BGer 1P.282/2004 |
BGer 1P.282/2004 vom 18.06.2004 |
Tribunale federale
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{T 0/2}
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1P.282/2004 /col
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Arrêt du 18 juin 2004
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Ire Cour de droit public
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Composition
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MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Eusebio.
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Greffier: M. Zimmermann.
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Parties
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A.________,
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recourant, représenté par Me Pierre Heinis, avocat,
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contre
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Commission pour la mise en vente d'appartements loués (CVAL), rue de Tivoli 22, case postale 39,
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2003 Neuchâtel 3,
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Tribunal administratif du canton de Neuchâtel,
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case postale 3174, 2001 Neuchâtel 1,
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B.________,
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Objet
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art. 9 et 26 Cst. (autorisation de la vente d'un appartement),
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recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de Neuchâtel du 24 mars 2004.
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Faits:
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A.
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A.________ est propriétaire d'une part de copropriété (PPE n°5452) afférente à un logement de deux pièces, d'une surface totale de 43 m2, sis dans le sous-sol d'une maison d'habitation de Gorgier. A.________ qui avait acquis ce logement en 1995 pour le prix de 115'000 fr., l'a offert à louer.
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En 1997, la Commission pour la mise en vente d'appartements loués du canton de Neuchâtel (ci-après: la Commission cantonale) avait autorisé la vente de l'appartement. Faute de trouver un acquéreur, A.________ a renoncé à faire usage de cette autorisation et loué l'appartement.
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Comme les baux ont été résiliés fréquemment et que l'appartement est resté vide pendant de longues périodes, A.________ a présenté une nouvelle demande d'autorisation de vendre sa part de copropriété à B.________, pour le prix convenu de 80'000 fr.
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Le 9 décembre 2002, la Commission cantonale a rejeté la demande. Elle a retenu que la situation du logement s'était fortement détériorée dans le district de Boudry, où le taux de vacance est de 0,43% et de 0,12% à Gorgier.
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Par arrêt du 24 mars 2004, le Tribunal administratif du canton de Neuchâtel a rejeté le recours formé par A.________ contre cette décision.
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B.
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Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision du 24 mars 2004. Il invoque les art. 9 et 26 Cst.
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Le Tribunal administratif se réfère à son arrêt. La Commission cantonale a renoncé à se déterminer. B.________ propose l'admission du recours.
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Le Tribunal fédéral considère en droit:
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1.
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Les restrictions à la propriété ne sont compatibles avec la Constitution que si elles reposent sur une base légale, sont justifiées par un intérêt public suffisant et respectent le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 129 I 337 consid. 4.1 p. 344; 126 I 219 consid. 2a p. 221, 2c p. 221/222, et les arrêts cités). Selon celui-ci, une restriction aux droits constitutionnels doit être limitée à ce qui est nécessaire pour atteindre le but poursuivi, adéquate à ce but et supportable pour la personne visée par la mesure; celle-ci est disproportionnée s'il est possible d'atteindre le même résultat par un moyen moins incisif (ATF 129 I 12 consid. 9.1 p. 24; 129 V 267 consid. 4.1.2 p. 271; 128 I 92 consid. 2b p. 95, et les arrêts cités). Le principe de la proportionnalité interdit en outre toute limitation qui aille au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics et privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 222; 124 I 40 consid. 3e p. 44/45; 119 Ia 348 consid. 2a p. 353, et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral examine librement l'application du droit cantonal, la pesée des intérêts en présence et le respect du principe de la proportionnalité (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 222; 121 I 117 consid. 3b/bb et c p. 120/121; 119 Ia 362 consid. 3a p. 366). Il s'impose toutefois une certaine retenue dans l'examen de questions d'appréciation ou de circonstances locales (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 222; 120 Ia 270 consid. 3b p. 275; 119 Ia 348 consid. 2a p. 353, et les arrêts cités). Tel qu'il est invoqué, le grief de prohibition de l'arbitraire (art. 9 Cst.) n'a pas de portée propre par rapport à celui de violation de l'art. 26 Cst.
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2.
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La loi neuchâteloise limitant la mise en vente d'appartements loués, du 22 mars 1989 (LVAL) a pour but de lutter contre la pénurie de logements en conservant sur le marché locatif certains types d'appartements qui répondent à un besoin, soit en raison de leur prix, soit en raison de leurs dimensions ou de leur genre (art. 1). Dans les communes et pour les catégories de logements qui connaissent la pénurie, la vente d'appartements à usage d'habitation précédemment offerts en location est soumise à autorisation (art. 2 al. 1). Le Conseil d'Etat désigne les communes et les catégories de logements qui connaissent la pénurie (art. 3 al. 1). A teneur de l'art. 6 LVAL, lorsque la lutte contre la pénurie de logements l'exige, la Commission cantonale refuse l'autorisation; à défaut, elle l'accorde (al. 1). Selon l'al. 2 de cette disposition, l'autorisation doit être accordée si l'appartement n'a jamais été loué (let. a), s'il est occupé par son propriétaire ou ses proches (let. b), s'il est soumis au régime de la propriété par étages dès la construction de l'immeuble (let. c) et s'il existe une offre suffisante d'appartements à louer dans la catégorie et la région concernées (let. d). Par arrêté du 18 décembre 2002, le Conseil d'Etat a notamment soumis la commune de Gorgier à l'application de la LVAL.
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3.
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Le recourant admet que la décision attaquée repose sur une base légale, soit la LVAL. Il conteste en revanche l'existence d'un intérêt public suffisant pour s'opposer à la vente et tient le refus de l'autorité cantonale pour disproportionné.
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3.1 A Gorgier, la pénurie de logements à louer sévissait déjà en 1997. A cette époque toutefois, la Commission cantonale avait autorisé la vente, au motif que ne trouvant pas de preneur malgré un loyer qui n'était pas excessif, le logement en question ne répondait pas aux besoins du marché locatif. Pour décider en sens contraire en 2002, la Commission cantonale a retenu que les difficultés rencontrées par le propriétaire pour louer le logement ne signifiaient pas pour autant qu'il n'y aurait plus d'utilité à son maintien sur le marché locatif. Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal administratif a confirmé cette solution, en considérant que depuis 1997, le poids de l'intérêt public avait augmenté et celui de l'intérêt privé du recourant diminué; ce changement de circonstances justifiait que l'autorité modifie sa position.
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Ce raisonnement n'est pas convaincant.
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En 1997, le taux de logements vacants à Gorgier était de 0,62%, de 0,12% en 2002. Ce seul élément, assurément important, n'est pas déterminant à lui seul, sauf à admettre que dès l'instant où la pénurie sévit, toute vente de logement offert à la location est prohibée dans la région ou la catégorie concernée. Or, tel n'est pas le sens de la loi. Au cours de ces cinq années marquées par un manque chronique d'offre de logements disponibles dans la région de Gorgier, le recourant n'a pas été en mesure de louer l'appartement de manière continue. Il a pu le faire du 1er mai 1997 au 30 juin 1998, puis du 15 mai 2000 au 30 juin 2001, enfin du 1er juillet 2001 au 30 septembre 2002. A fin 2002, le logement était ainsi resté inoccupé vingt mois sur quatre-vingt-seize. Aucun élément du dossier ne permet d'expliquer une situation aussi insolite, qu'il s'agisse de la situation de l'immeuble, de la configuration des lieux, de la disposition du logement ou de son environnement. Peu importe, au demeurant. Le fait est que le recourant, ne pouvant tirer de sa propriété le revenu escompté, s'est proposé de le vendre à B.________, pour un prix nettement inférieur au prix auquel il l'avait lui-même acquis.
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Il suit de là que l'intérêt public au maintien de ce logement sur le marché locatif est réduit, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal administratif, puisque malgré la pénurie, il reste inoccupé un cinquième du temps. Cela montre bien que ce logement ne répond effectivement pas aux besoins des personnes qui cherchent à louer des appartements à Gorgier. A l'opposé, l'intérêt du recourant à se défaire de cet objet a crû par rapport à 1997: il est prêt à le vendre à un prix rabattu et il a trouvé un acquéreur en la personne de B.________. Celle-ci, séjournant fréquemment à l'étranger, souhaite garder un pied-à-terre dans le canton de Neuchâtel.
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Sur le vu de ces circonstances tout à fait particulières, la pesée des intérêts en présence penche en faveur du recourant.
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3.2 Sous l'angle de la proportionnalité, la solution retenue par le Tribunal administratif a pour effet d'obliger le recourant d'offrir à la location un appartement dont il n'y a pas de raison de penser qu'il trouvera plus facilement preneur qu'auparavant. Par rapport à la perspective de réaliser ce bien, même à perte, le sacrifice qui serait ainsi imposé au recourant va au-delà de ce qui est nécessaire à la sauvegarde d'un intérêt public qui ne paraît au demeurant pas très vif.
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4.
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Le recours doit ainsi être admis et l'arrêt attaqué annulé. Il est statué sans frais (art. 156 OJ). L'Etat de Neuchâtel versera au recourant une indemnité de 2000 fr. à titre de dépens. B.________ est intervenue dans la procédure sans l'assistance d'un mandataire; partant, elle n'a pas droit à l'allocation de dépens.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est admis et la décision attaquée annulée.
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2.
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Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
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3.
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L'Etat de Neuchâtel versera au recourant une indemnité de 2000 fr. à titre de dépens. Il n'est pas alloué de dépens pour le surplus.
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4.
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Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, à la Commission pour la mise en vente d'appartements loués (CVAL) et au Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, ainsi qu'à B.________.
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Lausanne, le 18 juin 2004
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le président: Le greffier:
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