Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
6P.44/2005
6S.147/2005 /rod
Arrêt du 27 mai 2005
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Kolly et Karlen.
Greffière: Mme Bendani.
Parties
A.X.________,
recourant, représenté par Me Jean-Jacques Hodel, avocat,
contre
B.X.________,
intimée, représentée par Me Pierre Gabus, avocat,
Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
6P.44/2005
Art. 9 Cst. (procédure pénale; arbitraire)
6S.147/2005
Violation d'une obligation d'entretien (art. 217 CP),
recours de droit public (6P.44/2005) et pourvoi en nullité (6S.147/2005) contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, du 14 mars 2005.
Faits:
A.
Par jugement du 6 octobre 2004, le Tribunal de police du canton de Genève a condamné A.X.________, pour violation d'une obligation d'entretien, à 10 jours d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans.
B.
Par arrêt du 14 mars 2005, la Chambre pénale de la Cour de justice genevoise a confirmé la condamnation pour violation de l'art. 217 CP et réduit la peine à trois jours d'emprisonnement.
Il en ressort, en bref, les éléments suivants.
B.a Par jugement sur mesures provisoires du 23 janvier 2001, le Tribunal de première instance du canton de Genève a condamné A.X.________ à payer à son épouse, B.X.________, une contribution alimentaire de 2'000 fr. par mois dès le 1er janvier 2001.
Le 27 mars 2002, il a prononcé le divorce des époux X.________, réduit la pension due par le mari à 1'500 fr. et condamné l'épouse au paiement d'une soulte de 115'354 fr. à A.X.________ après le transfert d'une part de propriété.
Par jugement du 25 mars 2004, le Tribunal de première instance a prononcé la mainlevée définitive de l'opposition formée par B.X.________ dans la poursuite introduite par A.X.________ à hauteur de 115'354 fr., sous imputation de 24'000 fr. que le poursuivant a reconnu devoir pour 12 mois d'arriérés de pensions.
Suite à un renvoi de la Cour de justice statuant sur appel, le Tribunal de première instance, par jugement du 18 juin 2004, a condamné A.X.________, tant sur mesures provisoires que sur le fond, à payer à son ex-épouse, une pension mensuelle de 2'000 fr.
B.b Le 2 octobre 2003, B.X.________ a déposé une plainte pénale contre son ex-mari pour les pensions non payées depuis mars 2003.
Par feuille d'envoi du 23 janvier 2004, le Procureur général du canton de Genève a renvoyé A.X.________ devant le Tribunal de police pour violation d'une obligation d'entretien, retenant une contribution mensuelle non payée de 2'000 fr. pour la période de mars à octobre 2003.
Par feuille d'envoi complémentaire du 17 août 2004, il l'a renvoyé pour non-paiement des aliments pour la période de novembre 2003 à juillet 2004.
C.
A.X.________ dépose un recours de droit public pour application arbitraire du droit cantonal ainsi qu'un pourvoi en nullité pour violation des art. 20, 217 CP et 125 CO. Il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
I. Recours de droit public
1.
Le recourant se plaint d'une application arbitraire de l'art. 246 CPP/GE. Se prévalant de l'interdiction de la reformatio in pejus, il explique que la Cour de justice l'a condamné pour violation de son obligation d'entretien de mars à octobre 2003, alors que, pour cette même période, le Tribunal de police l'avait acquitté de cette infraction en admettant la compensation.
1.1 L'interdiction de la reformatio in pejus n'est pas une garantie de rang constitutionnel et ce sont les règles cantonales de procédure qui peuvent l'admettre ou la rejeter et qui en déterminent la portée. Ce n'est que sous l'angle restreint de l'interdiction de l'arbitraire que le Tribunal fédéral revoit l'interprétation et l'application du droit cantonal de procédure (ATF 121 I 1 consid. 2 p. 3; arrêt non publié du Tribunal fédéral du 9 mars 2004, 6P.8/2004). Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre interprétation de la loi est possible, voire préférable (ATF 124 I 247 consid. 5 p. 250; 120 Ia 369 consid. 3a p. 373). Selon la jurisprudence, est arbitraire une décision qui méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou qui heurte de manière choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. En d'autres termes, il ne se justifie de l'annuler que si elle est insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, si elle a été adoptée sans motif objectif ou en violation d'un droit certain. Il ne suffit pas que la motivation de la décision soit insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans son résultat (ATF 128 I 273 consid. 2.1 p. 275; 127 I 54 consid. 2b p. 56; 126 I 168 consid. 3 p. 170).
Aux termes de l'art. 246 al. 2 CPP/GE, la cour ne peut, sur le seul appel du condamné, aggraver le sort de l'appelant. Cette disposition consacre l'interdiction de la reformatio in pejus. Elle ne précise toutefois pas ce qu'il faut entendre par aggravation et il n'apparaît pas que la cour cantonale, du moins dans sa jurisprudence publiée, ait été amenée à préciser la portée de cette interdiction. La doctrine majoritaire admet que cette règle n'interdit que l'aggravation de la sanction. Ainsi, la juridiction supérieure ne peut prononcer une peine plus sévère que celle qui a été infligée par l'autorité inférieure. En revanche, rien ne l'empêche de modifier le contenu du jugement, en retenant, par exemple, une qualification juridique des faits plus sévère ou en changeant la motivation du jugement, à condition que le recourant ne soit pas condamné plus sévèrement de ce chef (Hauser/Schweri/Hartmann, Schweizerisches Strafprozessrecht, 6ème éd., p. 478 ss, n° 5 et 14; N. Schmid, Strafprozessrecht eine Einführung auf der Grundlage des Strafprozessrechtes des Kantons Zürich und des Bundes, 4ème éd., p. 371 s., n° 984 et 987; G. Kolly, Zum Verschlechterungsverbot im schweizerischen Strafprozess, in RPS 1995 p. 309 à 311).
1.2 En première instance, le Tribunal de police a jugé que le recourant n'avait pas violé son obligation d'entretien de mars 2003 à février 2004. En effet, il a constaté que l'ex-épouse a accepté, conformément à l'art. 125 ch. 2 CO, de compenser l'arriéré de 24'000 fr., dû pour la période de mars 2003 à février 2004, avec une partie de la soulte due à son mari, puisqu'elle a pris des conclusions dans ce sens dans le cadre de la procédure de mainlevée ayant abouti au jugement du 25 mars 2004. En revanche, le Tribunal a admis que l'infraction visée par l'art. 217 CP était réalisée pour la période de mars à juillet 2004, à défaut d'acquiescement de l'intimée à la compensation, et a condamné le recourant à une peine de 10 jours d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans.
En deuxième instance, la Cour de justice a décidé, au vu de l'art. 219 CPP/GE selon lequel "le procureur général saisit le Tribunal de police en précisant les faits qui sont à la base de la poursuite et en indiquant les dispositions légales applicables", du flou de la situation et du principe qui veut que le doute profite à l'accusé, de ne retenir que les faits découlant de la première feuille de renvoi, à savoir le non-paiement des aliments de mars à octobre 2003. Elle a jugé que le comportement du recourant pour cette période réalisait les conditions de l'art. 217 CP, ce dernier ne pouvant valablement invoquer la compensation. Elle a toutefois réduit la peine initiale à trois jours d'emprisonnement, jugeant la faute du recourant comme de moindre gravité.
Ainsi, l'autorité supérieure a retenu la même infraction que le Tribunal de première instance, mais pour une période différente. Ce faisant, elle a changé la motivation du premier jugement et abaissé la peine initiale, ce qui ne viole pas l'interdiction de la reformatio in pejus telle que définie ci-dessus (cf. supra, consid. 1.1). Le grief doit par conséquent être rejeté.
2.
Le recours est rejeté. Vu l'issue de la procédure, les frais de la cause doivent être mis à la charge du recourant qui succombe (art. 156 al. 1 OJ).
II. Pourvoi en nullité
3.
Saisie d'un pourvoi en nullité, la Cour de cassation contrôle l'application du droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base d'un état de fait définitivement arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1 let. b PPF ). Elle ne peut donc pas revoir les faits retenus dans la décision attaquée, ni la manière dont ils ont été établis, de sorte que ces points, sous peine d'irrecevabilité, ne peuvent être remis en cause dans le pourvoi (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66 s.; 124 IV 53 consid. 1 p. 55, 81 consid. 2a p. 83 et les arrêts cités).
4.
Invoquant une violation des art. 217 CP et 125 ch. 2 CO, le recourant soutient que les aliments ont été payés par compensation.
4.1 Selon l'art. 217 CP, celui qui n'aura pas fourni les aliments ou les subsides qu'il doit en vertu du droit de la famille, quoi qu'il en eût les moyens ou pût les avoir, sera, sur plainte, puni de l'emprisonnement. L'infraction est réalisée dès que les aliments ou les subsides dus ne sont pas fournis à l'échéance ou ne le sont que partiellement (arrêt du Tribunal fédéral du 10 avril 1995 publié in SJ 1995 p. 519). Le débiteur n'est pas autorisé à payer de son propre chef les dettes de son créancier. La prestation du débiteur doit permettre d'assurer l'entretien courant du créancier. Il ne peut donc pas choisir de payer une dette du créancier et priver ainsi celui-ci du montant sur lequel il doit pouvoir compter pour assurer son train de vie quotidien (cf. ATF 106 IV 36; arrêt non publié du 19 juillet 2004, 6S.208/2004). L'art. 217 CP n'est pas une infraction de résultat; il importe dès lors peu que le créancier se retrouve dans une situation de détresse en raison du non-paiement des aliments ou, au contraire, n'ait pas besoin de ces subsides pour vivre (cf. ATF 71 IV 195; Thomas Bosshard, in Basler Kommentar, Strafgesetzbuch II, ad art. 217 StGB. p. 1106, n°4; Donatsch/Wohlers, Strafrecht IV, Delikte gegen die Allgemeinheit, 3ème éd., p. 13).
Aux termes de l'art. 32 CP ne constitue pas une infraction l'acte que la loi déclare permis ou non punissable. Selon l'art. 120 al. 1 CO, lorsque deux personnes sont débitrices l'une envers l'autre de sommes d'argent, chacune des parties peut compenser sa dette avec sa créance, si les deux dettes sont exigibles. L'art. 124 al. 1 CO précise que la compensation n'a lieu qu'autant que le débiteur fait connaître au créancier son intention de l'invoquer. L'art. 125 ch. 2 CO exclut, sauf accord du créancier, la compensation des créances dont la nature spéciale exige le paiement effectif entre les mains du créancier, telles que les aliments absolument nécessaires à l'entretien du débiteur et de sa famille. Au vu de ces dispositions, la compensation suppose l'existence d'au moins deux obligations, l'identité des prestations dues, la réciprocité des créances, l'exigibilité de la créance compensante, la possibilité de faire valoir la créance compensante en justice et enfin l'absence de clause d'exclusion au sens de l'art. 125 CO (cf. ATF 128 V 224 consid. 3b p. 228; 126 III 361 consid. 6b p. 368). L'art. 124 al. 2 CO contient encore une règle spéciale sur le moment auquel se produisent les effets de la compensation. En effet, cette disposition prévoit que les deux dettes sont réputées éteintes, jusqu'à concurrence du montant de la plus faible, depuis le moment où elles pouvaient être compensées.
4.2 Le recourant soutient qu'il peut invoquer la compensation, puisque les aliments dus à l'intimée ne sont pas absolument nécessaires à l'entretien de cette dernière. Il affirme que son ex-épouse dispose d'une importante fortune immobilière, de comptes titres, d'un compte courant bien alimenté et de revenus non négligeables.
Ce faisant, le recourant se contente d'invoquer des faits nouveaux et de critiquer l'appréciation des faits retenue par la cour cantonale selon laquelle la situation de la partie civile était assez précaire durant la période pénale, qu'elle disposait certes d'expectatives financières à moyen ou à long terme, mais que ses liquidités, constituées des seuls revenus immobiliers en hoirie, étaient objectivement impropres à lui assurer un train de vie correct. Son grief est donc irrecevable dans un pourvoi en nullité (cf. supra, consid. 3).
4.3 Le recourant affirme que l'intimée a plaidé la compensation à hauteur de 24'000 fr. et que le Tribunal civil de première instance lui a donné raison sur ce point.
Selon la loi, la compensation d'une créance portant sur des aliments absolument nécessaires à l'entretien du créancier et de sa famille peut être admise avec le consentement de ce dernier (cf. supra, consid. 4.1). En l'espèce, la cour cantonale ne retient pas, dans les faits, qu'il y aurait eu compensation des pensions alimentaires portant sur la période de mars 2003 à février 2004. Toutefois, il ressort de l'arrêt attaqué que, par jugement du 25 mars 2004, confirmé en appel par la Cour de justice, le Tribunal de première instance a prononcé la mainlevée définitive de l'opposition formée par l'intimée à la poursuite engagée par A.X.________ à hauteur de 115'354 fr. en capital sur la base du jugement du Tribunal du 27 mars 2002, ce sous imputation de 24'000 fr. que le recourant a reconnu devoir pour 12 mois d'arriérés de contribution d'entretien. Ces dernières constatations laissent penser que l'intimée aurait consenti à la compensation de sa créance portant sur les aliments absolument nécessaires à son entretien.
Partant, il existe une incertitude quant à une éventuelle compensation et il n'est pas possible en l'état de se prononcer sur cette question. L'arrêt attaqué doit par conséquent être annulé en application de l'art. 277 PPF et la cause renvoyée à la cour cantonale pour qu'elle se prononce clairement sur ce point. Si elle constate que l'intimée a consenti à la compensation, il lui appartiendra d'examiner si toutes les conditions au sens des art. 120 ss CO sont réalisées et si le recourant peut valablement se prévaloir de la compensation comme acte autorisé par la loi au sens de l'art. 32 CP.
5.
Le recourant invoque une violation de l'art. 20 CP. Il explique qu'après avoir consulté son avocat, il pensait pouvoir compenser les créances résultant du jugement de divorce.
5.1 Selon l'art. 20 CP, le juge peut atténuer librement la peine ou y renoncer, voire prononcer un acquittement (ATF 120 IV 313), lorsque le prévenu a commis un crime ou un délit alors qu'il avait des raisons suffisantes de se croire en droit d'agir. Pour qu'il y ait erreur de droit, il faut donc que l'auteur ait agi en se croyant en droit de le faire; la question relève du fait, de sorte qu'elle est soustraite à l'examen du Tribunal fédéral (art. 277bis al. 1 PPF). Si cette condition est réalisée, il faut encore que l'auteur ait eu "des raisons suffisantes" de se croire en droit d'agir; il s'agit d'une question de droit que le Tribunal fédéral examine donc librement (art. 277bis al. 2 PPF). L'art. 20 CP ne s'applique qu'à l'erreur sur l'illicéité d'un comportement déterminé; ne se croit en droit d'agir au sens de cette disposition que celui qui pense que ce qu'il fait est licite, que son comportement n'est pas interdit (ATF 129 IV 238 consid 3.1 p. 241).
5.2 En l'espèce, la cour cantonale ne s'est pas prononcée sur la question de l'erreur de droit, de sorte qu'elle n'a pas directement examiné si le recourant avait agi alors qu'il se croyait en droit de le faire. Les constatations cantonales sont insuffisantes sur cette question pour contrôler la bonne application du droit fédéral. Il convient donc d'admettre le pourvoi sur ce point.
6.
En conclusion, le pourvoi doit être admis en application de l'art. 277 PPF, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision. Il n'y a pas lieu de mettre des frais judiciaires à la charge du recourant et une indemnité sera allouée à son mandataire pour la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 278 al. 3 PPF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours de droit public est rejeté.
2.
Le pourvoi est admis, l'arrêt attaqué est annulé au sens de l'art. 277 PPF et la cause est renvoyée à la Cour de justice pour nouvelle décision.
3.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du recourant concernant le recours de droit public et il n'est pas perçu de frais afférents au pourvoi.
4.
La Caisse du Tribunal fédéral versera au mandataire du recourant une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens.
5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Procureur général du canton de Genève et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale.
Lausanne, le 27 mai 2005
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: