Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1P.476/2004 /col
Arrêt du 23 septembre 2004
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal fédéral, Nay, Vice-président
du Tribunal fédéral, et Reeb.
Greffier: M. Zimmermann.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Bertrand Gygax, avocat,
contre
Juge d'instruction de l'arrondissement de l'Est vaudois, quai Maria-Belgia 18, case postale,
1800 Vevey,
Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route du Signal 8, 1014 Lausanne.
Objet
recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud du
19 août 2004.
Faits:
A.
X.________, né le 25 février 1946, et Y.________ se sont mariés en 1969. Cinq filles sont nées de cette union: A.________, le 14 avril 1971, B.________, le 3 janvier 1974, C.________ et D.________, le 26 mars 1979 et E.________, le 24 juin 1981. Le couple s'est séparé en 2000. X.________ s'est remarié avec F.________, née le 26 juin 1970. Deux enfants sont nés de cette union: G.________, le 23 août 2001 et H.________, le 23 juin 2002. F.________ a eu une fille de son premier mariage, I.________, née le 14 juillet 1997.
X.________ exploite un restaurant, une entreprise de terrassement et un élevage de chiens. Il a été membre de la Municipalité de sa commune de 1989 à 1993 et syndic de 1993 à 1996, ainsi que juge laïc au Tribunal d'arrondissement, depuis 1992.
En mai 2004, la police de sûreté du canton de Vaud a eu vent de soupçons selon lesquels X.________ aurait abusé sexuellement de ses filles.
Le 22 juin 2004, B.________ a déclaré à la police que son père l'avait forcée à entretenir des relations sexuelles avec lui entre l'automne 1987 et le printemps 1988. Elle a décrit son père comme un obsédé sexuel et une personne extrêmement violente, agressive et menaçante, autoritaire et égoïste. Lors de son audition du 2 août 2004, B.________ a évoqué cinq viols. A.________ a fait état de cinq viols commis entre 1984 et 1987. Elle a dit craindre pour sa vie et celle de ses soeurs pour le cas où son père, qu'elle a décrit comme une personne très autoritaire, saurait qu'il avait été dénoncé. Lors de son audition du 30 juillet 2004, A.________ a évoqué avoir dû subir dix relations sexuelles complètes. E.________ a indiqué que son père s'était glissé dans son lit un jour à l'époque de ses dix ans. Il l'observait sous la douche et aux toilettes, déambulait nu et jouait avec son membre devant ses filles, se vantait de ses conquêtes et ne parlait que de sexe.
Entendu le 28 juin 2004, X.________ a reconnu être porté sur le sexe, d'avoir eu beaucoup d'aventures, principalement avec des femmes mariées et des prostituées. Il a admis avoir caressé la poitrine et le vagin de ses filles A.________ et B.________, pour les initier, et les avoir pris dans son lit en l'absence de leur mère. Le 29 juin 2004, il a confirmé avoir entretenu des relations sexuelles complètes avec sa fille B.________, à deux ou trois reprises, alors qu'elle avait quatorze ou quinze ans. Il en avait fait de même avec A.________, alors qu'elle avait le même âge. Il avait agi ainsi uniquement pour l'éducation sexuelle de ses filles, et non pour satisfaire un plaisir personnel. X.________ a maintenu ses déclarations et contesté les accusations portées contre lui par E.________, selon lui manipulée par sa soeur B.________.
Entendue comme témoin, J.________, aide-soignante, a indiqué qu'au mois de mai 2003, I.________ lui avait dit "qu'il(s) venai(en)t la nuit dans son lit", sans discerner si elle parlait de X.________ ou également de sa mère. Elle a confirmé que X.________ était un homme violent, qui avait menacé de mort ses filles et son ex-épouse en leur disant: "J'ai le fusil dans la voiture et vous n'avez pas intérêt à me croiser". Le 14 juillet 2004, J.________ a relaté les confidences que lui avait faites E.________, qui aurait été à plusieurs fois victime d'attouchements de la part de son père. K._______ a également relaté avoir reçu de telles confidences de E.________.
C.________ et D.________, tout en confirmant le caractère violent et obsédé de leur père, ont indiqué ne pas avoir eu à subir d'actes incestueux de sa part.
Le 28 juin 2004, le Juge d'instruction de l'arrondissement de l'Est vaudois a inculpé X.________ de voies de fait, d'actes d'ordre sexuel avec des enfants, de contrainte sexuelle, de viol, d'inceste et de violation du devoir d'assistance ou d'éducation, et ordonné son incarcération immédiate à la prison de La Croisée à Orbe.
Entendue comme témoin le 12 juillet 2004, L.________ a indiqué que plusieurs personnes de la région soupçonnaient X.________ d'attouchements sexuels sur I.________. Elle a confirmé la peur qu'inspirait X.________ aux gens de la région. Elle craignait que le jour de sa sortie de prison, il ne "fasse le ménage autour de lui" et mette fin à ses jours.
M.________, médecin à Château-d'Oex, qui a soigné E.________, a déclaré qu'une fille de la famille qui tenait à garder l'anonymat, lui avait dit être terrorisée à l'idée que son père ressorte de prison. D.________ a exprimé cette terreur, lors de son audition du 23 juillet 2004, ainsi que B.________, lors de son audition du 30 juillet 2004.
Le 12 juillet 2004, X.________ a demandé sa libération provisoire. Le Juge d'instruction a rejeté cette requête le 19 juillet suivant.
Le 19 août 2004, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le recours formé contre cette décision qu'il a confirmée. Il a retenu, en bref, que l'enquête n'était pas terminée, que des investigations devaient encore être faites pour vérifier certains soupçons, qu'une expertise psychiatrique était en cours et qu'il existait un risque que le prévenu libéré use de la crainte ou de la violence pour exercer des pressions sur les victimes.
B.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision du 19 août 2004 et d'ordonner sa libération immédiate. Il invoque les art. 9, 10 et 31 Cst. , ainsi que l'art. 5 CEDH.
Le Tribunal cantonal a renoncé à se déterminer. Le Ministère public propose le rejet du recours.
Invité à répliquer, le recourant a maintenu ses conclusions.
A.________, ainsi que B.________, C.________, D.________ et E.________ ont déposé spontanément une écriture, le 16 septembre 2004.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Les parties civiles sont intervenues dans la procédure sans y avoir été invitées. Partant, leur écriture du 16 septembre 2004 est irrecevable; elle est écartée du dossier.
2.
Le recours de droit public n'a qu'un effet cassatoire (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 129 I 129 consid. 1.2.1 p. 131/132, 173 consid. 1.5 p. 176, et les arrêts cités). Il est fait exception à ce principe lorsque l'admission du recours ne suffit pas à rétablir une situation conforme à la Constitution et qu'une mesure positive est nécessaire (ATF 129 I 129 consid. 1.2.1 p. 131/132). Tel est le cas notamment lorsqu'une mesure de détention préventive n'est pas - ou n'est plus - justifiée (ATF 115 Ia 293 consid. 1a p. 297; 107 Ia 256 consid. 1 p. 257; 105 Ia 26 consid. 1 p. 29). La conclusion tendant à la libération immédiate du recourant est ainsi recevable.
3.
A teneur de l'art. 59 al. 1 CPP/VD, un prévenu peut être maintenu en détention préventive s'il présente un danger pour la sécurité ou l'ordre publics (ch. 1), si sa fuite est à craindre (ch. 2) ou si sa liberté offre des inconvénients sérieux pour l'instruction (ch. 3). Le recourant ne prétend pas que cette disposition aille au-delà de la protection de l'art. 10 al. 2 Cst. garantissant la liberté personnelle, dont nul ne peut en être privé si ce n'est dans les cas prévus par la loi et selon les formes qu'elle prescrit (art. 31 al. 1 Cst.). Le Tribunal fédéral examine à la lumière de la garantie de la liberté personnelle si le maintien en détention d'un prévenu se justifie pour des raisons objectives. Les principes que la Convention européenne des droits de l'homme consacre, essentiellement à son art. 5, sont pris en considération pour l'interprétation et l'application de cette garantie en tant qu'ils la concrétisent (ATF 115 Ia 293 consid. 3 p. 299; 108 Ia 64 consid. 2c p. 66/67; 105 Ia 26 consid. 2b p. 29).
La garantie de la liberté personnelle n'empêche pas l'autorité publique de procéder à l'incarcération d'un individu ou de le maintenir en détention, aux conditions toutefois que cette mesure particulièrement grave repose sur une base légale, qu'elle soit ordonnée dans l'intérêt public et qu'elle respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270; 114 Ia 281 consid. 3 p. 283; 107 Ia 148 consid. 2 p. 149; 106 Ia 277 consid. 3a p. 281, et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral examine avec une cognition pleine l'application du droit cantonal; en revanche, il ne revoit les constatations de fait que sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123 I 31 consid. 3a p. 35; 115 Ia 293 consid. 1b p. 297).
4.
Le recourant conteste l'existence de charges suffisantes contre lui.
Pour le Juge d'instruction, les faits commis sur B.________ et A.________ seraient prescrits. Sans trancher cette question, le Tribunal d'accusation a également retenu à l'encontre du recourant les abus perpétrés sur E.________. Le recourant les conteste, en faisant valoir les incertitudes et contradictions affectant selon lui les déclarations à charge de sa fille cadette. Cette appréciation ne peut être partagée. E.________ a relaté de manière suffisamment précise, compte tenu de l'écoulement du temps, la façon dont son père aurait abusé d'elle. Les variations dans son récit prennent plutôt la forme de compléments successifs que de contradictions internes, comme si des épisodes douloureux et refoulés dans la mémoire, réapparaissaient au fur et à mesure du dévoilement de l'affaire. L'enquête en cours a notamment pour but d'éclaircir chacun des événements décrits.
5.
Le Tribunal d'accusation a maintenu la détention du recourant en raison des besoins de l'enquête.
Celle-ci, ouverte en juin 2004, a avancé rapidement. Les auditions se sont succédées à intervalles réguliers, et le Juge d'instruction dispose d'éléments importants. Toutefois, il convient de tenir compte du fait que l'expertise psychiatrique doit être complétée pour l'évaluation de la dangerosité du recourant et que de nouvelles déclarations à charge faites après le prononcé de la décision attaquée doivent être vérifiées. Le Juge d'instruction poursuit ses investigations également pour déterminer si d'autres personnes ont été victimes des agissements du recourant.
6.
La détention préventive peut être maintenue au motif que le prévenu pourrait mésuser de sa liberté afin de compliquer ou de compromettre la découverte de la vérité. En l'occurrence, le Tribunal d'accusation a retenu, sous l'angle de l'art. 59 ch. 1 CPP/VD, que le recourant pourrait être tenté de mettre à profit sa liberté pour exercer des pressions ou des représailles sur ses filles. Pour être admis, ce risque doit être concret (ATF 128 I 149 consid. 2.1 p. 151, et les arrêts cités).
Plusieurs témoins ont décrit de manière concordante le recourant comme un homme frustre, autoritaire, ombrageux et violent. Le recourant éprouve du ressentiment envers ses filles et son ex-épouse qu'il tient pour responsables d'un complot ourdi contre lui. A cela s'ajoute le fait qu'il détient des armes et des explosifs et qu'il a, dans un cas au moins, tenu des propos menaçants. Sur le vu de l'ensemble de ces éléments, et sans préjuger de l'expertise à compléter, le Tribunal d'accusation pouvait sans arbitraire admettre qu'il existe en l'occurrence un risque objectif que le recourant, mis en liberté, ne succombe à son penchant naturel de contrecarrer, y compris par la violence, tous ceux qui s'opposent à lui.
7.
Le principe de la proportionnalité impose que des mesures moins incisives que la détention (comme par exemple un traitement médical) soient ordonnées, lorsqu'elles peuvent l'être (ATF 123 I 268 consid. 2c p. 271).
En l'occurrence, on ne voit guère quelle autre mesure que le maintien de la détention pourrait permettre de sauvegarder les besoins de l'enquête et pallier le risque d'entrave à celle-ci. L'engagement du recourant à ne pas entrer en contact avec ses filles et son ex-épouse ne paraissent guère crédibles au regard des menaces proférées. Sa qualité d'ancien syndic et de juge laïc ne l'a pas empêché d'abuser de ses filles. Il est à redouter que cela ne le retienne pas davantage de s'en prendre à ses victimes présumées s'il était libéré.
Pour le surplus, la durée de la détention n'est pas disproportionnée en l'état, au regard de la peine privative de liberté qui pourrait être prononcée, le cas échéant (cf. ATF 126 I 172 consid. 5a p. 176/177; 124 I 208 consid. 6 p. 215; 123 I 268 consid. 3a p. 273; 107 Ia 256 consid. 2 et 3 p. 257ss). Le recourant ne le conteste pas, au demeurant.
8.
Le recours doit ainsi être rejeté, sans qu'il soit nécessaire d'examiner s'il existe un risque concret de récidive. Les frais sont mis à la charge du recourant (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens aux parties civiles qui sont intervenues dans la procédure sans y avoir été autorisées.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Juge d'instruction de l'arrondissement de l'Est vaudois, ainsi qu'au Ministère public et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 23 septembre 2004
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: