Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1P.729/2003 /svc
Arrêt du 25 mars 2004
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Thélin.
Parties
X.________,
Y.________,
recourants,
représentés par Me Jacques Emery, avocat,
contre
Institut international de promotion et de prestige,
intimé, représenté par Me Olivier Cramer, avocat,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève,
Chambre pénale, case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
procédure pénale; droit d'être entendu
recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de justice du 27 octobre 2003.
Faits:
A.
L'Institut international de promotion et de prestige est locataire d'un bureau d'environ 40 m2 dans le Centre international de Genève, un complexe de locaux d'administration et de congrès situé à proximité du Palais des nations à Genève. L'Institut a sous-loué une partie de cet espace au Cercle mondial du consensus et a continué d'utiliser la surface restante. Un conflit divise les occupants du bureau, de sorte que le bail de sous-location a été résilié par l'Institut et que divers incidents se sont produits. En particulier, le 28 juillet 2001, au nom de l'organisation sous-locataire, X.________ et Y.________ ont adressé une lettre à l'administration gérant les lieux pour protester contre l'Institut et demander que le bureau fût loué directement à ladite organisation; dans cet écrit, ils qualifiaient leur bailleresse d'"organisation criminelle" et ils lui imputaient le "vol de documents et adresses".
L'Institut ayant déposé plainte pour diffamation, les auteurs de cette lettre furent déférés au Tribunal de police du canton de Genève.
B.
Par un jugement préparatoire du 8 octobre 2002, après une première audience avec débats et plaidoiries, ce tribunal a autorisé les prévenus à apporter la preuve de la vérité selon l'art. 173 ch. 2 CP. A l'audience du 21 novembre 2002, il a entendu divers témoins de la défense et de la partie civile. Nonobstant l'opposition de cette dernière, il a renvoyé la cause pour l'audition de deux autres témoins de la défense qui, bien que dûment cités, n'avaient pas comparu. A l'audience du 22 mai 2003, ces témoins ont derechef fait défaut et le tribunal a alors refusé un nouveau renvoi. Statuant le même jour sur la cause pénale, après que les avocats eurent plaidé, il a reconnu les deux prévenus coupables de diffamation. Il a infligé des peines d'emprisonnement de quinze jours à X.________ et de dix jours à Y.________, avec sursis durant trois ans.
C.
Les condamnés ont appelé du jugement à la Cour de justice. Ils ont requis l'assignation des deux témoins qui avaient fait défaut devant les premiers juges. L'un d'eux, A.________, fut entendu à l'audience du 25 août 2003; l'autre, B.________, avait fait savoir qu'elle ne se déplacerait pas en Suisse mais qu'elle pourrait être interrogée, au besoin, à son lieu de domicile en Italie. A l'issue de l'audition de A.________, la défense a demandé le renvoi de la cause afin que B.________ fût réassignée à Genève; la partie civile s'est opposée à cette requête et la Cour a consigné au procès-verbal qu'elle "maintenait l'audience de plaidoiries". Les avocats des parties ont ensuite plaidé. D'après les indications de la feuille d'audience, qui est un procès-verbal manuscrit tenu sur la couverture du dossier, la défense a conclu à une exemption de peine sur la base de l'art. 66bis CP (sic); la partie civile et le Ministère public ont demandé la confirmation du jugement. Enfin, la défense a reçu "la parole en dernier".
La Cour de justice a statué sur l'appel le 27 octobre 2003. Elle l'a rejeté et a confirmé le jugement. L'arrêt fait état du témoignage de A.________ et indique que les faits relatés par lui - un incident imputable au personnel de l'Institut - ne justifient pas une exemption de peine à fonder, pour autant que cette disposition soit applicable, sur l'art. 177 al. 2 CP. L'arrêt est silencieux au sujet de la preuve de la vérité et de l'opportunité d'entendre, éventuellement, le témoin à faire venir d'Italie.
D.
Agissant conjointement par la voie du recours de droit public pour violation des art. 9 et 29 al. 1 et 2 Cst. , X.________ et Y.________ requièrent le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de justice. Ils soutiennent que cette juridiction a commis un déni de justice formel en omettant de statuer sur leur réquisition tendant à une nouvelle assignation de B.________, ou violé leur droit d'être entendu en omettant de motiver le rejet de ladite réquisition.
Chacun des recourants demande l'assistance judiciaire.
Invités à répondre, le Procureur général du canton de Genève et l'Institut international de promotion et de prestige proposent le rejet du recours; la Cour de justice a renoncé à déposer des observations.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Selon la jurisprudence relative à l'art. 4 aCst., actuellement déterminante pour l'application de l'art. 29 al. 1 Cst. (arrêt 5P.205/2002 du 24 octobre 2002, consid. 2.1), l'autorité commet un déni de justice formel, contraire à cette disposition, si elle refuse indûment de se prononcer sur une requête dont l'examen relève de sa compétence (ATF 117 Ia 116 consid. 3a p. 117/118; 104 Ib 160 consid. 3b p. 164).
2.
Dans une procédure judiciaire ou administrative, le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. confère aux parties le droit d'obtenir l'administration des preuves qu'elles ont valablement offertes, à moins que celles-ci ne portent sur un fait dépourvu de pertinence ou qu'elles soient manifestement inaptes à faire apparaître la vérité quant au fait en cause. L'autorité est toutefois autorisée à effectuer une appréciation anticipée des preuves déjà disponibles et, si elle peut admettre de façon exempte d'arbitraire qu'une preuve supplémentaire offerte par une partie serait impropre à ébranler sa conviction, refuser d'administrer cette preuve (ATF 124 I 208 consid. 4a p. 211, 122 V 157 consid. 1 d p. 162, 119 Ib 492 consid. 5b/bb p. 505).
Le droit d'être entendu confère aussi le droit d'exiger qu'un jugement ou une décision défavorable soit motivé. Cette garantie tend à donner au plaideur les moyens d'apprécier la portée du prononcé et de le contester efficacement, s'il y a lieu, dans une instance supérieure. Elle tend aussi à éviter que l'autorité ne se laisse guider par des considérations subjectives ou dépourvues de pertinence; elle contribue, par là, à prévenir une décision arbitraire. L'objet et la précision des indications à fournir dépend de la nature de l'affaire et des circonstances particulières du cas; néanmoins, en règle générale, il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs qui l'ont guidée (ATF 112 Ia 107 consid. 2b p. 109; voir aussi ATF 126 I 97 consid. 2b p. 102, 125 II 369 consid. 2c p. 372, 124 II 146 consid. 2a p. 149).
Le Tribunal fédéral contrôle librement le respect de l'art. 29 al. 2 Cst. (ATF 126 I 19 consid. 2a p. 21/22). Cette disposition constitutionnelle n'assure au plaideur qu'une protection minimum dans une procédure régie, au demeurant, par le droit cantonal. Celui-ci peut éventuellement conférer un droit d'être entendu de plus grande ampleur; le plaideur est alors autorisé, s'il y a lieu et sur la base de l'art. 9 Cst., à se plaindre d'une application arbitraire des dispositions concernées.
3.
Selon les art. 223 al. 1 et 2 et 245 al. 1 CPP gen., les parties à la cause pénale doivent déposer, avant l'audience du Tribunal de police ou, en appel, de la Cour de justice, la liste des témoins qu'elles désirent faire assigner. Le greffe procède à l'assignation. A l'audience, le Tribunal de police ou la Cour de justice entend les témoins assignés et, en outre, ceux qui se présentent spontanément (art. 225 al. 1 CPP gen.). D'après ces dispositions, le droit d'obtenir l'assignation d'un témoin et, pour autant qu'il se présente effectivement, son audition, n'est donc soumis à aucune condition.
Les recourants se réfèrent à l'art. 225 al. 3 CPP gen., selon lequel une partie ne peut pas exiger le renvoi des débats en raison de l'absence d'un témoin qui ne figurait pas sur sa liste des personnes à assigner. Les recourants avaient porté B.________ sur leur liste déposée au greffe de la Cour de justice, qui a dûment procédé à la démarche requise; à leur avis, ils étaient donc en droit d'exiger une nouvelle audience et une nouvelle assignation de ce témoin.
Cette argumentation méconnaît qu'aux termes de l'art. 55 al. 1 CPP gen., l'absence d'un témoin n'entraîne le renvoi de la cause à une audience ultérieure que si l'audition de cette personne "paraît indispensable à la recherche de la vérité". Or, devant le Tribunal de police ou la Cour de justice, cette règle vaut aussi lorsque le témoin a été officiellement assigné selon l'art. 223 CPP gen. (Dominique Poncet et Bernhard Sträuli, Suspension des débats, renvoi des débats et défaut: à propos d'un regrettable changement de jurisprudence (...), in Festschrift für Niklaus Schmid zum 65. Geburtstag, Zurich 2001, p. 687/688).
4.
Il demeure que pendant l'audience du 25 août 2003, la Cour de justice s'est bornée à prendre note du renvoi demandé par la défense, tendant à une nouvelle assignation de B.________, et de l'opposition de la partie civile. En invitant de suite les avocats à plaider, elle a laissé la requête en suspens. Par là, elle a mis ces conseils en mesure de motiver leurs points de vue de façon exhaustive, tant sur l'ensemble de la cause que sur l'opportunité de réassigner le témoin défaillant. Elle s'est mise elle-même en mesure de prendre une décision mûrement réfléchie et, si elle ne donnait pas suite à la requête, de se prononcer sans délai sur la cause pénale. Dans l'hypothèse où elle admettait l'appel et acquittait les deux prévenus, elle pouvait éventuellement se dispenser d'une décision explicite sur la requête présentée par eux. Si en revanche, ainsi qu'elle l'a fait, elle rejetait l'appel, elle devait indiquer clairement qu'elle refusait une nouvelle assignation de B.________ en précisant brièvement les dispositions légales qu'elle appliquait et les motifs de son appréciation. Au lieu de cela, l'arrêt attaqué laisse sans réponse la demande d'une nouvelle audience destinée à l'audition d'un témoin, ce qui est incompatible avec l' art. 29 al. 1 et 2 Cst.
Le recours de droit public se révèle fondé, ce qui entraîne son admission et l'annulation de l'arrêt attaqué.
5.
L'Institut intimé, qui succombe, doit acquitter l'émolument judiciaire et les dépens à allouer aux recourants. Sur la base des pièces qu'ils produisent, il apparaît qu'aucun de ceux-ci n'est en mesure de rétribuer leur conseil. Leurs demandes d'assistance judiciaire doivent donc être admises pour le cas où les dépens ne pourraient pas être recouvrés.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.
2.
L'Institut international de promotion et de prestige acquittera les sommes suivantes:
2.1 Un émolument judiciaire de 2'000 fr.;
2.2 Une indemnité de 1'200 fr. à verser aux recourants, créanciers solidaires, à titre de dépens.
3.
Les demandes d'assistance judiciaire sont admises et Me Jacques Emery est désigné en qualité d'avocat d'office des recourants.
La caisse du Tribunal fédéral versera une indemnité de 1'200 fr. à Me Emery dans le cas où les dépens se révéleraient irrécouvrables.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Procureur général et à la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 25 mars 2004
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: