Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1P.154/2004 /col
Arrêt du 10 juin 2004
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal fédéral, Nay, Vice-président du Tribunal fédéral, et Reeb.
Greffier: M. Jomini.
Parties
A.________,
recourant, représenté par Me Jacques Meyer, avocat,
contre
Conseil d'Etat du canton de Fribourg,
rue des Chanoines 118, 1702 Fribourg,
Présidente de la Ire Cour administrative du Tribunal administratif du canton de Fribourg,
route André-Piller 21, case postale, 1762 Givisiez.
Objet
Radiation d'une procédure devenue sans objet,
recours de droit public contre la décision de la Présidente de la Ire Cour administrative du Tribunal administratif du canton de Fribourg, du 28 janvier 2004.
Faits:
A.
Au début de l'année 2002, un membre du Conseil communal de la commune d'Avry (ci-après: le conseil communal) a démissionné, en mettant en cause le mode de fonctionnement de cette autorité. La démission a été annoncée au Préfet du district de la Sarine (ci-après: le préfet), qui a entendu les membres du conseil communal avant d'adresser au Conseil d'Etat du canton de Fribourg, le 20 mai 2002, un rapport proposant l'ouverture d'une enquête administrative. Le 9 juillet 2002, le Conseil d'Etat a donné suite à cette proposition et chargé le préfet d'enquêter sur les reproches formulés à l'encontre d'un des membres du conseil communal. Les résultats de cette enquête administrative ont été communiqués au gouvernement cantonal par le préfet dans un rapport du 24 avril 2003.
B.
Le 29 avril 2003, le préfet a adressé un nouveau rapport au Conseil d'Etat, en lui faisant part de la nécessité d'approfondir les investigations sur le fonctionnement de l'exécutif de la commune. Il a donc proposé au gouvernement cantonal d'ordonner une enquête administrative à l'encontre du conseil communal et de suspendre le conseil jusqu'à connaissance des résultats de l'enquête.
Par un arrêté du 5 mai 2003, le Conseil d'Etat a ordonné que la première enquête administrative soit étendue et que, toujours confiée au préfet, elle soit dirigée contre le conseil communal en tant qu'organe exécutif de la commune, à cause d'"éventuels dysfonctionnements". Dans son arrêté (art. 3), le Conseil d'Etat a pris en outre les mesures provisoires suivantes, "compte tenu des tensions profondes qui existent entre les membres du conseil communal":
"- Le conseil communal est suspendu provisoirement dans l'exercice de sa fonction avec effet immédiat et jusqu'à droit connu dans la présente enquête;
- la gestion de la commune est confiée provisoirement et jusqu'à droit connu sur la présente enquête administrative à un conseil de gestion composé de trois membres (...);
- la gestion de la commune par le conseil de gestion est limitée à la liquidation des affaires courantes;
- le préfet est chargé d'assurer l'intérim jusqu'à l'entrée en fonction du conseil de gestion."
C.
Agissant par l'intermédiaire d'un avocat, le conseiller communal A.________ et cinq de ses collègues ont recouru au Tribunal administratif cantonal contre l'arrêté du 5 mai 2003 en demandant l'annulation de la mesure de suspension provisoire du conseil communal.
La Ire Cour administrative du Tribunal administratif a refusé, le 17 juin 2003, une demande de restitution de l'effet suspensif présentée par les recourants.
Le Conseil d'Etat a répondu au recours le 4 juillet 2003. Les recourants et le Conseil d'Etat ont déposé une écriture complémentaire le 12 septembre et le 15 décembre 2003, respectivement.
D.
Le 13 janvier 2004, le Conseil d'Etat a pris un arrêté levant la suspension provisoire du conseil communal et réintégrant cet organe dans ses fonctions. En résumé, sur la base des résultats de l'enquête administrative, il a considéré que le conseil communal n'avait pas perdu la maîtrise de la gestion des affaires communales, malgré les difficultés internes qu'il avait connues. Le Conseil d'Etat a néanmoins imposé, pour l'avenir, certaines mesures en matière d'organisation et de gestion des affaires communales.
E.
Par un prononcé du 28 janvier 2004, la Présidente de la Ire Cour administrative du Tribunal administratif a déclaré sans objet le recours formé contre l'arrêté du Conseil d'Etat du 5 mai 2003 et elle a rayé l'affaire du rôle. Les frais de la procédure, par 300 fr., ont été mis à la charge des recourants et il n'a pas été alloué d'indemnités de partie.
F.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler le prononcé présidentiel du 28 janvier 2004. A titre subsidiaire, il conclut à l'annulation partielle de ce prononcé en tant qu'il le concerne personnellement, c'est-à-dire à l'exclusion des autres auteurs du recours au Tribunal administratif. Il se plaint d'une violation du droit d'être entendu garanti à l'art. 29 al. 2 Cst. ainsi que d'une application arbitraire, ou contraire à l'art. 9 Cst., des dispositions du droit cantonal de procédure relatives à la radiation d'une affaire du rôle du Tribunal administratif.
Le Conseil d'Etat conclut à l'irrecevabilité du recours de droit public, subsidiairement à son rejet.
Le Tribunal administratif a renoncé à répondre au recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Vu l'issue de la cause, la question de la recevabilité du recours de droit public peut demeurer indécise.
2.
Invoquant l'art. 29 al. 2 Cst., le recourant se plaint d'une violation du droit d'être entendu car il n'aurait pas pu s'exprimer avant que son recours soit déclaré sans objet en raison de la survenance d'un fait nouveau, à savoir la décision du Conseil d'Etat du 13 janvier 2004.
2.1 Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise à son détriment. Ce droit porte avant tout sur les constatations de fait mais les parties à une procédure doivent éventuellement aussi être entendues sur les questions de droit lorsque l'autorité veut se fonder sur des arguments juridiques inconnus des parties et dont celles-ci ne pouvaient raisonnablement prévoir l'adoption (cf. ATF 129 II 497 consid. 2.2 p. 504 et les arrêts cités).
2.2 Le recourant ne conteste pas que l'arrêté du Conseil d'Etat du 13 janvier 2004, par lequel l'enquête administrative a été close, a rendu caduques les mesures provisoires ordonnées le 5 mai 2003 dans le cadre et pour la durée de cette enquête. Comme un recours dirigé contre ces mesures provisoires était pendant devant le Tribunal administratif, il appartenait au magistrat compétent - à la présidente de la Ire Cour administrative en l'occurrence - de constater que la procédure avait perdu son objet. Il n'est pas contesté qu'en pareil cas, un classement de la procédure, par prononcé présidentiel, est possible selon le droit cantonal (cf. art. 100 al. 1 let. b du code de procédure et de juridiction administrative [CPJA]). Le recourant n'a, à l'évidence, pas été lésé dans sa situation juridique par la décision attaquée en tant qu'elle prenait acte de la caducité des mesures provisoires.
Se référant à la jurisprudence, le recourant relève que dans certaines hypothèses, lorsqu'un procès devient sans objet, les parties peuvent conserver un intérêt actuel à obtenir une décision sur le fond. Il ne prétend toutefois pas qu'il pourrait lui-même se prévaloir d'un tel intérêt en l'espèce ni, de façon plus générale, que la juridiction saisie d'un recours contre des mesures provisionnelles devrait dans certains cas encore statuer après qu'une décision sur le fond a mis fin à ces mesures. Quoi qu'il en soit, le simple classement de la procédure de recours au Tribunal administratif - qu'il convient de distinguer, à ce stade, de la décision sur les frais et dépens de dite procédure (cf. infra, consid. 2.3) - n'est pas une décision prise au détriment du recourant. Le magistrat compétent pouvait donc radier l'affaire du rôle sans l'interpeller préalablement à ce sujet.
2.3 D'après le prononcé attaqué, lorsqu'une affaire est rayée du rôle parce que la procédure est devenue sans objet, le président de la juridiction doit régler la question des frais de procédure ainsi que des indemnités de partie en tenant compte de la situation qui existait avant la survenance du fait qui a mis fin au litige. L'application de cette règle n'est pas contestée par le recourant.
Dans le cas particulier, cela signifie que la décision sur les frais et dépens est prise sur la base d'une analyse, nécessairement sommaire, des griefs présentés dans le recours et de la réponse de l'autorité intimée. Le recourant a pu exercer son droit d'être entendu à ce propos puisqu'il a pu répliquer lors d'un second échange d'écritures; il admet lui-même que dans sa dernière écriture au Tribunal administratif, le Conseil d'Etat a renoncé à déposer des observations complémentaires, ce qui dispensait le magistrat instructeur d'offrir au recourant une nouvelle occasion de se déterminer. Le recourant a donc pu, en procédure cantonale, se prononcer sur tous les éléments décisifs pour le sort des frais et dépens. Le grief de violation de l'art. 29 al. 2 Cst. apparaît donc mal fondé.
3.
Le recourant soutient que la décision sur les frais et dépens viole l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.). Selon lui, le recours qu'il avait formé, avec des collègues conseillers communaux, contre l'arrêté du Conseil d'Etat du 5 mai 2003 aurait dû être admis - si le Tribunal administratif avait dû statuer - pour des motifs tant formels que matériels.
3.1 Il y a arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., lorsque la décision attaquée viole gravement une règle ou un principe juridique clair et indiscuté ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. Saisi d'un recours de droit public pour arbitraire, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle est insoutenable ou en contradiction évidente avec la situation de fait, si elle a été adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. Par ailleurs, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée soient insoutenables, encore faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son résultat (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 128 I 273 consid. 2.1 p. 275 et les arrêts cités).
3.2 Comme cela a été rappelé ci-dessus (consid. 2.3), le président de la juridiction qui règle le sort des frais et dépens d'une procédure devenue sans objet doit apprécier de manière sommaire, en l'état de l'instruction, les chances de succès du recours. Il ne lui appartient pas de statuer, dans ce cadre, sur le bien-fondé des griefs. Saisi d'un recours de droit public pour arbitraire, le Tribunal fédéral se borne à examiner si cette appréciation sommaire est choquante ou insoutenable.
En l'espèce, le recourant a été condamné à payer un émolument judiciaire de 300 fr., solidairement avec ses consorts. Il n'a pas obtenu de dépens. En droit cantonal, les frais de procédure sont en principe supportés par la partie qui succombe (art. 131 al. 1 CPJA). Les dépens (indemnité de partie) sont alloués à la partie qui obtient gain de cause (art. 137 al. 1 CPJA).
3.3 Le recourant rappelle qu'il avait invoqué, dans son recours au Tribunal administratif, le droit d'être entendu et le droit d'obtenir une décision motivée. Il n'avait pas été avisé préalablement qu'une mesure de suspension du conseil communal pourrait être prise et l'argumentation de l'arrêté du Conseil d'Etat était très brève. Or il résulte du dossier que le préfet, compétent pour exercer certaines tâches cantonales de surveillance des communes (cf. art. 143 et 146 de la loi sur les communes du canton de Fribourg), avait déjà entendu le conseil communal avant de proposer l'extension d'une enquête administrative ouverte auparavant, en relation avec des problèmes de fonctionnement de cette autorité. Dans ces conditions, on ne saurait considérer qu'avant d'ordonner, sur proposition du préfet, des mesures provisoires dans l'attente des résultats d'une enquête plus approfondie - au cours de laquelle les membres du conseil communal devaient pouvoir s'exprimer -, le Conseil d'Etat était tenu, sans dérogation possible, de donner lui-même à nouveau aux intéressés la faculté de faire valoir leurs arguments. Il est concevable, sous l'angle de l'arbitraire, de retenir que ce grief de violation du droit d'être entendu ne devait pas d'emblée être admis. Quant au grief de motivation insuffisante de l'arrêté du 5 mai 2003, il apparaît clairement qu'il pouvait également, sans arbitraire, être rejeté, le Conseil d'Etat ayant mentionné le fondement juridique des mesures provisoires ainsi que les circonstances les justifiant à ses yeux.
Sur le fond, le recourant relève que le dernier arrêté du Conseil d'Etat, du 13 janvier 2004, retient que les conditions d'une administration exceptionnelle de la commune par une commission administrative, au sens de l'art. 151 de la loi sur les communes, ne sont pas réunies. Or cette décision a été prise sur la base des résultats de l'enquête administrative qui, précisément, n'étaient pas encore disponibles au moment où ont été ordonnées les mesures provisoires. Selon la décision attaquée, des tensions importantes existaient au sein du conseil communal au printemps 2003, propres à nuire gravement à une bonne administration de la commune, compte tenu notamment des réactions de la population, ou d'une partie de celle-ci, à cette situation. Il n'est pas arbitraire de considérer, dans le cadre de l'appréciation sommaire requise pour la répartition des frais et dépens, que ces tensions, avec les risques de dysfonctionnements qu'elles comportaient, pouvaient justifier les mesures provisoires ordonnées.
En définitive, la présidente de la Ire Cour administrative pouvait, sans arbitraire, estimer que si la procédure de recours avait été jusqu'à son terme, le recourant n'aurait probablement pas obtenu gain de cause. Sur la base de cette appréciation sommaire, elle a statué sur les frais et dépens sans violer le droit constitutionnel.
4.
Il s'ensuit que le recours de droit public, entièrement mal fondé, doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.
Les droits politiques du recourant - en particulier son droit d'éligibilité - étant en cause, le présent arrêt peut être rendu sans frais (cf. art. 154 OJ). Le recourant, qui succombe, n'a pas droit à des dépens; le canton de Fribourg n'y a pas droit non plus ( art. 159 al. 1 et 2 OJ ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours de droit public est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
3.
Il n'est pas alloué de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Conseil d'Etat et au Tribunal administratif du canton de Fribourg.
Lausanne, le 10 juin 2004
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: