Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1P.659/2004 /col
Arrêt du 26 janvier 2005
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président,
Nay et Reeb.
Greffier: M. Zimmermann.
Parties
A.________,
recourant, représenté par Me André Clerc, avocat,
contre
Juge d'instruction du canton de Fribourg,
place Notre-Dame 4, 1700 Fribourg,
Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat
de Fribourg, case postale 56, 1702 Fribourg.
Objet
procédure pénale; non-lieu,
recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg
du 31 août 2004.
Faits:
A.
Le dimanche 4 mai 2003, vers 20h, B.________, né le 3 octobre 1989, a fait une chute à trottinette, près de U.________. Il s'est relevé en se plaignant d'une douleur à la tête et à l'épaule droite. Dès leur retour à la maison, sa mère, C.________, a appelé le service des urgences de l'hôpital de Riaz. Il lui a été conseillé d'administrer un remède analgésique et d'observer l'enfant pendant les trois quarts d'heure suivants, et de passer à l'hôpital en cas de besoin, ce qui ne s'est pas révélé nécessaire. A 22h, B.________ s'est plaint de maux de dents et à la tête.
Le matin du lundi 5 mai 2003, C.________ a fait examiner B.________ par son médecin traitant, D.________. Celle-ci a diagnostiqué une fracture de la clavicule droite.
Le lundi 5 mai à 14h30, B.________ a appelé sa mère au téléphone; il lui a dit qu'il était rentré à la maison après avoir vomi à l'école. Vers 17h40, C.________ a appelé D.________ pour lui signaler ce qui s'était passé et que B.________ se plaignait de maux de tête et de dents. D.________ lui a demandé si B.________ avait souffert de diarrhée. C.________ a répondu par l'affirmative, en précisant que sa fille E.________, cadette de B.________, avait également vomi à deux ou trois reprises dans la nuit du 3 au 4 mai 2003. D.________ a conclu prioritairement à une gastro-entérite virale, subsidiairement à une commotion cérébrale. Elle a rappelé C.________ à 20h pour prendre des nouvelles. Comme B.________ semblait aller mieux, elle n'a pas laissé d'instructions particulières. Dans la soirée, B.________ a vomi à plusieurs reprises. Au moment de se coucher, vers 21h15, il s'est plaint de violents maux de tête et de dents. C.________ a cherché à joindre D.________, en vain. Lorsqu'elle a visité son fils vers 23h45, il dormait profondément et ronflait.
Le mardi 6 mai 2003 à 6h30, C.________ n'a pas pu réveiller son fils, dont D.________ a constaté le décès à 7h. L'autopsie a permis d'établir que la mort était survenue à la suite de la fracture de l'os temporal droit et d'un hématome épidural, consécutif à la chute en trottinette.
Le 6 mai 2003, le Juge d'instruction du canton de Fribourg a ouvert contre inconnu une instruction qualifiée, au sens de l'art. 153 CPP/FR, pour homicide par négligence.
Le 17 mars 2004, Thomas Krompecher et Jean-Georges Villemure, médecins auprès de l'Institut universitaire de médecine légale de Lausanne, ont établi un rapport concluant au lien de causalité entre le traumatisme crânien et le décès. Aucun indice de la lésion n'était décelable jusqu'au 5 mai 2003 à 21h. En particulier, les symptômes liés aux vomissements et maux de tête n'ont pas laissé suspecter la fracture, compte tenu du fait que l'état de B.________ semblait s'être amélioré et que le soupçon de gastro-entérite, diagnostiquée chez un autre enfant, avait pu semer la confusion. La façon dont D.________ avait soigné l'enfant échappait à la critique.
Le 23 mars 2004, le Juge d'instruction a communiqué ce rapport aux parties.
Le 24 mai 2004, A.________, père de B.________, a demandé l'audition de l'un des deux experts.
Le 23 juillet 2004, le Juge d'instruction a rejeté cette requête et communiqué le dossier au Tribunal cantonal.
Le 31 août 2004, celui-ci a prononcé le non-lieu.
B.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________
demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision du 31 août 2004. Il invoque les art. 9 et 29 al. 2 Cst.
Le Tribunal cantonal se réfère à sa décision. Le Juge d'instruction a renoncé à se déterminer.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
La victime peut intervenir comme partie dans la procédure pénale (art. 8 al. 1 de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions, du 4 octobre 1991; LAVI; RS 312.5). En particulier, elle peut former contre le jugement les mêmes recours que le prévenu, si elle était déjà partie à la procédure auparavant et dans la mesure où cette sentence touche ses prétentions civiles ou peut avoir des effets sur le jugement de ces dernières (art. 8 al. 1 let. c LAVI).
Comme père de son enfant décédé, le recourant est assimilé à la victime au sens de l'art. 2 al. 1 LAVI (art. 2 al. 2 let. b LAVI; ATF 130 IV 90 consid. 2 p. 92). Il était partie à la procédure cantonale, dès le 12 juin 2003. Il n'a pas formellement élevé des prétentions civiles, ce qui entraîne en principe l'irrecevabilité du recours (cf., à propos de la disposition analogue de l'art. 270 let. e ch. 1 PPF, ATF 120 IV 44 consid. I/4-8 p. 51-58). Il est fait toutefois exception à cette règle lorsque le recours est dirigé contre une décision de non-lieu, comme en l'espèce, car à ce stade, la procédure n'est pas engagée suffisamment pour que l'on puisse exiger du plaignant qu'il formule des prétentions détaillées (ATF 120 IV 44 consid. I/4a p. 53/54; arrêt 1P.153/ 2000 du 27 avril 2000, consid. 1b). En l'occurrence, il ne fait guère de doute que le recourant pourrait agir en se fondant sur les art. 45 et 47 CO (arrêt 1P.153/2000, précité, consid. 1b).
Il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Le recourant se plaint de la constatation des faits, qu'il tient pour arbitraire.
2.1 Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; à cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision critiquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9, 173 consid. 3.1 p. 178, et les arrêts cités).
2.2 Le recourant conteste l'expertise du 17 mars 2004. Se référant à l'avis donné par l'expert Krompecher au Juge d'instruction lors d'un entretien téléphonique du 6 mai 2003, il relève qu'un enfant qui vomit après une chute doit être examiné, car le fait de vomir est un "signal d'alarme". L'attention de D.________ aurait donc dû être attirée par le fait que B.________ avait vomi après avoir chuté en trottinette, ce qui laissait supposer un coup sur la tête.
Il est notoire que des vomissements consécutifs à un coup ou un heurt sur le crâne peuvent constituer le symptôme d'une lésion neurologique, justifiant des investigations supplémentaires. Le Juge d'instruction, puis le Tribunal cantonal, pouvaient toutefois sans arbitraire prendre en compte les éléments qui ont troublé l'examen auquel a procédé D.________. Le matin du 5 mai 2003, B.________ s'est plaint essentiellement de ses douleurs à l'épaule. Il n'a pas indiqué au médecin que sa tête avait frappé le sol (ou la trottinette, ou son frère) au moment de la chute. A ce moment-là, D.________ ne disposait pas des éléments permettant de suspecter d'autres lésions qu'une fracture de la clavicule. Ce n'est que dans la fin de l'après-midi et la soirée du 5 mai 2003 (soit près de vingt-quatre heures après l'accident) que B.________ s'est plaint de vomissements, de diarrhée, de violents maux de tête et de dents. Dans un premier temps, induite en erreur par le fait que la soeur de B.________ avait souffert de gastro-entérite, D.________ a conclu prioritairement à une contamination virale, subsidiairement à une commotion, après avoir pris le soin de prendre des nouvelles de l'enfant vers 20h. Ce n'est qu'au moment du coucher, soit vers 21h15, que l'état de B.________ s'est dégradé. L'enfant a vomi à plusieurs reprises et fait état de très violents maux de tête et de dents, sans que D.________ ne puisse être jointe par téléphone. Il faut encore relever que l'état de B.________ s'est stabilisé, puisqu'il s'est endormi. A 23h45, la situation paraissait calme.
Sur le vu de l'ensemble de ces faits et de l'enchaînement malheureux de circonstances qui ont semé la confusion dans l'établissement du diagnostic, c'est sans arbitraire que le Tribunal cantonal a considéré que la prévention n'était pas établie et prononcé un non-lieu.
3.
Le recourant critique le fait que les experts n'aient pas été entendus après l'établissement de leur rapport du 17 mars 2004, qu'ils n'aient pas eu l'occasion de se déterminer sur les déclarations faites postérieurement par D.________, et qu'un complément d'expertise n'a pas été ordonné.
Par une appréciation anticipée des preuves, le Tribunal cantonal pouvait renoncer à ordonner ces mesures dont il pouvait admettre qu'elles n'auraient pas remis en cause sa décision au fond.
4.
Le recours doit ainsi être rejeté. Les frais, d'un montant réduit sur le vu des circonstances douloureuses du cas, sont mis à la charge du recourant (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens (art. 159 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument de 1000 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, ainsi qu'au Juge d'instruction et à la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg.
Lausanne, le 26 janvier 2005
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: