Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
2P.245/2004 /svc
Arrêt du 15 octobre 2004
IIe Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Wurzburger, Président,
Hungerbühler et Merkli.
Greffier: M. Langone.
Parties
Caisse de compensation pour allocations familiales A.________, recourante, représentée par
Me Pierre Lièvre, avocat et notaire,
contre
Gouvernement de la République et Canton du Jura, rue du 24-Septembre 2, 2800 Delémont 1.
Objet
Arrêté fixant la répartition des charges découlant
du paiement des allocations familiales aux personnes sans activité lucrative pour 2003,
recours de droit public contre l'arrêté du 17 août 2004.
Faits:
A.
Le 17 août 2004, le Gouvernement de la République et Canton du Jura a adopté l'arrêté fixant la répartition des charges découlant du paiement des allocations familiales aux personnes sans activité lucrative pour 2003, publié au Journal officiel du canton du Jura du 1er septembre 2004 et entré immédiatement en vigueur. Selon l'art. 1er de cet arrêté, les allocations familiales versées aux personnes sans activité lucrative s'élèvent pour 2003 à 1'920'696 fr.; cette somme est répartie entre la Caisse cantonale d'allocations familiales et les caisses privées reconnues d'allocations familiales conformément au tableau annexé au présent arrêté. D'après ce tableau, la Caisse de compensation pour allocations familiales A.________ doit s'acquitter, selon une clef de répartition basée sur les salaires déterminants, d'un montant de 276'772 fr. 30 en faveur des personnes sans activité lucrative.
B.
Agissant par la voie du recours de droit public pour violation de l'art. 8 Cst., la Caisse de compensation pour allocations familiales A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêté en cause dans la mesure où elle doit verser un montant de 276'772 fr. 30.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Selon l'art. 88 OJ, le recours de droit public est ouvert aux particuliers et aux collectivités lésés par des arrêtés ou des décisions qui les concernent personnellement ou qui sont d'une portée générale. Le recours de droit public est conçu pour la protection des droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 lettre a OJ). Il doit permettre à ceux qui en sont titulaires de se défendre contre toute atteinte à leurs droits de la part de la puissance publique. De tels droits ne sont reconnus en principe qu'aux citoyens, à l'exclusion des collectivités publiques qui, en tant que détentrices de la puissance publique, n'en sont pas titulaires et ne peuvent donc pas attaquer, par la voie du recours de droit public, une décision qui les traite comme autorités (ATF 121 I 218 consid. 2a; cf. aussi ATF 125 I 173 consid. 1b p. 175; 123 III 454 consid. 2 p. 456).
Pas plus que les corporations de droit public, les corporations organisées selon le droit privé, qui sont chargées de tâches de droit public par le droit cantonal et agissent comme détentrices de la puissance publique vis-à-vis des particuliers concernés, ne peuvent se plaindre, par la voie du recours de droit public, d'une violation des droits constitutionnels des citoyens à l'encontre de décisions d'une autorité administrative ou judiciaire à laquelle elles sont subordonnées dans le domaine en cause. Il en va différemment lorsqu'une corporation de droit privé chargée de tâches publiques est touchée dans sa sphère privée au même titre qu'un particulier. Elle peut se prévaloir de garanties constitutionnelles individuelles lors de conflits "internes" avec l'Etat au sujet de son financement, lorsqu'en relation avec les tâches qui lui sont confiées, elle poursuit également un but lucratif ou du moins qu'elle supporte un risque financier propre (ATF 121 I 218 consid. b p. 220/221).
Les caisses de pensions ou de compensation n'ont pas qualité pour attaquer des décisions concernant des activités pour l'accomplissement desquelles elles sont investies de prérogatives de puissance publique (ATF 103 Ia 58 consid. 2 p. 60-62). Il importe peu à cet égard qu'une telle caisse soit une corporation de droit public ou une personne morale de droit privé (ATF 111 Ia 146 consid. 1b p. 148). Dans un cas comme dans l'autre, la voie du recours de droit public ne lui est ouverte que lorsqu'elle agit, non pas en tant que détentrice de la puissance publique, mais en vertu du droit privé et qu'elle est placée sur le même pied que d'autres sujets de droit, de sorte que la décision d'une autorité l'atteint de la même façon qu'une personne privée (ATF 111 Ia 146 consid. 1b p. 148; 109 Ia 173 consid. 2 p. 175; 103 Ia 58 consid. 1 p. 59 et 2a p. 60/61; cf. également l'arrêt 2P.335/1997 du 16 décembre 1997, consid. 3b).
1.2 En l'occurrence, la recourante est une caisse privée d'allocations familiales reconnue qui est chargée notamment de prélever auprès des employeurs affiliés les cotisations nécessaires à la couverture de toutes leurs dépenses en vue principalement du paiement des allocations familiales (cf. art. 19 al. 2 de la loi jurassienne du 20 avril 1989 sur les allocations familiales). Revêtant la forme d'une association régie par les art. 60 ss du Code civil, la caisse recourante est donc une personne morale de droit privé investie de prérogatives de puissance publique; elle se trouve donc dans une situation analogue à celle d'une corporation de droit public. La recourante s'en prend à l'arrêté attaqué du 17 août 2004 en tant qu'il l'oblige à verser pour l'année 2003 une participation de 276'772 fr. 30 au titre d'allocations familiales destinées aux personnes sans activité lucrative. Selon elle, cet arrêté violerait le principe de la généralité de l'impôt, partant le principe d'égalité consacré par l'art. 8 Cst., dans la mesure où le financement des allocations familiales en faveur des personnes sans activité lucrative incombe exclusivement à un cercle restreint de personnes, soit les membres de la caisse (employeurs) qui, au demeurant, n'entretiennent aucun lien particulier avec les bénéficiaires des allocations.
Force est de constater que la caisse recourante n'est pas touchée par l'arrêté en cause dans sa sphère privée au même titre qu'un particulier. Elle ne le prétend d'ailleurs pas. La recourante n'allègue pas que la participation financière qu'elle doit verser lui causerait un préjudice financier propre. La recourante n'a donc pas qualité pour former un recours de droit public contre un arrêté qui concerne des tâches qu'elle accomplit en tant que détentrice de la puissance publique.
1.3 En contestant le financement des allocations familiales destinées aux personnes sans activité lucrative par ses affiliés, la recourante agit clairement au nom de ses membres qu'elle dit représenter.
Une association peut certes agir par la voie du recours de droit public en vue de sauvegarder les intérêts de ses membres, quand bien même elle n'est pas elle-même touchée par l'acte entrepris. Il faut notamment qu'elle ait la personnalité juridique et que la défense des intérêts de ceux-ci figure parmi ses buts statutaires. En outre, ses membres doivent être personnellement touchés par l'acte litigieux, du moins en majorité ou en grand nombre (ATF 130 I 26 consid. 1.2.1 p. 30, 82 consid. 1.3 p. 85; 129 I 113 consid. 1.6 p. 119; 125 I 369 consid. 1a p. 372; 124 I 145 consid. 1c p. 149; 123 I 221 consid. 2 p. 224/225 et les références citées). Mais, selon l'art. 3 des Statuts de la Caisse de compensation pour allocations familiales de l'Union patronale interprofessionnelle du 1er juillet 1999, l'association a uniquement pour but le versement d'allocations familiales, la défense des intérêts de ses membres n'étant pas l'un des buts statutaires de la caisse recourante.
Dans ces conditions, la recourante n'a pas non plus qualité pour recourir au sens de l'art. 88 OJ sous cet angle.
2.
En conséquence, le recours est irrecevable. Avec ce prononcé, la requête d'effet suspensif devient sans objet. Succombant, la recourante doit supporter un émolument judiciaire (art. 156 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est irrecevable.
2.
Un émolument judiciaire de 1'000 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante et au Gouvernement de la République et Canton du Jura,
Lausanne, le 15 octobre 2004
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: