BGer 4C.75/2004
 
BGer 4C.75/2004 vom 16.11.2004
Tribunale federale
{T 0/2}
4C.75/2004 /ech
Arrêt du 16 novembre 2004
Ire Cour civile
Composition
MM. et Mmes les Juges Corboz, Président, Klett, Nyffeler, Rottenberg Liatowitsch et Favre.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.
Parties
X.________,
défenderesse et recourante, représentée par Me Alexandre Guyaz,
contre
A.________,
demandeur et intimé, représenté par Me Paul-Arthur Treyvaud.
Objet
responsabilité civile du détenteur de véhicule automobile; incapacité de travail; prédispositions constitutionnelles,
recours en réforme contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 28 mars 2003.
Faits:
A.
A.a Le 5 mai 1989, A.________, né le 28 avril 1958, a été victime d'un accident alors qu'il séjournait en ex-Yougoslavie. Passager avant de la voiture conduite par son frère, D.________, il a été éjecté lors du choc. Le blessé a été transféré à l'Hôpital d'Yverdon. Les médecins ont diagnostiqué des fractures et des tassements de vertèbres. Le patient a porté un corset plâtré jusqu'au 16 août 1989.
Le véhicule était assuré auprès de X.________. Selon E.________, expert auprès du service d'accidentologie de X.________, il ressort des photos de la voiture accidentée que le point d'ancrage supérieur de la ceinture de sécurité du siège du passager avant est absolument intact et que la sangle se trouve dans une position de repos tout à fait normale. A son sens, une défectuosité du dispositif de la ceinture ou une faute de maniement de la part du passager peuvent être exclues; par ailleurs, il est impossible que le dispositif de la ceinture de sécurité ait lâché au cours du sinistre. Pour sa part, D.________ a déclaré que la ceinture de sécurité du siège occupé par son frère était attachée au moment de l'accident.
A.________ est marié et père de trois enfants nés en 1981, 1983 et 1984. Au moment de l'accident, il travaillait comme manoeuvre de chantier pour Y.________ SA; son salaire horaire était de 16 fr.45.
A.b Selon un certificat médical du 6 octobre 1989 établi par le Dr F.________, A.________ se trouvait en incapacité de travail depuis le 19 septembre 1989 pour une durée indéterminée, la reprise du travail ayant échoué en raison de douleurs thoraciques.
Du 21 novembre au 15 décembre 1989, A.________ a été placé à la Clinique de médecine rééducative de Bellikon. Il a repris une activité professionnelle à 50% le 15 janvier 1990; il a été affecté à des activités légères de nettoyage, puis à des travaux d'aide magasinier. Neuf jours plus tard, il était à nouveau en incapacité totale de travail.
Au printemps 1990, le Dr F.________ a adressé A.________ au Dr G.________, qui a émis l'avis suivant:
«Je pense qu'il s'agit avant tout d'un phénomène dépressif avec un abaissement du seuil douloureux. L'origine organique des dorsalgies du patient est certaine puisqu'il y a eu une lésion objective, mais c'est sa réaction à la douleur qui est trop importante.»
Dans un rapport d'examen final du 3 octobre 1990, le Dr K.________, médecin d'arrondissement de la SUVA, écrit notamment les lignes suivantes:
«APPRÉCIATION
Comme lors des examens précédents, on ne peut mettre en évidence de manière objective des troubles séquellaires de cette fracture D9. Le patient se plaint uniformément de l'ensemble de son rachis avec une localisation préférentielle au niveau lombo-sacré. Nous savons qu'à ce niveau il souffre d'une discopathie. Cet accident a été suivi d'un désengagement de cet assuré qui n'a pas permis une reprise du travail alors que les conséquences mêmes de ce tassement vertébral sont insignifiantes et que le patient souffrait antérieurement d'autres fractures vertébrales mineures et d'une discopathie lombo-sacrée, à part les séquelles d'une maladie de Scheuermann. (...)
Les éléments qui entraînent cet assuré à se désengager sont d'une autre nature et ne peuvent pas être attribués aux suites de cet accident.»
Le 5 décembre 1991, A.________ a été soumis à une expertise psychiatrique effectuée par la Doctoresse H.________, dont les constatations sont notamment les suivantes:
«OBSERVATIONS CLINIQUES
(...)
J'ai procédé à des tests psychologiques avec le patient sur le plan du QI et sur le plan de l'atteinte organique. J'ai été frappée par la pauvreté de la connaissance générale du patient et le QI estimé à moins de 70. Par contre, je n'ai pas constaté de signe d'atteintes organiques post-traumatiques au niveau de ces mêmes investigations.
Le patient dramatise les suites de l'accident, mais je crois qu'il est très déçu et revendicateur parce qu'il ne se sent pas reconnu dans la souffrance qu'il a endurée à la suite de l'accident, surtout par rapport à son état dépressif. (...)
Les premières manifestations dépressives, à mon avis, ont commencé tout de suite après l'accident en 1989, ce qui veut bien dire qu'il s'agit d'un état dépressif réactionnel. (...)
CONSTATATIONS ET CONCLUSION
De mon point de vue, toute cette évolution de la maladie chronique est due à la perte de confiance, d'espoir de retrouver la santé. Cela a été vécu par un patient présentant déjà au départ une personnalité frustre (sic), primitive sur laquelle était greffée une débilité mentale moyenne. Evidemment, tous les problèmes d'ordre affectifs et sociaux actuels survenus par la suite de l'accident en 1989 sont le résultat d'un état dépressif réactionnel à l'accident. L'incapacité de ce patient à faire le deuil de sa santé physique, de sa compétence physique par rapport à une profession de manoeuvre et son incapacité à s'adapter à la nouvelle situation de vie qui lui est imposée par son état actuel ainsi que la non-compréhension du monde extérieur, la mise en doute par les nombreux examens physiques, les expertises, par toutes les difficultés sociales qu'il rencontre au niveau du travail, des prestations matérielles de vie, etc....»
En janvier 1992, Y.________ SA a licencié A.________ pour le 29 février 1992. Par décision du 11 novembre 1991, la Caisse de Compensation des Entrepreneurs avait mis le travailleur au bénéfice d'une rente d'invalidité de 1'136 fr. par mois à partir du 5 mai 1991.
Par décision du 10 mars 1993, la SUVA a admis que A.________ présentait une incapacité de gain de 100%. Elle lui a dès lors versé une rente mensuelle de 2'012 fr.
En 1995, la SUVA a soumis A.________ à une nouvelle expertise. Dans son rapport du 26 août 1995, le Dr I.________ a relevé notamment ce qui suit:
«Il reste à examiner l'hypothèse d'un état dépressif réactionnel (trouble de l'adaptation). Le trouble doit en principe apparaître immédiatement ou dans les jours suivant l'accident. Nous n'en avons aucune évidence ici. Il n'est jamais mentionné au départ. Il n'apparaît pas dans le rapport de sortie de la clinique de médecine rééducative de Bellikon, où le patient a pourtant séjourné pendant un mois. Il est mentionné une 1ère fois dans le rapport du Dr G.________ seulement le 11 mai 1990. Les troubles sont d'ailleurs peu documentés (air triste, sensibilité à la douleur inhabituelle). Il n'y a pas eu de renvoi chez un psychiatre. (...) Quoiqu'il en soit, on doit admettre que, s'il y a dépression, il y a aussi une période de latence de près d'un an avant son apparition. On ne peut plus parler de dépression réactionnelle (trouble de l'adaptation). (...)
Le trouble est trop grave pour rester dans le champ d'un trouble de l'adaptation. La durée de plusieurs années dépasse largement les 6 mois admis pour une affection "réactionnelle" (trouble de l'adaptation). Enfin la période de latence de près d'un an est trop longue pour que l'on puisse admettre une affection "réactionnelle" (trouble de l'adaptation). Aujourd'hui, on ne peut manifestement plus admettre que l'on soit en présence d'une dépression réactionnelle à l'accident. Cette constatation rejoint d'ailleurs les critères diagnostiques du DSM-III-R.
Cet état dépressif majeur est certes invalidant. Des conséquences de l'accident, comme la mauvaise assimilation d'une atteinte même minime à l'intégrité physique, peuvent avoir contribué à le déclencher. D'autres causes entrent pourtant en jeu comme la personnalité frustre (sic), l'état de santé du frère D.________, l'immigration et l'acculturation difficile, la guerre civile dans le pays d'origine, les bénéfices secondaires (rente; soutien de l'entourage) que peut apporter ici le statut d'invalide pour ne citer que quelques possibilités. On est donc bien loin du cours ordinaire des choses. Il est évident que cette dépression majeure n'est pas reliée à l'accident du 5.5.1989 par un lien de causalité naturel et adéquat. (...)
Pour conclure, l'expert retient aujourd'hui les diagnostics d'état dépressif majeur de degré moyen et de fonctionnement intellectuel limite.
Sur le seul plan psychiatrique, il est juste de retenir une incapacité de travail de 50% quelle que soit l'activité effectuée. On peut faire remonter cette invalidité psychiatrique au printemps 1990, en prenant pour repère le rapport d'examen du Dr G.________ le 11.5.1990 où la notion de dépression apparaît pour la première fois. La date exacte ne peut évidemment pas être établie avec précision et n'a que peu d'importance à ce stade du dossier. Cette invalidité peut être considérée comme fixée, voire définitivement fixée. Elle ne me paraît pas être modifiée de façon significative depuis le printemps 1990 jusqu'à aujourd'hui.
Cette invalidité psychiatrique ne peut pas être reliée par un lien de causalité naturel et adéquat à l'accident du 5.5.1989. Elle relève de facteurs étrangers à cet accident à savoir la personnalité de l'assuré, son intelligence limite et des éléments sociaux et culturels qui sortent partiellement du champ médical.
Si l'on tient compte des éléments somatiques figurant au dossier il est vrai que l'incapacité de travail de l'assuré est de 100% comme manoeuvre dans le bâtiment ou le génie civil. Dans une activité légère comportant des efforts variés, l'incapacité de travail de l'assuré n'est limitée que par ses troubles psychiques. Le taux d'invalidité actuel est donc de 50% et pas plus.»
Par décision du 19 janvier 1996, la SUVA a ramené le taux d'incapacité de gain reconnu de A.________ à 60% dès le 1er février 1996. Pour sa part, l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Vaud a continué de verser à A.________ une rente correspondant à un taux d'invalidité de 100%. Par décision du 8 août 2002 portant sur la période du 1er décembre 2001 au 31 juillet 2002, cette autorité a supprimé les rentes dues pour B.________, fille aînée des époux A.________, et pour son frère C.________, en raison de la fin de leurs études.
B.
Par demande du 11 octobre 2000, A.________ a ouvert action contre X.________ en paiement de 269'992 fr., avec intérêts à 5% dès le 1er février 1996. Ce montant correspond à la différence entre le salaire que le demandeur aurait gagné en poursuivant son activité professionnelle et les rentes d'invalidité qu'il perçoit. A.________ ne prétend qu'à la réparation du dommage futur, qu'il définit comme celui qu'il subira lorsque ses enfants ne recevront plus de rentes en raison de la fin de leurs études.
En cours d'instance, une expertise a été confiée au Dr J.________, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. Dans son rapport du 31 mai 2002, l'expert note en particulier les points suivants:
«En l'état actuel, M. A.________ n'est pas capable de travailler.
Cependant, les causes de cette incapacité totale de travail sont d'origine multifactorielle.
D'un point de vue orthopédique pur, le patient présente des séquelles d'une fracture-tassement du mur antérieur de D9-D10, éventuellement de D8, sur accident de circulation le 05.05.1989.
Cependant, ces fractures n'ont pas entraîné un tassement suffisamment conséquent pour entraîner une importante modification de la statique rachidienne. (..)
Ceci entraîne qu'on ne peut pas mettre en évidence orthopédiquement une atteinte suffisamment importante qui explique toute la symptomatologie décrite par M. A.________ et qui justifie cette incapacité totale de travail. (...)
Ce patient, d'un point de vue orthopédique, devrait être à même de travailler au moins à 50% dans une activité légère. Ceci devrait être possible dans des emplois tels qu'aide micromécanicien, aide horloger, surveillant de tapis roulants, emballage d'aliments à la chaîne et/ou équivalent.
Si cette capacité de travail orthopédique n'a jamais été retrouvée et que le patient reste en arrêt complet, cela semble être dû aux problèmes psychiatriques et psycho-sociaux qui sont venus se surajouter.
Dans ce sens, les conclusions du Dr I.________, psychiatre, dans son rapport du 27.06.1995, semblent tout à fait valables et acceptables.
Sans parler qu'en plus de tout ce qui vient d'être évoqué le patient semble avoir développé des troubles du sommeil et de l'attention sur un possible syndrome d'apnée du sommeil qui est en cours d'investigations. Il a également développé une obésité et une dyslipidémie. A eux seuls ces problèmes peuvent jouer un rôle dans l'incapacité totale actuelle, sans cependant qu'on puisse les rattacher de manière certaine à l'événement accidentel du 05.05.1989.(...)
Il est certain qu'il existe un état antérieur préexistant de type débilité mentale moyenne, ainsi qu'une personnalité fruste et primitive. Cela entraîne que le patient a développé une chronification de sa symptomatologie, vraisemblablement aussi aggravée par les problèmes psycho-sociaux qui se sont surajoutés depuis cet événement. Cependant, ces faits ne peuvent pas être rattachés d'une manière probable à certaine à l'événement du 05.05.1989. Cet accident a révélé ces derniers, mais ne les a pas provoqués.(...)
Des séquelles de troubles de croissance liés à une maladie de Scheuermann sont présents. On sait que ce type de pathologie, surtout dans des activités physiques importantes, souvent finit par se décompenser vers la cinquantaine et aboutit à des douleurs.
La discopathie lombo-sacrée ne peut pas être expliquée par l'événement accidentel puisque les fractures n'ont pas entraîné de troubles statiques majeurs pathologiques. (...) Par contre, l'activité professionnelle de manoeuvre de chantier à elle seule est largement suffisante pour aboutir à des surcharges de la charnière lombo-sacrée et à une discopathie. Cela semble d'autant plus vrai si une maladie de Scheuermann sus-jacente, qui enraidit en général un peu le rachis, est présente.
Finalement, il faut mentionner que des troubles psychiatriques ou psycho-sociaux très fréquemment se traduisent par une somatisation au niveau du rachis.
En conséquence, il est certain que les douleurs dorsales de M. A.________ ont une origine multifactorielle, dont les séquelles de l'accident du 05.05.1989 ne jouent qu'un rôle très modéré.
Il est cependant très difficile de définir cela en pourcentage de manière précise. Compte tenu de l'âge du patient, des troubles dégénératifs qu'il présente, des séquelles de Scheuermann qu'il a et de l'atteinte psychiatrique révélée, on peut admettre qu'au maximum les douleurs dorsales dont se plaint le patient sont en relation de causalité naturelle d'environ ¼ (25%) avec l'accident du 05.05.1989. Les ¾ de ses plaintes au moins (supérieures ou égales à 75%) sont très probablement dus plutôt aux autres facteurs décrits ci-dessus.»
Par jugement du 28 mars 2003, la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a condamné X.________ à payer à A.________ la somme de 114'125 fr.95, avec intérêts à 5% dès le 14 mars 2003.
C.
X.________ interjette un recours en réforme. A titre principal, elle conclut à la réforme du jugement attaqué en ce sens que la demande est rejetée. Ses conclusions subsidiaires tendent à l'annulation de la décision entreprise et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour complément d'instruction et nouveau jugement dans le sens des considérants.
A.________ propose le rejet du recours.
Contre le jugement de la Cour civile, la défenderesse a également déposé un recours en nullité cantonal, qui a été rejeté par la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud dans un arrêt du 1er juin 2004. Par arrêt de ce jour, la cour de céans a rejeté le recours de droit public que X.________ a formé contre la décision de la Chambre des recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions libératoires, et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ), le recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).
1.2 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral, mais non pour violation d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ), ni pour violation du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c).
Saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il faille rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2. p. 106, 136 consid. 1.4. p. 140; 127 III 248 consid. 2c).
Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est donc pas ouvert pour remettre en cause l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en découlent (ATF 130 III 136 consid. 1.4 p. 140 128 III 271 consid. 2b/aa p. 277; 127 III 247 consid. 2c p. 252; 126 III 189 consid. 2a).
Au surplus, la juridiction de réforme ne peut aller au-delà des conclusions des parties; en revanche, elle n'est liée ni par les motifs développés par les parties (art. 63 al. 1 OJ; ATF 128 III 411 consid. 3.2.2 p. 415), ni par l'argumentation juridique suivie par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 130 III 136 consid. 1.4 p. 140; 128 III 22 consid. 2e/cc; 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).
2.
2.1 Invoquant les art. 8 CC et 42 CO, la défenderesse reproche à la cour cantonale d'avoir violé le droit fédéral en matière de preuve en retenant que B.________, fille du demandeur, avait terminé ses études le jour du jugement, soit le 13 mars 2003.
2.2 L'art. 8 CC répartit le fardeau de la preuve pour toutes les prétentions fondées sur le droit fédéral et détermine, sur cette base, laquelle des parties doit assumer les conséquences de l'échec de la preuve (ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 24; 127 III 519 consid. 2a). Il a également été déduit de cette disposition un droit à la preuve et à la contre-preuve (ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 24; 126 III 315 consid. 4a), à la condition qu'il s'agisse d'établir un fait pertinent (ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 24; 126 III 315 consid. 4a), qui n'est pas déjà prouvé (ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 24; 127 III 519 consid. 2a p. 522), par une mesure probatoire adéquate (ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 24/25), laquelle a été régulièrement offerte selon les règles de la loi de procédure applicable (ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 25; 126 III 315 consid. 4a).
D'après l'art. 42 al. 1 CO, la preuve du dommage incombe au demandeur. L'alinéa 2 de cette disposition précise que, lorsque le montant exact du dommage ne peut être établi, le juge le détermine équitablement en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée.
2.3 Victime de lésions corporelles, le demandeur réclame réparation de son dommage futur; selon la jurisprudence, ce préjudice correspond à la perte de gain subie à partir de la décision cantonale par le lésé devenu totalement ou partiellement incapable de travailler (arrêt 4C.252/2003 du 23 décembre 2003, consid. 2.1). Il importe peu à cet égard que B.________ poursuive ou non ses études. Le fait déterminant pour le calcul du dommage est de savoir si elle percevait au jour du jugement une rente AI s'ajoutant au revenu de son père. Il appartenait en effet à la cour cantonale d'établir les revenus actuels du lésé, avant de les déduire du salaire que le demandeur aurait perçu sans l'accident. Or, la cour cantonale n'a pas retenu l'existence d'une rente AI en faveur de B.________, servie à l'époque du prononcé du jugement. Il s'agit là d'un élément de fait qui lie la juridiction de réforme et que la défenderesse n'a du reste pas critiqué dans son recours de droit public connexe. Le grief soulevé ne portant pas sur un fait pertinent, le moyen tiré de la violation des art. 8 CC et 42 CO est dénué de fondement.
3.
3.1 La recourante voit également une violation de l'art. 8 CC dans la considération de la cour cantonale selon laquelle l'absence du port de la ceinture de sécurité par le demandeur au moment de l'accident n'était pas établie.
3.2 Il appartenait à la défenderesse, qui entendait faire valoir un facteur de réduction de l'indemnité, de démontrer que la ceinture n'était pas attachée lors du choc fatidique. Elle a invoqué à ce sujet le rapport de E.________, expert auprès de son service d'accidentologie, qui contenait des photographies du véhicule accidenté. Contrairement à ce que la défenderesse prétend, la Cour civile n'a pas omis d'examiner la preuve offerte, mais a jugé que celle-ci n'était pas propre à établir le fait allégué, étant donné que le rapport avait été rédigé par l'un des employés de la compagnie d'assurances. Le même raisonnement s'appliquait à l'évidence aussi aux clichés invoqués par la défenderesse dans la mesure où ils étaient inclus dans ce document et ne se comprenaient du reste qu'en relation avec les commentaires de E.________. En conséquence, aucune violation de l'art. 8 CC ne saurait être reprochée à la cour cantonale.
4.
4.1 Dans un troisième moyen, la défenderesse fait grief à la cour cantonale d'avoir réduit de 50% seulement l'indemnité allouée au demandeur, au lieu de procéder à une diminution de 75% du dommage. Ce faisant, les juges vaudois auraient méconnu les règles fédérales en matière de causalité adéquate et de prédisposition constitutionnelle. En particulier, ils auraient pris en compte uniquement les troubles psychiques du demandeur comme facteur de réduction, alors que d'autres affections préexistantes - maladie de Scheuermann et discopathie lombo-sacrée - ressortaient des faits établis.
4.2 En cas de lésions corporelles, la victime a droit au remboursement des frais et aux dommages-intérêts qui résultent de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l'atteinte portée à son avenir économique (art. 46 al. 1 CO). Le préjudice s'entend au sens économique. Est donc déterminante la diminution de la capacité de gain. Le dommage consécutif à l'invalidité doit, autant que possible, être établi de manière concrète. Le juge partira du taux d'invalidité médicale (ou théorique) et recherchera ses effets sur la capacité de gain ou l'avenir économique du lésé (ATF 129 III 135 consid. 2.2 p. 141 et les arrêts cités).
Il se peut que la victime de lésions corporelles soit atteinte, même de manière latente, d'affections préexistantes au moment de l'accident. Il appartient au juge du fait, le cas échéant, d'établir qu'un état maladif préexistant a un effet sur la capacité de travail du lésé. En revanche, la question de savoir si un tel état constitue une cause adéquate d'une incapacité de gain plus élevée relève du droit et peut être examinée librement par le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme (ATF 113 II 86 consid. 1b p. 89; arrêt 4C.416/1999 du 22 février 2000, consid. 2, reproduit in Pra 2000, n° 154, p. 920 ss; cf. également arrêt 4C.215/2001 du 15 janvier 2002, consid. 3b, reproduit in Pra 2002, n° 151, p. 816 ss).
En règle générale, des causes concomitantes du dommage, comme une prédisposition constitutionnelle du lésé, ne sauraient interrompre le lien de causalité adéquate. Selon les circonstances, un état maladif antérieur peut toutefois être pris en compte dans le cadre des art. 42 à 44 CO. Une simple faiblesse constitutionnelle n'entrera pas en considération comme facteur de réduction. En revanche, de véritables anomalies ou des affections préexistantes aiguës ou latentes peuvent réduire les prétentions du lésé. En tant que prédispositions constitutionnelles, elles constituent un fait concomitant qui peut influer sur le calcul du dommage (art. 42 CO) ou le montant des dommages-intérêts (art. 43/44 CO), qu'il s'agisse d'une cause concomitante du dommage ou d'un facteur aggravant les suites de l'accident (ATF 113 II 86 consid. 1b p. 90; arrêt 4C.222/2004 du 14 septembre 2004 destiné à la publication, consid. 4).
Parmi les cas de prédisposition constitutionnelle, la jurisprudence distingue, d'une part, les états maladifs antérieurs qui se seraient développés certainement ou très vraisemblablement même sans l'événement dommageable et, d'autre part, ceux qui ne se seraient selon toute probabilité pas manifesté sans l'accident. Dans la première hypothèse, le dommage qui en résulte ne saurait être imputé au responsable et doit être exclu du calcul du préjudice; la part du préjudice liée à l'état préexistant pourra être prise en compte, par exemple, en admettant une durée de vie ou d'activité réduite ou en diminuant le taux de capacité de gain déterminant pour le calcul des dommages-intérêts (cf., sur ce dernier point, ATF 102 II 33 consid. 3c p. 43/44). Dans le second cas, le responsable sur le plan civil doit assumer le dommage lorsque la prédisposition maladive a favorisé la survenance du préjudice ou a augmenté l'ampleur de celui-ci; une réduction de l'indemnité sur la base de l'art. 44 CO pourra toutefois entrer en considération (ATF 113 II 86 consid. 3b p. 93 ss; arrêt précité du 14 septembre 2004, consid. 4 et les références). La distinction présente une importance pratique en matière de droit préférentiel («Quotenvorrecht») du lésé, qui tend à prémunir celui-ci contre les suites défavorables d'un dommage non couvert (arrêt précité du 14 septembre 2004, consid. 4 et les arrêts cités).
L'art. 44 al. 1 CO permet au juge de réduire les dommages-intérêts lorsqu'il apparaît inéquitable de mettre à la charge du responsable la réparation de la totalité du préjudice. Dans les cas où l'état maladif antérieur ne se serait vraisemblablement pas développé sans l'événement dommageable, la prédisposition constitutionnelle ne suffit en principe pas à elle seule pour justifier une réduction des dommages-intérêts (arrêt précité du 22 février 2000, consid. 2c/aa; cf. également ATF 113 II 86 consid. 1b p. 90). D'autres circonstances doivent intervenir, comme par exemple une disproportion manifeste entre la cause fondant le dommage et l'importance du préjudice (arrêt précité du 22 février 2000, consid. 2c/aa; Schaetzle/Weber, Manuel de capitalisation, 5e éd., traduction française de Fernand Cerf, n. 3.204, p. 395).
4.3 Selon le jugement attaqué, «le demandeur présente une incapacité de gain de 100%, mais (...) son dommage doit être diminué de moitié, dans la mesure de sa capacité résiduelle de travail de 50%.» En réalité, ce taux a été appliqué à la fixation de l'indemnité due par la défenderesse. Même si le jugement attaqué n'est pas très clair sur ce point, il apparaît que la réduction des dommages-intérêts est justifiée par les troubles psychiques du demandeur, qualifiés de préexistants. D'autres affections antérieures n'ont pas été prises en compte.
4.3.1 La Cour civile reprend à plusieurs reprises les propos des médecins sur des atteintes préexistantes de nature organique dont souffre le demandeur, en particulier des séquelles liées à une maladie de Scheuermann et une discopathie lombo-sacrée. L'expert judiciaire attribue à ces deux facteurs, étrangers à l'accident, un rôle dans les douleurs dorsales invalidantes du demandeur; c'est dire qu'ils influent sur sa capacité de travail. Il est du reste notoire que la maladie de Scheuermann et d'autres atteintes comparables à la colonne vertébrale conduisent tôt ou tard à une incapacité de travail partielle ou totale chez les personnes qui exercent un travail manuel lourd (cf. arrêt précité du 15 janvier 2002, consid. 3b). Il appartenait dès lors à la cour cantonale d'établir dans quelle mesure ces deux états maladifs influaient sur la capacité de travail du demandeur, puis de déterminer l'incidence de ce facteur sur la capacité de gain de l'intéressé, pour en tenir compte dans le calcul du dommage. En application de l'art. 64 OJ, il convient dès lors d'annuler le jugement attaqué et de renvoyer la cause à la cour cantonale pour qu'elle rende une nouvelle décision après avoir complété les faits.
4.3.2 C'est le lieu de préciser que la réduction des dommages-intérêts de 50% liée aux troubles psychiques du demandeur devra également être revue.
La mesure de la réduction repose largement sur le pouvoir d'appréciation du juge au sens de l'art. 4 CC. Le Tribunal fédéral ne revoit qu'avec réserve la décision d'équité prise en dernière instance cantonale (arrêt précité du 15 janvier 2002, consid. 3c). Il intervient lorsque celle-ci s'écarte sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, ou lorsqu'elle s'appuie sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu'elle n'a pas tenu compte d'éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; il sanctionnera en outre les décisions rendues en vertu d'un pouvoir d'appréciation lorsqu'elle aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (ATF 123 III 10 consid. 4c/aa p. 13; cf. également ATF 129 III 153 consid. 1a p. 155).
En l'espèce, la cour cantonale a réduit l'indemnité pour perte de gain de moitié en raison de la «capacité résiduelle de travail de 50%» du demandeur. En réalité, cette «capacité résiduelle» est celle que, sur le plan orthopédique, l'expert judiciaire attribue théoriquement au demandeur si ce dernier n'avait pas développé des troubles psychiques. En se référant à ce pourcentage, la Cour civile tend à exclure les conséquences desdits troubles de la prétention en dommages-intérêts du demandeur. Or, d'un autre côté, elle reconnaît que l'état dépressif du lésé se trouve dans une relation de causalité adéquate avec l'accident et tient pour établi le fait que les troubles psychiques du demandeur ne se seraient pas développés sans l'événement dommageable de 1989. A ce sujet, lorsqu'elle prétend que les troubles en question sont totalement étrangers à l'accident, la défenderesse se fonde sur un fait qui ne ressort pas des constatations cantonales. Du reste, selon l'arrêt rendu parallèlement sur le recours de droit public, la Chambre des recours a admis à juste titre que la Cour civile n'était pas tombée dans l'arbitraire en retenant que l'atteinte psychique était dans une relation de causalité naturelle avec l'événement de 1989. Dans ces conditions, il apparaît inéquitable d'aligner la mesure de la réduction des dommages-intérêts en raison d'une prédisposition constitutionnelle d'ordre psychique sur l'atteinte à la capacité de travail induite par cette affection. Au demeurant, il n'y a pas lieu, selon la jurisprudence, de procéder à une réduction schématique en fonction du degré de l'atteinte (arrêt précité du 22 février 2000, consid. 2c/aa).
5.
5.1 La défenderesse reproche en outre à la cour cantonale d'avoir calculé la perte de gain future du demandeur sur la base du salaire brut majoré des cotisations versées par l'employeur aux assurances sociales, en violation de la récente jurisprudence du Tribunal fédéral préconisant la prise en compte du salaire net.
5.2 Dans l'arrêt 4C.197/2001 du 12 février 2002 (consid. 4b, reproduit in SJ 2002 I, p. 414 ss), le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence relative au dommage de rente, qui se définit comme la perte de rentes de vieillesse provoquée par une réduction du revenu, qui survient à la suite d'une atteinte à la capacité de gain (ATF 126 III 41 consid. 3). Le calcul du dommage de rente ne suppose plus de capitaliser les cotisations formatrices de rente versées par l'employeur aux assurances sociales; désormais, pour déterminer le dommage de rente direct, il convient de comparer les rentes d'invalidité et de vieillesse versées par les assurances sociales (AVS, LAA, LPP) avec les prestations de vieillesse que le lésé aurait touchées sans l'accident, le préjudice consécutif à la réduction d'une rente correspondant donc à la différence entre les prestations de vieillesse hypothétiques et les prestations d'invalidité et de vieillesse déterminantes. Cette nouvelle jurisprudence a été confirmée dans l'arrêt publié aux ATF 129 III 135 (consid. 2.2 p.142 et consid. 3.3 p.150). L'indemnisation concrète du dommage de rente de vieillesse a conduit, en toute logique, à une modification de la jurisprudence relative au calcul de la perte de gain, qui s'effectue non plus sur la base du salaire brut, mais bien sur celle du salaire net, toutes les cotisations aux assurances sociales devant être déduites du salaire brut (ATF 129 III 135 consid. 2.2. p. 142/143 et consid. 2.3.2.3 p. 148).
En l'espèce, dans son calcul de la perte de gain future, la cour cantonale est partie, de manière non conforme à la jurisprudence, du salaire brut que le demandeur aurait pu percevoir au jour du jugement. Dès l'instant où le jugement est annulé et la cause renvoyée à l'instance cantonale, il appartiendra à celle-ci, lors du nouveau calcul de la perte de gain future, de prendre en compte le salaire hypothétique net du demandeur, conformément aux principes rappelés ci-dessus.
La Cour civile devra également procéder au calcul séparé d'un éventuel dommage de rente, selon les règles exposées dans l'arrêt publié aux ATF 129 III 135 (consid. 3.3 p. 150/151).
6.
6.1 Dans un dernier grief, la défenderesse critique le facteur de capitalisation retenu par la cour cantonale. A son sens, il aurait fallu prendre en compte une rente d'activité jusqu'à 60 ans, ce qui correspond à l'âge de la retraite anticipée selon la convention collective de travail du 12 novembre 2002 pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction.
6.2 Pour déterminer la perte de gain future du demandeur, la Cour civile a capitalisé le salaire annuel hypothétique du lésé à la date du prononcé du jugement cantonal à l'aide de la table 11 de Stauffer/ Schaetzle (5e éd.), qui correspond à une rente d'activité jusqu'à l'âge AVS, soit 65 ans pour un homme. Aucun élément du jugement attaqué ne permet de retenir que le lésé aurait pris sa retraite à 60 ans. Le fait que le demandeur, s'il était resté travailleur de la construction, serait nécessairement parti en retraite anticipée à cet âge-là est nouveau et, partant, irrecevable dans un recours en réforme.
7.
Même si la défenderesse obtient gain de cause sur sa conclusion subsidiaire, l'issue du litige demeure incertaine. Dans ces conditions, il se justifie de faire supporter à chaque partie la moitié des frais judiciaires (art. 156 al. 3 OJ) et de compenser les dépens (art. 159 al. 3 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis partiellement, le jugement attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis pour moitié à la charge de chaque partie.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 16 novembre 2004
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière: