du diagnostic posé à l'époque par ce praticien, on peut admettre que ces troubles étaient relativement intenses huit mois déjà après l'accident et qu'ils ont ensuite rapidement revêtu une importance prépondérante par rapport aux séquelles physiques. Dans cette mesure, les critères posés par la jurisprudence pour admettre le rapport de causalité litigieux sont en partie remplis, sans être toutefois suffisamment prégnants pour que ce rapport soit admis en l'espèce.
3.3 En l'absence de causalité adéquate entre l'accident et les troubles psychiques du recourant, dont dépend l'évolution de l'état de sa main droite, l'intimée pouvait à bon droit mettre fin aux prestations d'assurance.
4.
Le recourant, qui succombe, ne peut prétendre de dépens (art. 159 al. 1 OJ). Par ailleurs, la procédure est gratuite, dès lors qu'elle porte sur l'octroi ou le refus de prestations d'assurance (art. 134 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.
3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à Alpina Assurances SA, Genève, au Tribunal cantonal genevois des assurances sociales et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 19 mars 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances
La Présidente de la IIIe Chambre: Le Greffier: