Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
5P.444/2004 /frs
Arrêt du 2 mai 2005
IIe Cour civile
Composition
MM. et Mmes les Juges Raselli, Président, Nordmann, Escher, Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Fellay.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Enrico Monferini, avocat,
contre
Y.________,
intimé, représenté par son curateur Dominique-André Fiore, Tuteur adjoint auprès du service du Tuteur général,
Tribunal de première instance du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3736, 1211 Genève 3.
Objet
art. 9 Cst. (action en paternité, expertise),
recours de droit public contre l'ordonnance du Tribunal de première instance du canton de Genève du 25 octobre 2004.
Faits:
A.
Par demande déposée le 27 mai 2004 auprès du Tribunal de première instance du canton de Genève, l'enfant Y.________ a ouvert action en paternité et en fixation de contribution d'entretien à l'encontre de X.________.
Après avoir constaté que le défendeur contestait sa paternité et que la seule déclaration de la mère à ce propos ne pouvait suffire, le tribunal a invité les parties, par ordonnance du 14 septembre 2004, à s'exprimer à propos de la possibilité envisagée d'ordonner une expertise ADN. Les parties s'y sont opposées en l'état.
Par ordonnance du 25 octobre 2004, communiquée le 1er novembre suivant, le tribunal a ordonné l'expertise en question en informant les parties que tout refus les exposerait au prononcé d'une amende sans préjudice d'un recours éventuel à la force publique.
B.
Agissant le 2 décembre 2004 par la voie du recours de droit public, le défendeur conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance du 25 octobre 2004. Sans s'exprimer sur la preuve elle-même, il fait valoir que l'autorité cantonale est tombée dans l'arbitraire en assortissant son ordonnance d'expertise de la menace d'un recours éventuel à la force publique.
Le curateur de l'enfant conclut à l'annulation du chiffre de l'ordonnance querellée prévoyant ladite menace de recours à la force publique et à la confirmation de l'ordonnance pour le surplus. Le tribunal de première instance a renoncé à répondre au recours.
Par ordonnance du 21 décembre 2004, le Président de la Cour de céans a admis la demande d'effet suspensif présentée par le recourant.
C.
Le recourant a également requis l'octroi de l'assistance judiciaire.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 130 II 65 consid. 1; 129 I 173 consid. 1, 185 consid. 1; 129 II 225 consid. 1; 129 III 415 consid. 2.1).
1.1 La décision attaquée, relative à l'admission de la preuve de la paternité du recourant par expertise, est une ordonnance préparatoire au sens de l'art. 295 LPC/GE (Bertossa/Gaillard/Guyet, Commentaire de la loi de procédure civile genevoise, n. 9 s. ad art. 291 LPC/GE). Une telle décision ne peut pas faire l'objet d'un appel immédiat à la Cour de justice, à moins qu'elle n'admette une espèce de preuve ou d'instruction dans un cas où la loi l'interdit (art. 295 al. 2 CPC/GE). Cette exception n'étant pas réalisée en l'espèce, l'ordonnance attaquée constitue une décision prise en dernière instance cantonale au sens de l'art. 86 al. 1 OJ.
Il s'agit cependant d'une décision incidente qui, en vertu de l'art. 87 al. 2 OJ, n'est attaquable directement par la voie du recours de droit public que s'il peut en résulter un préjudice irréparable. Selon la jurisprudence, la décision incidente relative à l'administration des preuves est susceptible de causer un dommage irréparable lorsqu'elle est assortie de la menace des sanctions prévues par l'art. 292 CP (arrêt 4P.163/1999 du 26 octobre 1999 consid. 2a/bb in Rep. 1999 p. 70; arrêt 2P.244/2003 du 10 octobre 2003 consid. 1.3 et arrêts cités). Si le risque d'ouverture d'une procédure pénale pour insoumission à une décision de l'autorité suffit pour admettre un dommage irréparable de nature juridique, cela doit valoir à plus forte raison lorsque le risque encouru par le recourant consiste dans l'utilisation de la force publique, ne serait-ce que parce qu'il lui serait impossible d'y opposer en temps utile un moyen juridique, et qu'une constatation après coup de l'illicéité de l'emploi de la force publique ne lui serait plus d'aucune utilité.
Formé en outre en temps utile (art. 89 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 90 OJ) par une personne ayant qualité pour agir (art. 88 OJ), le présent recours est donc recevable.
1.2 La fonction du recours de droit public est purement cassatoire. En cas d'admission du recours, le dispositif de l'arrêt du Tribunal fédéral se borne à indiquer que la décision cantonale est annulée, en tout ou partie. A contrario, le Tribunal fédéral ne confirme ni ne réforme la décision attaquée (ATF 124 I 327 consid. 4a).
Dans la procédure de recours de droit public, la partie adverse n'a aucun droit de disposition sur l'objet du litige (Hans Marti, Die staatsrechtliche Beschwerde, 4e éd., p. 53 n. 70 et p. 144 n. 259); elle ne peut que conclure à l'irrecevabilité, au rejet ou à l'admission du recours et critiquer les points de l'arrêt attaqué qui lui sont défavorables (ATF 123 I 56 consid. 2a p. 57; 115 Ia 27 consid. 4a p. 30; 101 Ia 521 consid. 3 p. 325), sans pouvoir prendre de conclusions propres sur le fond (cf. arrêt X. contre Compagnie d'assurance Y. du 26 novembre 1992, consid. 1c non publié in ATF 118 III 37). Les chefs de conclusions de l'intimé visant à l'annulation de l'ordonnance querellée sur un point et à la confirmation de celle-ci pour le surplus sont donc irrecevables.
2.
Selon la jurisprudence, l'arbitraire prohibé par l'art. 9 Cst. ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral n'annulera la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 129 I 8 consid. 2.1 et les arrêts cités).
3.
3.1 L'ordonnance attaquée retient que l'art. 254 ch. 2 CC constitue une base légale claire pour contraindre les parties et la mère à se soumettre, si nécessaire par la force publique, à une expertise destinée à établir la filiation. Elle les informe par ailleurs que tout refus les expose au prononcé d'une amende de procédure "sans préjudice d'un recours éventuel à la force publique" (ch. 6). Il ne fait dès lors aucun doute, à sa lecture, qu'elle envisage la possibilité de faire appel aussi bien à la force publique qu'aux contraventions de procédure prévues par la LPC/GE.
3.2 Le recourant fait valoir qu'aux termes de l'art. 254 ch. 2 CC, les parties et les tiers sont tenus de prêter leur concours aux expertises qui sont nécessaires pour élucider la filiation et qui peuvent leur être imposées sans danger pour leur santé. Les sanctions applicables seraient en principe déterminées par le droit cantonal de procédure. Du point de vue fédéral, le juge pourrait menacer le récalcitrant d'une amende d'ordre selon le droit cantonal ou d'une peine pour insoumission conformément à l'art. 292 CP; en revanche, des mesures faisant intervenir la force physique ne seraient pas admises.
3.3 Dans son message à l'appui du nouveau droit de la filiation entré en vigueur le 1er janvier 1978 (FF 1974 II 1 ss; art. 252 ss CC), le Conseil fédéral estimait qu'il n'était pas nécessaire de prévoir une disposition spéciale concernant les conséquences d'un refus illicite des parties et des tiers de prêter leur concours aux expertises nécessaires; il appartenait au juge de l'apprécier selon l'art. 254 ch. 1 CC; entraient en outre en considération les peines pour insubordination de la procédure civile et de l'art. 292 CP, ainsi que les dommages-intérêts selon l'art. 41 s. CO; par contre, la contrainte corporelle, telle qu'elle était prévue à Lucerne par exemple, devait être écartée (FF 1974 II 28). Doit-on en inférer que le législateur fédéral a simplement renoncé à régler l'usage de la force publique au plan fédéral, laissant ainsi aux cantons la faculté de le faire, ou bien qu'il faille considérer l'usage de la force publique comme inadmissible du point de vue du droit fédéral, au moins en droit privé? Toujours est-il que le Conseil fédéral se référait dans ce contexte à Grossen pour qui "une prise de sang opérée par force répugne au droit privé" (RDS 1960 II 67a) et pour qui, encore, de sérieuses réserves s'imposent à l'égard de la solution de certaines lois cantonales consistant à autoriser en dernier ressort le recours à la force physique (Schweiz. Privatrecht II 362).
La doctrine paraît unanimement opposée à l'emploi de la force publique (Ingeborg Schwenzer, Commentaire bâlois, 2e éd. Bâle 2002, n. 20 ad art. 254 CC; Philippe Meier/Martin Stettler, Droit civil VI/1: L'établissement de la filiation, Fribourg 1998, ch. 215 p. 89; Cyril Hegnauer, Grundriss des Kindesrechts, 5e éd. Berne 1999, ch. 15.14; Martin Stettler, Le droit suisse de la filiation, Traité de droit privé suisse, vol. III/II/1, Fribourg 1987, § 5/V/C p. 76), sans qu'elle exprime toujours clairement si son opposition tient à l'absence de base légale formelle dans le droit fédéral ou à l'inadmissibilité du recours à la force publique en tant que sanction prohibée par le droit fédéral.
Le Tribunal fédéral n'a pas encore eu à trancher la question de savoir si une autorité cantonale peut, sur la base d'une disposition de droit cantonal le prévoyant, ordonner le recours à la force publique afin de contraindre des parties ou des tiers récalcitrants à se soumettre à une expertise au sens de l'art. 254 CC. Il n'a pas à la résoudre en l'espèce, dès lors que, comme on va le voir, le droit cantonal genevois ne prévoit pas l'emploi de la force publique dans le cas particulier et que, par conséquent, le recours doit être admis pour ce motif déjà.
4.
Les sanctions directes envisagées par la procédure civile genevoise à l'encontre de la partie qui se soustrait à sa propre audition se limitent au plus à une amende (art. 40 let. d LPC/GE). S'agissant d'un tiers, en revanche, s'il refuse de répondre aux questions en tant que témoin, il encourt une amende (art. 241 LPC/GE), mais s'il refuse de comparaître, il peut, en cas de récidive, être amené devant le juge par la force publique (art. 219 al. 2 LPC/GE). En principe, des règles similaires s'appliquent à l'inspection et à l'expertise (cf. Fabienne Hohl, Procédure civile, Berne 2001, tome I, n. 1054).
Dans la présente affaire, le recourant est une partie et non un tiers. Le Tribunal de première instance ne pouvait donc assortir son ordonnance de la menace d'un recours éventuel à la force publique ni pour garantir sa présence sur les lieux de l'expertise, ni pour s'assurer qu'il s'y prête. S'adressant de façon générale aussi bien aux parties qu'au tiers concerné - la mère en l'occurrence -, l'ordonnance attaquée ne respecte pas les principes posés dans la loi. Entachée ainsi d'arbitraire (supra consid. 2), elle doit être annulée. Le Tribunal fédéral ne pouvant la réformer (supra consid. 1.2), il appartiendra au Tribunal de première instance de le faire en tenant compte des limites définies par le droit de procédure cantonal à propos de l'emploi de la force publique.
5.
L'intimé s'étant rallié à l'opinion du recourant, les frais de justice et les dépens ne sauraient être mis à sa charge. En vertu de l'art. 156 al. 2 OJ, les frais judiciaires ne peuvent pas non plus être mis à la charge du canton. En revanche, à défaut de règle similaire pour les dépens, celui-ci doit verser au recourant une indemnité à ce titre.
Cela étant, la demande d'assistance judiciaire du recourant devient sans objet.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis et l'ordonnance attaquée est annulée.
2.
La demande d'assistance judiciaire du recourant est sans objet.
3.
Il est statué sans frais.
4.
Le canton de Genève versera au recourant une indemnité de 1'000 fr. à titre de dépens.
5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et au Tribunal de première instance du canton de Genève.
Lausanne, le 2 mai 2005
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: