BGer 5C.89/2004
 
BGer 5C.89/2004 vom 25.06.2004
Tribunale federale
{T 0/2}
5C.89/2004 /frs
Arrêt du 25 juin 2004
IIe Cour civile
Composition
MM. et Mmes les Juges Raselli, Président, Nordmann, Escher, Hohl et Gardaz, juge suppléant.
Greffier: M. Fellay.
Parties
X.________, (époux),
demandeur et recourant, représenté par Me Jean-Charles Sommer, avocat,
contre
dame X.________, (épouse),
défenderesse et intimée, représentée par Me Stéphane Zen-Ruffinen, avocat,
Objet
divorce,
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 19 mars 2004.
Faits:
A.
X.________, né en 1955, et dame X.________, née en 1946, tous deux de nationalité tunisienne, se sont mariés à Genève le 11 juillet 1984. Deux enfants sont issus de cette union: A.________, née le 25 novembre 1984, et B.________, née le 23 décembre 1985.
B.
Par jugement du 14 janvier 2003, le Tribunal de première instance du canton de Genève a notamment prononcé le divorce des époux X.________ (ch. 1), attribué à la mère la garde et l'autorité parentale sur les deux enfants (ch. 2), sous réserve d'un large droit de visite en faveur du père (ch. 3), condamné l'époux à verser chaque mois à sa femme, à titre de contribution à l'entretien de chacune de ses enfants, la somme de 350 fr. par mois jusqu'à ce qu'elles aient atteint l'âge de 25 ans (ch. 4) et, à titre de contribution à son propre entretien, la somme de 500 fr., sans limite de temps (ch. 5). Le tribunal a dit par ailleurs que le régime matrimonial des époux était liquidé (ch. 7).
Sur appel de l'épouse et appel incident de l'époux, la Chambre civile de la Cour de justice genevoise a, par arrêt du 19 mars 2004, modifié le ch. 4 du dispositif du jugement de première instance en ce sens que le père devait verser le montant mensuel de 350 fr. pour l'entretien de chacune des enfants jusqu'à ce que celles-ci disposent de ressources ou qu'elles soient à la charge d'un conjoint. Elle a en outre complété ledit jugement en ordonnant le partage par moitié des avoirs de prévoyance du mari acquis entre le 11 juillet 1984 et le 14 février 2003, le dossier étant transmis au Tribunal cantonal des assurances sociales pour la détermination de l'avoir LPP à transférer. La Cour cantonale a confirmé le jugement de première instance pour le surplus.
C.
Par acte du 14 avril 2004, l'époux a recouru en réforme au Tribunal fédéral. Il conclut principalement à ce que, conformément au jugement de première instance, les contributions pour ses filles soient dues jusqu'à ce que celles-ci aient atteint l'âge de 25 ans; il requiert en outre la confirmation des ch. 5 (contribution pour l'épouse) et 7 (liquidation du régime matrimonial) du dispositif dudit jugement; à titre subsidiaire, il demande à n'être tenu de verser la contribution pour l'entretien de son épouse que jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de la retraite; il conclut par ailleurs au partage par moitié de ses avoirs de prévoyance et au transfert du dossier au Tribunal cantonal des assurances sociales pour détermination de l'avoir LPP à transférer en faveur de son épouse.
L'intimée n'a pas été invitée à répondre.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Le recours en réforme est recevable pour faire valoir qu'un principe consacré expressément par une prescription fédérale ou découlant implicitement de ses dispositions n'a pas été appliqué ou a reçu une fausse application (art. 43 al. 2 OJ).
1.2 Le litige porte sur les contributions d'entretien fixées pour les filles et l'épouse du recourant en application du droit tunisien, conformément à la loi fédérale sur le droit international privé (art. 61 al. 2, 63 al. 2, 49 et 83 LDIP). Il s'agit d'une contestation civile de nature pécuniaire au sens de l'art. 46 OJ (ATF 116 II 493 consid. 2b) et les droits contestés dans la dernière instance cantonale ont une valeur supérieure à 8'000 francs. Interjeté en temps utile contre une décision finale rendue par le tribunal suprême du canton, le recours est aussi recevable au regard des art. 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.
2.
2.1 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il n'y ait lieu à rectification de constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il ne faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents en violation de la maxime inquisitoire (art. 64 OJ; ATF 122 III 404 consid. 3d p. 408). Dans la mesure où un recourant présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans l'arrêt attaqué sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a). Au surplus, il ne peut être présenté dans un recours en réforme de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ), même si sont en jeu des questions - pourtant soumises aux maximes d'office et inquisitoire - étroitement liées au sort des enfants (ATF 128 III 411 consid. 3; 122 III 404 consid. 3d p. 408 et les références).
Les faits qui ne ressortent pas de l'arrêt entrepris et que le recourant invoque sans pouvoir se prévaloir de l'une ou l'autre des exceptions susmentionnées sont donc irrecevables. Ainsi en va-t-il de la condamnation pénale qui aurait été prononcée contre lui pour bigamie et du fait qu'il n'en aurait eu connaissance que par hasard.
2.2 Le recourant prend des conclusions compliquées, pour ne pas dire confuses, dont il y a lieu d'examiner la recevabilité.
2.2.1 L'acte de recours doit indiquer exactement les modifications demandées (art. 55 al. 1 let. b OJ). Le recourant n'a en effet un intérêt au recours, condition générale de recevabilité (ATF 127 III 429 consid. 1b; 118 II 108 consid. 2c), que s'il demande la modification du dispositif de l'arrêt attaqué. Or, dans la mesure où l'autorité cantonale a confirmé notamment les ch. 5 et 7 du dispositif du jugement de première instance, le recourant n'a pas d'intérêt à en requérir une nouvelle confirmation par la cour de céans. De même, il n'a pas d'intérêt à demander le partage par moitié de ses avoirs de prévoyance et le transfert du dossier au Tribunal des assurances sociales, car ces mesures ont déjà été ordonnées par l'arrêt attaqué.
Dès lors, les conclusions du recours ne sont recevables que dans la mesure où elles tendent à une limitation dans le temps des contributions d'entretien pour les enfants et l'épouse.
2.2.2 En ce qui concerne la contribution d'entretien de l'épouse, les conclusions nouvelles sont interdites (art. 55 al. 1 let. b OJ). Le Tribunal de première instance avait alloué à l'épouse une pension non limitée dans le temps et refusé de partager l'avoir de prévoyance du mari. Dans son appel à la Cour cantonale, l'épouse a conclu à l'allocation d'une pension (non limitée) et au partage par moitié de l'avoir de prévoyance du mari. Dans son appel incident, ce dernier a conclu à une contribution d'entretien illimitée pour son épouse et, apparemment, au rejet du partage de son avoir de prévoyance. Il aurait toutefois dû conclure subsidiairement à une rente limitée pour le cas où la juridiction d'appel admettrait le partage de son avoir de prévoyance. La contribution d'entretien du conjoint est en effet soumise au principe de disposition et la cour cantonale était liée par les conclusions des parties (arrêt 5C.108/2003 du 18 décembre 2003, consid. 4 non publié aux ATF 130 III 297). Le chef de conclusions tendant à la suppression de la contribution d'entretien pour l'épouse lorsque le recourant atteindra l'âge de la retraite est donc nouveau et, par conséquent, irrecevable. Il le serait aussi du fait que cette conclusion est fondée sur la prétendue violation de l'art. 125 CC, alors que la cause est régie par le droit tunisien.
3.
L'autorité cantonale a, en application du droit tunisien, mis à la charge du recourant des contributions d'entretien pour ses filles jusqu'à ce que celles-ci disposent de ressources ou qu'elles soient à la charge d'un conjoint. Le recourant soutient que la norme appliquée - l'art. 46 du Code du statut personnel tunisien - conduit à un résultat incompatible avec l'ordre public suisse et que son application est dès lors exclue.
3.1 Aux termes de l'art. 17 LDIP, l'application de dispositions du droit étranger est exclue si elle conduit à un résultat incompatible avec l'ordre public suisse. Cette disposition institue la réserve dite négative de l'ordre public suisse. Elle permet au juge de ne pas appliquer exceptionnellement un droit matériel étranger qui aurait pour résultat de heurter de façon insupportable les moeurs et le sentiment du droit en Suisse (ATF 129 III 250 consid. 3.4.2 et les arrêts cités). De façon générale, la réserve de l'ordre public doit permettre au juge de ne pas apporter la protection de la justice suisse à des situations qui heurtent de manière choquante les principes les plus essentiels de l'ordre juridique, tel qu'il est conçu en Suisse. En obligeant le juge suisse à appliquer une loi étrangère, le droit international privé suisse accepte nécessairement que cette loi puisse diverger du droit suisse. Il ne saurait donc être question d'en appeler à l'ordre public suisse chaque fois que la loi étrangère diffère, même sensiblement, du droit fédéral. La règle est au contraire l'application de la loi étrangère désignée par le droit international privé suisse (ATF 128 III 201 consid. 1b; 125 III 443 consid. 3d; 119 II 264 consid. 3b; 117 II 494 consid. 7).
Il faut donc examiner si la règle posée par l'art. 46 du Code du statut personnel tunisien heurte de manière choquante les principes essentiels de l'ordre juridique suisse.
3.2 Selon l'art. 277 CC, l'obligation d'entretien des père et mère dure jusqu'à la majorité de l'enfant (al. 1); si, à sa majorité, l'enfant n'a pas encore de formation appropriée, les père et mère doivent, dans la mesure où les circonstances permettent de l'exiger d'eux, subvenir à son entretien jusqu'à ce qu'il ait acquis une telle formation, pour autant qu'elle soit achevée dans les délais normaux (al. 2).
Ainsi, selon le droit positif suisse, l'obligation d'entretien des père et mère à l'égard de leurs enfants est limitée dans le temps. Mais il ne ressort pas des travaux préparatoires relatifs aux dispositions de l'art. 277 CC que cette limitation dans le temps constitue un principe essentiel de l'ordre juridique suisse (FF 1974 II 58 et 1993 I 1107-1108). En vertu de l'art. 328 al. 1 CC, un père peut d'ailleurs être tenu en tout temps, suivant les circonstances, de fournir des aliments à ses descendants. Dans un domaine proche, celui de la contribution d'entretien après divorce, la loi suisse permet l'allocation d'une rente non limitée dans le temps (art. 125 et 126 CC; Gloor/Spycher, Commentaire bâlois, 2ème éd., n. 5 ad art. 126 CC; Schwenzer, Praxiskommentar Scheidungsrecht, n. 11 ad art. 126 CC).
La limitation des contributions d'entretien dans le temps, notamment pour les enfants, ne paraît donc pas constituer un principe essentiel de l'ordre juridique suisse.
3.3 Le recourant soutient que l'application du droit tunisien est inacceptable, car en faisant appel à des notions imprécises telles que "disposer de ressources" ou "être à la charge d'un conjoint", elle aboutit à un résultat impraticable.
La réserve dite négative de l'ordre public ne tend pas à protéger le justiciable de décisions judiciaires impraticables, c'est-à-dire inapplicables, mais, comme exposé plus haut (consid. 3.1), à empêcher des situations qui heurtent de façon choquante les principes les plus essentiels de l'ordre juridique suisse. Au demeurant, la décision attaquée n'est pas inapplicable : "disposer de ressources" ou "être à la charge d'un conjoint" sont des notions assez précises pour être appliquées; l'absence d'intérêt, pour les enfants du recourant, à disposer de ressources ou à trouver un conjoint ne rend pas la décision inapplicable; de même, il sera possible au recourant, sans retourner en Tunisie, de savoir si une de ces conditions résolutoires est remplie; enfin, la situation de la famille du recourant en Suisse (couple avec quatre enfants) ne va pas empêcher l'exécution de l'arrêt cantonal.
3.4 Comme la norme tunisienne dont l'éviction est requise prévoit un statut différent pour les enfants en fonction de leur sexe, on peut se demander si elle est compatible avec l'interdiction de discrimination du fait du sexe et l'égalité des sexes (art. 8 al. 2 et 3 Cst.). La doctrine suggère en effet de considérer l'égalité de l'homme et de la femme comme valeur faisant partie de l'ordre public (Ivo Schwander, Diskriminierungsverbot und Gleichstellungsrecht im internationalen Privat- und Zivilprozessrecht, in PJA 1993, p. 1400 ss, spéc. 1405-1406).
En l'espèce, il ne s'agit toutefois pas de déterminer si la différence de statuts des garçons et des filles est compatible avec l'ordre public suisse, mais uniquement d'examiner si l'éventuelle absence de limitation dans le temps des contributions mises à charge du recourant heurte de façon choquante les principes les plus essentiels de l'ordre juridique suisse. La question de l'égalité des sexes n'est donc pas pertinente.
4.
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
Le recourant, qui succombe, doit supporter les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ). Il n'a en revanche pas à payer des dépens à l'intimée qui n'a pas été invitée à répondre.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 25 juin 2004
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: