Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1E.12/2003 /col
Arrêt du 17 mai 2004
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal fédéral, Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Jomini.
Parties
les époux A.________,
recourants, représentés par Me Jacques Philippoz, avocat,
contre
S.A. L'Energie de l'Ouest-Suisse, place de la Gare 12, case postale 570, 1001 Lausanne,
intimée, représentée par Me Chantal Ducrot, avocate,
Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement, p.a. M. Jean-Claude Lugon, Président, Tribunal cantonal du canton du Valais, Palais de Justice,
1950 Sion 2.
Objet
expropriation, lignes électriques,
recours de droit administratif contre la décision de la Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement du 14 novembre 2003.
Faits:
A.
A.________ est propriétaire, depuis le 3 août 2001, de la parcelle n° 859 du registre foncier, sur le territoire de la commune de Massongex. Ce terrain a actuellement une surface de 6'445 m2 et il s'y trouve une maison d'habitation, construite en 1973, que A.________ occupe avec son épouse.
B.
Le 21 janvier 1963, de précédents propriétaires de la parcelle n° 859, les époux B.________, ont conclu avec la société S.A. L'Energie de l'Ouest-Suisse (ci-après: EOS) une convention conférant à dite société le droit d'établir trois lignes électriques à haute tension (ligne 220 kV "Chandoline-Morgins", ligne 220 kV "Col des Mosses" et ligne 380 kV projetée "Mont d'Or"); ils ont également constitué une servitude d'interdiction de bâtir sur une partie de la parcelle. EOS s'est alors engagée à payer aux époux B.________ une indemnité unique de 9'500 fr.
C.
En 1996, EOS a construit sur la parcelle n° 859 - qui alors appartenait encore aux époux B.________ - un nouveau pylône de dérivation (pylône n° 86). Ce pylône, implanté à environ 15 m de la maison, est utilisé pour les lignes électriques suivantes: 220 kV La Bâtiaz - Saint-Triphon; 220 kV Cornier - Saint-Triphon; 220 kV Cornier-Riddes.
Avant ces travaux, les époux B.________ et EOS ont conclu, le 14 mars 1995, une convention par laquelle a été conféré à l'entreprise électrique, "à titre de servitude permanente et transmissible, le droit d'établir [sur la parcelle n° 859] une ligne électrique à haute tension sur pylônes en fer". D'après l'en-tête de la convention, la ligne électrique concernée est la ligne 220 kV Riddes-Morgins. En contre-valeur de la servitude, EOS s'est engagée à payer une indemnité unique de 22'000 fr., pour "un pylône et passage de ligne", indemnité "valable pour une durée indéterminée". La convention indique en outre que la servitude est dispensée d'inscription au registre foncier, en vertu de l'art. 676 al. 3 CC.
D.
La nouvelle ligne 380/132 kV EOS-CFF Saint-Triphon - Chamoson, dont les plans ont été approuvés en 1993, passe également sur la parcelle n° 859, à environ 75 m de la maison. Aucun pylône n'est implanté sur cette parcelle.
Les époux B.________ et EOS ont conclu, le 14 mars 1995, une convention relative à la construction de cette nouvelle ligne. Les copropriétaires conféraient ainsi à l'entreprise électrique, "à titre de servitude permanente et transmissible, le droit d'établir [sur la parcelle n° 859] une ligne électrique à haute tension". En contre-valeur de la servitude, EOS s'est engagée à payer une indemnité unique de 1'000 fr., pour "passage de ligne", indemnité "valable pour une durée indéterminée". La servitude n'a pas non plus été inscrite au registre foncier.
E.
Le 13 septembre 2002, agissant par l'intermédiaire de leur avocat, les époux A.________ ont adressé à la Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement (ci-après: la Commission fédérale) une requête tendant à l'ouverture d'une procédure d'expropriation. Ils faisaient valoir que depuis qu'ils avaient pris possession de leur maison, ils souffraient des immissions provenant des lignes électriques d'EOS, à cause des champs électromagnétiques qui seraient, d'après eux, supérieurs aux limites prévues dans l'ordonnance sur la protection contre le rayonnement non ionisant (ORNI; RS 814.710). Ils demandaient donc à la Commission fédérale de leur allouer une indemnité pour expropriation de droits de voisinage (cf. art. 5 LEx, en relation avec l'art. 684 CC).
Après un échange d'écritures et une audience de conciliation, la Commission fédérale a rendu le 14 novembre 2003 une décision rejetant la requête des époux A.________. Les frais de la procédure ont été mis à la charge d'EOS; les requérants n'ont toutefois pas obtenu de dépens. La Commission fédérale a considéré, en substance, que la jurisprudence soumettait l'octroi d'une indemnité pour l'expropriation de droits de voisinage à la condition de l'imprévisibilité, condition manifestement pas réalisée dans le cas particulier dès lors que A.________ avait acquis la parcelle en 2001 en connaissant la présence des lignes à haute tension sur son fonds.
F.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, les époux A.________ demandent au Tribunal fédéral d'annuler la décision de la Commission fédérale et de renvoyer l'affaire à cette autorité pour qu'elle statue à nouveau. Ils concluent en outre à l'allocation de dépens pour les procédures de première instance et de recours. Les recourants font valoir que, leur parcelle étant directement survolée par les lignes électriques, la condition de l'imprévisibilité n'est pas applicable; le dommage qu'ils subissent, notamment des atteintes à leur santé, devrait donc être indemnisé.
La société EOS conclut au rejet du recours.
La Commission fédérale se réfère à sa décision.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le recours de droit administratif est recevable contre une décision prise par une commission fédérale d'estimation (art. 77 al. 1 LEx, art. 115 al. 1 OJ). A.________, qui prétend à une indemnité pour expropriation partielle de l'immeuble dont il est propriétaire, a qualité pour recourir (art. 78 al. 1 LEx). S'agissant de son épouse, la question peut demeurer indécise. Les autres conditions de recevabilité étant remplies (art. 97 ss OJ), il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Les recourants reprochent à la Commission fédérale d'avoir refusé une indemnisation en appliquant les conditions de l'expropriation de droits de voisinage (art. 5 LEx) alors que les immissions des lignes électriques, qui traversent l'espace aérien de la parcelle litigieuse, ne proviennent pas de biens-fonds voisins. L'octroi d'une indemnité d'expropriation serait donc soumise à d'autres conditions.
2.1 L'entreprise qui construit ou transforme des installations de transport et de distribution d'énergie électrique, notamment des lignes à haute tension, dispose du droit d'expropriation en vertu de la législation fédérale (cf. art. 43 et 44 de la loi fédérale sur les installations électriques - LIE; RS 734.0). Cette entreprise peut donc obtenir l'ouverture d'une procédure en vue de la constitution, par voie d'expropriation, d'une servitude pour le passage d'une conduite de force électrique (cf. art. 676 CC). L'imposition forcée d'une servitude constitue juridiquement une expropriation partielle. L'indemnité pleine et entière à verser au propriétaire du fonds grevé (art. 16 LEx) correspond à la dépréciation de la parcelle, soit, d'après l'art. 19 let. b LEX, au montant dont est réduite la valeur vénale de la partie restante. Cette indemnité se calcule selon la méthode de la différence, qui consiste à déduire la valeur vénale du fonds libre de servitude de celle du fonds grevé de la servitude (cf. ATF 129 II 420 consid. 3.1 p. 425 et les arrêts cités).
2.2 Dans le cas particulier, il ressort du dossier que les droits nécessaires pour le passage des lignes électriques sur la parcelle des recourants ont été acquis directement par la société intimée, sans procédures d'expropriation. Des servitudes ont été constituées par contrats en 1963 et 1995 (cf. art. 732 CC); chacune des trois conventions prévoyait une contre-prestation en faveur des propriétaires du fonds grevé. Ces conventions ont été conclues sans réserve et les parties ne prévoyaient pas, notamment, l'ouverture d'une procédure d'expropriation en vue de la fixation d'une indemnité complémentaire pour la dépréciation de l'immeuble (à propos d'une clause de ce type, cf. ATF 129 II 420 let. C p. 422). Il faut donc admettre que la contre-prestation fixée d'entente entre les parties - la société intimée et les anciens propriétaires fonciers - était censée correspondre à la moins-value subie par l'immeuble. Dans un tel cadre conventionnel, les parties ont a priori déterminé cette dépréciation en fonction des différents effets - physiques, biologiques, d'ordre psychologique ou autres - des lignes électriques (cf. notamment ATF 129 II 420 consid. 4.3 p. 429), et en tenant compte le cas échéant d'autres éléments. Peu importent les motifs ayant conduit les intéressés à s'accorder sur l'estimation de cette différence de valeur car, d'une façon générale, un nouveau propriétaire du fonds grevé ne saurait prétendre, lui aussi, à une contre-prestation (supplémentaire) de la part du bénéficiaire de la servitude, pour dépréciation du même immeuble, fondée sur la même cause (dès lors que ni l'emplacement ni les conditions d'exploitation des lignes électriques n'ont été modifiés après le changement de propriétaire du fonds servant; cf., dans un cas d'expropriation, ATF 129 II 72 consid. 2.8 p. 80). Une procédure d'expropriation ne saurait donc être ouverte à cette fin à la requête du propriétaire concerné.
La Commission fédérale était dès lors fondée à rejeter la requête des recourants; il importe peu qu'elle ait statué sur la base d'une autre motivation juridique car le Tribunal fédéral applique d'office le droit fédéral, sans être lié par les motifs retenus dans la décision attaquée ou invoqués par les parties (art. 114 al. 1 OJ). Les griefs des recourants doivent en conséquence être rejetés.
3.
Les recourants concluent - sans que cette conclusion soit motivée - à l'allocation de dépens pour la procédure devant la Commission fédérale. Cette autorité leur avait refusé des dépens en considérant que leur requête apparaissait d'emblée dépourvue de chances de succès. Ce faisant, la Commission fédérale n'a pas abusé du pouvoir d'appréciation que lui confère l'art. 115 al. 2 LEx, disposition qui permet de ne pas allouer de dépens à l'exproprié dont les conclusions sont rejetées intégralement.
4.
Le recours de droit administratif, entièrement mal fondé, doit en conséquence être rejeté dans la mesure où il est recevable.
Comme la société intimée n'a pas requis elle-même l'ouverture d'une procédure d'expropriation et que les prétentions des recourants à une indemnité d'expropriation sont manifestement mal fondées, il se justifie de ne pas appliquer la règle selon laquelle les frais causés par la procédure devant le Tribunal fédéral, y compris les dépens alloués à l'exproprié, sont supportés par l'expropriant (art. 116 al. 1 LEx). Vu les circonstances de la cause, le présent arrêt doit être rendu sans frais ni dépens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours de droit administratif est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire ni alloué de dépens.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement.
Lausanne, le 17 mai 2004
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: