BGer 5P.278/2004
 
BGer 5P.278/2004 vom 13.10.2004
Tribunale federale
{T 0/2}
5P.278/2004 /frs
Arrêt du 13 octobre 2004
IIe Cour civile
Composition
Mmes et M. les Juges Nordmann, juge présidant,
Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Abrecht.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Paul Marville, avocat,
contre
Y.________ SA,
intimée, représentée par Me Daniel Pache, avocat,
Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois, route du Signal 8, 1014 Lausanne.
Objet
art. 9 Cst. (mainlevée provisoire de l'opposition),
recours de droit public contre l'arrêt de la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois
du 11 mars 2004.
Faits:
A.
Le 14 février 2000, X.________ a reçu de Y.________ SA, représentée par son directeur A.________, un chèque de 10'000 fr. tiré en sa faveur sur le compte de la société et portant la mention "Prêt (conditions selon contrat ultérieur) Fr. 10'000.--". Le 6 juin 2000, X.________ a encore reçu un chèque de 5'000 fr. tiré sur le compte de Y.________ SA et portant la mention "Prêt Fr. 5'000.--".
B.
Le 6 juin 2000, les parties ont signé un document rédigé en ces termes :
"RECONNAISSANCE DE DETTE
entre
Y.________ S.A., [adresse]
et
Monsieur X.________ et son épouse dame X.________, [adresse]
I. Préambule
Dame X.________ ouvre un commerce d'habits pour enfants à Orbe.
Afin d'acquérir la 1ère colllection pour ce commerce, elle a sollicité, avec son époux X.________, un prêt de Fr. 10'000.-- à Y.________ SA. Ce prêt est une avance sur le salaire de la saison d'entraîneur 1999-2000 du F.C. B.________ que doit toucher X.________.
Le 14 février 2000, Y.________ SA a remis le chèque [...] de Fr. 10'000.-- à M. X.________; chèque encaissé le jour même.
+ le 6 juin Y.________SA a remis un autre chèque de 5'000.- [réd. : ajout manuscrit]
II. Objet du contrat
Dame X.________ et X.________ reconnaissent devoir conjointement à Y.________ SA la somme de Fr. 10'000.-- (dix mille francs) 15'000 (quinze mille francs) [réd. : biffage et ajout manuscrit] [...]
Le prêt porte un intérêt de 5% l'an à partir du 14 février 2000. A.________ [réd. : biffage et ajout manuscrit]
L'intérêt sera payable, au plus tard, au remboursement du prêt. [...]
Le prêt se remboursera à la fin de la saison de football 1999-2000, soit au 30 juin 2000, au plus tard.
Y.________ SA dame X.________
A.________ X.________
[signature] [signature]"
C.
Le 11 mars 2002, un montant de 4'600 fr. a été versé sur le compte bancaire de Y.________ SA par le FC B.________. Le 16 août 2002, Y.________ SA a écrit à X.________ une lettre dans laquelle elle constatait que, compte tenu du versement précité, le solde dû en capital, qui devait être remboursé au plus tard le 30 juin 2000, se montait à 11'600 fr. (sic); elle priait dès lors X.________ de lui virer d'ici au 15 septembre 2002 la somme de 12'030 fr. 30, selon un décompte qui incluait un intérêt de 5% l'an à partir du 1er juillet 2000.
D.
Le 6 juin 2003, Y.________ SA a fait notifier à X.________, par l'Office des poursuites d'Yverdon-Orbe, un commandement de payer le montant de 12'400 fr. 80 plus intérêt à 5% l'an dès le 1er juillet 2000. Ce commandement de payer indiquait comme cause de l'obligation "Prêt de fr. 10'000.00 du 14.02.2000 / Prêt complémentaire du 06.06.2000 déduction du remboursement partiel du 13.03.2002 de fr. 4'600.00. (Intérêt 5% du 01.07.2000 déjà calculé dans le montant de la créance, pièce déposée à l'Office)."
Le poursuivi ayant formé opposition totale à ce commandement de payer, la poursuivante a requis la mainlevée provisoire de l'opposition, en produisant notamment la reconnaissance de dette décrite ci-dessus.
A l'audience du 26 août 2003, le poursuivi a produit un onglet de douze pièces sous bordereau, dont notamment un exemplaire original de la reconnaissance de dette - identique à la copie produite par la poursuivante et portant les mêmes ajouts manuscrits - ainsi que des articles de journaux et de la correspondance relatifs au FC B.________ dont A.________ est le président et X.________ l'entraîneur.
E.
Par prononcé du 1er septembre 2003, le Président du Tribunal d'arrondissement de la Broye et du Nord vaudois a rejeté la requête de mainlevée avec suite de frais et dépens. Il a considéré en bref que la reconnaissance de dette signée par les parties était ambiguë; il n'était en effet pas possible de dire s'il s'agissait d'un prêt de la poursuivante aux époux X.________ avec cession de salaire futur (qui serait nulle en vertu des art. 165 al. 1 et 325 al. 2 CO) ou d'une véritable avance de salaire du FC B.________ au poursuivi, la poursuivante ayant alors prêté l'argent non pas au poursuivi, mais à l'employeur pour financer cette avance.
F.
Par arrêt du 11 mars 2004, la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois a admis partiellement le recours formé par la poursuivante contre ce prononcé et a levé provisoirement l'opposition à concurrence de 10'400 fr. plus intérêt à 5% l'an dès le 1er juillet 2000, les frais et dépens des deux instances étant mis à la charge du poursuivi.
La cour cantonale a considéré, sur la base d'un examen sommaire du document intitulé "reconnaissance de dette", que le poursuivi, conjointement avec son épouse, avait reconnu devoir et s'était engagé à rembourser à la poursuivante, au plus tard le 30 juin 2000, le montant de 15'000 fr. que cette dernière leur avait avancé. Il importait peu que le préambule parle d'une avance sur salaire du FC B.________, dès lors que la reconnaissance de dette et l'engagement de remboursement, sans réserve, résultaient clairement du document. Comme la poursuivante admettait qu'une part de 4'600 fr. du montant reconnu de 15'000 fr. avait été remboursée, le montant en capital restant dû était de 10'400 fr. L'intérêt moratoire de 5% était dû dès la demeure du débiteur, laquelle résultait de l'engagement de rembourser le prêt au 30 juin 2000 au plus tard.
G.
Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral pour violation de l'art. 9 Cst., le poursuivi conclut, avec suite de frais et dépens de toutes instances, à l'annulation de cet arrêt.
Le recourant a en outre requis l'octroi de l'effet suspensif, que le Président de la cour de céans, après avoir recueilli les déterminations de l'intimée et de l'autorité cantonale, a accordé par ordonnance du 1er septembre 2004.
Il n'a pas été ordonné d'échange d'écritures sur le fond.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 La décision prononçant ou refusant en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ) la mainlevée - provisoire ou définitive - de l'opposition est une décision finale (cf. art. 87 OJ) qui peut faire l'objet d'un recours de droit public (ATF 120 Ia 256 consid. 1a; 111 III 8 consid. 1; 98 Ia 348 consid. 1, 527 consid. 1 et les arrêts cités; 94 I 365 consid. 3). Le recours est par ailleurs recevable au regard de l'art. 84 al. 1 let. a OJ, en tant qu'il invoque l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.). Enfin, le recourant, dont l'opposition a été levée, est personnellement touché par la décision attaquée et a ainsi qualité pour recourir (art. 88 OJ), ce qu'il a fait en temps utile (art. 89 al. 1 OJ).
1.2 Saisi d'un recours de droit public pour arbitraire, le Tribunal fédéral ne prend pas en considération les allégations, preuves ou faits qui n'ont pas été soumis à l'autorité cantonale; nouveaux, ils sont irrecevables (ATF 119 II 6 consid. 4a; 118 III 37 consid. 2a et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral s'en tient dès lors aux faits constatés par l'autorité cantonale, à moins que le recourant ne démontre que ces constatations sont arbitrairement fausses ou incomplètes (ATF 118 Ia 20 consid. 5a p. 26). En l'espèce, dans la mesure où le recourant, dans son "exposé succinct des faits", entend compléter les constatations de fait de l'arrêt attaqué sans démontrer - ni même prétendre - que celles-ci seraient arbitrairement fausses ou incomplètes, le Tribunal fédéral ne peut en tenir compte.
2.
2.1 Aux termes de l'art. 82 al. 1 LP, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire. Constitue une reconnaissance de dette, au sens de cette disposition, l'acte authentique ou sous seing privé signé par le poursuivi - ou son représentant - d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et échue (ATF 122 III 125 consid. 2 in limine et les références citées). Selon l'art. 82 al. 2 LP, le juge, en présence d'une reconnaissance de dette au sens de l'al. 1 de cette disposition, prononce la mainlevée provisoire si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblable sa libération.
2.2 Le recourant reproche d'abord à l'autorité cantonale d'avoir considéré que, comme la reconnaissance de dette et l'engagement de remboursement sans réserve résultaient clairement du document intitulé "reconnaissance de dette", il importait peu que le préambule de ce document parle d'une avance sur salaire du FC B.________ (cf. lettre F supra). En effet, s'il s'agit d'une avance de salaire par Y.________ SA, cette société se substituait au FC B.________; or, s'agissant du remboursement, la cession du salaire futur n'est possible qu'aux conditions de l'art. 325 CO. Au demeurant, un prêt (art. 305 ss CO) ne se confond pas avec une avance sur salaire (cf. art. 323 al. 4 CO). Dans le premier cas, la prétention en remboursement s'éteint par le paiement. Dans le second, elle s'éteint par la prestation en nature du travailleur qui libère progressivement celui-ci du remboursement de la prestation anticipée en espèces de l'employeur, et c'est uniquement dans l'hypothèse où le travailleur ne presterait plus en nature que son obligation de rembourser en espèces s'actualise. En l'espèce, le FC B.________, pour le travail d'entraîneur du recourant, a remboursé les avances de Y.________ SA, qui étaient des "avances sur salaire" du FC B.________, dans une confusion des caisses dont le recourant n'a pas à pâtir.
Par cette argumentation, le recourant ne démontre pas en quoi l'arrêt attaqué reposerait sur une application de la loi ou une appréciation des preuves manifestement insoutenables (cf. ATF 125 I 492 consid. 1b et les arrêts cités). Il est incontestable que le document produit par la poursuivante constitue une reconnaissance de dette signée par le poursuivi, lequel y reconnaît devoir à la poursuivante, sans réserve ni condition, la somme de 15'000 fr., remboursable au 30 juin 2000 au plus tard. Ce document indique bien qu'il s'agit d'un prêt concédé par Y.________ SA - le montant du prêt ayant d'ailleurs été payé par deux chèques tirés sur le compte de cette société - et devant être remboursé à Y.________ SA. C'est en vain que le recourant invoque la mention selon laquelle le prêt en question était "une avance sur le salaire de la saison d'entraîneur 1999-2000 du F.C. B.________" : du moment que la poursuivante ne se prévaut d'aucune cession ni mise en gage du salaire d'entraîneur du poursuivi pour le FC B.________, mais réclame simplement le remboursement du prêt qui fait l'objet de la reconnaissance de dette, il n'y a pas d'arbitraire à considérer que les conditions de l'art. 82 al. 1 LP sont remplies et que le poursuivi ne rend pas vraisemblable sa libération au sens de l'art. 82 al. 2 LP.
2.3 Le recourant reproche également à l'autorité cantonale d'avoir admis le principe d'une dette elle-même, à hauteur de 10'400 fr. En effet, d'une part il ne s'agirait même pas de la créance déduite en poursuite, à hauteur de 12'400 fr., et d'autre part on ne saurait retenir que l'adjonction unilatérale ultérieure de A.________ satisferait à établir une créance d'une telle quotité.
Ces griefs sont à la limite de la témérité. Il y a en effet identité manifeste entre la créance déduite en poursuite et celle faisant l'objet de la reconnaissance de dette : l'autorité cantonale a accordé la mainlevée provisoire, compte tenu d'un remboursement partiel de 4'600 fr. admis par la poursuivante, pour la part restant due sur le montant reconnu de 15'000 fr., soit 10'400 fr., plus intérêt à 5% l'an dès le 1er juillet 2000, alors que la poursuivante, tout en tenant compte du remboursement partiel de 4'600 fr., arrivait au montant de 12'400 fr. déduit en poursuite en incluant les intérêts (composés) sur le solde dû (cf. lettres C et D supra). Par ailleurs, la cour cantonale a constaté - d'une manière qu'il n'y a pas à revoir (cf. consid. 1.2 supra) - que l'exemplaire original de la reconnaissance de dette produit par le poursuivi lui-même portait les mêmes ajouts manuscrits que l'exemplaire produit par la poursuivante. Dès lors, la signature apposée sur la reconnaissance de dette par le poursuivi le 6 juin 2000, soit le jour même où celui-ci a reçu un chèque de 5'000 fr. (cf. lettres A et B supra), se rapportait bien à un montant de 15'000 fr.
2.4 Le recourant entend enfin tirer argument de l'absence, sur la reconnaissance de dette du 6 juin 2000, de la signature de son épouse, alors que celle-ci était également censée signer ce document en qualité de débiteur conjoint. Aux yeux du recourant, le fait que son épouse n'a rien signé "amoindrit d'autant plus la pertinence du titre que celui qui prend un engagement en qualité de débiteur conjoint n'entend pas le prendre en qualité de débiteur exclusif".
Cette argumentation est dénuée de pertinence. Il est en effet établi que la somme de 15'000 fr. - remise au recourant sous la forme de deux chèques de respectivement 10'000 fr. et 5'000 fr. (cf. lettre A supra) - représentait un prêt accordé conjointement aux époux X.________, lesquels en étaient dès lors solidairement responsables en vertu de l'art. 308 CO. Par conséquent, la créancière pouvait bien poursuivre le recourant pour le tout (art. 143 CO) et réclamer la mainlevée sur la base d'une reconnaissance de dette signée par le seul recourant.
3.
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Partant, le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a en revanche pas lieu d'allouer des dépens, dès lors que l'intimée s'en est remise à justice sur la requête d'effet suspensif et qu'elle n'a pas été invitée à présenter des observations sur le fond.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 1'500 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois.
Lausanne, le 13 octobre 2004
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
La juge présidant: Le greffier: