BGer C 292/2003
 
BGer C 292/2003 vom 02.11.2004
Eidgenössisches Versicherungsgericht
Tribunale federale delle assicurazioni
Tribunal federal d'assicuranzas
Cour des assurances sociales
du Tribunal fédéral
Cause
{T 7}
C 292/03
Arrêt du 2 novembre 2004
IVe Chambre
Composition
MM. les Juges Ferrari, Président, Meyer et Ursprung. Greffier : M. Beauverd
Parties
Secrétariat d'Etat à l'économie, Marché du travail et assurance-chômage, TCRV, Effingerstrasse 31, 3003 Berne, recourant,
contre
R.________, intimée, représentée par Me Hans Feldmann, Avocat, Moosstrasse 2, 3073 Gümligen,
Instance précédente
Tribunal administratif du canton de Berne, Cour des affaires de langue française, Berne
(Jugement du 14 novembre 2003)
Faits:
A.
La société R.________ SA a pour but notamment la production et la distribution de pulpe de bois, la récupération de déchets de bois et d'autres matériaux, ainsi que l'exploitation forestière.
Par un préavis du 15 août 2002, elle a informé l'Office cantonal de l'industrie, des arts et métiers et du travail du canton de Berne (OCIAMT; actuellement : beco, Economie bernoise [ci-après: le beco]) d'une réduction de l'horaire de travail. Elle indiquait que cinquante-cinq travailleurs (dont deux déjà licenciés) étaient touchés par une réduction de 100 % de l'horaire de travail à partir du 16 août 2002 pour une durée indéterminée, en raison d'un incendie qui avait détruit la station de séchage de la pâte de bois, le 12 août précédent.
Après avoir résilié l'ensemble des contrats de travail de ses collaborateurs le 26 août 2002, la société a décidé, le 30 août suivant, après une entrevue avec l'OCIAMT, de revenir sur ces licenciements en ce qui concerne 80 % de son personnel, c'est-à-dire quarante-cinq travailleurs. Aussi, par décision du 3 septembre 2002, l'OCIAMT a-t-il consenti au paiement de l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail pour la période du 19 août au 18 octobre 2002, pour autant que les autres conditions du droit fussent réalisées.
Le 26 septembre 2002, la société a résilié les contrats de travail de trente-cinq de ses collaborateurs pour ne maintenir en charge que dix travailleurs, ainsi que cinq autres employés alors en incapacité de travail en raison d'une atteinte à la santé.
Par lettre du 3 octobre 2002, l'OCIAMT a informé le Secrétariat d'Etat à l'économie (seco) qu'il renonçait à reconsidérer sa décision du 3 septembre 2002, motif pris que les licenciements intervenus le 26 septembre précédent résultaient d'une nouvelle situation imprévisible lors du prononcé de ladite décision. Au demeurant, la société avait été informée du fait qu'elle ne pouvait prétendre une indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail au-delà du 1er octobre 2002.
B.
Le seco a recouru contre la décision de l'OCIAMT du 3 septembre 2002, dont il demandait l'annulation, devant le Tribunal administratif du canton de Berne, en concluant à ce que le droit de la société R.________ SA à une indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail fût nié.
Par jugement du 14 novembre 2003, la juridiction cantonale a partiellement admis le recours dans la mesure où il portait sur la période du 25 septembre au 18 octobre 2002 et l'a rejeté dans la mesure où il concernait la période du 19 août au 24 septembre 2002, le dossier étant renvoyé au beco pour examen des autres conditions du droit à l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail.
C.
Le seco interjette recours de droit administratif contre ce jugement en concluant à son annulation.
L'intimée conclut, sous suite de dépens, au rejet du recours, ce que propose aussi implicitement la juridiction cantonale dans un préavis circonstancié. De son côté, le beco renonce à présenter des déterminations et se réfère à sa réponse en procédure cantonale.
Considérant en droit:
1.
Le jugement entrepris n'est pas contesté par les parties dans la mesure où il nie le droit des quarante-cinq travailleurs de la société intimée à une indemnité en cas de réduction complète de l'horaire de travail pour la période du 25 septembre au 18 octobre 2002. Le litige porte donc sur le point de savoir si les travailleurs concernés peuvent prétendre une telle indemnité pour la période du 19 août au 24 septembre 2002.
2.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003, entraînant la modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de l'assurance-chômage. Cependant, le cas d'espèce reste régi par les dispositions de la LACI en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, eu égard au principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 127 V 467 consid. 1). En outre, le Tribunal fédéral des assurances apprécie la légalité des décisions attaquées, en règle générale, d'après l'état de fait existant au moment où la décision litigieuse a été rendue (ATF 121 V 366 consid. 1b).
Pour les mêmes motifs, les dispositions de la novelle du 22 mars 2002 modifiant la LACI, entrée en vigueur le 1er juillet 2003 (RO 2003 1728), ainsi que les dispositions de l'OACI modifiées le 28 mai 2003, entrées en vigueur le 1er juillet 2003 également (RO 2003 1828), ne sont pas non plus applicables.
3.
3.1 Aux termes de l'art. 31 al. 1 LACI, les travailleurs, dont la durée normale du travail est réduite ou l'activité suspendue, ont droit à l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail, notamment lorsque la perte de travail doit être prise en considération au sens de l'art. 32 LACI (let. b), que le congé n'a pas été donné (let. c) et que la réduction de l'horaire de travail est vraisemblablement temporaire et que l'on peut admettre qu'elle permettra de maintenir les emplois en question (let. d).
Pour savoir si les conditions de l'art. 31 al. 1 let. d LACI sont réalisées, il y a lieu de présumer qu'une perte de travail sera vraisemblablement temporaire et que les emplois pourront être maintenus, tant qu'il n'existe pas d'éléments concrets qui permettraient d'aboutir à une conclusion contraire (ATF 121 V 373 consid. 2a, 111 V 384 ss consid. 2b). Le point de savoir s'il existe des éléments concrets suffisants pour renverser cette présomption doit être tranché au regard de l'ensemble des circonstances, à savoir la rentabilité et les liquidités de l'entreprise, le carnet et les perspectives de commandes et surtout la situation concurrentielle. Bien qu'il ne permette pas à lui seul de nier le caractère temporel de la perte de travail et la perspective d'un maintien des emplois grâce à la réduction de l'horaire de travail, le fait que l'entreprise concernée a déjà perçu par le passé l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail doit être pris en considération (DTA 1995 n. 19 p. 112 s.). Pour trancher le point de savoir si la perte de travail est vraisemblablement temporaire et si les emplois pourront être maintenus, il y a lieu d'apprécier de façon prospective les circonstances qui prévalaient lors du prononcé de la décision litigieuse (ATF 121 V 373 s. consid. 2a; DTA 1989 n. 12 p. 124 consid. 3a).
3.2 La juridiction cantonale a considéré qu'au moment du prononcé de la décision litigieuse, il n'existait aucun élément concret suffisant pour renverser la présomption que la perte de travail était temporaire et que les emplois pourraient être maintenus. A l'appui de cette conclusion, elle a constaté que la société intéressée disposait d'un carnet de commandes complet pour le mois de septembre 2002 et qu'elle mettait tout en oeuvre pour pallier la défaillance de sa station de séchage en tentant de commercialiser le produit sous la forme de pâte à papier humide. Au demeurant, elle a montré sa ferme intention de reconstruire et réinstaller l'ensemble de l'installation dans les plus brefs délais, afin de réapprovisionner ses clients au plus vite. Dès lors, selon la juridiction cantonale, le seul fait que la société intimée a renoncé à revenir sur les licenciements de dix travailleurs n'est pas suffisant pour renverser la présomption que la perte de travail était temporaire et que les emplois pourraient être maintenus.
De son côté, le seco fait valoir que la résiliation - intervenue le 26 août 2002, soit peu après le préavis de réduction de l'horaire de travail - des contrats de travail concernant l'ensemble des collaborateurs de la société montre bien qu'aux yeux des dirigeants de cette dernière, la perte de travail ne serait pas temporaire et les emplois ne pourraient être maintenus. Certes, ces résiliations ont été annulées le 30 août suivant en ce qui concerne 80 % du personnel. Toutefois, selon le seco, cette décision ne reposait pas sur la conviction que les emplois menacés pourraient être maintenus, mais était destinée à contourner les exigences formelles prévues par le Code des obligations en cas de licenciements collectifs (cf. art. 335d à 335g CO). Aussi, le recourant soutient-il que la demande d'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail avait pour but, non pas de maintenir des emplois, mais de financer le paiement des salaires durant le délai de congé.
3.3 Le point de vue du recourant ne saurait être partagé. En effet, on ne peut considérer que l'annulation de quarante-cinq des licenciements avait pour but de contourner les exigences formelles fixées aux art. 335f et 335g CO, du moment que les dix résiliations maintenues constituent déjà un licenciement collectif (cf. art. 335d ch. 1 CO) soumis à de telles exigences. Au demeurant, toutes les négociations menées depuis lors et les mesures prises en vue de la commercialisation du produit sous la forme de pâte à papier humide montrent bien que l'annulation de la majeure partie des licenciements n'était pas destinée à corriger un simple vice de forme, mais qu'il existait véritablement des perspectives de maintien des emplois. Cela ressort notamment des notices de travail des participants à la réunion tenue le 29 août 2002 en présence de représentants de la société intimée et de l'OCIAMT, sur le vu desquelles une reprise partielle des activités pouvait avoir lieu au mois de septembre 2002, pour autant que l'on sursît aux licenciements décidés le 26 août précédent.
Cela étant, force est de nier l'existence, au moment du prononcé de la décision litigieuse (cf. consid. 3.1), d'éléments concrets suffisants pour renverser la présomption que la perte de travail serait vraisemblablement temporaire et que les emplois pourraient être maintenus.
4.
4.1 Pour que la perte de travail soit prise en considération (art. 31 al. 1 let. b LACI), il faut qu'elle résulte de facteurs d'ordre économique, qu'elle soit inévitable et qu'elle soit d'au moins 10 % de l'ensemble des heures normalement effectuées par les travailleurs de l'entreprise (art. 32 al. 1 LACI). Pour les cas de rigueur, le Conseil fédéral règle la prise en considération de pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, à des pertes de clientèle dues aux conditions météorologiques ou à d'autres circonstances non imputables à l'employeur; il peut prévoir en l'occurrence des délais d'attente plus longs, dérogeant à l'art. 32 al. 2 LACI, et arrêter que la perte de travail ne peut être prise en compte qu'en cas d'interruption complète ou de réduction importante du travail dans l'entreprise (art. 32 al. 3 LACI).
Le Conseil fédéral a fait usage de cette compétence à l'art. 51 OACI, selon lequel la perte de travail causée par un dommage n'est pas prise en considération tant qu'elle est couverte par une assurance privée; si l'employeur ne s'est pas assuré contre une telle perte de travail, bien que cela eût été possible, la perte de travail n'est prise en considération qu'à l'expiration du délai de résiliation applicable au contrat de travail individuel (al. 4).
4.2 L'OCIAMT, à qui le dossier doit être renvoyé aux termes du dispositif du jugement attaqué pour examen des autres conditions du droit à l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail, devra instruire le point de savoir si l'interruption d'exploitation durant la période du 19 août au 24 septembre 2002 (cf. consid. 1) était couverte par une assurance privée et, dans la négative, s'il eût été possible à l'intimée de s'assurer contre une telle perte de travail. Ce dernier point devra être tranché de manière objective, non pas en fonction de l'intention subjective ou des capacités financières de l'employeur (Gerhard Gerhards, Kommentar zum Arbeitslosenversicherungsgesetz [AVIG], t. 1 [art. 1-58] n. 56 ad art. 32-33).
5.
Vu ce qui précède, le jugement entrepris n'est pas critiquable et le recours se révèle mal fondé.
6.
L'intimée, qui obtient gain de cause, est représentée par un avocat. Elle a droit à une indemnité de dépens pour l'instance fédérale (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.
3.
Le Secrétariat d'Etat à l'économie versera à l'intimée la somme de 800 fr. (y compris la taxe sur la valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'instance fédérale.
4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal administratif du canton de Berne, Cour des affaires de langue française, et au beco Economie bernoise.
Lucerne, le 2 novembre 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IVe Chambre: Le Greffier: