Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1P.261/2005/svc
Arrêt du 23 mai 2005
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Parmelin.
Parties
U.________,
recourant, représenté par Me Laurent Moreillon, avocat,
contre
Juge d'instruction de l'arrondissement
du Nord vaudois,
rue du Valentin 18, 1400 Yverdon-les-Bains,
Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal
du canton de Vaud,
route du Signal 8, 1014 Lausanne.
Objet
détention préventive,
recours de droit public contre l'arrêt du
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal
du canton de Vaud du 31 mars 2005.
Faits:
A.
U.________ a été placé le 30 août 2004 en détention préventive dans le cadre d'une enquête pénale ouverte contre lui pour vol, vol d'importance mineure, vol d'usage, filouterie d'auberge, menaces, dommages à la propriété, violation de domicile, ivresse au volant et conduite d'un véhicule malgré le retrait du permis de conduire. Le Juge d'instruction de l'arrondissement du Nord vaudois en charge de la procédure (ci-après: le Juge d'instruction) a justifié cette mesure par le danger que le prévenu représentait pour la sécurité publique compte tenu de ses antécédents, de son caractère et des infractions qui lui sont reprochées.
Selon un rapport d'expertise psychiatrique établi le 29 décembre 2004 par les docteurs François Pache et Fulvia Raiola, respectivement médecin-adjoint et médecin-assistante au sein de l'Unité de Psychiatrie Ambulatoire d'Yverdon, U.________ présente une personnalité émotionnellement labile avec des traits antisociaux et souffre d'un abus d'alcool. Les experts estiment un internement avec privation de liberté comme actuellement non indiqué; en revanche, s'agissant d'un prévenu jugé potentiellement dangereux avec un fort risque de récidive, ils préconisent une prise en charge institutionnelle à durée indéterminée dans une institution du type de la Sylvabelle, à Provence, coordonnée avec un traitement psychiatrique ambulatoire et des mesures d'interdiction civile.
Par ordonnance du 11 mars 2005, le Juge d'instruction a ordonné la relaxation de U.________ pour le 14 mars 2005, en vue de son admission à l'EMS La Sylvabelle. Il a subordonné cette mesure à la condition que le prévenu respecte le cadre thérapeutique et les règles de vie fixés par cet établissement.
Au terme d'un arrêt rendu le 31 mars 2005, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal d'accusation) a admis le recours formé par le Ministère public du canton de Vaud contre cette décision qu'il a annulée et a maintenu U.________ en détention préventive. Il a estimé en substance qu'en l'état du dossier, il ne pouvait être exclu que le prévenu mette à exécution les menaces proférées à l'encontre de son ex-épouse, que sa relaxation était prématurée et que le principe de la proportionnalité était respecté pour autant que la seconde expertise envisagée par le Juge d'instruction soit ordonnée à très bref délai. Il a invité ce dernier à prendre contact par téléphone avec les médecins psychiatres afin qu'ils lui communiquent leurs déterminations avant le dépôt du rapport final.
B.
Agissant par la voie du recours de droit public, U.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt et d'ordonner sa libération provisoire, "sous réserve de son admission à l'EMS La Sylvabelle ou tout établissement équivalent". Il requiert l'assistance judiciaire.
Le Tribunal d'accusation se réfère aux considérants de son arrêt. Le Ministère public du canton de Vaud conclut au rejet du recours. Le Juge d'instruction de l'arrondissement du Nord vaudois n'a pas déposé d'observations.
U.________ a répliqué.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Formé en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance cantonale et qui touche le recourant dans ses intérêts juridiquement protégés, le recours est recevable au regard des art. 84 ss OJ. Par exception à la nature cassatoire du recours de droit public, la conclusion du recourant tendant à ce que le Tribunal fédéral ordonne sa libération provisoire moyennant son admission à l'EMS Sylvabelle ou à tout établissement équivalent, est recevable (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 333).
2.
La détention préventive est une restriction de la liberté personnelle qui est actuellement garantie, notamment, par l'art. 31 al. 1 Cst. A ce titre, elle n'est admissible que dans la mesure où elle repose sur une base légale, répond à un intérêt public et respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 124 I 203 consid. 2b p. 204/205; 123 I 268 consid. 2c p. 270; 120 Ia 147 consid. 2b p. 150). S'agissant d'une restriction grave à la liberté personnelle, le Tribunal fédéral examine librement ces questions, sous réserve toutefois de l'appréciation des preuves, revue sous l'angle de l'arbitraire (ATF 123 I 268 consid. 2d p. 271).
Selon l'art. 59 al. 1 du Code de procédure pénale vaudois (CPP vaud.), le prévenu à l'égard duquel il existe des présomptions suffisantes de culpabilité peut être mis en détention préventive s'il présente un danger pour la sécurité ou l'ordre publics (ch. 1), si sa fuite est à craindre (ch. 2) ou si sa liberté offre des inconvénients sérieux pour l'instruction (ch. 3). Dès que les motifs justifiant la détention préventive n'existent plus, le juge ordonne la mise en liberté (art. 59 al. 2 CPP vaud.).
3.
Le recourant ne conteste pas l'existence de présomptions suffisantes de culpabilité, s'agissant en particulier des menaces proférées à l'encontre de son ex-épouse, même s'il conteste leur qualification juridique. Il prétend en revanche que le risque de récidive ne suffirait pas pour fonder son maintien en détention préventive au regard du principe de la proportionnalité, mais pourrait être pallié par son placement dans une institution spécialisée.
3.1 L'autorité appelée à statuer sur la mise en liberté provisoire d'un détenu peut, en principe, maintenir celui-ci en détention s'il y a lieu de présumer, avec une certaine vraisemblance, qu'il existe un danger de récidive. Elle doit cependant faire preuve de retenue dans l'appréciation d'un tel risque (ATF 105 Ia 26 consid. 3c p. 31). Selon la jurisprudence, le maintien en détention ne peut se justifier pour ce motif que si le pronostic est très défavorable et que les délits dont l'autorité redoute la réitération sont graves (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62, 361 consid. 5 p. 367; 124 I 208 consid. 5 p. 213; 123 I 268 consid. 2c p. 270 et les arrêts cités). La jurisprudence se montre toutefois moins stricte dans l'exigence de vraisemblance lorsqu'il s'agit de délits de violence graves ou de délits sexuels, car le risque à faire courir aux victimes potentielles est alors considéré comme trop important (ATF 123 I 268 consid. 2e p. 271). Le principe de la proportionnalité impose en outre à l'autorité qui estime se trouver en présence d'une probabilité sérieuse de réitération d'examiner si l'ordre public pourrait être sauvegardé par d'autres moyens que le maintien en détention, tels que la mise en place d'une surveillance médicale, l'obligation de se présenter régulièrement à une autorité ou l'instauration d'autres mesures d'encadrement (ATF 123 I 268 consid. 2c in fine p. 271 et les arrêts cités).
3.2 En l'occurrence, le recourant a été condamné à sept reprises depuis 1984 pour diverses infractions contre le patrimoine et l'intégrité physique et violations de la loi fédérale sur la circulation routière. Il a été condamné en dernier lieu le 21 juillet 1997 par le Tribunal criminel du district de Lausanne à six ans de réclusion pour crime manqué de meurtre sur la personne de l'ami de son ex-épouse. Selon le rapport d'expertise psychiatrique du 29 décembre 2004, il présente un trouble de la personnalité avec des traits antisociaux et un abus d'alcool; ce trouble se manifeste notamment par un mépris des normes, des règles et des contraintes sociales, par une faible tolérance à la frustration, par un abaissement du seuil de décharge de l'agressivité, y compris de la violence, par une indifférence froide envers les sentiments d'autrui et, de manière plus générale, par une incapacité à éprouver de la culpabilité ou à tirer un enseignement des sanctions subies. Compte tenu du fonctionnement dyssocial du prévenu, de son parcours délictueux et de son âge, les experts le considèrent comme potentiellement dangereux et tiennent le risque de récidive pour important, avec l'accomplissement très probable d'infractions de même nature que celles commises précédemment.
Certes, dans leur rapport complémentaire du 14 mars 2005, ces mêmes experts ont estimé que les menaces téléphoniques proférées en août 2004 par le prévenu à l'endroit de son ex-épouse ne traduisaient pas une réelle volonté de porter atteinte à l'intégrité physique de celle-ci, mais uniquement celle d'attirer l'attention des autorités pénales pour être encadré. Comme le relèvent toutefois les experts, la dangerosité du prévenu s'est exprimée de façon prioritaire envers ses proches, et notamment son ex-épouse. Le recourant a été condamné à deux reprises pour des infractions à l'intégrité physique, commises sous l'emprise de l'alcool, la première fois en date du 20 février 1995, pour avoir donné des coups de poings et de pieds à sa femme de ménage alors qu'il vivait encore avec son ex-épouse, la seconde, le 21 juillet 1997, pour avoir tiré avec une arme à feu sur le compagnon de celle-là sans l'atteindre. Dans ce dernier cas, les juges n'ont pas retenu la thèse de l'inculpé selon laquelle il aurait agi à seule fin de se faire arrêter et être protégé contre lui-même, comme l'ont retenu les experts en l'espèce, mais dans un esprit de vengeance. Selon S.________, qui a vécu quelque temps avec U.________ à sa sortie de prison, celui-ci lui aurait dit peu avant qu'il ne commette les actes qui lui sont reprochés qu'il "se sentait à nouveau péter les plombs" et qu'il voulait "descendre encore certaines personnes pour en finir, pour être débarrassé autant de ses soucis que de ses angoisses et finir en tôle pour être entièrement pris en charge". Vu ces différents éléments, le Tribunal d'accusation pouvait interpréter le message laissé par le recourant sur le répondeur du téléphone de son ex-épouse comme des menaces sérieuses pour son intégrité physique et retenir la présence d'un risque concret de récidive en relation avec des actes de violence propre à justifier le maintien de la détention préventive.
U.________ est d'avis que ce risque pourrait être pallié par une prise en charge au sein de l'EMS La Sylvabelle, à Provence. Il se réfère à ce propos à l'avis des experts qui tiennent cette mesure thérapeutique comme la seule envisageable actuellement. Le Tribunal d'accusation a estimé pour sa part nécessaire d'attendre le résultat de la seconde expertise psychiatrique du prévenu que le Juge d'instruction entendait mettre en oeuvre avant d'ordonner, le cas échéant, une libération provisoire assortie d'une telle mesure. Il n'est pas contesté que l'EMS La Sylvabelle serait approprié, d'un point de vue médical, pour le traitement du trouble de la personnalité dont souffre U.________. Seule est litigieuse la question de savoir si cet établissement présente les garanties de sécurité nécessaires, dans la mesure où il n'est pas établi à satisfaction de droit qu'il disposerait d'une division fermée propre à empêcher une sortie non autorisée du prévenu. Or, pour les motifs évoqués précédemment, le Tribunal d'accusation pouvait de manière justifiée apprécier différemment des experts la dangerosité du prévenu vis-à-vis en particulier de son ex-épouse. On ne saurait dès lors lui reprocher d'avoir attendu le résultat de la nouvelle expertise que le Juge d'instruction entendait mettre en oeuvre pour savoir si un placement dans une institution spécialisée du type de celle de La Sylvabelle constituait effectivement la mesure adéquate pour pallier le risque concret de récidive mis en évidence par les experts. Le recours est donc mal fondé sur ce point.
4.
Le recourant estime que la détention subie à ce jour excéderait la peine à laquelle il s'expose en cas de condamnation pour les faits qui lui sont reprochés.
4.1 En vertu des art. 31 al. 3 Cst. et 5 § 3 CEDH, le prévenu doit être libéré lorsque la durée de son incarcération se rapproche de la peine privative de liberté qui sera éventuellement prononcée. Cette dernière doit être évaluée avec la plus grande prudence, compte tenu des circonstances concrètes du cas, car il faut éviter que le juge du fond ne soit incité à prononcer une peine excessive pour la faire coïncider avec la détention préventive à imputer (ATF 126 I 172 consid. 5a p. 176).
4.2 En l'espèce, le recourant est prévenu de vol, de vol d'importance mineure, de menaces, de violation de domicile, de dommages à la propriété, de filouterie d'auberge, de vol d'usage d'un cycle, d'ivresse au volant et de conduite sous retrait de permis de conduire. Ces infractions, qui entrent en concours, sont toutes passibles de l'emprisonnement, respectivement de l'emprisonnement ou de l'amende, sous réserve du vol d'importance mineure et de la conduite d'un véhicule à moteur nonobstant le retrait du permis de conduire qui ne peuvent faire l'objet que des arrêts ou de l'amende. Compte tenu des antécédents défavorables du recourant, une peine d'emprisonnement ferme, dont la durée dépendra notamment de la manière dont les menaces seront qualifiées, entre sérieusement en considération. En l'état, le maintien du recourant en détention préventive est encore compatible avec la peine à laquelle il s'expose, même si l'on devait tenir compte d'une responsabilité légèrement diminuée, dans la mesure où la question du sursis n'entre pas en considération (ATF 125 I 60 consid. 3d p. 64).
5.
Le recours doit par conséquent être rejeté. Les conditions d'octroi de l'assistance judiciaire étant réunies, il y a lieu de statuer sans frais (art. 152 al. 1 OJ); Me Laurent Moreillon est désigné comme défenseur d'office du recourant et une indemnité lui sera versée à titre d'honoraires par la caisse du Tribunal fédéral (art. 152 al. 2 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Le recourant est mis au bénéfice de l'assistance judiciaire. Me Laurent Moreillon est désigné comme défenseur d'office et une indemnité de 1'500 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral.
3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Juge d'instruction de l'arrondissement du Nord vaudois, ainsi qu'au Ministère public et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 23 mai 2005
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: