Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4C.58/2005 /ech
Arrêt du 3 mai 2005
Ire Cour civile
Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, président, Favre et Kiss.
Greffier: M. Carruzzo.
Parties
A.Z.________,
B.Z.________,
C.Z.________,
demandeurs et recourants,
tous trois représentés par Me Nicolas Jeandin,
contre
la Banque X.________,
défenderesse et intimée, représentée par Me Laurent Strawson.
Objet
reconnaissance de dette,
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 17 décembre 2004.
Faits:
A.
A.a Dès 1985, les frères A.Z.________, B.Z.________ et C.Z.________, ont bénéficié de lignes de crédit de la part du X.________ (ci-après: la Banque). Ils se sont vu octroyer, en qualité de codébiteurs solidaires, un prêt de 4'400'000 fr., dénommé "V.________", et un second prêt de 4'750'000 fr., dénommé "W.________", garantis par le nantissement de cédules hypothécaires grevant des parcelles sises sur les communes éponymes. A.Z.________ a, par ailleurs, obtenu de la Banque divers prêts hypothécaires à titre individuel, notamment dans le cadre d'une opération immobilière à ....
A partir de 1992, les intérêts des prêts "V.________" et "W.________" n'ont plus été versés régulièrement. La Banque a invité les frères Z.________ à remédier à cette situation. Au début de l'année 1994, elle a entamé des négociations avec eux, refusant toutefois, de manière constante, de réduire et de bloquer pendant quelques années les taux d'intérêts appliqués aux deux prêts hypothécaires. Ce refus a suscité le mécontentement de B.Z.________, qui l'a manifesté dans plusieurs courriers adressés à la Banque. A.Z.________ a, quant à lui, stigmatisé la réaction intempestive de son frère, la qualifiant d'attitude de blocage.
Le 10 juillet 1996, la Banque a dénoncé les lignes de crédit "V.________" et "W.________". Par lettre du 19 novembre 1997, elle a fixé aux frères Z.________ un délai au 28 février 1998 pour se désengager.
A.b Par contrat du 22 juin 1999, la Banque a cédé à un tiers, pour le prix de 4'400'000 fr., sa créance de 5'325'508 fr. 85 relative au prêt "V.________". L'art. 6 du contrat prévoyait la libération totale des frères Z.________ du chef de ce prêt moyennant paiement du prix de la cession et versement par eux de 50'000 fr. en espèces. Ladite somme a été versée par les codébiteurs à une date indéterminée.
Au début de l'année 2000, la Banque et les frères Z.________ ont négocié les conditions de la cession à un tiers de la créance de 4'981'881 fr. 10 dont celle-là était titulaire envers ceux-ci au titre du prêt "W.________". La Banque a consenti à céder cette créance contre paiement de 3'700'000 fr. par le cessionnaire et signature par les débiteurs cédés d'une reconnaissance de dette à hauteur de 300'000 fr. Le 30 avril 2000, les frères Z.________ ont signé un écrit dans lequel ils reconnaissaient devoir solidairement ladite somme à la Banque et s'engageaient à la lui verser, sans intérêts, en trois tranches égales, au 31 décembre des trois années suivantes, faute de quoi l'entier de la dette serait immédiatement exigible. Le 30 juin 2000, la Banque et le tiers ont signé le contrat de cession de créance aux conditions susmentionnées. Selon l'art. 6 du contrat, une fois versé le prix stipulé pour la cession, la Banque n'aurait plus aucune prétention à élever contre les frères Z.________ au titre du prêt "W.________". Ce prix ayant été versé, la Banque a confirmé, par plis adressés le 6 juillet 2000 à chacun de ceux-ci, leur libération de ce chef à son égard, sous réserve, notamment, de la reconnaissance de dette de 300'000 fr.
Par convention du 20 décembre 2001 conclue entre Y.________ SA, la Banque et A.Z.________, la société précitée, qui souhaitait acquérir le bien immobilier de ce dernier à ..., a racheté, pour le prix de 1'370'000 fr., les créances de la Banque se rapportant aux prêts hypothécaires alloués à l'intimé à titre personnel. Ce dernier s'engageait à verser immédiatement la somme de 100'000 fr. à la Banque. En vertu de l'art. 6 de la convention, celle-ci n'aurait plus aucune prétention à faire valoir à l'encontre de Y.________ SA et de A.Z.________ à réception de la totalité des fonds.
A.c La première tranche de 100'000 fr. de la reconnaissance de dette du 30 avril 2000, échue le 31 décembre 2001, n'ayant pas été versée, la Banque, par courrier du 28 janvier 2002, a invité les frères Z.________ à s'exécuter.
Par lettre du 1er février 2002 adressée à la Banque, B.Z.________, indiquant agir pour lui-même et comme cessionnaire des droits de ses deux frères, a déclaré invalider la reconnaissance de dette au motif que la signature de ce document aurait été imposée aux codébiteurs. Enumérant par ailleurs huit postes du dommage que ses frères et lui-même auraient subi en raison de l'absence de consolidation des crédits "V.________" et "W.________", pourtant promise par la Banque, il a estimé à 2'745'802 fr. 60 le total du préjudice subi par les consorts Z.________, créance qu'il a opposée en compensation à la demande de versement des 100'000 fr. fondée sur la reconnaissance de dette.
Le 30 mai 2002, la Banque a fait notifier à chacun des trois frères Z.________ un commandement de payer, portant sur la somme de 300'000 fr., intérêts en sus. Les oppositions faites à ces poursuites ont été levées par jugements du 15 novembre 2002.
B.
Le 18 décembre 2002, A.Z.________, B.Z.________ et C.Z.________, agissant conjointement, ont introduit chacun une action en libération de dette. La Banque a conclu au déboutement des demandeurs.
Par jugement du 25 mars 2004, le Tribunal de première instance du canton de Genève a rejeté les actions en libération de dette.
Saisie d'un appel des demandeurs, la Cour de justice du canton de Genève, statuant le 17 décembre 2004, a confirmé le jugement de première instance, mis les dépens d'appel à la charge des appelants et condamné solidairement ceux-ci à une amende de procédure de 3'000 fr.
Selon la cour cantonale, il appartenait aux signataires de la reconnaissance de dette du 30 avril 2000 d'établir que la cause de l'obligation n'était pas valable. Or, ils ne sont pas parvenus à le faire. La thèse, soutenue par eux, d'après laquelle la défenderesse leur aurait donné quittance pour solde de tout compte en signant la convention de cession de créance du 30 juin 2000, se heurte déjà au texte même de cet écrit et elle est infirmée par le comportement aussi bien antérieur que postérieur des parties. Quant à la remise de dette alléguée par les demandeurs, le dossier ne révèle aucun comportement univoque de la défenderesse susceptible d'en attester l'existence. Rien ne permet, au demeurant, de retenir que les demandeurs auraient signé la reconnaissance de dette sous l'empire d'une crainte fondée. A titre subsidiaire, les appelants entendent compenser la dette qu'ils ont reconnue avec une créance en dommages-intérêts dont ils seraient titulaires à l'égard de la défenderesse. Ils ne fournissent toutefois aucun élément concret au sujet de cette prétendue créance, se contentant d'alléguer que le dommage découlerait du non-respect d'assurances données par la défenderesse et de soutenir, non sans témérité, que cette dernière aurait admis l'existence de la créance compensante. Il n'y a pas lieu de donner suite à la requête des demandeurs, formulée dans ce contexte, qui tend à l'édition des notes personnelles de D.________, employé de la défenderesse jusqu'à sa retraite en 1996. En effet, de telles notes ne sauraient à elles seules engager la Banque, vu leur nature personnelle et leur objet. Cela étant, les appelants, qui s'évertuent à soulever des arguments clairement contredits par le dossier et qui ont manifesté tout au long de la procédure une volonté délibérée de retarder l'issue du litige, seront condamnés solidairement à verser le montant de 3'000 fr. à titre d'amende.
C.
Parallèlement à un recours de droit public qui a été partiellement admis, dans la mesure où il était recevable, par arrêt séparé de ce jour, les demandeurs interjettent un recours en réforme dans lequel chacun d'eux conclut à l'admission de son action en libération de dette et, subsidiairement, au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.
La défenderesse conclut au rejet du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Interjeté par les demandeurs, qui ont succombé dans leurs conclusions libératoires, et dirigé contre une décision finale rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ), le présent recours est en principe recevable puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54 OJ en liaison avec l'art. 34 al. 1 let. c OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).
2.
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit mener son raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c et l'arrêt cité). Dans la mesure où une partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 130 III 353 consid. 2.2.3 ; 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).
En application de ces principes, la juridiction fédérale de réforme ne tiendra pas compte, en l'espèce, des remarques formulées par les demandeurs, sur un mode appellatoire, dans un "préambule" ni des circonstances, à leurs yeux pertinentes, qu'ils présentent, sur le même mode, sous le titre "En fait" en se prévalant à tort, dans ce contexte, d'inadvertances manifestes qu'ils n'explicitent nullement. Elle se bornera, bien plutôt, à rechercher si les seuls griefs articulés aux pages 8 ss de l'acte de recours sont recevables et, dans l'affirmative, s'ils sont fondés.
3.
3.1
Les demandeurs soutiennent, en premier lieu, que la déclaration faite par la défenderesse à l'art. 6 de la convention de cession de créance du 30 juin 2000 constitue une remise de dette, au sens de l'art. 115 CO, par laquelle la Banque a renoncé à toute prétention à leur égard en rapport avec le prêt "W.________".
Par la quittance pour solde de comptes (Saldoquittung), le créancier reconnaît que le débiteur a exécuté la prestation et, de surcroît, que lui-même n'a pas ou plus d'autre ou plus ample prétention à faire valoir contre le débiteur relativement à la créance ou au rapport de droit en cause, soit que la dette ait été remise, soit qu'elle ait été éteinte. La quittance pour solde de comptes est une déclaration de volonté unilatérale; son interprétation obéit aux mêmes règles que celles qui gouvernent l'interprétation des manifestations de volonté (ATF 127 III 444 consid. 1a et les auteurs cités).
Dans la clause invoquée par les demandeurs, la défenderesse déclare que, "moyennant le versement du prix de la cession", elle n'a "plus aucune prétention à l'encontre [des frères Z.________] au titre du débit du compte n° [...] et de l'opération de W.________". Considérée en elle-même, c'est-à-dire hors de son contexte, ladite clause pourrait certes donner quelque crédit à la thèse des demandeurs. Cependant, comme le Tribunal fédéral l'a précisé dans l'arrêt précité (consid. 1b), même si la teneur d'une clause contractuelle paraît claire à première vue, il peut résulter d'autres conditions du contrat que le texte de la clause ne restitue pas exactement le sens de l'accord voulu. Il en va ainsi, de toute évidence, dans le cas concret. Comme le relève à juste titre la cour cantonale, une autre clause de la même convention indique qu'une reconnaissance de dette de 300'000 fr., souscrite conjointement et solidairement par les demandeurs, est remise à une avocate "en faveur" de la défenderesse, ce qui exclut que cette reconnaissance de dette ait pu faire elle-même l'objet de la cession au tiers en même temps que la créance résultant du prêt "W.________". Les juges cantonaux considèrent également, avec raison, en comparant les deux conventions de cession conclues le 29 juin 1999 et le 20 juin 2000, que la défenderesse a entendu y subordonner l'abandon d'un montant non négligeable de ses créances à une participation des débiteurs cédés, dans le premier cas sous la forme d'un versement en espèces, dans le second au moyen de la souscription de la reconnaissance de dette litigieuse. Au surplus, la Cour de justice constate, d'une manière qui lie la juridiction fédérale de réforme, que les demandeurs ont parfaitement compris, à l'époque, que cette reconnaissance de dette était l'une des conditions auxquelles la Banque avait soumis son acceptation de la cession du prêt "W.________" et que ce document devait être remis à la défenderesse.
D'où il suit que la cour cantonale n'a nullement violé le droit fédéral en déniant à la convention de cession de créance du 20 juin 2000 tout effet extinctif sur la dette reconnue par les défendeurs dans la pièce ad hoc souscrite par eux en date du 30 avril 2000.
3.2 Que la convention de cession de créances signée le 20 décembre 2001 par A.Z.________, conjointement avec la société Y.________ SA et la défenderesse, ait pu sortir un tel effet au profit des deux autres débiteurs solidaires, en vertu de l'art. 147 al. 2 CO, ainsi que le soutiennent par ailleurs les demandeurs, est une thèse dénuée de tout fondement. En effet, il ressort de ce document que la cession et, partant, la quittance pour solde de comptes y figurant ne concernaient que des crédits alloués à titre personnel par la défenderesse à A.Z.________, crédits qui y étaient clairement individualisés et qui n'avaient rien à voir avec le prêt "W.________" octroyé aux trois demandeurs en qualité de codébiteurs solidaires. Il n'est donc pas possible d'admettre que A.Z.________ ait pu interpréter de bonne foi le texte de la convention du 20 décembre 2001 comme incluant, en sa faveur, un abandon par la défenderesse de sa créance de 300'000 fr. résultant de la reconnaissance de dette litigieuse. A plus forte raison, la question d'une libération de ses deux frères, par l'effet de l'art. 147 al. 2 CO, ne se pose-t-elle pas.
4.
Dans un second moyen, les demandeurs reprochent aux juges cantonaux d'avoir violé leur droit à la preuve, déduit de l'art. 8 CC, en refusant d'ordonner à la défenderesse la production des notes rédigées par D.________, son ancien employé.
Selon la jurisprudence relative à l'art. 8 CC, si le juge est tenu d'administrer les preuves adéquates sur les faits pertinents, encore faut-il que des allégations aient été suffisamment formulées au sujet de ces faits (Substanzierungspflicht; ATF 112 II 172 consid. I/2c; 109 II 231 consid. 3c/bb p. 234; 108 II 337 consid. 2c et d). Ainsi, pour que soit satisfaite l'exigence de la motivation suffisante en fait, le contenu de l'allégation doit permettre au juge de statuer sur une prétention juridique et d'administrer les preuves nécessaires pour élucider les faits. Le droit fédéral n'oblige pas les cantons à tenir pour suffisamment motivés des allégués dont les lacunes ne devraient être comblées qu'au cours de la procédure probatoire (ATF 108 II 337 consid. 3). Or, dans la présente espèce, la Cour de justice retient notamment, sans être contredite sur ce point, que les demandeurs n'ont aucunement cherché, en appel, à expliciter le fondement de leur prétendue créance en dommages-intérêts, mais qu'ils se sont bornés à soutenir que la défenderesse, en ne contestant pas ladite créance, avait admis son existence. La cour cantonale constate, en d'autres termes, que les demandeurs, chargés du fardeau de la preuve, n'ont pas formulé d'allégations suffisantes pour lui permettre de statuer sur la prétention litigieuse. Dès lors, on ne saurait lui reprocher de n'avoir pas administré de preuves au sujet d'une prétention insuffisamment motivée en fait.
Le grief tiré de la violation de l'art. 8 CC est ainsi dénué de fondement.
5.
Les demandeurs, qui succombent, seront condamnés solidairement à payer l'émolument judiciaire afférent à la procédure fédérale ( art. 156 al. 1 et 7 OJ ) et à verser des dépens à leur adverse partie ( art. 159 al. 1 et 5 OJ ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 6'500 fr. est mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
3.
Les recourants sont condamnés solidairement à verser à l'intimée une indemnité de 7'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 3 mai 2005
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: