Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4P.144/2004 /fzc
Arrêt du 3 novembre 2004
Ire Cour civile
Composition
MM. les Juges Corboz, président, Nyffeler et Favre.
Greffier: M. Carruzzo.
Parties
A.________,
B.________,
recourants,
tous deux représentés par Mes Maurice Harari et Anne Héritier Lachat, avocats,
contre
C.________ SA, rue du Rhône 118, 1204 Genève,
intimée, représentée par Mes Shelby du Pasquier et Daniel Tunik, avocats,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
art. 9 Cst.; appréciation arbitraire des preuves,
recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 14 mai 2004.
Faits:
A.
A.a En 1996, A.________, B.________ et D.________ Ltd ont fondé la société E.________ SA, active dans les télécommunications et l'informatique.
A la fin de l'année 1998, E.________ SA se trouvait en état de surendettement et avait un besoin urgent de capitaux. A.________ est alors entré en contact avec la société genevoise C.________ SA, spécialisée dans les opérations financières. Selon la volonté commune des parties, C.________ SA devait aider E.________ SA et ses actionnaires à trouver de nouveaux investisseurs.
Le 22 février 1999, C.________ SA, E.________ SA et ses actionnaires ont signé un contrat qui fixait la mission confiée à la première nommée ainsi que la manière de calculer ses honoraires. Le contrat a été modifié, par un avenant du 12 avril 1999, en ce sens que C.________ SA s'est vu octroyer "a right of first refusal to act as the Company's financial advisor on any transaction in the next 4 years..." (i.e. "un droit de première offre d'agir en tant que conseiller financier de la Société pour toute transaction des 4 prochaines années..."). Les parties sont également convenues qu'en cas de vente de E.________ SA, C.________ SA percevrait une commission allant de 5%, pour une valeur de transaction inférieure à 70'000'000 fr., jusqu'à 10%, pour une valeur supérieure à 100'000'000 fr.
A.b Par l'entremise de C.________ SA, E.________ SA a trouvé, en mai 1999, une société - F.________ - qui a investi 17'000'000 fr. (12 millions pour des actions nouvelles et 5 millions sous la forme d'un prêt convertible) dans l'affaire et qui a racheté une partie des actions de A.________ pour 2'000'000 fr.
C.________ SA a touché une commission de 850'000 fr. (5% de 17 millions) de E.________ SA ainsi qu'un montant de 100'000 fr. (5% de 2 millions) de A.________. Elle s'est encore vu concéder un droit d'option sur 76'328 actions E.________ SA, droit garanti par le blocage des titres auprès d'une banque.
Un second avenant, signé le 21 mai 1999, a réduit la durée initiale du droit de première offre accordé à C.________ SA, dont il a fixé l'échéance au 31 décembre 2001.
A.c A la fin de l'année 1999, E.________ SA a rencontré de nouvelles difficultés financières. Approchée par A.________, la société américaine G.________ Inc a formulé une première offre de rachat de E.________ SA qui n'a pas été acceptée.
En mars 2000, E.________ SA était en situation de dépôt de bilan et devait trouver d'urgence une solution. C.________ SA a recherché sans succès un repreneur ou un investisseur.
Parallèlement, A.________ a repris contact avec G.________ Inc qui a offert, le 5 avril 2000, de racheter E.________ SA pour un montant de 12'000'000 US$, payable en actions G.________ Inc. Les modalités de rachat restaient toutefois à négocier. C.________ SA n'a pas participé aux pourparlers relatifs à cette transaction et son rôle est resté très limité. Elle s'est consacrée presque exclusivement à la lecture des projets de contrats, puis à des remarques sur la valeur de la contre-prestation offerte par G.________ Inc.
Les actionnaires de E.________ SA ont réussi à convaincre 3i d'accepter que son prêt soit remboursé par la remise d'actions G.________ Inc.
Le 18 mai 2000, C.________ SA a établi pour E.________ SA, qui devait soumettre un état de ses dettes à G.________ Inc, une note d'honoraires de 645'000 US$ fondée sur l'offre de rachat susmentionnée (5% de 12 millions, TVA en sus). Cette note d'honoraires a déclenché des discussions intenses entre toutes les parties. Les actionnaires de E.________ SA jugeaient une telle rémunération totalement excessive et inacceptable. Cependant, personne n'a contesté, à ce stade, l'existence même d'une prétention d'honoraires de C.________ SA du chef de l'accord projeté avec G.________ Inc.
Sachant que G.________ Inc avait fixé à E.________ SA un terme péremptoire pour la finalisation de l'accord, C.________ SA, qui était en mesure d'empêcher le transfert à G.________ Inc des actions E.________ SA bloquées pour garantir son droit d'option, a fermement refusé toute réduction de sa créance d'honoraires. Elle n'a consenti qu'à libérer E.________ SA de tout engagement à son égard et à débloquer les actions E.________ SA moyennant paiement de ses frais d'avocat, à concurrence de 30'100 fr., et signature de deux documents.
Le premier document fixait comme il suit les modalités du règlement des honoraires de C.________ SA:
- les actionnaires de E.________ SA acceptaient les honoraires de C.________ SA au montant facturé de 645'000 US$, TVA comprise;
- à titre de règlement partiel de cette somme, C.________ SA recevait des actions préférentielles de G.________ Inc représentant quelque 300'000 US$, actions qui devaient être transformées en actions ordinaires jusqu'au 9 octobre 2000, faute de quoi les actionnaires s'engageaient à verser les 300'000 US$ en numéraire;
- en cas de perte, par C.________ SA, sur la vente de ces actions durant la première année suivant le 9 octobre 2000, les actionnaires de E.________ SA devaient couvrir cette perte qui s'ajoutait au solde des honoraires en souffrance;
- les actionnaires disposaient d'une année, à compter du 9 octobre 2000, pour vendre leurs actions G.________ Inc afin de couvrir le solde des honoraires de C.________ SA, laquelle jouissait d'un droit préférentiel sur le produit de la vente; si celle-ci n'était pas possible ou si son produit était insuffisant pour couvrir le solde des honoraires, les actionnaires étaient tenus d'acquitter leur dette en numéraire, C.________ SA devant d'abord rechercher les premiers actionnaires de E.________ SA avant de rechercher 3i.
Le second document portait sur la mise en dépôt, auprès d'un notaire lausannois, des actions G.________ Inc devant revenir aux actionnaires de E.________ SA, le notaire ayant mission de virer à C.________ SA le solde d'honoraires, à prélever sur le produit d'une cession éventuelle des actions G.________ Inc mises en dépôt.
Ces deux documents ont été signés le 13 juillet 2000 et les frais d'avocat de C.________ SA ont été payés par les actionnaires de E.________ SA, lesquels, au même titre que les administrateurs de cette société, avaient néanmoins le sentiment d'avoir dû céder à un chantage.
Le même jour, les actionnaires de E.________ SA ont remis leurs actions à G.________ Inc en échange d'actions de cette dernière société, après que C.________ SA eut consenti, en date du 11 juillet 2000, à la libération des actions E.________ SA bloquées.
A.d Le 4 octobre 2000, A.________, B.________ et D.________ Ltd ont invalidé la convention conclue le 13 juillet 2000 en invoquant la lésion au sens de l'art. 21 CO.
Contestant cette invalidation, C.________ SA, en date du 13 octobre 2000, a mis les anciens actionnaires de E.________ SA en demeure de payer le montant de 300'000 US$, car elle n'avait pas pu faire enregistrer les actions G.________ Inc. Cette société, à l'instar de E.________ SA, est d'ailleurs tombée en faillite, si bien que les anciens actionnaires de E.________ SA ont subi une perte importante, de l'ordre de 12'000'000 Euros.
Faute de paiement, C.________ SA a engagé des poursuites contre A.________ et B.________ pour un montant de 532'350 fr., représentant la contre-valeur de 300'000 US$. Par jugements du 28 février 2001, le Tribunal de première instance du canton de Genève a prononcé la mainlevée provisoire des oppositions formées aux commandements de payer y relatifs à concurrence de la somme précitée avec intérêts à 5% l'an dès le 13 octobre 2000.
Par la suite, C.________ SA a fait notifier aux mêmes personnes, qui y ont fait opposition, de nouveaux commandements de payer portant sur la somme de 571'837 fr. 50 avec intérêts à 5% l'an dès le 23 août 2001. Ce montant correspond au solde de 345'000 US$ des honoraires arrêtés dans l'accord du 13 juillet 2000.
B.
Le 22 mars 2001, A.________ et B.________ ont déposé chacun une action en libération de dette à l'encontre de C.________ SA. Les deux procédures ont été jointes.
La défenderesse a conclu au rejet de ces deux demandes et elle a réclamé, reconventionnellement, que les demandeurs soient condamnés à lui payer la somme de 645'000 US$, intérêts en sus.
Par jugement du 18 septembre 2003, le Tribunal de première instance a admis les actions en libération de dettes, débouté la défenderesse de toutes ses conclusions et dit que les poursuites dirigées contre les demandeurs n'iraient pas leur voie.
Statuant par arrêt du 14 mai 2004, sur appel de la défenderesse, la Cour de justice genevoise, après avoir annulé le jugement de première instance, a condamné solidairement les demandeurs à payer à la défenderesse la somme de 645'000 US$ avec intérêts à 5% dès le 13 octobre 2000 sur 300'000 US$ et dès le 23 août 2001 sur 345'000 US$. En conséquence, elle a déclaré non fondées les oppositions formées par les débiteurs aux commandements de payer relatifs à la contre-valeur, en francs suisses, de ces deux montants.
C.
Parallèlement à un recours en réforme, les demandeurs exercent un recours de droit public. Reprochant à la Cour de justice d'avoir violé l'art. 9 Cst., ils invitent le Tribunal fédéral à annuler l'arrêt attaqué.
L'intimée propose le rejet du recours. Quant à la cour cantonale, elle se réfère aux motifs énoncés dans son arrêt.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Exercé en temps utile (art. 89 al. 1 OJ), dans la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ), pour violation de droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ), contre une décision finale prise en dernière instance cantonale, le recours de droit public soumis au Tribunal fédéral est recevable.
Les recourants, qui ont été condamnés à verser une somme d'argent à l'intimée, ont un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que la décision attaquée n'ait pas été adoptée en violation de leurs droits constitutionnels; en conséquence, la qualité pour recourir doit leur être reconnue (art. 88 OJ).
Il y a lieu, partant, d'entrer en matière.
2.
Invoquant l'art. 9 Cst., les recourants reprochent à l'autorité intimée d'avoir rendu une décision arbitraire dans l'appréciation des preuves et la constatation des faits déterminants.
2.1 En matière d'appréciation des preuves, il y a arbitraire lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur le sens et la portée d'un tel élément, ou encore lorsqu'elle tire des constatations insoutenables des éléments recueillis. Le grief d'appréciation arbitraire des preuves ne peut être pris en considération que si son admission est de nature à modifier le sort du litige, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il vise une constatation de fait n'ayant aucune incidence sur l'application du droit (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4a).
2.2
2.2.1 Les recourants s'en prennent à la constatation de la cour cantonale selon laquelle, à l'instar des autres actionnaires, ils n'auraient pas contesté l'existence d'une créance d'honoraires de l'intimée, au moment de signer l'accord du 13 juillet 2000, mais uniquement le montant de cette créance, qu'ils jugeaient excessif. A leur avis, la Cour de justice aurait omis de prendre en considération trois pièces décisives qui prouveraient que la contestation portait également sur le principe même de la rémunération de l'intimée.
Ainsi, sans motiver leur décision sur ce point, les juges cantonaux auraient abouti à une constatation de fait arbitraire et, partant, fondé leur raisonnement juridique sur une prémisse insoutenable.
2.2.2 La simple lecture des trois pièces citées dans l'acte de recours suffit à démontrer l'absence totale de fondement du grief d'arbitraire formulé par les recourants. En effet, dans les deux premières, il n'est question que de la contestation du montant des honoraires (pièces 20 et 22) et les recourants ne fournissent aucune explication permettant de comprendre en quoi ces deux écrits démontreraient que la contestation portait aussi sur l'existence même de la créance d'honoraires de l'intimée. Quant à la pièce 24, elle fait certes état d'une "polémique épistolaire sur le principe et la quotité des honoraires de C.________ SA", mais elle ne constitue en aucun cas la preuve irréfutable que la contestation ait porté sur le principe même de la rémunération de cette société; de fait, cette pièce a trait essentiellement aux modalités de paiement des honoraires de l'intimée.
On peine à comprendre, au demeurant, en quoi le fait que la contestation ait porté sur l'existence même de la créance d'honoraires de l'intimée plutôt que sur son ampleur aurait pu avoir une quelconque incidence sur la qualification juridique de l'accord conclu le 13 juillet 2000.
3.
Dans ces conditions, le présent recours ne peut qu'être rejeté. Ses auteurs seront, dès lors, condamnés solidairement à payer l'émolument judiciaire ( art. 156 al. 1 et 7 OJ ) et à indemniser leur adverse partie ( art. 159 al. 1 et 5 OJ ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 13'000 fr. est mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
3.
Les recourants sont condamnés solidairement à verser à l'intimée une indemnité de 15'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 3 novembre 2004
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: