BGer 6S.416/2004
 
BGer 6S.416/2004 vom 20.01.2005
Tribunale federale
{T 0/2}
6S.416/2004 /rod
Arrêt du 20 janvier 2005
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Karlen et Zünd.
Greffière: Mme Angéloz.
Parties
Ministère public du canton de Vaud,
1014 Lausanne,
recourant,
contre
X.________,
intimée,
Juge d'instruction du canton de Vaud,
rue du Valentin 34, 1014 Lausanne.
Objet
Ordonnance de non-lieu (abus de confiance),
pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 3 août 2004.
Faits:
A.
A une date que l'arrêt attaqué ne précise pas, la société Y.________ SA a déposé plainte pénale pour abus de confiance contre X.________. Elle reprochait à cette dernière d'avoir omis de lui payer les factures relatives à la location d'un snowboard et d'une paire de bottes et, malgré plusieurs rappels, de ne lui avoir pas restitué ce matériel.
B.
Le 30 juin 2004, le Juge d'instruction de l'arrondissement de Lausanne a rendu une ordonnance de non-lieu, au motif que le litige était de nature civile.
Par arrêt du 3 août 2004, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours formé par le Ministère public contre cette décision. Il a estimé que l'un des éléments constitutifs de l'abus de confiance, à savoir que les objets litigieux avaient été confiés au sens de l'art. 138 ch. 1 CP, n'était pas réalisé.
C.
Le Ministère public du canton de Vaud se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral, en concluant à l'annulation de l'arrêt attaqué pour violation de l'art. 138 ch. 1 CP.
L'autorité cantonale a renoncé à se déterminer, déclarant se référer à son arrêt. L'intimée n'a pas déposé de réponse dans le délai qui lui avait été imparti à cet effet.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
L'arrêt attaqué émane d'une autorité d'accusation, qui a confirmé le non-lieu prononcé par le magistrat instructeur, mettant ainsi un terme à l'action pénale sur le chef d'accusation dénoncé. Il constitue donc une ordonnance de non-lieu au sens de l'art. 268 ch. 2 PPF (cf. ATF 123 IV 252 consid. 1 p. 253 et les arrêts cités) et peut dès lors faire l'objet d'un pourvoi en nullité, que le Ministère public cantonal est par ailleurs manifestement habilité à former (art. 270 let. c PPF).
2.
Invoquant une violation de l'art. 138 ch. 1 CP, le recourant reproche à l'autorité cantonale d'avoir nié que les conditions de cette infraction pourraient être réalisées.
2.1 Se rend coupable d'abus de confiance au sens de l'art. 138 ch. 1 al. 1 CP, celui qui, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, se sera approprié une chose mobilière appartenant à autrui et qui lui avait été confiée.
Sur le plan objectif, cette infraction suppose la réalisation de trois conditions, à savoir l'existence d'une chose mobilière, que cette chose ait été confiée à l'auteur et que ce dernier se soit approprié la chose en violation du rapport de confiance. Une chose est confiée au sens de l'art. 138 ch. 1 CP lorsqu'elle est remise ou laissée à l'auteur, en vertu d'un accord ou d'un autre rapport juridique, pour qu'il l'utilise d'une manière déterminée dans l'intérêt d'autrui, en particulier pour qu'il la garde, l'administre ou la livre selon des instructions qui peuvent être expresses ou tacites (ATF 120 IV 276 consid. 2 p. 278 et les arrêts cités). S'approprie une chose mobilière celui qui l'incorpore économiquement à son patrimoine, que ce soit pour la conserver, l'utiliser ou l'aliéner, c'est-à-dire qui en dispose comme s'il en était le propriétaire (ATF 118 IV 148 consid. 2a p. 151 et les arrêts cités). L'appropriation implique, d'une part, que l'auteur veut la dépossession durable du propriétaire et, d'autre part, qu'il entend s'attribuer la chose, au moins pour un temps. Cette volonté doit se manifester par des signes extérieurs (ATF 121 IV 23 consid. 1c p. 25; 118 IV 148 consid. 2a et les arrêts cités).
Du point de vue subjectif, l'auteur doit avoir agi intentionnellement et dans un dessein d'enrichissement illégitime, lequel peut être réalisé par dol éventuel (ATF 118 IV 32 consid. 2a p. 34; 105 IV 29 consid. 3a p. 36).
2.2 L'arrêt attaqué admet que les objets litigieux ont été loués par la plaignante à l'intimée, autrement dit que, selon accord passé entre elles, la première a cédé l'usage de ces objets à la seconde, qui, en contrepartie, s'engageait à lui verser une rémunération. Il ne nie au demeurant pas les allégations de la plainte qu'il reproduit, selon lesquelles l'intimée, malgré plusieurs rappels, n'a non seulement pas versé à la plaignante la rémunération qui lui était due mais ne lui a pas restitué les objets litigieux. Il ne contient certes aucune constatation quant à la date de l'accord et de la remise des objets à l'intimée, ni quant à la date à laquelle cette dernière était tenue de les restituer. Bien qu'invitées à se déterminer sur le pourvoi, l'autorité cantonale et l'intimée ont toutefois renoncé à le faire. On doit en déduire qu'il n'est pas contesté que, comme le prétend le recourant, les objets litigieux ont été remis à l'intimée respectivement le 12 et le 26 décembre 2002, pour une utilisation temporaire, à l'échéance de laquelle elle devait les restituer. On doit de même admettre qu'il est incontesté que, comme le soutient le recourant, l'intimée, contactée le 4 mars 2004 par la police, a indiqué qu'elle rapporterait le matériel litigieux directement à la plaignante, que, le 6 avril 2004, elle ne l'avait cependant toujours pas fait et que, lors d'une perquisition effectuée à son domicile le 28 mai 2004, la police a constaté que le matériel était toujours en sa possession. On est dès lors fondé à tenir ces faits pour vraisemblables, ce qui est en principe suffisant au stade actuel de la procédure, où il s'agit de décider d'un non-lieu ou d'un renvoi en jugement.
2.3 Il apparaît ainsi que les objets litigieux ont été remis à l'intimée pour utilisation temporaire, afin qu'elle puisse en faire usage pendant un laps de temps limité, fixé par l'accord passé avec la plaignante, à l'échéance duquel elle devait les restituer. Ils lui ont donc été remis pour qu'elle les utilise de manière déterminée, aussi dans l'intérêt de la plaignante, de sorte qu'ils lui ont bien été confiés au sens de l'art. 138 ch. 1 CP. Par conséquent, l'arrêt attaqué viole le droit fédéral en tant qu'il nie que cette condition pourrait être réalisée.
Que la condition d'une appropriation puisse aussi être réalisée n'apparaît au reste pas exclu. S'agissant de la location de matériel de ski, on est fondé à admettre qu'il devait être restitué au plus tard à la fin de la saison pour laquelle il avait été loué, soit, en l'occurrence, au cours du printemps 2003. Les rappels de la plaignante tendent en tout cas à démontrer qu'il n'avait pas été restitué à l'échéance fixée par l'accord conclu entre les parties. Or, malgré ces rappels, l'intimée n'avait toujours pas restitué ce matériel au printemps 2004. En effet, contactée par la police au début mars 2004, elle a admis qu'elle détenait toujours ce matériel, puisqu'elle a dit vouloir le rapporter directement à la plaignante. Un mois plus tard, au début avril 2004, elle ne l'avait cependant toujours pas fait et, lors de la perquisition policière du 28 mai 2004, il a été constaté que le matériel litigieux était toujours en sa possession, sans que l'on puisse exclure qu'elle le détienne encore. En agissant de la sorte, soit en conservant le matériel litigieux bien au-delà du laps de temps pour lequel il lui avait été remis et en persistant, malgré des rappels et l'avertissement que constituaient les interventions de la police et le dépôt d'une plainte pénale, à ne pas le restituer, elle a adopté un comportement tendant à démontrer qu'elle a disposé, fût-ce temporairement, du matériel en cause à la manière d'une propriétaire, en violation de l'accord la liant à la plaignante. Il existe à tout le moins des indices sérieux en ce sens.
Enfin, le comportement de l'intimée, qui, malgré des rappels et l'avertissement que constituaient les interventions de la police et le dépôt d'une plainte, a persisté à ne pas restituer le matériel litigieux, ne permet pas non plus d'exclure la réalisation des conditions subjectives de l'art. 138 ch. 1 CP, à savoir qu'elle a agi consciemment et volontairement, donc intentionnellement, et dans un dessein d'enrichissement illégitime, soit pour se procurer, fût-ce à titre temporaire, un avantage patrimonial au détriment de la plaignante, du moins par dol éventuel.
Au vu de ce qui précède, l'arrêt attaqué viole le droit fédéral en tant qu'il dénie qu'un abus de confiance pourrait être réalisé et confirme par conséquent le non-lieu prononcé par le magistrat instructeur.
3.
Le pourvoi doit ainsi être admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.
L'intimée n'ayant pas déposé de réponse, on ne saurait dire qu'elle succombe dans ses conclusions. En conséquence, il ne sera pas perçu de frais.
Il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité à l'accusateur public qui obtient gain de cause (art. 278 al. 3 PPF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le pourvoi est admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.
2.
Il n'est pas perçu de frais ni alloué d'indemnité.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Juge d'instruction du canton de Vaud et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 20 janvier 2005
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: